À PROPOS DE MES |
Décidément, je n'ai retenu que le meilleur de mes voyages à Bolgobol. Tout y paraît si idyllique qu'on croirait lire une utopie. C'est bien pourtant le contraire. Une utopie est un lieu coupé de tout contact avec le reste de l'humanité : l'île de Thomas More, la Cité du Soleil de Campanella. Le Marmat, lui, est au centre du monde, au centre de l'Histoire, et précisément au centre de l'Asie. Il est à la croisée des mondes iraniens, chinois, indiens, hellénistiques, romains, mazdéens, bouddhistes, musulmans, turco-mongols, soviétiques. Mes voyages montrent, tout au contraire, que ce sont les histoires nationales qui sont bien, littéralement, des utopies, des légendes locales, et que le monde fut toujours mondial.
J'ai terminé le 7 juillet 2007 l'édition de mon dernier journal de voyage à Bolgobol. Le lendemain, j'ai mis à jour quelques retouches au deuxième, achevant une version stabilisée, si ce n'est définitive, des quatre volumes. Je pourrais l'appeler Voyages à Bolgobol, et la numéroter 0.1, car on ne sait jamais. L'ensemble a pris une taille bien considérable pour être lisible à l'écran ou imprimé chez soi (quelques 600 pages A4 serrées, soit plus d'un million et demi de signes). L'édition en librairie que j'envisageais en 2004 après la finalisation du premier volume n'est pourtant plus à l'ordre du jour. Ces livres sont essentiellement numériques, on s'en rend compte très vite en y plongeant, et je crains que l'édition sur papier ne les dénature trop.
Ce n'est finalement pas bien grave. Ils demandent plutôt à être ouverts au hasard, comme beaucoup de lecteurs l'ont déjà fait à la suite d'une requête sur un moteur de recherche. Des liens internes renvoient si nécessaire à des passages antérieurs. Ils invitent à voyager dans mes propres voyages à les parcourir, certes, et aussi à en sortir lorsqu'un lien externe le propose, ou même lorsqu'un nom fait question ou seulement suscite l'imagination. Un livre qui s'ouvre dans des fenêtres, et non à la surface de feuillets, voilà qui change l'orientation de la littérature. Une fenêtre est toujours supposée s'ouvrir sur l'extérieur : elle permet de sortir du livre sans même en lever le nez. Elle évite à l'imagination de s'enfermer dans un monde imaginé, réaliste ou fantaisiste, et l'oriente sur le seul qui soit réel, immense et chargé de toutes les virtualités.
C'est cela, mes livres invitent à les parcourir sans ordre, à s'émanciper de celui que je leur ai bien donné et que les dates rappellent. De tous les ordres possibles, celui de la chronologie est tout à la fois le moins arbitraire, le plus cohérent et le mieux navigable. C'est bien précisément à quoi sert le signe écrit : naviguer dans la suite temporelle de la pensée, et surtout en sortir. La fenêtre donne alors une puissance dont est privée la feuille, volante ou brochée. En lisant ainsi, on se retrouvera assurément au plus proche de la façon dont j'ai écrit.
Jean-Pierre DepetrisAoût 2007
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