Au tout début du siècle, un correspondant m’avait envoyé son journal personnel qu’il avait écrit sur l’un des tout premiers blogues. Je l’avais donc lu naturellement dans l’ordre inverse de celui où il avait été écrit. Une telle inversion m’avait paru intéressante. J’ai songé un moment à l’imiter moi-même, mais je n’ai pas trouvé la bonne méthode.
L’écriture n’est pas indifférente à son support, ni aux moyens techniques qu’elle met en œuvre, et un blogue est un outil d’édition, pas d’écriture. Comment écrire de la fin au début sur un cahier, ou aussi bien un traitement de texte ?
Je n’aime pas non plus les trucs, les procédés. Ce journal lu en sens inversé m’avait procuré d’heureuses surprises, proposant de séduisants effets de dévoilement progressifs. Son ordre mettait en lumière des aspects qui auraient été oblitérés par celui dans lequel il avait été écrit. Toutefois, ce n’est qu’un procédé. Il donne lieu à quelques observations intéressantes sur la temporalité d’un récit, la ligne d’une pensée, mais il n’en offre pas la maîtrise. Parfois ce procédé produisait des effets heureux, parfois pas du tout. J’en ai parlé avec mon correspondant qui n’avait d’autres intentions qu’utiliser et prendre en main son nouvel outil, et découvrait comme moi ses résultats inattendus.
L’important n’est pas de changer l’ordre temporel de l’écriture. Il n’est d’ailleurs pas vrai que tout texte ait été écrit linéairement. La parole même, la pensée aussi bien, ne sont pas toujours ordonnées. Il importe plus qu’elles se livrent à des parcours multiples. Je note que ceci n’est pas un effet nouveau de l’hypertexte, mais le propre de l’écrit, par essence navigable. Un réseau de localisateurs universel (URL) offre opportunément les moyens de cette navigation que le papier ne rendait pas très commode avec ses notes et ses renvois.
Ce livre, qui, on l’admettra, n’a ni queue ni tête, n’est pas édité pour en faire une lecture linéaire. Pratiquement, on ne quittera pas une page en cliquant sur le lien qui renvoie à la suivante. On ira d’une page à l’autre en cliquant dans le corps du texte sur des liens qui renvoient à de nouveaux passages.
Encore un truc ? Oui et non. Ce n’est pas ce qui me fera m’agiter et crier : « Venez vite voir ! » Ce n’est pas ce qui va renouveler les lettres. Ce procédé, il m’a été inspiré par cela-même que j’avais commencé à écrire. Je n’y aurais cependant pas pensé si je ne pratiquais pas depuis le siècle dernier les lettres avec des outils numériques.
Pendant que j’écrivais, j’avais songé à modifier l’ordre du début, quand je me suis dit « à quoi bon ? » À quoi bon, il suffit de ne pas commencer par le commencement. Voilà, ça commence donc ici, Il n’y a qu’à suivre les liens à partir de cette page.
J’ai, dans ma jeunesse, entendu cette phrase : « Rien ne peut changer sans que tout change. » Elle m’a plu et je l’ai tout de suite adoptée. Il se trouve que je l’avais mal comprise. Elle se voulait seulement la stigmatisation d’un radicalisme stérile : tant qu’on ne change pas tout, on ne peut rien faire. Je l’avais comprise dans un sens plus intelligent : Le moindre changement conduit irrésistiblement à des changements infinis pour le pire ou le meilleur.
Personnellement, je ne suis pas un adepte du changement. Je le laisse aux conservateurs, qui n’ont que ce mot à la bouche. Je n’aime que les tout petits changements, ceux qui ouvrent la route pour progresser.
Je n’ai pas fini de l’écrire et je sais déjà que mon livre ne sera pas un bien gros volume ; ces moyens commodes de navigation agissant comme s’ils démultipliaient le texte.
Je ne pourrai pas faire l’expérience de découvrir ce livre comme je l’ai publié, du moins avant longtemps. Que l’éventuel lecteur n’hésite donc pas à me faire part de ses impressions et de ses remarques.
Il trouvera aussi une version PDF dans l’ordre chronologique, optimisée pour les écrans verticaux des téléphones et des tablettes, quand il finira par se lasser du jeu, ou s’il n’a pas de temps à perdre. Dans ce cas, il peut aussi commencer là.
© Jean-Pierre Depétris, juillet 2019
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