Chapitre premier
1 - Je vois bien que
quelque chose échappe dans tout ce que je peux
accomplir et proposer. Quelque chose qui n'en est
peut-être pas le coeur essentiel, ni la raison finale,
ni l'ultime fondement, mais en constitue une clé
importante.
Il n'est sans doute vital pour personne de
comprendre ce que je fais et ce que je propose. Ce n'est
d'ailleurs pas pour moi-même le principal souci.
Cependant cette clé là peut se faire passe
pour de nombreuses portes, et qui peuvent conduire
très au-delà de mon seul propos.
Entendons-nous bien. Il n'y a
décidément rien de vital à comprendre.
Non, ce qui fait problème, c'est l'obstacle à
la compréhension. Ce n'est pas simplement qu'on ne
comprenne pas, mais qu'on ne parvienne pas à
comprendre.
2 - Ce que je fais se
range sous le couvert de la poésie; tout le monde est
d'accord. Evidemment, toute poésie n'est jamais
seulement que de la poésie. Cela on peut l'admettre
aussi. Aussi pure qu'on la veuille, il y a, dans toute
poésie, de la pensée, des connaissances, des
messages (que sais-je?): aussi va-t-on voir, à
côté de ma poésie, des choix, des
options, des engagements, l'une et les autres s'alimentant
mutuellement. Et en effet, on imagine mal une poésie
qui ne parle de rien, qui ne dise rien.
Seulement voilà : s'agit-il de
quelque chose qui est à côté, ou
s'agit-il d'un contenu?
La question demeurerait
sans importance si cet à-côté, ou si ce
contenu, ne concernait chez moi principalement la forme, le
contenant.
Le contenu de ma poésie pourrait
s'appeler la poétique. Et l'on sent là que
quelque chose se court-circuite.
Un court-circuit de ce genre hante la
conscience humaine depuis la rhétorique sophiste.
Mais en réalité, il n'y a là aucun
court-circuit. C'est par erreur qu'on croit que le sophisme
nous entraîne dans d'obscurs labyrinthes. Il nous en
fait sortir au contraire. Il nous en fait sortir en nous les
montrant.
3 - Rien n'est plus
proche de la poésie que les mathématiques. Le
point commun entre les deux: ne chercher aucune
référence à une réalité
qui leur soit extérieure.
Les deux travaillent sur des signes, sans
chercher une quelconque pertinence dans les relations que
ces signes entretiennent avec n'importe quoi d'autre, mais
seulement dans les relations qu'ils entretiennent entre
eux.
Les mathématiques travaillent
seulement sur un langage formel qui s'éloigne de la
langue ordinaire, la poésie au contraire s'en tient
à cette dernière.
4 - Chacun sent
confusément que logique et poétique sont comme
les deux voies royales de la pensée. De là
à les opposer, il n'y a qu'un pas. Et on le franchit
volontiers.
Non content d'avoir divisé tout le
système éducatif et universitaire entre
littéraire et scientifique; on est allé
chercher dans les deux hémisphères du cerveau
les mêmes spécialisations.
Sans doute pour faire de la logique
faut-il filtrer les signes de toutes leurs dimensions
poétiques. Et pour faire de la poésie, faut-il
charger les termes de toutes leurs connotations
rhétoriques. Mais comment savoir faire l'un sans
savoir faire l'autre? Comment marcher sur une seule
jambe?
II
5 - Cette
séparation qui traverse toute la culture
contemporaine suppose que le style et la pensée
n'aient rien à voir entre eux.
Par pensée, j'entends aussi bien la
capacité d'embrasser des connaissances, de les
ajuster de diverses manières afin qu'elles
révèlent des aspects qui ne soient pas
immédiatement donnés, de les
représenter sous des figures variables, de les
combiner afin d'inférer des conclusions
inédites, etc...
Je conçois mal toutes ces
opérations sans la haute maîtrise d'une
quelconque langue naturelle, qui ne peut qu'en être
à la fois le principal outil et le principal obstacle
à surmonter.
On s'ingénie à dénier
cette évidence. On cherche à tout prix
à distinguer les opérations de la
pensée des purs actes de langage, quelquefois
même à les opposer, et à juger des
qualités d'une langue et d'un style
indépendamment de la clarté et de la richesse
de la pensée qu'elle induit.
6 - Comment peut-on
concrètement parvenir à séparer la
pensée du langage? Concrètement, on n'y
parvient qu'en cherchant à affiner et polir davantage
ce langage. A force de le travailler, on en produit un
autre. Les mathématiques, la science et la logique
ont fini par créer un nouveau langage, purement
graphique, au symbolisme universel.
Il est à peine utile de traduire
des ouvrages en ces matières pour les rendre
accessibles à tous les spécialistes. Le
néophyte, par contre n'y comprendra rien, même
dans l'ouvrage qu'il lirait en sa langue.
7 - Cela ne pourrait-il
pas justifier le clivage que j'incrimine? Mais pour ce
faire, il faudrait que ce langage formel se suffise
entièrement à lui-même, et qu'il ne
doive avoir à aucun moment à faire à la
langue ordinaire.
Si cette dernière condition
était réalisée, il se pourrait bien
qu'elle ne s'arrête pas à justifier cette
séparation, qui va jusqu'à celle des fonctions
du cerveau: elle risquerait bien d'aller jusqu'à
invalider entièrement les langues naturelles comme
outils de la pensée, et avec elles, tout ce qu'elles
entraînent de dimension poétique et
imaginaire.
Les spécialistes de la
pensée auraient dans ce cas abandonné l'usage
de la langue ordinaire, ou l'auraient limitée aux
simples communications familières, à l'usage
phatique ou à la vulgarisation.
Bref, la langue ordinaire aurait
été laissée aux gens ordinaires. Ce
n'est pas le cas. Pourtant les hommes ordinaires - ceux
qui ne sont ni des logiciens, ni des mathématiciens -
semblent le croire.
8 - Ils paraissent
convaincus que la langue ordinaire - c'est à
dire, littéraire - n'a plus d'autre fonction que de
séduire. Et ils semblent se résoudre à
ne s'en servir qu'ainsi. Ils ne la croient utile qu'à
convaincre, à charmer, à exciter, à
calmer, à distraire, à informer, etc...
Disons qu'elle n'est plus l'outil de la
pensée (dont, comme tout outil, on ne peut concevoir
l'usage qu'en rapport à la fonction à laquelle
on l'assigne), mais sa simple cosmétique : l'art
d'enrober ce qui par essence se tient au-delà
d'elle.
D'ordinaire qu'elle est, la langue devient
vulgaire, et de là outil de vulgarisation.
III
9 - On a mis, au
début du siècle, de très grands espoirs
dans la formalisation d'un langage spécifique
à la logique. On ne peut dire qu'ils aient
été déçus en songeant à
son application dans l'informatique et la communication.
Cependant, si l'on attendait de cette formalisation qu'elle
nous permette de mieux penser, on serait
déçu.
Radio, téléphone,
ordinateur, télécopies, ne font que transcrire
et retranscrire une langue demeurée intacte,
véhiculant une pensée qui ne s'en trouve que
très indirectement et superficiellement
modifiée.
Tout au plus, les manuels contemporains
font-ils un plus ample usage des colonnes, des tableaux, des
schémas et des têtes de chapitres.
10 - Si nous nous
reportons aux ouvrages de Rivenc, de Thom, de Quine, nous
trouverons bien quelques arides formules algébriques
indéchiffrables au néophyte, mais
dispersées dans le texte, enchâssées
dans le raisonnement à peu près de la
même manière dont la poésie japonaise
aimait enchâsser des vers dans de longs passages de
prose.
Quant au texte - disons le texte
prosaïque - il utilise toutes les ressources, et elles
seules, de la langue naturelle, telles qu'on en use depuis
des millénaires. On y trouvera toutes les figures de
la langue, codées et répertoriées dans
tous les ouvrages de rhétorique depuis, et même
avant, Aristote.
Il n'est pas même exclu que nous n'y
trouvions quelques très belles figures
poétiques.
11 - Si maintenant nous
allons à l'extrême opposé, puisant dans
quelque ouvrage oulipesque ou spatialiste, nous
découvrons une langue plus inédite, et plus
formelle peut-être. Nous sommes là dans la
littérature potentielle et la recherche formelle.
Le néophyte soupçonne le
canular. Il suffit pourtant qu'en surgisse une banale
application dans un roman non moins banal, dans la chanson,
ou tout simplement dans la publicité, pour que
s'évanouisse aussitôt l'impression de
loufoquerie.
La publicité des singes OMO,
articulant une langue tout aussi indéchiffrable
qu'elle est, au fond, très compréhensible,
nous semble absolument pertinente et pas du tout
exorbitante.
IV
Mais nous sommes
là dans des usages extrêmes du langage.
L'écrivain, le philosophe, le scientifique utilisent
une même langue, qui ne diffère pas de celle du
commun.
12 - J'ai posé
un lien de parenté entre poésie et
mathématiques du fait que les deux travaillent sur
des signes sans se soucier outre mesure de la pertinence
avec laquelle ils désignent une quelconque
réalité qui leur soit extérieure.
Ainsi définit-on la
parallèle sans se soucier qu'il puisse ou non exister
deux objets qui soient réellement parallèles.
Mieux : sans se soucier de ce que le dessin qui
représentera une parallèle soit
réellement parallèle. Il n'y a bien
évidemment aucun sens mathématique à
prouver empiriquement que deux droites ne se rejoignent pas.
Il suffit de poser que deux points pris sur une droite sont
équidistants de deux autres points symétriques
pris sur une autre droite pour prouver que ces droites ne se
coupent nulle part.
De même, nul ne se souciera de
rechercher une quelconque localisation dans l'espace et le
temps du château de Kafka.
Sans doute, aucune
activité de l'esprit ne fait l'économie de
l'hypothèse et de la déduction - en un
mot: de la fiction. Mais toutes les autres sont
rédimables à un quelconque moment d'une
confrontation avec les faits.
Les idées de
Newton ne sortent pas indemnes de la théorie de la
relativité ; ni la physique d'Aristote de la
formule de l'accélération. Cependant, qu'on
ait marché sur la lune n'ajoute ni n'ôte rien
à Cyrano de Bergerac, ni la géométrie
non euclidienne au théorème d'Euclide.
13 - Cette
proximité va pourtant avec un antithétisme
radical. Aussi proches que soient mathématiques et
poésie, elles n'en sont pas moins des pôles
contraires, et d'autant plus contraires qu'aucune
référence obligée à un
quelconque réel n'est de nature à les
rapprocher.
14 - L'esprit candide
dira que l'une s'occupe de chiffres et l'autre de lettres.
Mais cette évidence est trop fruste pour nous
permettre d'avancer plus.
Si l'une et l'autre tendent vers des
directions opposées, demandons nous plutôt
à partir de quel point de départ; à
partir de quelle origine commune.
A partir de la langue, bien sûr. A
partir de ce qu'il y a de plus formel dans la langue: la
grammaire.
L'une et l'autre travaillent à la
purifier et à l'affiner dans des sens
diamétralement opposés.
15 - La grammaire
renvoie les mots à la syntaxe et à la
définition.
Ainsi le mot passer (i) renvoie par sa
morphologie au mot passage ou au mot passoire, auxquels il
se raccorde par la définition. Par son suffixe il se
raccorde à la classe des verbes du premier
groupe.
(ii) Avec sa déclinaison, son sens
se module d'après son emploi : passe, passeront,
passant...
(iii) Sans que sa morphologie ne soit
davantage affectée, son sens se modifie encore avec
les mots qui lui sont accordés : passer le temps
est différent de passer la soupe ou de passer le
pont.
(iv) Dans son sens intrinsèque
d'écoulement temporel, passer rapidement
désigne une durée totalement différente
selon qu'on parle de la lueur d'un éclair ou de la
succession des civilisations.
Outre cette dernière modulation
donnée par le contexte, il en est d'autres
données par (v) la situation (ou la conjoncture
1) ) dans
laquelle la phrase est énoncée. Ainsi la
phrase: «le temps passe rapidement» peut tout
simplement signifier une incitation à forcer le
pas.
Nous voyons là
toute une échelle de corrélations croissantes
dans lesquelles le mot affine sa spécification.
Il en demeure que la stricte
définition du mot est nécessairement
indéterminée. Une telle imprécision
peut bien nous permettre de suivre une idée, et
même de la conduire, mais certainement pas
d'opérer des inférences précises et
certaines. Or c'est vers quoi tend la logique à
entraîner le langage.
V
16 - Il importe que
nous puissions oublier deux fois deux quand nous avons
obtenu quatre. Or cela est seulement possible parce que nous
pouvons à chaque instant retrouver deux puissance
deux dans quatre. Ce n'est pas du tout ce qui arrive avec le
mot passer.
Quand nous avons découvert dans le
verbe passer la signification plus spécifique dont il
est investi sitôt qu'on l'associe au temps, nous
oublions celle où il s'associe à soupe. Nous
l'oublions, et rien ne nous la rappelle - rien du moins qui
n'ait à voir avec le sens.
17 - Comparons ces deux
propositions: a2 -
b2= (a - b) (a + b) et: le temps passait
pendant qu'il passait sa soupe.
Pour peu qu'on comprenne la
première formule, l'égalité saute aux
yeux. D'autre part, chaque terme répété
garde exactement la même valeur tout au long de la
formule, et le conservera dans la suite du raisonnement.
Dans la deuxième proposition,
«le temps passait pendant qu'il passait sa soupe»,
le terme «passait» n'a plus la même valeur
dans ses deux occurrences. Dans une langue
différente, elles se traduiraient sans doute par deux
verbes différents. D'ailleurs, même en
Français ces deux actes devraient se traduire par
deux verbes différents, selon la loi qui proscrit la
répétition: «le temps s'écoulait
tandis qu'il filtrait la soupe».
18 - Justement, si,
dans une telle phrase, le verbe avait été
répété, cela aurait été
le fruit d'une inattention, et donc la preuve que nous
n'étions plus capables de reconnaître les
diverses acceptions dans le même mot, ou le même
mot pour les diverses acceptions.
Ceci nous arrive très
fréquemment en parlant et en écrivant; et
lorsque nous nous corrigeons, c'est seulement après
avoir été frappé par les ressemblances
sonores, et non par un sens commun que nous avons
momentanément oublié.
19 - Chaque mot porte
des traînes de sens que nous oublions dans leurs
diverses occurrences. Oubliées, ces traînes ne
cessent pourtant de travailler; elles ne manqueront pas de
porter leurs inférences sur la suite du texte. Mais
ces inférences resteront étrangères, et
parallèles, aux pures inférences logiques.
Ces traînes de sens sont
déjà, par nature, des tropes; des figures de
style. Que le terme écoulement s'applique avec autant
de justesse au temps qu'à l'eau d'une rivière
suppose déjà une image, une figure de style,
qui prend de vitesse toute pensée, critique ou non,
sur les limites en deçà ou au-delà
desquelles un rapprochement entre une durée et un
fluide peut être juste.
Le terme de «temps»
lui-même est très trompeur, en ce qu'il
désigne à la fois l'écoulement (la
durée), la mesure de l'écoulement (de la
durée) et le rythme.
20 - Ainsi la langue
suppose des faisceaux inextricables d'inférences,
mises en étroites corrélations les unes aux
autres, répercutant en chaînes infinies la
moindre variation de sens.
Ces inférences n'ont bien
évidemment rien de logique. On y soupçonnerait
plutôt quelque chose de semblable à des
chaînes causales, si ce n'est que la causalité
n'y tient nulle part une place repérable, et qu'on y
trouverait bien plus, non pas une finalité, mais une
sorte de synthèse de signification, de
désignation et d'intentionnalité - une
chaîne d'inférences signifiantes
(désignantes ou assignantes) et intentionnelles.
VI
21 - Y songeons-nous
lorsque nous parlons ou écrivons? Cela dépend.
Je crois qu'il est assez rare que nous y songions
très sérieusement, et plus rare encore que
nous n'y songions pas du tout. Mais les deux cas sont
possibles.
En fait nous nous
demandons presque toujours comment nous exprimer. Presque
toujours, nous interrompons le cours de l'écriture ou
de l'énonciation pour le réorienter, le
reprendre, le reconsidérer.
Que faisons-nous ainsi lorsque nous nous
interrompons? Comment nous y prenons-nous? N'est-ce pas un
peu comme si nous cessions de regarder pour contempler notre
vision? Fermer les yeux pour mieux voir?
Ce n'est sans doute que dans quelques
états passionnels que nous cessons cette prise de
distance. L'acte d'amour, la colère, la violence
- et encore portés à une rare
intensité - sont les rares situations où les
mots peuvent nous venir automatiquement et sans recul,
où nous nous exprimons sans nous demander
comment.
22 - Curieusement, on
verrait là comme une essence, ou encore un
modèle de la poésie. La plupart des oeuvres
littéraires donnent certes cette impression d'une
parole qui ne se cherche pas. Mais c'est tout simplement
qu'elle est déjà trouvée et ne se
cherche plus.
Or elle fut
cherchée(2) . De
cela nul ne peut douter. Les errements de brouillons
corrigés et recopiés en témoignent.
L'impression générale de naturel est le fruit
d'un travail. Sans compter qu'elle n'est pas toujours aussi
généralement voulue: il est même bien
probable qu'elle ne soit ni un but à atteindre, ni
même un résultat souhaitable ni
forcément heureux.
23 - Le mot dent a pour
nous une signification très précise, qui se
précise encore lorsque nous disons les dents du
cheval. Elle demeure précise et claire, mais devient
différente, quand nous disons les dents de la
scie.
De là nous comprenons très
bien ce que peut être une évolution en dent de
scie. Nous faisons immédiatement abstraction de la
couleur généralement blanche des dents, de
leur caractère propre à mâcher, mordre,
couper, déchirer, pour ne plus retenir que le dessin
d'une lame dentelée de scie.
Dent de toile nous laissera plus perplexe.
Mais si nous lisons la dent de toile croque les vagues, nous
imaginerons sans peine la voile triangulaire d'un
navire.
Cependant, l'association de toile et de
dent existe déjà dans dentelle. Et la dent de
toile pourra aussi bien être la pointe d'un bord de
tissu dentelé.
Dans la dent de toile nous repérons
la pure opération poétique. Qu'a-t-elle de
plus singulier que la dent du cheval ou la dent de scie? Sa
singularité justement.
Il eut suffi qu'on ait pris l'habitude
d'appeler dents de toile les voiles, ou que le mot qui les
désigne soit de la même famille que dent
- comme dentelle par exemple - pour que la valeur
poétique soit absente.
Est-ce à dire que la valeur
poétique ne soit qu'affaire d'originalité et
de nouveauté? Ce serait prendre la cause pour
l'effet : disons plutôt que l'image
poétique tend à s'user, à
s'émousser à force de servir.
La dent de scie est aussi bien une image
poétique. Une image usée. Usée parce
que l'habitude est si bien prise de comparer la dent d'une
mâchoire à une dent de scie qu'on ne pense plus
du tout à la première, et qu'il n'y a plus de
rapprochement à faire entre les deux.
La dent de toile - contrairement au
seul mot voile - à la fois nous rappelle la
matière de la voile, et tout ce qu'elle suppose de
force tendue d'air, la forme et la couleur de la dent, et
aussi sa fonction qui est de mordre, et même son
mouvement que l'on peut rapprocher du navire dans les
vagues. Tout cela peut être en même temps rendu
présent à l'esprit, et même induire
d'autres images, comme celle de croquer les vagues,
dévorer la distance, etc...