mon site
Jean-Pierre Depétris

 

De l'invariable
et du mouvant


 
MARSEILLE

MCMLXXXVIII

 

Chapitre onzième
De la matière




La matière éternelle, impérissable n'est réelle ou n'a d'existence qu'en tant que somme de ses phénomènes transitoires. Nous disons que les changements résident dans la matière, que la matière est ce qui subsiste, que seuls les changements se modifient ; nous pouvons avec autant de raison inverser les choses et dire : la matière consiste dans le changement, la matière est ce qui se transforme et la seule chose qui subsiste est le changement.

Dietzgen; L'Essence du travail intellectuel humain.


Elle est la mutabilité des choses muables qui est susceptible de prendre toutes les formes en quoi se meuvent les choses muables. Et en quoi consiste-t-elle ? Est-elle esprit ? Est-elle corps ? Est-elle une espèce d'esprit ou de corps ? Si l'on pouvait dire : « un néant qui est quelque chose », ou « ce qui est et qui n'est pas », c'est ainsi que je la nommerais.

Augustin; Confessions; Livre XXII.








LXIII

De l'Agent.







Je t'ai annoncé plus haut que te serait révélé comment la forme tient réunis le mobile et l'immobile. Peut-être l'avais-tu oublié. Ou peut-être as-tu déjà compris.

Cependant, tant que tu ne sauras pas où est l'agent de ce principe, ce sera comme si rien n'avait été dit.

Il faudra d'abord que tu saches que l'agent et la cause sont deux choses différentes.





LXIV

Des causes.







Il est des causes qui, si elles cessent, font immédiatement cesser leur effet. Ainsi quand le vent s'arrête, les branches cessent de remuer.

Il en est dont les effets durent bien après qu'elles aient disparu.

Ainsi, l'incendie que la foudre a déclenché dure bien longtemps après l'éclair. Et la clairière qu'il aura tracée durera elle aussi longtemps après le feu.





LXV

De ce qu'il existe deux sortes de causes.







Ces deux sortes de causes doivent être des choses distinctes malgré le même nom qui leur est donné.

S'il est vrai que les branches d'un arbre cessent de bouger quand le vent tombe, il se peut qu'elles restent toujours orientées dans le même sens, s'il est planté sur le passage d'un vent régulier.





LXVI

De ce que l'agent se conserve dans les passages successifs des causes aux effets.







Il y a dans le second exemple une cause qui se conserve en passant de ce que nous avions appelé la cause à ce que nous avions appelé l'effet.

Et si ton regard va plus loin, tu verras que ce que tu appelais cause est aussi l'effet d'une autre, et que son effet causera d'autres effets.


Cette cause qui se conserve dans la succession des effets nous l'appelons « agent ».





LXVII

De la matière et des causes matérielles.







L'Agent se conserve dans une série d'effets qu'il rend chacun successivement cause du suivant.

Cela veut dire que l'effet se conserve en précédant la cause dans une suite de phénomènes.

Cet effet, nous l'appelons Matière.

Et l'effet qui devient cause d'un effet suivant, nous l'appelons Cause matérielle.





LXVIII

De ce que la matière est un présent antérieur.







Peut-être ne comprends-tu pas pourquoi l'effet qui se conserve précède la cause dans l'ordre de la succession

La cause est toujours antérieure à l'effet selon la raison, mais l'effet est au devant de la cause dans le présent.

C'est pourquoi la Matière est toujours un « être-déjà-là » ; et c'est en ce sens qu'elle précède l'Agent.


Il est vrai qu'elle n'est déjà qu'en ce que l'Agent la fait être. En ce sens elle est plutôt un « N'être-plus-là ». Et l'Agent un Devenant, dont la matière est un Advenu.





LXIX

De ce que l'Agent intervient comme cause prochaine.







Il est vrai aussi que si tu prends le point de vue de l'Agent, en acte dans le présent, la Matière n'est pas dans un à-venir, mais dans le passé. — C'est pourquoi elle est dite « passive ».

La meilleure définition de la matière serait alors: un « N'être-déjà-plus-là », ou encore, un « Avoir-été-là ».

Tu remarqueras que la grammaire utilise la participe présent comme forme active, et le participe passé comme forme passive.





LXX

De ce que la matière n'est ni mobile ni immobile.







N'associe pas la matière à l'immuable, ni l'agent au mouvant. Car l'immuable est ce qui ne passe pas, et la matière ce qui est toujours passé.

C'est la raison pour laquelle tu peux percevoir l'immuable dans les formes et les figures, mais jamais la matière.

Ne l'associe pas non plus au mouvant ; car ce qui passe n'est pas non plus ce qui est passé.

La matière est plutôt la rencontre passée de l'immuable et du mouvant.





<- - ->