Le 13 oct. 10 à 20:49, antoine moreau a écrit :
Bonjour,
un communiqué de l'ADULLACT et l'AFUL sur le projet de loi d'un prix unique du livre numérique qui se moque du copyleft.
http://aful.org/communiques/prix-unique-livre-numerique-creation-libre.
Grrrrr....
Moi, je ne comprends toujours pas ces fadaises sur le livre numérique. Et d'abord, je ne comprends pas à quoi sert un éditeur pour un livre numérique, sauf un éditeur de texte, numérique aussi. Je ne vois pas pourquoi un auteur aurait à céder le moindre droit pour un livre numérique, puisqu'il n'a besoin de personne. Et il peut bien le donner ou le vendre au prix qu'il veut.
Personnellement je refuse de signer un contrat qui cède des droits sur une exploitation numérique. Je l'ai déjà fait. Et j'encourage tout le monde à le faire.
Je ne connais aucun auteur qui écrive autrement ses livres que sous la forme de fichiers numériques. Est-il capable de le faire proprement, c'est une autre histoire, mais c'est peut-être inquiétant s'il ne l'est pas. Sinon, il y a aussi des auteurs qui ont besoin de nègres. Savoir écrire aujourd'hui, c'est savoir le faire avec un traitement de texte. Après ça, en faire une exportation dans un PDF correct, ou en HTML, ça peut se réduire à appuyer sur un bouton.
Besoin d'un éditeur pour vendre ? Personne n'a entendu parler de Paypal ? Alors c'est quoi un éditeur ? Quelqu'un qui dit comment et quoi on doit écrire ? Qui choisit le titre ou la mise en page ? Qui apporte une garantie au lecteur ? Alors si l'on a besoin de tels éditeurs, c'est qu'on n'a plus besoin d'auteurs. Non ?
Je ne vois d'ailleurs pas comment on pourrait vendre un livre numérique. Je ne suis personnellement pas prêt à en acheter, surtout dans l'état où on les vend. Et pourtant, je lis de plus en plus à l'écran, et je suis de moins en moins enclin à acheter un livre que je ne peux pas consulter librement en ligne. Pourquoi un livre imprimé n'aurait pas une diffusion libre en ligne. C'est le cas des meilleurs bouquins que j'ai lus ces dix dernières années. On trouve des quantités de livres en ligne. C'est le seul endroit d'ailleurs où l'on y trouve ce qu'on cherche :
The Project Gutenberg: http://www.gutenberg.org/wiki/Main_Page
Les éditions de l'Éclat: http://www.lyber-eclat.net/index.html
Marxists Internet Archive: http://www.marxists.org/archive/index.htm
Bureau of Public Secrets: http://www.bopsecrets.org/
etc.
― Mais c'est presque tout en anglais !? ― Eh bien justement il n'y a pas de quoi être fier.
j-p
Je suis très perplexe en ce qui concerne mes images, celles dont je décore mes carnets comme un écolier.
Qu'est-ce que je montre dans mes images ? Qu'est-ce que j'essaie de montrer ? Je paierais cher pour que quelqu'un m'en dise quelque-chose de tangible. À l'évidence, elles laissent sans voix.
Elles me laissent aussi sans voix, à moins que je puisse dire que le texte qu'elles décorent leur fait voix. Le terme « décorer », du moins, me semble très juste, et bien meilleur qu'illustrer. Elles décorent dans le sens où elles font décor, plus que dans celui où elles seraient décoratives. Mieux : elles « plantent un décor ».
Elles montrent, c'est certain, et elles montrent par défaut, par le vide du décor. Elles plantent le décor de ce qu'elles montrent.
« Quand j'étais enfant », ai-je écrit, « mon père me disait : "Regarde ! Cette chapelle sur la colline ; ces fleurs sur la fenêtre ; celle barque en bas..." Il me fallut longtemps pour comprendre ce qu'il voulait me faire voir ainsi. » Ce que je photographie n'est pas sans rapport avec ce que mon père montrait.
« Quand le sage montre la lune », on connaît le proverbe, « le fou veut taxer le doigt. » Et quand il a fini d'encaisser les taxes et de payer les subventions, il cherche à compter s'il y a eu de la croissance. On ne le contrariera pas. Mais alors, indépendamment de tout délire et de toute clinique, que montrent mes images ?
Cette question me préoccupe depuis un certain temps, bien avant que j'aie commencé mes carnets, et avant-même que j'aie mis en ligne des images sur mon site ; depuis, pour donner une date, que j'ai terminé mes Carnets de voyage. Et cette question en éveille une autre depuis quelques-temps : que montrent les photos des autres ?
En prenant un café avec Roland Caignard cet été près du Vieux-Port, je lui faisais remarquer qu'il n'y avait pas un instant où l'on ne pouvait surprendre une personne en train de photographier. La plupart des gens passaient avec un appareil à la main ou le portaient autour du cou. Nous avions d'ailleurs aussi chacun le nôtre sur nous.
Les appareils-photo sont aujourd'hui d'un prix dérisoire, et même les moins chers savent prendre de parfaits clichés sans aucun réglage manuel. Ensuite les prix grimpent géométriquement pour des performances toujours moins visibles, ne dépendant en fait que de la technicité du photographe.
Les photos, elles, ne coûtent rien. On en prend tant qu'on veut et l'on en efface sans dépenser un centime. Bien avant qu'un disque dur ne soit saturé, on en héberge autant qu'on veut en ligne, on les publie, on les partage. La multiplication des images est vertigineuse. Vraiment vertigineuse, quand on sait combien elles ont pu être rares et précieuses en des temps pas si anciens.
Elles sont devenues comme les feuilles des arbres. Les feuilles sont magnifiques, elles le sont toutes, quand on regarde chacune attentivement, qu'on caresse sa surface en suivant des doigts ses nervures, ou qu'on les voit ensemble, en feuillages, en forêts. Et elles sont en même temps trop nombreuses et sans valeur. Elles chutent et volent, et nul ne songerait à les retenir, sauf peut-être par jeu, un enfant.
Elles jonchent les rues et s'entassent. Elles ne valent pas plus que des photos en ligne, ou même imprimées sur des papiers qui s'entassent aussi sur les trottoirs parmi les feuilles mortes.
Il ne m'est jamais venu à l'idée de mettre un copyright sur les images que je sème en ligne, même accompagné d'un copyleft, tant ça me paraît dérisoire, tant mes images ne me paraissent pas plus miennes qu'une autre, pas plus que la brindille ou la fleur que j'ai photographiées, tant je ne sens mien que le doigt qui montre en appuyant sur le déclencheur, et que sans ce doigt (qui montre), l'image n'est rien qu'une feuille si belle qui vole.
Non, il ne me semble pas que je dise que tout serait merdique dans le monde des lettres et des idées, ni que ce qui est merdique fermerait la porte à ce qui ne le serait pas. Je crois même dire un peu le contraire. Mais tu fais bien de me reprendre si c'est ce que l'on comprend.
Oui, toutes ces critiques ont été faites, et très intelligemment depuis les années soixante. « Il y a deux littératures, disait Paulhan, l'une est illisible, l'autre ne se lit pas. » Or, un demi-siècle est passé, et ce n'est plus là qu'est l'important. L'important est cette profusion où une chatte ne retrouverait plus ses petits, et où s'ouvrent bien de nouveaux possibles.
Cette prolifération est double, si tu veux. Il y a la profusion des tirages et la profusion des titres. Ce n'est pas la même chose. Il y a la profusion à l'identique des gros tirages et des meilleures ventes, qui sont comme l'arbre qui cache la forêt, et ce n'est certes pas nouveau. Mais il y a aussi une profusion opposée qui n'était pas possible il y a un demi-siècle. L'arbre ne cache la forêt que pour celui qui se plante devant l'arbre. Si tu bouges un peu, ce n'est qu'un arbre quelconque dans la forêt, et qui ne cache pas le jour à des arbres bien plus hauts et bien plus beaux ; il en masque seulement la vue à celui qui se tient devant, mais qui peut aisément se déplacer.
C'est pourquoi, comme tu peux le remarquer, il y a panique chez ceux qui vendent les places assises devant l'arbre qui cache la forêt. Reconnais que ce sont eux, aujourd'hui qui en font trop, qui se proclament menacés, et avec eux la culture, la qualité, et même, pourquoi pas, la vérité.
Et comprend bien aussi que je ne fais même pas la distinction entre une culture bien rangée dans les rayons de l'hypermarché, et une autre à l'état sauvage. Non, il n'y a ni frontière ni critère dans ce sens là. Pas question d'affirmer que ce serait mauvais parce que ça a du succès, ou que ce serait bon parce que personne ne connaît. C'est bien plus chaotique que ça.
Les marchands sont les premiers à ne pas savoir expliquer le succès autrement que par le marketing et la mode, coupant l'herbe sous les pieds à toute tentation de critiquer leur faculté de juger.
L'important est ailleurs, je l'ai dit, dans le tournant nouveau que prend alors l'écrit, la recherche et la pensée. Je reconnais bien volontiers que je n'en dis pas grand-chose dans ma lettre. Le questionnement est ouvert, et je n'en ai pas fait le tour. J'ai quand même avancé pas mal de choses dans divers écrits, notamment dans mon dernier livre paru chez la Belle Inutile.
Jean-Pierre,
Je crains que tu fasses partie de ces gens qui n'ont pas compris comment on vit sur une planète comme la terre. On y vit à la limite de ses forces, et quand on n'y parvient plus, on meurt. Tu m'as l'air de croire qu'on a inventé les techniques pour s'éviter cela, pour vivre tranquillement. Tu ne te rends pas compte que ce n'est pas ce que nous souhaitons réellement. Ce n'est pas notre nature. La tranquillité nous ennuie, et nous cherchons toute occasion de pousser nos capacités à leur limite, comme le fait tout ce qui est vivant sur la planète.
Vois les animaux chasser. Ils se donnent à fond ; c'est ce qui maintient d'ailleurs leurs forces intactes. Mon chien, que je nourris pourtant bien, garde intact son goût pour la chasse. Sa plus grande joie est de s'élancer au petit jour vers la montagne, et il ne s'économise pas.
Crois-tu qu'on ait inventé des arcs et des fusils pour s'économiser de l'effort, de l'attention et de l'audace ? Crois-tu que nous ayons grand-chose à gagner à s'éviter les épreuves, les dilemmes et les risques ; autre chose à gagner que la bêtise, la paresse et la lâcheté ?
Nous n'y gagnerions rien et nous y perdrions la sagesse, la bravoure, et même la santé.
Bien à toi. R
La vérité, c'est très surfait. Je ne comprends pas pourquoi on lui attache tant de prix. Qu'est-ce que ça change vrai ou faux ?
Et puis, la vérité, est-ce que ça se dit ? Suppose que tu aimes à la folie, vas-tu dire « j'aime à la folie » ? Et si tu es effrayé ? Si tu as très mal ? Ne vas-tu pas hurler ? Et si tu es profondément heureux ? A-t-on réellement besoin de dire ce qui est vrai ?
Imagine un peu que les Évangiles disent la vérité : Celui qui est tué par l'épée, meurt par l'épée. On n'en parlerait plus depuis longtemps. Celui qui tue par l'épée, mourra par l'épée : voilà qui est bien plus intéressant, voilà qui mérite qu'on s'y arrête.
Toute vérité n'est pas bonne à dire, prétend-on. Aucune ne l'est. À quoi cela nous mènerait-il de dire la vérité ?
Si l'on ne sait le dire, on ne sait le concevoir. Pourquoi concevrait-on la vérité ? Quel manque d'imagination que ne concevoir que la vérité !
Rien n'est finalement plus trompeur que la vérité.
Z
Chère Z,
J'ai reçu une lettre de R. en même temps que la tienne. Je me demande ce
que vous avez tous les deux, mais je vous trouve en pleine forme. :)
Tu sais bien que je suis d'accord avec toi. Rien n'est plus absurde et déroutant que la naïve question « c'est vrai ? »
Le système de Galilée n'est finalement pas plus vrai que celui de Ptolémée. Il est seulement plus consistant, plus co-errant.
Il est étonnant qu'il ait rencontré un refus frontal des théologiens, comme s'il réfutait totalement les Écritures, et plus surprenant encore qu'il ait été après-coup unanimement admis, comme s'il n'y changeait finalement rien.
L'Évangile de Marie, sur lequel j'ai noté quelques remarques cet été, reprend de toute évidence une image ptoléméenne du monde. Pour autant, son but n'était pas d'expliquer le système de Ptolémée. Il utilisait seulement une image du monde supposée bien connue à l'époque de Marie de Magdala. Une telle image est devenue étrange. Là où elle plaçait l'homme de l'époque devant le connu pour lui faire découvrir l'inconnu, l'homme d'aujourd'hui se retrouve immédiatement devant l'inconnu.
Le changement d'un système du monde ne devrait pas changer le fond de l'Évangile de Marie, mais il doit avoir une incidence sur son intelligibilité. Le fond n'est pas plus changé que la terre, le soleil et le ciel ne le furent par l'héliocentrisme ; ils demeurent ce qu'ils sont. La question n'est donc pas là. Elle concerne plutôt la capacité d'apprendre à penser à l'aide de nouvelles représentation, avec des concepts de gravitation, d'évolution, de relativité… Cette seule question évacue celle de vérité, ou pour le moins la renouvelle.
Curieusement, dans nos langues latines, vrai, vertueux etvirtuel ont la même racine, dont le sens ne tourne pas très loin de chargé, lourd de possibles. Combien pourtant leurs sens usuels se sont éloignés.
La réalité n'est pas changée, et elle n'est pas moins connaissable. Mais si elle est devenue inconnaissable, cela signifie seulement qu'on ne sait pas lire l'image. C'est un peu ce que je disais de la façon de résoudre un problème de robinet par l'arithmétique ou par l'algèbre. C'est le même robinet, le même problème, et la même solution, non ?
Je crois que l'attitude ecclésiastique envers Galilée continue à perturber nos contemporains pour penser la mécanique classique, et aussi bien antique que quantique.
Bref, tu as raison, et bien évidemment aussi pour ce qui concerne la vérité historique ou littéraire.
On a toujours senti comme un voile sur l'Empire Colonial. Tout enfant, je me souviens qu'on sentait sa prégnance, mais comme une présence voilée : un voile sur sa construction, un voile sur ce qu'il était, un voile sur sa disparition.
C'est peut-être pour cela que, toujours plus nombreuses, quelques-unes de mes compatriotes originaires des territoires coloniaux sentent aujourd'hui le besoin de se voiler. Certaines, que je connaissais à peine, m'ont même dévoilé leur origine en faisant cela.
Mais peut-être est-ce justement leur voile qu'on prenait pour jeter sur la colonisation. J'ai découvert cette analyse de Fanon dans le Numéro 201 de Courant Alternatif, la revue de L'OCL (Organisation Communiste Libertaire : http://oclibertaire.free.fr/ ) :
« La société coloniale prise dans son ensemble, avec ses valeurs, ses lignes de force et sa philosophie, réagit de façon assez homogène en face du voile… Avant 1954, plus précisément depuis les années 1930-1935, le combat décisif est engagé. Les responsables de l’administration française en Algérie, préposés à la destruction de l’originalité du peuple, chargés par les pouvoirs de procéder coûte que coûte à la désagrégation des formes d’existence susceptible d’évoquer de près ou de loin une réalité nationale, vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile… »
(Frantz Fanon, 1959, L’an V de la révolution algérienne, ouvrage réédité sous le titre Sociologie d’une révolution)
Je me souviens encore, quand j'étais enfant, toutes mes tantes, à la campagne, portaient également un fichu. Pourquoi les femmes ont-elles presque toujours et partout caché leurs cheveux ? Je ne crois pas qu'elles les cachaient. Une longue chevelure peut être une gêne considérable dans le travail quotidien, et parfois même un danger ; et les femmes sont moins portées à couper leurs cheveux que les hommes.
La recommandation coranique de porter un fichu, me semble plutôt une image pour inciter ces femmes à être actives, plutôt qu'oisives, entretenues et dépendantes de servantes. C'est une façon de parler dans le style du temps qui ne devait pas laisser beaucoup de doute sur son interprétation.
C'est comme l'expression qui revient souvent dans la Bible, les hommes marcheront devant, et qui signifie partir au combat.