Mon logo

Problèmes contemporains de l’écriture

Jean-Pierre Depetris



Des lettres numériques

Résumé

Un mot semble devenu aujourd’hui singulièrement absent, celui de « lettres », au pluriel. Il n’est pas pourtant remplacé par un autre, ni aisément remplaçable. « Littérature » est trop étroit, « livre » ou « édition » le sont aussi, et trop larges à la fois. Bien sûr avec le mot « lettres » a disparu aussi celui de « lettré » ou d’homme de lettres. Il n’est pourtant pas facile non plus de les remplacer par d’autres. Où sont donc passées les lettres, et avec elles les lettrés ? On pourrait commencer pour répondre, par interroger le mot « lettre » au singulier, le message, la lettre, la correspondance.

L’ignorance contemporaine dans laquelle les lettres sont d’elles-mêmes a sa source dans celle de l’invention du numérique et de ses conséquences. Réciproquement, la sous-estimation de l’invention numérique et de sa portée, qui n’y voit que la dimension électronique, ou de nouvelles technologies de la communication, repose sur celle des lettres. L’apparition des lettres, ce ne fut pas seulement celle de l’écriture. Ce n’est pas non plus, et elles ne s’y sont jamais réduites, celle de la littérature. C’est aussi bien celle des sciences, des mathématiques, des techniques et des arts — ce qu’on appelle aujourd’hui la recherche.

Les lettres sont apparues bien après l’écriture, et bien avant ses techniques de reproduction. Le numérique en est un pas décisif qui est encore en cours, un pas aussi décisif que l’invention des lettres, mais dans le sens alors de signes écrits.

La correspondance et les lettres

Écrire est une activité personnelle, mais finalement pas du tout solitaire, comme le disait avec beaucoup de vérité Pierre-Laurent4. On est toujours en relation dans l’écriture, et l’important c’est avec qui. La correspondance, par sa nature tend à être privée et à ne s’établir qu’entre deux personnes. Un réseau de correspondance peut bien s’étendre mais, jusqu’à une période très récente, il n’était pas très commode de reproduire des messages. Pourtant, une part des plus remarquables des lettres fut, à toutes les époques, de la correspondance, des épîtres, qu’elles fussent ou non écrites dans l’intention plus ou moins délibérée d’être rendues publiques.

D’autres textes ont été écrits pour être prononcés publiquement — discours, cours, sermons —, ou encore interprétés — poésie, théâtres, chansons. Ce mode de transmission de l’écrit a l’inconvénient de ne pas favoriser beaucoup les réponses. Même sous la forme de conférences-débats, elles ne mettent pas les interlocuteurs sur un pied d’égalité.

Les livres imprimés tiennent un peu des deux : de longues épîtres, qui ont pris tout le temps nécessaire pour s’écrire, se mûrir et se penser, et qui attendent des réponses du même ordre, dont se nourrissent les suivant, comme l’avaient fait les précédents ; une forme en quelque sorte plus lente et plus ample, plus puissante et ordonnée de la correspondance.

Avec l’apparition des journaux et des revues, des écritures collectives en sommes, le texte imprimé s’est donné richesse et souplesse. Il n’en tend pas moins à ramener l’écriture, plus proche par nature de la confidentialité de l’épître, à la communication publique, le prêche, le cours, le sermon, le discours du haut de la tribune ou de la chaire. Or, si l’écriture n’est pas solitaire, elle n’est pas non plus publique car elle invite à la réponse directe, au prolongement. Elle l’appelle et elle en a besoin. Elle l'appelle dans son propre élément, dans l’écriture, l’écrit personnel, l’écriture d’un autre auteur. Tout ce qui n’est pas réponse écrite et signée intéressera peut-être bien l’auteur, mais pas l’écriture. L’auteur sera embarrassé pour s’en servir.

Le livre imprimé a surtout abouti a mettre les auteurs en relation avec des comités de rédaction et des jurys de bourse, de prix et d’aide à la création. Il est logique alors que leurs auteurs se soient mis à écrire pour eux, et eux à les publier ou aider à leur publication pour la critique, et la critique à les critiquer pour le public, qui lui, on le comprend, s’en fout, et même préfère écrire, mais hélas pour des comités de lecture et des jurys… Si les choses en sont là, c’est que les lettres sont déjà ailleurs.

La littérature, plus précisément et largement les lettres, sont enracinées sur une relation proprement épistolaire. Elles supposent à la fois la relation intime de l’épître, et sa réception différée. Cette différance entre l’énonciation et sa réception fait qu’il y a texte et auteur, et non pas seulement dialogue entre des personnages.

Le discours, le sermon, le cours, le prêche, la récitation, le conte… peuvent bien être écrits, ou encore notés à la volée, ils n’en constituent pas moins une forme pré-littéraire de l’écriture. Les lettres reposent bien plus sur l’instance du correspondant que sur celle de l’auditeur, du public, fût-ce à en faire des lecteurs.

L’imprimerie, les lettres et le numérique

L’imprimerie verrouille en partie le passage entre l’écriture épistolaire et la publication. Elle le verrouille mais elle ne l’interdit pas. Bien des correspondances sont publiées, et bien des publications sont en réalité des correspondances, des « lettres ouvertes ». Bien des livres se répondent, doivent être lus comme des correspondances, et quelquefois suivis par celles qui les ont accompagnés.

L’imprimerie verrouille ce passage dans le sens seul où, avec elle, un écrit ne peut qu’être ou ne pas être publié. Cette publication est un seuil, un saut décisif et irréversible, qui n’existait pas avant l’imprimerie. Le prix de la publication imprimée est en principe le seul droit d’accès accordable à quiconque, alors que l’enveloppe cachetée est le seuil inviolable de la vie privée. Il ne reste en principe aucun moyen-terme.

C’est pourtant dans un moyen-terme qu’est l’essence des lettres, et dans lequel l’imprimerie condamne à toujours trancher. Depuis son invention, toute l’intelligence éditoriale a tenu dans cette capacité de maintenir cet entre-deux malgré le verrou, à maintenir cette porte à la fois ouverte et fermée.

L’intelligence littéraire fut l’art de tenir entrouverte la porte du salon, sans être dérangé par l’intrus, sans se donner non plus en spectacle, l’art d’y introduire cet intrus et de le faire cesser d’en être un, l’art de ne pas se laisser détourner de ses relations réelles par la présence de témoins latents, et même d’ouvrir avec eux les possibilités de nouvelles.

Qui pourrait dire que ce n’est pas là le noyau de ce qu’on appelle le talent littéraire ? Et l’on ne pourra alors manquer de comprendre que c’est pour une bonne part une affaire d’équipe.

Comment pourrait-on en effet être seul à décider de l’entrebâillement ? Comment pourrait-on contrôler seul une relation ? Ce sont d’abord nos correspondants épistolaires qui posent et résolvent nos problèmes d’écriture, qui peuvent nous casser la plume aussi bien que la faire glisser, même si au fond nous en demeurons toujours maîtres, capables de faire de l’obstacle un support, ou incapables de récupérer une passe.

Cet état de chose qu’avait créé l’imprimerie, et qui devenait toujours plus difficile à jouer tandis que les auteurs maîtrisaient de moins en moins l’édition, s’est rapidement retourné. Il s’est retourné comme un iceberg, à partir apparemment du seul perfectionnement des techniques de reproduction.

Alors que le livre est devenu un marché comme les autres, et que ne s’articule plus autour de lui qu’un rapport de producteur à éditeur, les lettres ouvrent leur route ailleurs avec bien plus de facilité. C’est la numérisation des données qui a permis de faire sauter le verrou. L’auteur peut aujourd’hui maîtriser techniquement l’édition.

Ce verrou était en effet celui de la technique et du travail de l’imprimeur, qui l’avait en définitive dérobé à l’auteur. Celui-ci devait bien s’en remettre à d’autre pour le passage de la lettre manuscrite et cachetée à l’édition imprimée et publique.

Sans doute le pas avait-il déjà été franchi avant, grâce à l’usage des stencils, puis des photocopies, dont la recherche, littéraire autant qu’universitaire, faisait déjà un gros usage. Dans d’autres pays, ces formes d’édition prenaient même une tournure dissidente, ailleurs, elles occupaient le vide.

Pour passer le pas, il a suffit de trois techniques qui s’englobent comme des poupées russes : la numérisation du texte d’abord, qui l’émancipe de son support ; l’ordinateur personnel, qui en met la technique à portée de l’auteur; et l’internet enfin, la communication directe entre tous les ordinateurs.

Le passage de l’épître à la publication n’est plus alors qu’un changement de protocole de transfert : Celui de simple messagerie (Simple Mail Transfer Protocol, SMTP), celui de fichiers (File Transfer Protocol, FTP), celui de textes publiés en ligne se renvoyant les uns aux autres (Hyper-Text Transfer Protocol, HTTP). Transformer un message privé en publication, ou envoyer un extrait ou la totalité d’une publication en message privé ne prend qu’un instant, ne coûte rien, et n’est pas difficile à apprendre. Tout est à la portée des doigts de l’auteur.

Les choses sont en réalité un peu plus compliquées que je viens de le dire. Les problèmes techniques de l’édition en ligne peuvent devenir, même à l’expert, carrément inextricables. Tout y est inextricablement simple, pourrait-on dire.

Ce qui est le plus dur à désintriquer, c’est la part de techniques numériques et micro-mécaniques de la part de stratégie littéraire et éditoriale. Tout devient incroyablement compliqué quand on commence par les problèmes informatiques. C’est ce qui explique les échecs de formation et de sensibilisation, et l’état assez piteux des productions en ligne.

On ne fait pas grand chose avec un ordinateur sans changer de logiciel et donc de format de fichier. Ce qu’on commence sur un traitement de texte, on l’achève avec un éditeur HTML, et souvent en utilisant entre les deux au moins un logiciel de messagerie, avec tous les risques d’altération qui en résultent. Dans la mesure où l’internet permet de faire sauter le verrou entre l’écriture et l’édition, ce passage doit demeurer perpétuellement réversible, multipliant les risques d’altération. C’est ce qui permet non seulement d’échanger des textes, mais surtout de les corriger et de les affiner. Alors qu’une première édition en ligne devrait logiquement être inférieure à une édition sur papier généralement bien relue et corrigée, les suivantes devraient tout aussi logiquement devenir meilleures que l’édition imprimée quand elles lui succèdent. Pour cela, le texte édité en ligne doit demeurer dans la longue durée aisément accessible, révisable et éditable, sans altération ni travail inutile. C’est souvent le cas, mais c’est loin d’être largement acquis, et moins encore appris. On préfère souvent encore conserver à l’édition numérique l’ancienne division des tâches : celui qui écrit, celui qui saisit, celui qui relit et corrige, celui qui met en page, celui qui met en ligne…

C’est que l’informatique a plutôt vocation d’apporter des solutions, pas des problèmes qui sinon deviennent insolubles ; encore doit-on savoir à quoi, et ne pas chercher à faire avec le numérique ce dont il a justement pour fonction de nous permettre l’économie.

La technique seule ne donne évidemment pas des stratégies littéraires et éditoriales ; elle leur apporte des outils. Ils sont pour la première fois entre les mains de l’auteur, qui ne dépend alors plus d’un tiers.

Le numérique, l’ordinateur personnel et l’internet font sauter le verrou de l’imprimerie, et ramènent l’écriture et l’édition à une seule et même opération, celle des lettres. Ce qui veut dire donc que la numérisation des données et leur transmission (ce qu’on appelle l’informatique) appartient aux lettres, c’est-dire encore, plus précisément, à l’art du jeu subtil entre la relation épistolaire et l’écrit public.

La parole et l’écrit

On peut distinguer aisément trois manières d’utiliser la langue, qu’elles soient orales ou écrites : La première consiste à s’adresser à soi-même. C’est ce qu’on fait quand on prend des notes, qu’on « couche sur le papier », comme on dit. C’est aussi quand on se parle à soi-même plus ou moins mentalement, quand on compte notamment. La deuxième consiste à s’adresser à une ou a un petit nombre très précis de personnes, attentif aux réponses. Les énoncés sont alors contextualisés dans un échange croisé, et difficilement interprétables quand on les en retire. La troisième consiste enfin à s’adresser à la cantonade, à un auditoire indéterminé, non limité, ou au moins à des auditeurs pris comme un ensemble ouvert et informe, dont les éventuelles réponses n’ont plus de prise sur l’énoncé.

On remarque que le caractère principal de la première est la consistance de l’énoncé, et l’attention qu’on lui porte ; celui de la deuxième est l’importance du contexte, de ses réseaux et de leur trame. Quant à la troisième, son aspect principal est d’inciter à conserver au texte son caractère prononçable, et à prendre appui sur ce qui peut être supposé connu du plus grand nombre.

Cette distinction nette que la pensée conçoit clairement est loin d’être aussi découpée en situation réelle. On peut dans une communication publique ne s’adresser en réalité qu’à une ou à un groupe très précis de personnes. On peut aussi s’adresser à quelqu’un pour clarifier sa propre pensée seule. Le plus important est encore qu’on puisse jouer l’un pour faire l’autre, en faire des artifices rhétoriques. On passe ainsi dans le style et la technique littéraire.

L’écriture apporte alors une puissance qui n’est pas seulement celle de la réécriture, ni même de la navigabilité par rapport à la linéarité de la parole : l’usage du signe écrit diffère la relation. Dans la relation orale, on est bien obligé d’adapter très vite ses paroles, donc sa pensée, à la situation. Dans l’écriture, c’est le contraire. La situation devenue contexte, nous laisse tout notre temps, mais surtout toutes nos ressources, pour le mettre au travail.

L’écriture n’a pas exactement le même poids dans les trois manières que j’ai définies d’utiliser un langage. Dans la première, la pensée pour soi-même, l’écriture déploie toute sa puissance. C’est bien évidemment parce qu’on « n’écrit pour personne » que le langage devient le seul support de la pensée.

Contrairement à une idée reçue, c’est aussi le moment où l’écriture devient le plus impersonnelle. Sans autre, il n’y a plus proprement d’auteur, seulement une consistance interne des énoncés. L’essence de l’écrit pour soi-même est l’énoncé mathématique : lemmes, hypothèses, définitions, démonstrations, axiomes… Le lexique et la syntaxe tendent alors à se dissoudre dans des jeux formels de signes écrits toujours plus épurés et généraux.

À l’autre bout, et toujours contrairement à bien des idées reçues, c’est dans la communication publique que l’écriture a la fonction la plus négligeable. Elle intervient après, pour noter et éventuellement corriger l’allocution, ou encore avant, pour la préparer. J’ai qualifié cet usage de l’écriture de pré-littéraire, car il l’est historiquement ; les premiers écrits, lorsqu’ils ne sont pas du calcul, sont des notations anonymes d’énoncés oraux.

Quand bien même l’allocution orale n’interviendrait jamais pour l’écrit public, elle en demeure en quelque sorte l’horizon virtuel. C’est en cela que, même si la puissance du signe écrit intervient peu dans la communication publique, celle-ci intervient beaucoup sur l’écriture, en maintenant ses liens avec la parole.

Entre les deux, la lettre, l’épître, aujourd’hui le courriel, comme les termes français et latins le soulignent, est ce qui fait les lettres. Là se travaillent mutuellement la consistance analytique et interne du langage, dans laquelle se joue l’écriture pour soi, et l’intuitivité rhétorique et poétique de la parole, et même de la palabre et du chant.

C’est l’auteur qui fait la lettre, comme la lettre le fait, bref, il se fait auteur dans la lettre, en s’y plaçant comme un sujet, une personne dans une relation réelle. Plaçant sont texte dans le contexte des autres, il les réinterprète comme contexte du sien.

La numérisation, l’ordinateur personnel et l’internet, comme le SMTP, le FTP et le HTTP offrent tous les moyens-termes possibles entre ce qui était avant les seules options, et donc des ressources infinies, et bien largement inexplorées, aux lettres.

Il existe des quantités d’alternatives entre les courriels personnels et le site internet, de la liste de diffusion au forum, en passant par le wiki et le blog, et des outils les plus variés pour écrire, que ce soit pour noter, calculer, organiser, composer, éditer, publier, traduire, annoter, peaufiner, corriger, structurer, illustrer, prononcer, commenter, indexer, communiquer, protéger, archiver, masquer… Cette profusion même des moyens devient stérilisante si l’on commence par là. Les véritables problèmes sont plus subtils, et c’est une toute autre profusion qui les cause : la profusion des textes d’abord, et celle de ceux qui les écrivent, c’est-à-dire des contextes.

Messagerie et publication

Tout le monde sait se servir succinctement d’un traitement de texte, ou peut l’apprendre très vite, et tout le monde sait envoyer un courriel. Ce n’est pas plus difficile en somme que se servir d’une machine à écrire et de papier. Si ce n’était que pour en rester là, le papier et la plume seraient largement suffisants, et sans doute supérieurs. Même la vitesse de transmission des courriels, quasi-instantanée, devient très relative si l’on tient compte du temps pris à les écrire, les lire, comprendre, réfléchir, répondre, et qui sont à peu près incompressibles. Il serait de toute façon idiot d’ouvrir un courriel dès qu’on le reçoit et d’y répondre comme à un coup de téléphone. Ce serait perdre tous ses avantages.

Les outils informatiques sont là pour répondre à la profusion des textes, et ce ne sont pas eux qui l’ont causée, ni même qui accélèrent si sensiblement qu’on le croit leur profusion et leur circulation.

Tout le monde sait écrire… une page, puis deux, trois… puis après on se noie. On peut toujours ranger des lettres dans des boîtes, et même avec un ruban autour. Le disque ne nous offre même pas ça, et son contenu est bien plus fugace que le papier ; c’est une façon par laquelle aussi l’informatique règle les problèmes de profusion : l’effacement.

C’est que les lettres ne sont pas seulement une somme de lettres. C’est une construction, une construction à plusieurs. C’est en quoi la profusion actuelle est toute relative : toutes les lettres, les publications, les courriels, en ligne ou sur papier, ne sont pas destinés à faire les lettres. Ils surgissent et s’enterrent les uns les autres avant même de s’effacer. Ils enterreraient aussi bien les lettres, et c’est à quoi répond la profusion des outils numériques.

La simple messagerie (SMTP) et la publication en ligne (HTTP) demeurent les deux pivots de l’internet, comme l’étaient la lettre cachetée et l’imprimerie, même s’ils offrent plus de commodités pour passer de l’un à l’autre, et surtout pour choisir des moyens-termes. Chacune offre en plus des possibilités que n’avait pas le papier.

Dans un premier moment, cela ne change rien qu’un courrier soit électronique ou non, quand on l’écrit et quand on l’envoie. On gagne seulement le temps de coller un timbre et d’aller à la poste, peut-être de recopier mot à mot une citation. Même si l’on n’est pas très à l’aise avec l’écran et le clavier, rien n’interdit d’écrire d’abord à la plume avant de saisir, ni d’imprimer pour relire. Ça ne coûte même pas nécessairement plus de temps ; l’encre qui permet de réécrire sans effacer, et qui conserve donc la trace du cheminement des idées, nous fait souvent écrire plus vite.

C’est dans les moments suivants, ceux de la réception et de la réponse, que le numérique fait toute la différence. Répondre à un correspondant recopie automatiquement l’intégralité de son message dans la réponse. On l’a donc sous les yeux, et on lui évite d’avoir à le rechercher quand il lit la réponse.

Nous pouvons aussi insérer nos réponses dans le corps même de son message, nous arrêtant à chaque point, à chaque phrase. Ceci donne à l’écrit la souplesse de la conversation sans rien lui faire perdre de la rigueur de l’écrit, ni la suite de ses idées quand nous coupons le discours de notre correspondant. C’est un dialogue différé. Nous pouvons nous arrêter au détail sans perdre la vue d’ensemble, saisir l’ensemble sans que s’y noient les détails.

L’usage généralisé des courriels cultive alors chez ceux qui le pratiquent une très grande attention au langage, les entraînant à peser chaque mot, et à être attentifs aux malentendus et aux faux-sens de leur lecture ainsi qu’à ceux que suggèrent leurs propres énoncés. Le courriel a une efficacité pour réduire les à-peu-près que rien n’égale.

Avec cela, rien n’est plus simple que d’ajouter à son courrier des citations avec la référence à des ouvrages complets qu’un simple lien suffit à ouvrir immédiatement. J’ai observé que des échanges dont chaque envoi n’excédait pas les vingt lignes pouvaient en réalité contenir des dizaines de pages à lire pour chacun. C’est en quoi d’ailleurs la rapidité des échanges en ligne est toute relative.

C’est sur ce dernier point que la messagerie fonctionne en lien étroit avec les sites, leurs adresses (Uniform Resource Locator, URLs), notamment les sites de ceux qui correspondent. C’est là une différence majeure entre l’édition en ligne et l’édition sur papier : la correspondance et la publication sont aussi profondément arrimées dans la première, que la seconde les séparaient.

Avec le courriel, c’est évidemment le site personnel qui est l’autre pivot de l’internet. Bien sûr, tous les sites ne sont pas personnels ; ils peuvent être aussi collaboratifs, associatifs, communautaires, institutionnels. Ce n’en est pas moins le site personnel qui est le pivot du net, celui d’une personne réelle, qui peut signer un courriel.

Le site associatif ou institutionnel n’est d’ailleurs ni plus gros, ni plus beau, ni plus accessible, ni plus navigable, il s’inscrit dans la même fenêtre du navigateur et au même format. Il est sur le même plan, à égalité, il n’a rien de plus qu’un site personnel, si ce n’est qu’il ne l’est pas, et il doit bien ouvrir à un moment la voie à des correspondants-auteurs réels. En quelque sorte, sur le net, la réalité est personnelle — dans la mesure où la messagerie et le site personnels renvoient à des ordinateurs personnels (Personal Computers, PC). Public ne s’oppose plus à privé, mais s’articule à personnel.

La principale difficulté pour réaliser un site personnel n’a rien à voir avec l’informatique, et aucun manuel n’y répond. Un site personnel est sans doute la meilleure occasion qu’un homme puisse trouver d’avoir la maîtrise totale sur l’apparence qu’il offre aux autres. Il lui appartient entièrement de montrer ou de cacher à tous, les multiples facettes sous lesquelles il est ailleurs visible à chacun, et surtout de montrer leur articulation, les rapports qu’elles entretiennent entre elles.

C’est en réalité extrêmement difficile, et l’on comprend très vite qu’il ne l’est pas plus de mentir, de se fabriquer une identité, que d’offrir une seule des facettes qu’on laisse généralement prendre ailleurs pour notre identité véritable. N’importe qui peut passer sur notre site, et l’on ne trompera pas notre vieil ami, notre confrère, notre collègue… On ne trompera de toute façon personne sur la consistance du site entier.

Personne ne s’intéresse à moi pour tout ce que je suis. Les vieux souvenirs, ou même les liens de parenté qui intéressent celui-ci, ennuieraient celui-là (peut-être même au sein de ma propre famille). De même, celui qui publie de la littérature avec moi se moque de mes idées sur la source libre ; celui qui édite mon essai politique se désintéresse de mes ateliers d’écriture, et tout autant de ma lecture de Descartes. Je comprends très bien cela, et suis envers lui dans les mêmes dispositions. Ça ne m’est pas complètement égal, mais je ne me sens pas particulièrement concerné.

Un site donne une chance unique d’apparaître entier, tout en laissant à chacun la possibilité de s’entretenir avec nous sur les seuls sujets qui l’intéressent, mais sans que soit davantage cachée la relation qu’ils entretiennent avec les autres centres d’intérêt ou axes de travail de chacun. En fait, un site internet est comme un centre d’aiguillage d’où l’on passe d’un réseau à l’autre.

Ce n’est pas parce qu’on ne partage qu’un seul centre d’intérêt avec quelqu’un, qu’on ne le connaîtra jamais intimement. Au contraire, c’est à partir de centres d’intérêts bien précis qu’on finira peut-être par comprendre la place exacte qu’ils occupent chez chacun. On aura remarqué qu’une telle évolution des relations est singulièrement difficile ailleurs, où l’on est presque toujours en situation d’être l’élément d’un ensemble : famille, profession, statut, militantisme syndical, politique, associatif, édition dans la presse, en revue, en « collection »…

Aussi, contrairement à bien des idées reçues, l’internet n’est pas le lieu où il est le plus facile, ou seulement utile de mentir, se mentir. Il permet plutôt de parler dans une certaine liberté. L’internet est donc moins fait pour des internautes que pour, et par, des lettrés. Ce n’est pas une plaisanterie : l’internet est fait par et pour ceux qui sont capables d’y correspondre par courriels et de faire un site personnel.

Hommes de lettres et noosphère

Si l’on divise en trois les connaissances nécessaires à faire cela, on aura une part infime de technique, qui s’acquiert en quelques heures ; une part de ce qu’on appelle la netiquette, ce qu’il est ou non correct de faire sur le net, et qui demande plus de réflexion et d’expérience ; et enfin, comme on dit, avoir des lettres, qui est de loin le plus important et ne s’acquiert pas du jour au lendemain en lisant des manuels.

Naturellement, chacune de ces divisions suppose sa part de technique, et même de technique numérique. Comprendre et respecter la netiquette suppose, par exemple, de connaître les formats de fichiers et quelques techniques d’encodage. Mais comme j’ai tenté de le montrer plus haut, la technique répond alors à un problème et n’en constitue pas un. C’est au contraire si l’on ne comprend pas auxquels elle répond qu’il devient insaisissable.

Sur le net, la publication est moins publique et la messagerie moins privée qu’il n’y paraît. Rien n’est plus facile que d’envoyer des copies de ses messages à plusieurs destinataires en même temps. Il est tout aussi aisé de faire des listes de diffusion.

Il est coutume que des listes de diffusion soient éditées en temps réel sur site, permettant à ceux qui n’y sont pas inscrits de trouver quand même des réponses et des informations. Ces correspondances, alors en réalité publiques, prennent pourtant souvent la forme de dialogues entre deux personnes qui se tutoient, s’appellent par leurs prénoms, paraissent oublier les autres participants à la liste et plus encore l’affichage public. Chacun répond souvent à un interlocuteur bien précis, se référant à des contextes qui leur sont communs, comme si une correspondance personnelle émergeait soudain en public, et elle replonge même bien souvent dans le personnel quand les correspondants s'invitent à poursuivre en privé. Il n’est pas rare de voir ce qu’on écrivait dans une liste réédité et commenté sur un site, une autre liste ou un forum, dont on n’aurait même pas soupçonné l’existence s’il ne nous avait pris l’idée de saisir notre nom sur un moteur de recherche.

Il n’est pas non plus exclu de limiter le caractère public d’un site, du moins de sa totalité. On peut interdire aux moteurs de recherche d’indexer certaines pages. Ils respectent généralement bien ce code. Elles ne seront alors accessibles que par les liens faits avec elles. Ceci évite une publicité excessive à des écrits qui n’ont pas vocation à intéresser tout le monde. On peut aussi ne pas faire de liens du tout. Sans lien ni indexation, ces pages ne seront accessibles qu’à ceux qui en auront reçu l’adresse. On peut enfin les protéger pas des mots de passe. Tout est personnel, mais rien n’est totalement privé, ni public.

En fait, dans la correspondance que j’évoquais au début, Pierre-Laurent Faure avait écrit exactement le contraire de ce que je dis, que l’écriture est solitaire mais pas personnelle. Je maintiens quand même que nous disions la même chose. Il entendait par là que, quand on écrit, on est évidemment seul, et l’on n’est donc pas avec la ou les personnes auxquelles on s’adresse. C’est donc une activité solitaire. On n’écrit pas non plus comme on se coiffe devant une glace, dans une relation spéculaire à soi-même. D’ailleurs, même si l’on se parle seul, on n’utilise pas un langage personnel.

Il est intéressant de remarquer que, même en écrivant exactement le contraire, nous disions déjà à peu près la même chose en opposant seulement les deux termes. En somme, si Pierre-Laurent a raison, l’acte d’écrire est solitaire parce qu’il diffère la relation, et moi je dis qu’il ne l’est pas au sein de cette relation différée. De même, si j’ai raison quand je dis que l’écriture est personnelle car l’auteur fait des écrits de ses correspondants son contexte, Pierre-Laurent n’a pas tort non plus dans le sens ou ce contexte n’est pas personnel en soi, de manière privée. Il affirme cependant quelque chose d’essentiel que ne devrait pas faire oublier le renversement que je montre : Même si l’on admet que l’écriture n’est pas une activité solitaire, elle demeure une expérience solitaire. (« Seule la solitude enseigne » disait Mallarmé.)

Je fais ici et dans ce moment même cette expérience qui diffère notre échange personnel dans le temps et l’espace. Supposons qu’au lieu d’écrire, nous ayons seulement bavardé, ou même que l'autre ait suivi un cours que j’aurais donné, en prenant des notes et en intervenant. Il en resterait bien quelque chose en chacun de nous : des idées « personnelles », mais au fond tellement « personnelles » qu’elles en seraient impersonnelles : les idées de personne, en fait. Déjà aujourd’hui, alors que j’ai répondu à sa lettre, et que je l’ai publiée deux fois, je ne me rappelais plus qu’il y avait écrit exactement le contraire. On voit bien ici comment la lettre, non pas la seule écriture, empêche que des « je » et des « tu » bien précis ne se dissolvent dans la confusion de « on » et de « ils » indéterminés.

Qu’est-ce que Pierre-Laurent Faure a de si exceptionnel pour revenir de loin en loin dans mes écrits ? Est-il un auteur reconnu ? Il est en réalité bien plus que cela, il est en somme « un homme de lettres » — Oui, dans le sens tout bête où il est capable d’écrire des lettres. En principe, même le premier imbécile venu est capable d’écrire une lettre, mais en principe seulement. Même un « auteur reconnu » paraît souvent bien en peine. Savoir écrire une lettre, c’est être en mesure de suivre sa propre pensée en changeant d’interlocuteur, et de la construire. C’est donc ni s’effacer, ni l’effacer. Encore notre interlocuteur doit-il en être capable aussi.

Dans la plupart de mes relations — et chacun devrait pouvoir faire la même observation s’il y est attentif — mon interlocuteur ne me répond pas, il répète d’autres, au mieux il leur répond à travers moi. Quand il m’entend, ce sera souvent pour me répéter à d’autres sans même me citer. (Je suis bien sûr moi-même bien capable d'en faire autant.) C’est ainsi qu’on en vient à la confusion des « on » et des « ils ». Il en va ainsi même dans les publications. Sous couverts d’enquêtes, d’études, de recherches, on lit les uns pour les répéter et les commenter à d’autres. Rien ne se répond. On ignore les lettres dans les trois sens : celui d’une attention « à la lettre », de la correspondance, et de ce que sont les lettres.

Tout ceci relève naturellement d’une disposition d’esprit, mais ce n’est pas ce qui importe. (Comment agir sur sa disposition d’esprit ?) Il y a aussi dans ces phénomènes quelque chose de structurel, inscrit dans les médias et le spectacle marchand. De telles remarques ne mènent pas non plus très loin tant qu’elles ne se traduisent pas dans des réponses techniques.

Ces réponses techniques se trouvent là où une vie des lettres les a déjà produites. C’est-à-dire là où les réponses se font, personnelles, sans s’arrêter au barrage entre public et privé. Elles sont bien évidemment des techniques littéraires. Il n’est pas si facile d’intégrer ce qu’a écrit un autre dans ce qu’on écrit soi, et de telle sorte qu’on puisse y lire les deux. Cela suppose une maîtrise élaborée de la syntaxe, cela suppose de conserver sous son attention une très grande quantité d’énoncés, et de ne pas garder le nez collé sur la construction d’une seule phrase, ou d’un paragraphe, voire d’une seule page.

Cette dimension qui relève de la maîtrise des lettres ne va pas non plus sans un aspect éthique. L’éthique est en réalité aussi technique. Succinctement, elle consiste à ne pas se gêner les uns les autres, à se simplifier mutuellement la vie plutôt que se la compliquer. La maîtrise des lettres et l’éthique se conjuguent pour faire en sorte que chacun puisse s’installer à la croisée de plusieurs réseaux, qui constituent alors le sien, et dont il se fait le centre. C’est à partir de là que la technique numérique devient solution.

Une réforme de l’entendement

La sociologie aurait le plus grand mal à saisir de quoi je parle. Elle y chercherait un « phénomène social », elle se demanderait quelles populations sont concernées. Elle chercherait des mesures : nombre de connexions, volume de données échangées, fréquentation de sites, masse monétaire, part de marché.

Ce dont je parle lui sera doublement invisible, et d’abord quantitativement. Puisque la netiquette exige de compacter le mieux possible les données qu’on échange, et de les réduire au nécessaire, l’intérêt de ce qu’on trouve en ligne tend donc à être inversement proportionnel à la quantité de données en octets. Si l’on sait aussi que les meilleurs outils pour créer et échanger en source libre sont eux-mêmes en source libre, et pour cela la plupart du temps gratuits, on imagine que la part de marché ne sera pas loin d’être nulle.

On pourra même la voir négative, si l’on considère qu’un usage lettré de l’internet occupe la place d’un marché potentiel. On pourra même y voir une nuisance, une « piraterie » marginale, où chacun préfère parler à chacun plutôt que de payer pour entendre la voix de son maître. On pourrait donc même souhaiter la réduire, la circonscrire, la réprimer.

Si une telle vision avait un quelconque rapport avec la réalité, la répression serait achevée depuis longtemps. En fait, il ne s’agit ni d’une marge, ni d’une flibuste ou d’une part négative, mais de l’essence même de la programmation et de l’internet, et l’on ne peut s’y attaquer sans casser avec elle tous ses usages, certes majoritaires en termes de public et de marché, mais en réalité tout à fait marginaux, accessoires et même aberrants quant à ce qui est réellement en jeu.

Ces usages en réalité marginaux et aberrants, qui paraissent par leur chiffres d’affaire et la population qu’ils concernent la finalité d’une technique de programmation, ne sont que les moyens par lesquels elle se finance. C’est pourquoi, même si les principes de la technique et les moyens de son financement sont souvent contradictoires, les premiers peuvent se soumettre et détourner ces derniers, mais pas l’inverse.

Pour qu’une révolution technique réussisse — c’est-à-dire aussi scientifique et épistémologique —, elle ne doit pas se contenter d’être porteuse de nouveaux usages, de nouvelles mœurs, d’une nouvelle conscience. Elle doit d’abord commencer par servir les anciens ; les servir pour s’en servir à se développer. Les inventions techniques qui n’ont pas commencé par permettre de faire ce qu’on faisait avant elles, ont disparu avant d’exister. L’imprimerie n’a servi au début qu’à reproduire les livres qu’on recopiait avant à la main. Il lui a fallu longtemps pour changer l’usage de l’écrit, la transmission des savoirs, leur légitimité, et finalement leur nature.5

D’accord, la technique est une traîtresse et une prostituée, elle trahit l’esprit qui la fait naître pour servir ceux qui veulent le dompter, mais c’est une façon étroite de voir. Elle porte l’esprit qui l’a fait naître, et elle trahira plus sûrement ceux qui veulent la dompter que ceux qui la font, et sont donc les seuls capables d’en utiliser la puissance sans devoir la limiter.

La sociologie saisira moins encore ce qui est plus qualitatif, à savoir que cette distinction entre les techniques du numérique et des réseaux et les lettres, est une illusion. La technique était immédiatement dans les lettres — chez Boole, Babbage, Lovelace, Turing…— avant même d’exister dans des biens et des services, et elle demeure une technique des lettres, soit les outils d’une révolution de l’esprit, d’une réforme de l’entendement.


14 juin 2008, version 2



4 Pierre-Laurent Faure, À Travers Champs numéro 1, 1997, Correspondance J-P Depétris & P-L Faure. Republié dans De l’écriture comme geste à la pensée comme mouvement.
http://jdepetris.free.fr/load/geste_mouvement/Faure.html

5 […] La machine analytique n’a pas de prétention à donner naissance à quoi que ce soit. Elle peut faire ce que nous savons lui apprendre à faire. Elle peut suivre l’analyse, mais elle n’a pas le pouvoir d’anticiper des relations analytiques ou des vérités. Son pouvoir est de nous aider à rendre disponible ce que nous connaissons déjà. […] Mais il est probable qu’elle exerce une influence indirecte et réciproque sur la science d’une autre façon. En distribuant et en combinant les formules de l’analyse, de telle façon qu’elles puissent devenir plus facilement et rapidement traitables par les combinaisons mécaniques de la machine, les relations et la nature de beaucoup de sujets dans cette science sont nécessairement éclairés d’une nouvelle façon, et approfondies. […] Il y a dans toute extension des pouvoirs humains, ou toute addition au savoir humain, divers effets collatéraux, au-delà du principal effet atteint.

(Lettre d'Ada Lovelace de 1842, cité et traduit par Philippe Aigrain dans Cause commune, L’information entre bien commun et propriété, collection "Transversales", Fayard. Disponible au format pdf sous licence CC: <http://causecommune.org/>.)


—>



© Jean-Pierre Depetris 2004, 2011
Copyleft : cette œuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que sur d'autres sites.
http://jdepetris.free.fr/Livres/pce/



- - - Valid HTML 4.0 Transitional - - - CSS Valide !