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Jean-Pierre Depétris

 

De l'invariable
et du mouvant


 
MARSEILLE

MCMLXXXVIII

 

Chapitre septième
De la vie et de la mort




Lorsque Ts'ao Chan fut venu lui faire ses adieux, Tong Tchan demanda : « Où t'en vas-tu? » — Ts'ao Chan : « Je vais là où il n'y a pas de changement. » — « S'il n'y a pas de changement, pourquoi y aller ? » — « Mais j'y vais sans changement. »

Wou Men Koan.








XL

De la vie et de la mort.







Le mouvement n'existe qu'en ce qu'il apparaît dans l'immuable. C'est ce que l'on appelle descendre dans la mort.

De même l'immuable n'apparaît dans l'existence qu'en ce qu'un mouvement le soulève.

Ainsi la vie est une corruption de l'immuable, et la mort une germination du mouvement — ce qui se manifeste très clairement dans le travail agricole où la génération commence par la mise en terre.





XLI

Remarques sur certaines conceptions concernant la vie et la mort.







Certains docteurs ont créé de grandes confusions par leur façon d'opposer la vie et la mort.

Ils ont cru que la mort était la corruption de l'immuable alors que c'est en vivant que notre corps se corrompt.

« Nous courbons le dos à qui nous accordons longue vie. Pourquoi ne comprennent-ils pas ? » dit le Livre. Et ils ont confondu la vie avec la conservation.

Ainsi, là où ils ont vu une opposition entre Eros et Thanatos, est un mariage entre évolution et conservation d'où naît le temps et l'histoire.





XLII

De l'altération.







Tu comprendras qu'il y a peu de différence entre la génération et la corruption, si ce n'est en regard de l'altération.

Ainsi, il y a génération tant que le Même reste conforme à l'essence du Même. Et il y a corruption lorsque le Même devient l'Autre. C'est cela l'altération: le passage du Même à l'Autre.

Mais si l'altération est la corruption du Même, elle est tout aussi nécessairement la génération de l'Autre.





XLIII

Du Même et de l'Autre.







Le mouvant est le passage ininterrompu du Même à l'Autre.

L'immuable est l'essence immobile du Même et de l'Autre.

Cette essence demeure immobile en ce que son ipséité reste limitée par une altérité.

Ainsi toute essence demeure pour soi en ce qu'elle demeure pour l'autre.





XLIV

Du simple et du complexe.







Il existe une autre manière de considérer les choses qui dit de la corruption qu'elle est un retour au simple, et de la génération qu'elle est la production du complexe.

Mais qui peut dire ce qu'est le simple et ce qu'est le complexe ?

Car le Même demeurant limité par l'Autre, l'Autre reste qualificateur du Même.

Ainsi le simple contient le complexe, et le complexe contient le simple. Si une langue au cours des temps est amenée à se simplifier, il n'est pas dit qu'elle n'en devienne pas plus apte à exprimer des pensées plus complexes.





XLV

Du simple et du souple.







De même une structure qui devient plus complexe peut perdre sa souplesse ; et sa combinatoire alors devient plus simple.


C'est pourquoi, comme tu l'as vu plus haut, quoique le feu gagne sur tous les autres éléments et les dévore, le monde ne se consume pas, mais est en perpétuelle création.





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