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Voyages à Bolgobol

AUTOUR DE BOLGOBOL

Jean-Pierre Depetris
© 2006

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DANS LA RÉGION DE DARGO PAL

Cahier I
Dans le Dapkar

 

 

 

 

 

Le 19 avril

Sur le plateau du Dapkar

Voilà que pour la troisième année, je reviens dans la région.

Les arbres ici sont à peine en fleurs alors que les pétales blancs jonchaient déjà le sol aux pieds des amandiers il y a un mois à Marseille.

L’image de la pièce où je me suis éveillé continue à me hanter. Le jour inondait les tapis d’un rose doré, à travers les fenêtres à guillotine descendant jusqu'au sol, et aux vitres bordées d’une bande de petits vitraux en losanges.


À travers les vitres du car, j’ai aperçu ce matin sur le plateau du Dapkar un troupeau de buffles. De loin, ces magnifiques animaux ressemblent à s’y méprendre à des bisons, si ce n’étaient leurs longues cornes, semblables à celles des taureaux camarguais.


buffles

L’Asie est bien trois continents à elle seule

L’Asie est bien trois continents à elle seule. On a d’abord le monde chinois et ses voisins immédiats, pétris des mêmes ferments culturels, de la Mandchourie à ce que nous appelions l’Indochine. Il y a ensuite le monde indien, qui rayonne du Pakistan à la même Indochine et bien plus bas dans le Pacifique. Il reste enfin le monde Perse, dont le rayonnement fut bien plus large que l’Iran actuel.

À mi-chemin de ces trois mondes, il est un centre immense. Ce centre a été souvent, comme il l’est aujourd’hui, un point aveugle. À d’autres moments, il a su absorber toute l’Asie, et plus encore, constituant le plus grand empire que le monde ait connu.


Le 20 avril

La neige n’a pas déserté la région depuis bien longtemps, laissant la terre gorgée d’humidité, dont le soleil dégage les arômes changeants.


Le tourisme est inexistant ici, et s’il est quelque monument valant la peine d’être visité, rien ne l’indique. La région du Dapkar est des plus isolées dans la République Tasgarde. Au bord de l’étroite route, on ne trouve que de modestes villages aux maisons à moitié enfouies dans la pente.

Les murs ne sont pas droits, ni des jardins ni des bâtiments. Affaissés sur leurs bases, les pierres y côtoient les parpaings et les briques, là où manque le crépi. La pauvreté s’y résout pourtant en richesse où y serpentent des herbes folles et une sorte de lierre à peine bourgeonnant.


interieur

Le 21 avril

Les fenêtres qui descendent jusqu’au sol sont traditionnelles de la région. On ne trouve presque nulle part de chaise ni de table. On s’assoit sur des tapis et des coussins.

Si les fenêtres étaient aussi hautes que chez nous, on ne pourrait voir dehors, aussi n'ouvre-t-on la plupart du temps que la partie inférieure.

On utilise de petites tables basses de bois massif, parfois sculptées d’arabesques, qu’on place devant soi pour poser un livre, un cahier, ou un clavier d’ordinateur. C’est sur celui de mon portable que j’écris en ce moment-même.


Il y a très longtemps, ces mêmes meubles servaient à dérouler des parchemins. On posait alors sur eux des lutrins de bois.

Le parchemin avait à ses deux extrémités des poignées pour les dérouler. Des encoches permettaient de les faire pivoter. Plus tard, de petits meubles similaires servirent à tenir inclinés les livres dont on tournait les pages.

Depuis quelques temps, l’ordinateur nous fait revenir aux antiques rouleaux, qu’on parcourt à l’aide des ascenseurs de la fenêtre, ou de la molette de la souris. Ce qui s’affiche alors à l’écran est comparable à la partie déroulée d’un parchemin.

Nous abandonnons les pages, qui rendaient bien service avec leur numérotation arbitraire. Un numéro de page, et de ligne éventuellement, permettait de trouver tout passage dans les livres les plus épais, et d’y glisser un signet au besoin pour le retrouver. Il est beaucoup moins facile, quoi qu’on dise, de naviguer dans des rouleaux.


scribe


Ces successives nouveautés ont entraîné des modifications notables dans la taille et les divisions des écrits. Ainsi le livre, qu’il soit manuscrit ou imprimé, suppose une somme considérable de pages, et un certain volume. On utilise d’ailleurs volontiers en français les termes de « somme » et de « volume » comme synonyme de « livre ». Il est peu pratique, sinon impossible, de relier, ou seulement de brocher, quelques pages.

À l’opposé, un rouleau est vite limité dans sa taille. Les « volumes » anciens étaient constitués d’un nombre plus ou moins important de rouleaux, dont chacun contenait le chapitre d’un même ouvrage. L’ensemble faisait alors un « volume » plutôt considérable. Aussi le support encourageait à écrire des ouvrages plus brefs, ou encore à concevoir les parties du « volume » comme des ouvrages plus autonomes qu’ils ne le furent dans les livres imprimés. Plus tard, ceux-ci à leur tour incitèrent à faire le contraire, à donner une tournure plus unitaire à des travaux qui avaient pu naître sous la forme d’épîtres, de sermons, de discours.


L’écran revient à nouveau mettre en jeu des règles qui semblaient bien fixées. La page web n’est ni celle du livre, ni l’ouvrage entier. Elle nous force à repenser l’écriture pour elle.

Pour permettre le meilleur confort de lecture, elle doit contenir l’équivalent de deux à six pages A4 imprimées serré, soit ne pas excéder la taille d’un petit chapitre de livre, d’une petite plaquette ou d’une publication en revue. Elle ne doit pas dépasser non plus les dix minutes à un quart d’heure de lecture à voix haute ; car la dimension prononçable du texte n’est jamais à négliger.


Le 22 avril

Lors de mon premier voyage qui m’avait conduit directement dans la deuxième ville de la République Tasgarde, Bolgobol, j’ai eu l’impression de comprendre l’unité du pays. En fait, je crois bien qu’il n’en a aucune. Il n’en a jamais eue.

Il est dur de dessiller son regard du modèle de l’État national quand on est un Européen de l’Ouest. Les grandes nations de l’Europe Occidentale, ou celles immigrées en Amérique du Nord, ont fondé des identités puissantes, se voulant chacune le cœur de « la Civilisation ». Elles n’ont plus cessé de se livrer des guerres pour imposer à leurs voisines, et à la terre tout entière, leurs institutions et leurs idéaux.

Il en est résulté de très fortes unités nationales, pourtant à peine différentes les unes des autres. On ne retrouve rien de semblable sur le reste de la planète.

Ici toutes les grandes civilisations ont laissé leurs marques. Cette idée même de grandes civilisations n’y a pas de sens, tant leur diversité et leurs intrications caractériseraient plutôt ici la civilisation.


En arrivant la première fois il y a deux ans, j’ai trouvé la population très peu religieuse. Puis en pénétrant le cœur du pays, j’ai mieux vu sa présence. Avec le temps, c’est l’idée même de religion qui me devient insaisissable.

« Religion » est un mot latin, qui en réalité ne désigne pas grand chose hors de la civilisation romaine. La réduction de l’antique panthéon au Dieu unique a conservé à la religion de l'empire bien des caractères communs, quant à la fonction et au culte du moins. Plus on s’en éloigne, moins le mot conserve de sens.

Ceci se vérifie dans la République Tasgarde, mais aussi bien partout dans le monde ou les missionnaires coloniaux n’ont pas accompli leur œuvre.


Pourquoi Zheng He navigua-t-il dans l'« océan de l'ouest » ?

Né dans une famille de Musulmans, Zheng He était un Musulman fidèle, mais, comme cela arrivait souvent en Chine, sa conviction islamique ne l'empêcha pas d'adhérer au Bouddhisme et de vénérer Mazu, déesse taoïste de la Mer et protectrice des marins et des pêcheurs. C'est probablement sous l'influence de Zhu Yuanzhang (1328-1398), fondateur de la dynastie des Ming, qui avait été bonze, et de Zhu Di (1360-1424), empereur Chengzu, qui avait une ferme foi bouddhique, que Zheng He reçut, au cours de l'ordination bouddhique, le nom de religion « Fu Shan » (Bonheur et bonté). Sa foi pour trois religions lui permit d'unir les marins et les militaires autour de lui, de partager les mêmes sentiments et d'éprouver une profonde sympathie et une sincère amitié pour les peuples des pays où la flotte jetait l'ancre.

Pourquoi l'empereur Chengzu de la dynastie des Ming envoya-t-il Zheng He effectuer sept voyages dans l'« océan de l'ouest » ? Premièrement, Zheng He connaissait l'art de la guerre et était à la hauteur du commandement militaire. Deuxièmement, il possédait une vaste connaissance, savait l'histoire, la géographie, les coutumes et les usages religieux de divers pays de l' « océan de l'ouest », et parlait l'arabe. Troisièmement, il avait aussi des connaissances sur la navigation et la construction navale. Quatrièmement, il pouvait établir de bons rapports avec les Musulmans, les Bouddhistes et les Taoïstes et communiquer avec eux.

China.org.cn/ - 2005/02/01

Lu et copié hier soir sur les pages françaises du site Chine Nouvelle.


Dargo Pal porte de la montagne

Dargo Pal surprend par sa taille et ses hautes constructions, après avoir traversé les territoires si pauvres du plateau du Dapkar et ses modestes villages. On voit d’abord le massif de granite rose du mont Galdoun et la haute falaise de grès calcaire, ensoleillée du matin au soir, qui domine la vallée du Gandar. La ville s’étire dessous, sur l’adret, jusqu’aux terres cultivées de l’étroite plaine.

Puis on distingue la citadelle, très différente ici des fortifications de la plupart des villes du pays. Elle est bâtie presque à la verticale dans la roche, coiffant la falaise d’un feston de créneaux et de tours carrées, et se confondant avec elle.

Pas de tours arrondies, ici, ni de bulbes qui les surmontent : une accumulation de parallélépipèdes aux sommets plus étroits que la base. Pas de grands murs aveugles non plus, mais des fenêtres partout et d’étroites terrasses. Cette architecture donne à la ville un air à la fois de solidité rocheuse et d’équilibre précaire, en contraste avec les paysages qu’on vient de traverser.

À dix heures du matin, en descendant du car, je trouvais l’air encore glacé.


Les rues de Dargo Pal

Comme à Bolgobol, le centre des rues pavées de dalles de grès est souvent creusé d’une rigole où l’eau coule nuit et jour. Ces ruelles sont étroites et pourtant claires à cause de la déclivité. Les façades sont plus hautes de deux à trois étages du côté ensoleillé qui renvoie la lumière sur celles, en face, qui n'en ont qu'un au niveau de la chaussée.


Une apaisante impression de puissance

Le car s’arrête au pied de la ville, près de la rivière, devant un grand bâtiment de béton aux balcons de bois, qui fait tout à la fois garage, station service, hôtel, centre commercial, café et restaurant. Des tables et des chaises que je n’avais pas vues depuis des jours m’ont donné envie de prendre un café en me réchauffant au soleil.

Devant moi, les bras du Gandar paraissent perdus au milieu de leurs larges berges de caillasses d’où émergent par endroits de gigantesques blocs. La plaine vue du car sur l’autre rive, est cachée par des taillis de résineux qui paraissent d’ici rejoindre la forêt sur l’ubac.


On doit avoir de bons mollets pour vivre à Dargo Pal. Les transports en commun sont rares, comme les véhicules à moteur. Trois funiculaires relient la vallée aux sommets de la ville. L’un est suspendu, les deux autres sont sur rails. Le plus ancien, qui grimpe aussi la pente la plus raide, est proche de l’arrêt du car.

Il fonctionne selon un simple et ingénieux système hydraulique. Les deux grosses cabines de métal montent et descendent sur deux paires de rails parallèles, tenues par des câbles sur un arbre commun. Chacune est coiffée d’un réservoir d’eau. Celle qui parvient en bas le vide, tandis qu’en haut, l’autre le remplit. La vitesse est régulée par une grosse roue dentée prenant appui sur une sorte d’épaisse et étroite échelle d’acier qui court entre les rails.

C’est celui que j’ai pris. Le mécanisme fait un bruit épouvantable. Épouvantable n’est pas le mot juste, je m’en rends compte en l’écrivant, car je me demande si ce vacarme sourd ne nous protège pas au contraire du vertige et de la crainte. Très prégnant au départ, il donne, tandis que nous ne cessons de monter, une impression apaisante de puissance.

 

 

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