Il semble que nous ayons passé le pic pétrolier avant 2008. Mes renseignements semblent fiables, et j’en suis agacé.
Depuis une bonne quarantaine d’années je suis convaincu de la menace que fait régner sur le climat les émanations de carbone. Il y a bien longtemps, j’ai commis avec des camarades quelques actions et publications en ce sens, dans le détail desquelles je ne souhaite pas entrer. Du jour au lendemain, la planète entière s’en est subitement soucié sans qu’on sache pourquoi, et a fait concours de mesures, plutôt stériles, pour baisser la consommation d’hydrocarbures. Cette soudaine prise de conscience, à laquelle ni moi ni mes anciens amis n’étions pour rien, serait donc en réalité postérieure à une baisse de la consommation de pétrole, et donc au tassement de productivité qui bien logiquement l’accompagne, sans que l’une comme l’autre n’ai été voulues ni planifiées. Cela m’agace, comme il peut se comprendre.
À travers un mécanisme dont j’ignore tout, on fait donc passer une pénurie subie, une baisse de croissance et des revenus qui l’accompagnent, pour une volonté politique délibérée et raisonnable. On s’attaque même à une croissance jugée coupable. On prône la décroissance.
Or, la décroissance est impossible sans effets dévastateurs sur les hommes eux-mêmes. Si elle devait être rapidement sensible, elle entraînerait une décroissance plus sensible encore des populations humaines. Trop nombreux, la terre nous est devenue inhabitable sans technologies avancées ni énergie pour les animer. Nous ne pouvons pas reculer. Nous ne pouvons que faire un bond technologique décisif.
Le nucléaire produit une radioactivité inacceptable, pétrole et gaz produisent des émanations de carbone inacceptables, mais nous n’avons aucune autre solution tenable à court terme. Nous devons nous bouger pour en trouver une à plus long terme.
Nous ne sommes pas tant pressé par le climat, ni par la radioactivité qui n’atteindra pas si vite des niveaux vraiment inquiétants ; nous le somme surtout parce que la production de pétrole et de gaz se contracte et devient hasardeuse, et parce que les centrales nucléaires se dégradent sans que nul ne se soit pressé d’en faire de nouvelles. Voilà, me semble-t-il, le danger. Si du moins mes informations sont sérieuses, et non pas aussi fantaisistes que celles sur lesquelles je croyais pouvoir m’appuyer.
Les solutions sérieuses dont nous aurions besoin à terme, et qui exigeraient quand même quelques décennies pour être mises en route, je n’en vois pas l’ombre. Revenir au moulin ou développer une énergie solaire stockée et redistribuée par de grands groupes, ne me semble pas convenir pour des sources d’énergie qu’on imaginerait mieux se multiplier sous des formes artisanales, ou pour le moins très locales.
À mon avis, les solutions sérieuses ne viendront pas des appareils gouvernementaux, ni moins encore des directoires de multinationales, qui ont fait leurs preuves. Les affaiblir serait déjà un pas dans la bonne direction. Les solutions ne se dessineront pas à cette échelle, qui justement participe du problème. Elles viendront d’où elles peuvent venir : d’ingénieurs, de chercheurs et de travailleurs qui auront su conserver leurs capacités de travail. Qu’ils se renforcent serait un autre pas dans la même direction.
J’ai retenu du Zen l’art de lâcher prise. Lâcher mon idée, là, comme ça, la laisser en plan, l’abandonner pour cette autre qui croise mon chemin. Lâcher prise : c’est un entraînement à se donner.
C’est une habitude à prendre. Ne pas s’accrocher aux idées, les laisser vivre. Il ne leur arrivera rien. Elles ne s’effilochent pas, ne se perdent pas. Où iraient-elles ? Elles se trament au contraire.
Vont-elles se dissoudre dans le monde réel ? Non. Elles volettent comme de beaux papillons. Elles volent comme des pinceaux. Le dessinent-elles, ou le révèlent-elles ?
Le premier souvenir que je garde de la grande décharge derrière la gare de triage de Miramas au jour tombant, date de mes trois jours à la caserne de Tarascon où j’avais été appelé pour le service militaire. Un autre jeune appelé m’avait conduit à la gare de Miramas pour que je puisse y prendre un train qui ne s’arrêtait pas à Tarascon. La veille, nous avions passé des tests qui nous avaient à tous deux valu l’insigne honneur d’une formation d’officiers de réserve, dont nous n’avions pas voulu.
C’était un jeune apprenti mécanicien qui conduisait trop vite. Il le fallait pour rattraper mon train. Je ne me souviens plus si nous y étions parvenus. Je ne me souviens pas non plus s’il y avait déjà des nuées de mouettes qui volaient dans le soir sur la décharge.
Je ne crois pas trop au Quotient Intellectuel, quand bien même il me serait flatteur de penser le contraire à la lumière des tests que j’avais passés à Tarascon. Je ne nie pas que ces tests mesurent pourtant quelque-chose : une capacité cognitive indépendante de tout apprentissage préalable, paraît-il.
Je ne crois déjà pas que nos capacités cognitives soient très constantes. Je suis sûr que les miennes sont sujettes à des variations très sensibles d’un moment à l’autre. Je crois plutôt à des états, des états variables qui peuvent passer rapidement du génie à la débilité, et inversement. Je crois plutôt au génie, à l’inspiration qui nous tombe dessus et s’envole sans raisons discernables.
Pour autant, je ne dirais pas que le Quotient Intellectuel ne mesure rien. Dans le cas contraire, je suis sûr qu’on hésiterait moins à l’utiliser pour sélectionner et orienter les élèves vers les études qui donnent accès aux fonctions d’une classe dirigeante. À chaque sas, on leur ferait passer des tests plutôt que des examens, on les orienterait ainsi dans les parcours qui correspondraient ou non à ces fonctions, et l’on saurait bien s’arranger pour qu’elles correspondent à celles de leurs pères. On imagine sinon, si cet accès était donné à des apprentis mécaniciens, que la reproduction de ces classes en serait menacée, et nul ne sait ce qui en résulterait.
Ceux des classes dirigeantes aimeraient accréditer l’idée qu’ils aient à la fois des aptitudes cognitives innées, et des connaissances bien supérieures à la moyenne. Il serait dur de le croire, même si l’on trouve parfois chez eux des parcours d’études susceptibles d’impressionner l’ignorant. En fait, la plupart n’ont pas lu seulement un livre de Karl Marx.
Non, ni plus instruits ni plus intelligents, on y trouve peut-être seulement une plus grande aptitude à l’obéissance, au respect des règles et des protocoles, quelles qu’en soient les conséquences, notamment logiques. Ce sont de telles aptitudes qui aident à suivre des études supérieures.
– Un esprit borné serait-il nécessaire, ou du moins favorable à l’apprentissage ? – Oui et non ? On n’apprend jamais mieux qu’en prolongeant la proposition : « supposons que… ». Les esprits les mieux disposés à « supposer que… », sont soit très disciplinés, soit très imaginatifs, et même un peu fantasques.
Si l’on n’est pas disposé à supposer que…, on n’ira pas loin. Si oui, on doit encore apprendre à lâcher prise.
Il est agréable de marcher dans la campagne les nuits de pleine lune. On y voit presque clair, presque autant qu’en plein jour, pour peu qu’on évite les sous-bois et les lieux ombragés, car les ombres sont noires.
Les nuits de nouvelle lune, au contraire, la lampe est nécessaire, mais combien on y distingue les étoiles si le ciel est dégagé ! Si pour la nouvelle lune, le temps est dégagé, il le restera pendant toute la lunaison. Bien sûr, on n’est pas obligé de le croire.
Quand la nuit est très sombre, plutôt que dans la campagne, on a l’impression d’être allé marcher dans les étoiles.
© Jean-Pierre Depétris, juillet 2019
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