Qu'est-ce qu'un texte ?

XI SYSTÈME SIGNIFIANT ET SYSTÈME RÉEL

   

   
    Texte, langue et langage
   
    Un texte est une combinaison de caractères éditable, prononçable et paraphrasable. La première partie de la définition (combinaisons de caractères éditable) est propre au seul texte. Le deuxième terme (prononçable) est une caractéristique de la parole, de la langue naturelle, qu’elle soit dite ou écrite ; enfin, le troisième terme (paraphrasable) s’applique à tout langage.

   
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    Ceci ne nécessite pas d’exclure absolument qu’on puisse appeler texte ce qui serait langage sans être parole : un texte en langage mathématique, logique ou de programmation, voire tout langage plus ou moins symbolique ou cabalistique, du moment qu’il serait inscrit sous la forme d’une combinatoire de caractères. Dit autrement, on peut laisser entrouverte la question de savoir si l’ensemble « texte » est entièrement inscrit dans l’ensemble « langue ».

   
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    Le plus important est que ceux-ci soient inscrits dans l’ensemble « langage ».
    Si nous avons le goût du byzantinisme, nous pouvons alors inscrire l’ensemble « langage » dans celui plus large de système signifiant. Un langage étant un système signifiant formel par opposition à un système informel, reposant principalement sur la relation que les choses entretiennent entre elles (par exemple, le calcul du temps et de l’espace à partir des mouvements célestes : heures, années, mesure de navigation…)
    C’est en ce qu’un langage est un système signifiant formel, que ses principales caractéristiques sont la consistance et la portabilité. La consistance dont se contente un système informel est celle d’un monde des choses, d’un monde réel, et qu’un système formel doit intégrer à lui-même.
   
   
    La consistance
   

    La consistance intervient à tous les niveaux. Posons d’abord un système des choses déterminées par des nécessités causales, puis un système d’interprétation de ces relations causales, et ainsi de suite jusqu’aux langues naturelles.


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    La consistance est transportée à tous les niveaux du système signifiant. La langue naturelle va servir à décrire le monde réel, mais pas seulement. Elle va plutôt l’intégrer dans son propre jeu. Ainsi le mot « nuage » me permet d’utiliser un nuage comme signe, même si je n’ai pas de nuage sous les yeux.
    La parole ainsi fait un monde de signes d’un monde des choses, pour intervenir concrètement sur l’ordre des choses.


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    Il y a naturellement une interaction perpétuelle entre le monde des signes et le monde des choses. Nos ancêtres ont pu commencer par utiliser des stèles grossières pour marquer les heures et les saisons, ou tailler des encoches dans leurs leviers pour étalonner les poids, alors que leurs lointains descendants vont utiliser des supraconducteurs avec lesquels ils vont par exemple transformer des phonèmes en caractères et inversement.
   
   
    La consistance et la question du sujet
   

    La consistance d’un langage ou d’un énoncé est objective, puisqu’elle ne dépend d’aucun sujet particulier ni d’aucune convention entre sujets. Pourtant, la notion de sujet (dont nombreux dans mon entourage sont ceux qui se méfient) intervient dès celle de signe : il n’est de signe que pour un sujet.
    La consistance est bien un caractère du langage, et de l’énoncé aussi dans la manière dont celui-ci met en œuvre les règles du langage ou la relation pragmatique avec les faits ; cependant, l’énonciation comme l’interprétation ne peuvent qu’être celles d’un sujet, ou de nombreux sujets, peut-être, mais qui demeurent toujours des sujets différents — si différents qu’ils n’ont rien d’autre entre eux qu’un système de choses réelles. Aussi, nous devrions ajouter un cinquième point à notre premier jeu de propositions : un texte est une combinaison de caractères éditable, prononçable et paraphrasable produite par un auteur.
    Poser ainsi l’auteur ne se réduit pas à lui reconnaître un droit de propriété, un brevet, ou quoi que ce soit de juridique et, somme toute, de contingent à l’énoncé. C’est poser comme faisant intrinsèquement partie de l’énoncé la fonction de l’énonciateur.
   
    Prenons comme exemple un énoncé très simple :

Rien.

    Voilà qui ne me dit pas grand-chose. Replaçons le dans le contexte d’un journal :

14 Juillet 1789
   
Rien
.

    C’est déjà un texte qui parle davantage et nous fait percevoir un sujet peu attentif au cours de l’Histoire. Faisons-le alors suivre du nom de son auteur :

14 Juillet 1789
   
Rien.
Journal de Louis Capet

    Maintenant, ce texte me dit davantage, et plus encore si je le lis en exergue d’un chapitre de la Société du spectacle de Guy Debord. Et il dit encore quelque chose de neuf repris par moi pour illustrer mon propos.
   
    Est-il pour autant légitime de rajouter ce cinquième point à la définition du texte ? Je n’en suis pas si sûr, car il s’agit plutôt d’un implicite, et plus précisément même d’une question implicite, ou d’un implicite en question.
    Le sujet de l’énonciation est-il un sujet si autonome à l’énoncé ? Ou, si l’on veut, qu’entend Rimbaud par « je est un autre » ?
    C’est au contraire dans toutes les possibilités de jeu autour de ce je, si j’ose dire, qu’il soit écrit ou absent du texte, qu’existe la liberté de l’énonciation et des jeux de langage. C’est sur ce point d’ailleurs que la notion de « forme de vie » chez Wittgenstein prend tout son sens.
    Que peut bien signifier sujet, d’ailleurs, si ce n’est vivant ? la signification n’est pas quelque chose mais une opération, L’opération de signification, et c’est bien une activité du vivant.
   
   



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© Jean-Pierre Depétris, avril 2002, avril 2003
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