Jean-Pierre Depétris

DE L'ECRITURE COMME GESTE A LA PENSEE COMME MOUVEMENT


 

PRESENTATION

 

Quatre courts écrits
initialisant une posture

 

 

 

1

Les lettres et la langue

 

Paru sous le titre de Prolégomènes, en préface à Quarier en Ecritures. Publié par l'Espace Deux Ormes au Jas de Bouffan, en mars 1992.

 

 

Pour donner, on doit d'abord savoir prendre (et inversement sans doute). Sur le premier point, je suis mauvais juge. À propos du second, je voudrais remercier d'abord tous ceux qui ont participé à ces ateliers, tous ceux que j'ai rencontrés et tous ceux qui y ont contribué de près ou de loin. Ce fut pour moi un grand plaisir, même si tout n'a pas été « une partie de plaisir ».

Il y a la langue et il y a les lettres. Nous sommes dans un pays ou la première est très soumise aux secondes ; nous devons cela au Grand Siècle. N'en oublions jamais ce que les lettres doivent à la langue. S'il en est qui manquent de lettres, qui n'a pas de langue ? Et même l'illettré peut l'avoir « bien pendue ».

La langue vit et se reproduit tous les jours, partout où des hommes parlent. Se créent ainsi des sens nouveaux, se fixent des usages. Certains diront qu'elle se corrompt. Que non ! Elle se dépoussière.

S'il y a des professeurs de langue, pour l'écrivain, pour le poète, le meilleur, c'est quiconque. Rien n'est pire pour le lettré que de s'enfermer dans les lettres, d'oublier que chacun a une langue dans sa bouche.

C'est ce que j'ai eu tout le loisir de chercher, de pister, pendant un mois au Jas du Bouffan. Cette posture unique que chacun entretient avec sa langue ; unique, comme une voix, une démarche. Quelque chose qui fait corps, avec la respiration, le geste...

Ce que chacun a à dire m'intéresse moins que comment il le dit. Comment va-t-il s'y prendre avec sa langue ? Ce n'est pas moi qui le lui enseignerait. Je ne suis ni prof de Français, ni de rhétorique. J'essayerai seulement de faire tomber les obstacles ; les rets de stéréotypes dans lesquels il se prend. J'ai beaucoup à apprendre de lui. Il ne s'y prendra pas à ma manière, et la sienne m'intéresse beaucoup.

Je suis mal placé aussi pour juger de la valeur de ces textes dont j'ai assuré la maïeutique, attentif à la griffe ; au souffle des auteurs. Tout cela s'est fait vite, à chaud, en un mois. C'est un parti pris. Ceux qui ont écrit sont différents : hommes, femmes, plus jeunes et plus vieux, habitués ou non à écrire... devant la précarité du sens des mots la différence n'est pas grande. Et chacun aussi aura vite vu que ce n'était pas seulement de moi qu'il y avait à apprendre.

 

Aix-en-Provence, le 29 Février 1992

 

 

 


 

 

2
Ce que je recherche à travers les ateliers d'écriture

 

 


 

 

3
Proposition pour un travail d'écriture à partir du langage de la logique et de la langue ordinaire.

 

Lettre circulaire pour lancer un projet qui aboutit au colloque « Poésie et logique », Vieille Charité, les 13, 14 & 15 octobre 1995.

 

 

« La philosophie, on devrait, pour

bien faire, ne l'écrire qu'en poèmes.»

Ludwig Wittgenstein

 

 

Je lisais il y a peu de temps des articles de Frege. C'est une lecture particulière que peut faire un poète de Frege.

J'annotais systématiquement toutes ses images (celle où il fait de l'écriture à la pensée ce qu'est la voile qui remonte le vent à la navigation ...) ; images tout éloignées de préoccupations esthétiques, mais soucieuses d'exactitude et d'efficacité. (Que la science justifie le recours à une idéographie. publié en 1882 ; Écrits logiques et philosophiques, Le Seuil 1971.)

Voilà ce que j'attends essentiellement de la poésie (de la poétique, de la rhétorique).

En me référant à Frege plutôt qu'à Char ou Apollinaire, je crois montrer que ce n'est pas un propos étranger à la science.

Or Frege ne ponctue son propos de si belles images que pour démontrer la nécessité d'un langage de la logique tout débroussaillé des flottements de sens du langage ordinaire (en général, et littéraire en particulier).

Serait-ce à dire que les deux, la langue du rhéteur et celle du logicien, auraient un besoin pressant l'une de l'autre ; auraient pour s'affermir le besoin de perpétuelles retranscriptions ?

C'est un jeu qui m'attire beaucoup.

 

Mon problème est que je n'ai pas de réel contact avec le monde scientifique, et que je crains d'avoir le plus grand mal à faire comprendre mon propos.

C'est que je ne tiens pas à me contenter de « me pencher » sur la science. Je tiens à un réel travail en commun ; un réel travail de rencontre.

Concept, modèle, image, figure ; voilà où se place ma proposition : sur la construction de ces outils de l'esprit.

 

Printemps 1993

 

 

 

 

 

Pour dire

 

Polycopié en 1993 pour présenter l'atelier d'écriture ouvert au public au Centre International de Poésie de Marseille, et paru dans le Cahier du Refuge N° 33, février 1994.

 

 

Produire des textes pour le plaisir, l'édification du lecteur ou l'aventure est une chose. Essayer de comprendre comment ça se produit en est une autre. Cette dernière semble avoir été l'objet principal de la poésie en France depuis la première guerre mondiale. (Valéry, Queneau, Ponge, Butor...)

Aussi peut-on parfois retrouver la poésie loin de ses bases : dans l'écriture romanesque, dans la critique littéraire (Paulhan), dans la spéculation logico-philosophique (Wittgenstein)... La poésie contemporaine serait donc assez proche de ce qu'aura été en d'autres temps le sophisme.

Le champ poétique tend perpétuellement à être recouvert par ceux du livre et de l'édition, de la critique et de la recherche, du cinéma, du théâtre et de la chanson. Ce recouvrement n'est qu'une illusion de parallaxe ; son champ est définitivement en amont.

 

 

 





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© : 1996