I. SIGNE, LANGUE ET LANGUAGE
Quest-ce quun signe ?
Chacun sait ce quest un signe et na aucune difficulté à nommer signe ce quil reconnaît comme tel ; cest une autre histoire que de lexpliquer.
Un sol trempé peut être signe quil a plu, comme avoir vu tomber la pluie peut être signe quon verra un sol trempé si lon sort. Comme le montre cet exemple, la signification a sans doute quelque chose à voir avec la causalité, mais, contrairement à celle-ci, elle fonctionne dans les deux sens. Sil est évident que la pluie puisse être cause du sol mouillé, le sol mouillé ne saurait être cause de la pluie ; mais lun peut être signe de lautre.
Les signes permettent de naviguer dans des chaînes causales, et donc de sen émanciper.
Un chien flaire et se met en arrêt. Il y a production de signification qui va permettre au chien comme au chasseur de prendre la main sur les faits, sur leur causalité, de se la soumettre, de provoquer un événement souhaité, de fuir un autre redouté, ou éventuellement dy échouer.
Notion de système signifiant
Je crois quil est préférable de ne pas sarrêter au sens très précis que donne à « signe » telle ou telle discipline, mais de comprendre son sens le plus général.
Un nuage peut être signe de la pluie. Il nest tel que pour celui qui linterprète ainsi quil se trompe ou non. En lui-même, le nuage nest tout au plus quune cause.
Le nuage qui est signe pour moi peut lêtre pour un autre. Je lui montre le nuage et, même si nous ne possédons pas la même langue, il presse le pas signe pour moi quil a fait la même interprétation.
Dans cet exemple, il est clair quaucun accord sur une quelconque convention nest nécessaire entre moi et mon interlocuteur. Une relation pragmatique avec les faits suffit. Le système signifiant se suffit du système climatique réel.
Il est probable quaucun système signifiant, aussi sophistiqué soit-il, ne puisse sémanciper dune telle relation pragmatique avec les faits. Par exemple, le mot « nuage » me permet dévoquer le nuage même lorsque je nai aucun nuage sous les yeux à montrer. Il est cependant nécessaire que je sois capable, ainsi que mon interlocuteur, de voir un signe dans des nuages réels pour que ma phrase assure une signification.
Il se pourrait que je dise à quelquun : « regarde les nuages », et quil me réponde « et alors ? »
Je pourrais lui expliquer que ces nuages indiquent quun orage se prépare, mais il se pourrait quil hausse les épaules en souriant, ou ait une quelconque réaction de se genre, et pense que je plaisante ou que je fais appel à une quelconque superstition.
Pourrait-on conclure que nous nous comprendrions mieux que si javais été accompagné dune personne qui, sans même connaître ma langue, eut forcé le pas dès que mon regard eût attiré son attention sur les nuages ?
La balance et le concept de poids sont un autre exemple. Comment pourrions-nous concevoir ce quest le poids sans avoir découvert le levier et son application particulière quest la pesée ? Que signifierait la notion de poids sinon ?
Quest-ce quun langage ?
Le langage est un système de signes. Le caractère systématique est essentiel et il est particulièrement saillant dans la fonction de communication. On en a souvent conclu que la communication était la principale fonction du langage. Jinclinerais plutôt à penser que la communication nest pas une fonction du langage, mais une condition.
Dans mon exemple, le nuage est pour moi signe de la pluie, même si je suis seul et si je ne communique avec personne, et le climat est lui-même déjà assez systématique. Quest-ce que cela change que ce qui est signe pour moi soit aussi signe pour un autre ?
La venue ou non de la pluie constitue déjà une réponse. La relation pragmatique que les signes entretiennent avec les faits est bien susceptible de fournir des réponses, des retours, sans devoir supposer un interlocuteur, sans nécessiter un message et un destinataire.
Je creuse des trous dans un roseau et je joue des notes. Je peux établir une relation systématique entre la distance des trous, leurs caractères physiques en général, et la hauteur des sons. Pour cela, je nai à priori besoin de personne.
Ce nest quune fois de telles relations posées, crées, inventées
quune communication entre des interlocuteur peut devenir concevable.
Le caractère systématique de larticulation des signes dans un langage est déjà largement soutenue par larticulation systématique des faits dans le réel. Ils nécessitent beaucoup moins quon veut souvent le dire des conventions communes. Le nombre de jours de lannée, par exemple, nest pas issue dune convention.
La communication serait alors plutôt dabord une coopération dans la construction de tels systèmes. Leurs construction ne serait pas concevable sans coopération.
Quest-ce quune langue ?
Une langue est un système combinatoire dun nombre limité de signes (quelques dizaines) selon un principe de double articulation.
Quest-ce que la double articulation ? Les signes de premier niveau nont aucune valeur sémantique propre. Ils servent à construire des ensembles constituant les signes de second niveau, les morphèmes, dont larticulation donnera des enchaînements sémantiques.
Une langue a virtuellement une forme sonore et une forme graphique on peut en imaginer dautres, tactile par exemple, comme le Braille. Dans le premier cas, les signes de premier niveau sont des phonèmes, dans le second, ils sont des caractères. Ces deux ensembles de signes de premier niveau peuvent être équivalents. En Latin, les phonèmes et les lettres se correspondent presque exactement. En Français, aux 26 lettres (auxquelles il faut ajouter les caractères accentués et autres) correspondent 36 phonèmes dont bon nombre nécessitent plusieurs lettres et peuvent être écrits de différentes manières (o, au, eau
)
En fait nous avons une doublement double articulation : une première entre deux niveaux de signes, les uns employés pour composer les autres, et une seconde entre une structure phonétique et une autre graphique.
Comme son nom lindique, la langue est plus orale quécrite. Beaucoup de gens savent parler sans savoir écrire, et on imagine mal linverse. Il serait pourtant excessif de considérer lécriture comme la seule transcription de signes essentiellement sonores. Lévidence et la relative simplicité de la conversion laissent plutôt soupçonner une certaine autonomie de la langue envers la nature des signes quelle met en uvre.
Cette simplicité est dailleurs toute relative. On rencontre souvent de grandes difficultés pour rendre par écrit toutes les ressources qua mis en uvre une parole, et on trouve des difficultés comparables dans lautre sens. Comment allez-vous écrire la gentillesse dun ton ? Comment allez-vous prononcer des italiques ?
La Version 01 française de
Qu'est-ce qu'un texte ? est constitué
de 16 fichiet html associés à une feuille de style (text1.css)
et d'un dossier "graphics" contenant 15 fichiers,
réunis dans un fchier
txt_fr, que l'on peut librement télécharger.
© Jean-Pierre Depétris, avril 2002, avril 2003
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