Titre

Table

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Note 1

Note 2

Note 3

Note 4

Bibliographie

PROPOSITIONS TERMINALES











    1. Les mathématiques ne sont pas une science naturelle des nombres, ni la logique une science naturelle des intelligibles. La poésie n'est pas davantage un art décoratif du langage.
    Ces deux observations prennent tout leur intérêt quand elles sont associées.



    2. D'un côté représentation (science), de l'autre création (art). Dans cette séparation quelque chose est évacué: le sens.
    Représentation? Créations? - Ou déploiement?
    Création sous-entend représentation réelle, réalisation; et pourtant suppose image, imagination, illusion. Représentation suppose représentation du réel, donc dédoublement, donc un «à côté» du réel: image, symbole, illusion; et pourtant vérité, représentation vraie.
    Cette séparation ne serait-elle pas fondamentalement fallacieuse?



    3. Ne considèrerait-on pas le langage comme ce par quoi une communauté s'entend en ce qui concerne le monde? Une version plus subtile du contrat social? Le contrat social ne serait au fond rien d'autre que le langage lui-même.
    Dans ce cas, il n'est plus un mythe mais une réalité. Reste à savoir si le langage est réellement un contrat social.



    4. Activité scientifique et activité esthétique sont dans un rapport comparable à celui entre activité motrice et activité sensorielle. On peut bien sûr considérer l'une sans l'autre, mais non pas avoir l'une sans l'autre.
    On pourrait dire que la sensibilité est au service du mouvement: l'oreille de la chauve-souris lui permet de voler dans la nuit. On peut aussi dire qu'elle le commande sur le modèle du stimulus et de la réponse. Cependant on est bien obligé de voir à leur jonction, et comme au poste de commandement, la vie elle-même.
    La vague n'a pas besoin de sensibilité pour se déplacer, mais on dit qu'elle se déplace par image. Elle n'est en fait que déplacement de l'eau. De même l'eau calme reflète le paysage (et ne dit-on pas d'une pellicule photographique qu'elle est sensible?). L'image s'y dessine aussi bien que dans notre oeil. Mais qui la voit?
    C'est parce qu'il y a un être percevant qu'il y a un sujet qui se meut, et pas seulement un objet mû. C'est parce qu'il y a un sujet qui se meut qu'il y a un être percevant, et non une simple circulation de stimuli, d'informations, d'impressions d'un objet sur l'autre.
    Ce n'est que par ce sujet qu'il y a distinction entre action et perception, et non simple transfert de matière et d'énergie.



    5. La science vise toujours une action sur le monde. Elle vise aussi l'explication. Mais cette explication est toujours liée à l'action sur le monde. Elle est explication technique.
    C'est un point essentiel: même si l'action paraît quelquefois occultée par l'abondance des descriptions, elle est fondamentale; et si l'explication finit par rompre tout lien avec l'opération, elle n'est plus scientifique. La science suppose l'expérience: un «comment on fait» - mode d'emploi, recette; c'est seulement en cela, et ainsi, qu'elle explique.
    L'art au contraire n'explique rien, il montre, il rend sensible. Il est certes travail, ouvrage. Souvent le mérite essentiel qui lui est reconnu tient à la qualité du travail, et celle-ci peut aussi finir par masquer ce qu'il montre. Mais s'il ne montre rien d'autre, il n'est plus art; simplement artisanat.
    Là encore la question du sujet, qui est celle de l'opération et de la perception, est centrale. Il n'y a science que s'il y a description et explication, et ce n'est pas seulement dans la pure opération de l'expérience que la science trouvera ses moyens de description et d'explication. Il sont produits d'une pure opération esthétique. C'est pourquoi les rapports entre logique et grammaire, mathématique et poétique sont si essentiels. C'est bien là où se trouvent les outils de la pensée.
    La science donne bien à l'art ses techniques, mais cet apport est accessoire pour l'art. En fait, c'est encore par le même chemin que la science alimentera l'art: logique et poétique (en faisant signe l'objet du travail).



    6. Or nous pouvons bien voir où est exactement cette passe: elle est là où est en jeu l'apparition ou l'oblitération du sujet.
    La logique oblitère le sujet en isolant le système de signes des signifiés, et en unifiant sous la même notion de signifiant le signe et l'interprétant. En le faisant très concrètement, et non innocemment, elle rejoint la science; et non en se faisant science naturelle des intelligibles.
    En opérant cela, elle présuppose d'abord qu'on s'entende sur un système signifiant, comme préalable à toute intellection. Ce faisant elle oblitère le sujet réel sous un sujet collectif. En un sens le sujet de la science serait la science même: un ensemble de savoir, auquel le sujet réel serait appelé à se fondre lorsqu'il pense.
    Ceci est plus une règle du jeu qu'une réalité. En fait il n'existe pas, ou trop, de sujets collectifs. Cependant l'efficacité de la règle donne un semblant de réalité au mythe communautaire, et l'on ne cherche pas plus à savoir si cette communauté est une communauté de connaissances, de règles, une communauté culturelle, linguistique, géographique, ethnique, une communauté juridique, financière, religieuse, une communauté de travail, de protection, ou d'entraide, etc. (Le langage comme contrat social.)



    7. L'esthétique réintroduit le sujet; la séparation entre sujet et objet, en faisant sauter celle entre signe et signifié.
    L'auteur - c'est ainsi qu'apparaît alors le sujet - substitue à la rigueur logique une toute autre rigueur.



    8. Le rapport signifiant-signifié pose une relation de symétrie entre deux ensembles: celui des signes et celui des choses; celui de la représentation et celui du réel.
    Cette séparation est forcément fictive, c'est à dire artificielle, produit d'un artifice... Plus elle devient concrète, moins elle est ce qu'elle se prétend: moins l'ensemble des signes est indépendant de celui des choses, mais plus il en devient un élément.
    Le rapport sujet-objet n'a pas besoin de distinguer ces deux ensembles. Chaque chose peut être signe pour autre chose, dans un sens comme dans l'autre. La rigueur n'y a rien à voir avec la vérité, qui supposerait l'exactitude dans la symétrie des deux ensembles.



    9. Il n'y a de ce fait aucune frontière entre les arts. Entre la poésie (prise dans le sens large de création littéraire), la musique et les arts plastiques.
    La musique est déjà présente dans la poésie. Elle ne devient proprement musique qu'en abandonnant toute préoccupation sémantique.
    Les arts plastiques ne sont pas moins présents dans l'écriture. Formellement, la disposition dans la page, la ligne participent à la lisibilité. En l'absence de métrique et de rime, le vers se réduit à une forme plastique, de laquelle il n'est qu'un pas pour aller au calligramme.
    D'autre part le rythme et le ton sont immédiatement présents dans le plastique. Du plastique au musical, n'est au fond que la différence du spatial au temporel.



    10. Le point où ces deux rapports - sujet&endash;objet, signifiant&endash;signifié - se rejoignent, est proprement la langue; la grammaire. La grammaire n'est jamais que la rencontre du sémantique (langage) et du musical.
    Qu'est-ce que la musique? Toute définition tend à la tautologie. Disons que ce qui distingue sons et musique est la totale indétermination causale ou sémantique de celle-ci. La musique n'est signe de rien (les sons de la musique sont seulement signes de la musique); elle est elle-même.
    C'est à dire qu'elle est pure détermination du sujet. La musique est ce que fait le musicien. Elle n'est rien d'autre: dès qu'on reconnaît dans des sons un musicien, et non des causes ou des significations, on entend une musique.
    Toute la différence entre langue et langage est là. Il n'y a langue que si l'on entend la musique dans le langage, donc le musicien.
    La grammaire sans musique n'est donc plus qu'un langage.



    11. Si les mathématiques ne sont pas la science naturelle des nombres, la logique celle des intelligibles, c'est d'abord parce qu'elles ne sont pas des «savoirs», et de ce fait des «sciences».
    C'est à dire qu'il n'y a pas de relation de symétrie entre contenant et contenu; ou forme et contenu.
    C'est en cela qu'elles tiennent de la création et de l'esthétique; qu'elles collent à la poétique.