Dans les Vallées

Jean-Pierre Depetris, mai 2015.

Retour à Tourba - À Karazan - Des insectes et des hommes - Retour à la civilisation - Suite...

Table des matières





Cahier dix-sept - Retour à Tourba

Dans la gorge

« À mon avis, la limite de la modernité occidentale est épistémologique. Depuis quelques générations, ses savoirs s’effilochent et se fractionnent. Tu me disais toi-même combien tu avais été impressionné par la facilité avec laquelle tu avais vu les paysans des montagnes s’approprier la mécanique aux temps de ton enfance. Ce n’étaient que des techniques du dix-neuvième siècle qui finissaient tardivement par se répandre partout, hélas souvent au prix de la perte de techniques plus anciennes. »

Ramzo me parle à quelques mètres devant moi pendant que nous descendons dans la gorge par laquelle le Djirac rejoint la vallée de l’Ourkhan. Je me suis décidé à répondre à son invitation, bien qu’il m’en coûtât d’abandonner Bastan et les beaux yeux d’Hanna. Méhmêt a choisi d’y rester encore quelques temps.

« On peut être impressionné du moins de ce que, dans le monde atlantique depuis le dix-septième siècle, et peut-être même depuis la grande époque des cathédrales, les techniques de travail se soient répandues aussi largement et rapidement au sein des populations », continue Ramzo après avoir passé la petite échelle de corde qui nous fait rejoindre le fond. « À partir d’un certain moment, il semble que le courant se soit inversé dans un long processus de dépossession de la technique. Dans l’atelier, l’apprenti apprenait ; dans l’entreprise, le salarié désapprend les anciennes techniques dont il avait peut-être hérité. »

« Je suis d’accord, mais tu me parles plus là de sociologie du travail que d’épistémologie », dis-je après l’avoir rejoint.

« Les deux sont inextricablement liées », me répond-il. « La façon dont le savoir s’élabore est difficile à distinguer de celle dont il se transmet tant ces deux processus interfèrent. Elles sont également indissociables de la façon dont le travail est organisé et accompli. »

Il appartient à Ramzo de garder toujours un œil sur l’état de la rivière en amont et en aval du barrage. En aval, c’est la gorge que domine le village, et il n’est pas recommandé de s’y risquer seul. La descente est plutôt périlleuse, et si quelqu’un devait y avoir un accident, il pourrait y rester longtemps avant qu’on songe à aller le chercher. Je ne me livre donc pas avec lui à une simple promenade hygiénique, même si rien ne nous empêche d’en faire une excellente occasion d’échanger nos idées.

« Il est vrai qu’en Europe tout est fait pour décourager les velléités de se saisir d’un tournevis, d’une clé ou d’une truelle », dis-je. « Je me souviens de la dernière fois où j’ai acheté un ordinateur. J’ai regardé sur le site du fabricant chinois ce qu’il avait dans le ventre. Tout était expliqué avec des plans détaillés, comment ajouter de la mémoire et aussi bien changer tous les composants. Cependant, le visiteur était prévenu qu’en Europe ajouter seulement de la mémoire sans passer par un service agréé annulait la garantie. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. En tout domaine, de telles mesures vous découragent d’envoyer les mains. Pourtant, les magasins de bricolage ne désemplissent pas, avec des matériels et des matériaux qui sont vendus comme des produits de luxe. Je dois dire que moi-même, au fil des ans, j’ai perdu beaucoup de mon habileté manuelle… »

Le fond de la gorge est accidenté, et il n’est pas facile de suivre le cours de la rivière en sautant d’un rocher à l’autre. « Je ne pensais pas à de tels détails, dont je ne sais évidemment rien » me répond Ramzo qui guide toujours la marche. « Ils vont toutefois dans le sens de ce que je connais trop bien. »

Nous avons emporté deux haches, petites mais aux lames bien aiguisées, pour couper quelques bois secs échoués, et qui auraient vite fait d’en retenir d’autres et constituer des barrages naturels dans le lit du torrent.

« Quand je parlais de la modernité occidentale », m’explique-t-il, « je ne pensais pas spécifiquement aux sociétés européennes et américaines. Cette modernité s’est entièrement mondialisée. Elle s’est même recentrée entre Mer du Japon, Mer de Chine et Détroit de Malaka, et n’est donc plus proprement occidentale. Du moins est-ce dans ces régions que ses limites, ses limites épistémologiques, sont aujourd’hui en jeu. Je pense que beaucoup de nos camarades y sont bien conscients de leurs responsabilités en ce domaine. »

À propos du bois sec

Il peut paraître paradoxal que l’eau soit ce qui sèche le plus efficacement le bois. Le bois peut conserver sa sève vraiment très longtemps. Ce n’est qu’en restant suffisamment dans l’eau qu’il s’en vide complètement. Elle se dilue alors et s’en échappe, et le bois devient blanc comme un squelette. Même trempé, il suffit de le retirer de l’eau pour qu’il sèche alors rapidement. Sans sa sève, le bois est davantage cassant et chauffe moins en brûlant. Il acquiert cependant l’avantage de ne plus se déformer.

Tout le monde sait cela, évidemment, je le répète car jamais mon émerveillement ne diminue à observer ces choses qu’on n’aurait jamais pu déduire si l’on ne les avait pas observées.

Encore autour de l’épistémologie

Des amis français m’ont mis en copie dans leur échange de courrier qui se trouve n’être pas sans rapport avec mes dernières conversations ici.

On peut avoir l’impression parfois qu’une même conversation se poursuit avec des interlocuteurs qui changent. Ça ne veut certainement pas dire que chacun parlerait seul en croyant dialoguer, loin de là, même s’il est vrai que chacun se sert des propos des autres pour bâtir sa propre pensée. Justement, chacun s’en sert, et ils nourrissent et orientent ses propres réflexions, et réciproquement. Il s’agit donc bien d’une production proprement collective, et essentiellement personnelle pourtant, et d’autant plus collective qu’elle est personnelle.

On peut admirer combien de telles dérives parviennent à acquérir parfois une improbable consistance. (J’ai bien dû déjà écrire là-dessus quelque-part.)

Le 16/09/2015 03 :18, Pierre Petiot a écrit :

« Or l’observation enseigne que l’humanité passe un temps considérable à traiter les problèmes techniques ce qui dans les temps anciens s’appelait le Travail :-) »

« Et oui… Bien sûr, le Travail, cela n’existe plus chez nous. Il s’agit de quelque chose de lointain, qui existe probablement encore quelque part en Extrême Orient, et de même que les petits pois poussent dans les boites, les objets et même les médicaments dont nous nous servons poussent dans des conteneurs à Rotterdam. De sorte que si les jeunots trouvent leur chemin ce ne sera ni celui de Saint Jacques, ni celui de Damas, ni celui de Rome mais bien celui de Rotterdam et de Hambourg… »

« D’ailleurs c’est exactement ce qui se passe, et si nos jeunes ingénieurs logiciels veulent bien encore manager des développeurs, écrire une ligne de code ne fait plus du tout partie ni de leurs ambitions ni même hélas de leurs capacités. Bref, si je me réjouis avec toi qu’on développe et mette en œuvre de belles méthodes pour transmettre quelques enseignements essentiels car élémentaires, je m’attriste tout de même qu’on ne s’intéresse pas davantage à la réalité (technique donc) dont tout porte à craindre que pour être essentielle elle ne soit pas tout à fait élémentaire. »

Bien que n’ayant pas suivi tout le détail de leurs échanges, je leur ai répondu :

« […] Bien sûr, Pierre, je suis d’accord avec ce que tu dis. Cependant, reprocher à Henri qu’il ne précise pas ce qui doit être appris et su, ne me semble pas cohérent avec ce qu’il avance du savoir et de l’apprentissage, et qui est de loin le plus important. »

« Ce que tu proposes d’apprendre et d’enseigner se distingue des débats envahissants sur le contenu de l’enseignement, et je t’approuve. Il n’en demeure pas moins qu’en principe, et c’est ce qu’occultent ces envahissants débats, on ne peut enseigner que ce que l’on connaît, sauf à rester dans de chastes effleurements, d’éternelles “initiations”. »

« C’est du moins ce qu’on est tenté de croire. Mais si l’on se trompait ? Et si apprendre et enseigner étaient plutôt chercher ensemble ? Voilà ce que les débats occultent aussi, justement, et que soulève opportunément Henri. Or, dès que j’entre dans sa logique, je ne peux plus m’installer confortablement dans la tienne. Les deux propos ne s’opposent pas, disons qu’ils se complètent et se nourrissent ; ils doivent du moins y parvenir. […] »

À la forge

« Je ne suis pas d’accord », me dit le forgeron de Tourba. « Le cinéma n’est pas une forme de création archaïque assistée par une nouvelle technologie. Je t’accorde seulement que c’est peut-être le principal usage qui en est fait aujourd’hui, mais je suis sûr que nous parlerons bientôt à son propos d’archéo-cinéma. » Je l’aide à ferrer.

D’ordinaire, son propriétaire maintient lui-même le membre de l’animal, mais pour l’occasion, une demi-douzaine de chevaux ont été amenés par une très jeune fille, une gamine de même pas quinze ans, qui, même si elle semble très à l’aise avec ses bêtes, n’a pas les bras assez solides.

« Je sais bien que tu dois te demander ce qu’un pauvre maréchal-ferrant peut en savoir », continue-t-il en devançant ma pensée qu’une élémentaire politesse m’avait retenu de formuler. « J’ai beau n’être qu’un manuel inculte qui sait à peine se servir d’un ordinateur de poche dont les captures vidéo sont réglées automatiquement, je n’en comprends que mieux les possibilités qui sont ainsi offertes à quiconque. »

Il pose le fer rougi sur le sabot de la bête, et le presse fortement à l’aide des poignées effilées d’une longue tenaille ouverte comme un compas. Il s’en dégage une épaisse fumée blanche et âcre de corne brûlée que je m’efforce de ne pas trop respirer.

« Je sais ce que tu vas me répondre », me devance-t-il encore pendant que je retiens mon souffle, et qu’il reprend son ciseau et son marteau pour égaliser la corne noircie, « que les techniques numériques permettent à l’auteur d’intervenir dans l’écriture du code source de son ouvrage, et lui en confèrent ainsi une maîtrise totale. Je n’en suis pas capable, c’est vrai. Je suis juste bon à faire de grossiers montages bout-à-bout. Et après ? Les musiciens et les compositeurs ont-ils toujours su fabriquer leurs propres instruments, ou seulement écrire la musique qu’ils composaient ? Cela les a-t-ils empêché de faire de la musique non seulement bonne mais savante ? Et quand tu songes à la complexité harmonique, chromatique, mélodique et rythmique, ne t’étonnes-tu pas que des gens s’en jouent sans rien connaître des mathématiques, ni seulement y songer ? »

Il présente encore une fois le fer rougi contre le sabot, me forçant à tourner le plus possible la tête sur le côté. Le cheval bronche un peu et tire sur la sangle qui retient sa jambe repliée à mon épaule, mais il reste calme, et la gamine qui s’est assise à l’écart sous une treille pour s’hypnotiser sur l’écran de son ordinateur de poche n’a pas à venir le calmer en lui caressant le museau.

« Peut-être t’étonnes-tu encore qu’un simple forgeron ait lu Al Kindî », continue-t-il, mais sans devancer ma pensée cette fois, car moi je n’ai pas lu ce qu’Al Kindî a écrit sur la musique, et je m’interrogeais seulement sur l’improbabilité qu’il ait pu lire Leibniz. « Le cinéma ouvre un champ toujours vierge à la créativité humaine. Je t’accorde seulement qu’il demeure pour l’essentiel encore vierge. »

« Tu m’as dit pourtant que tu avais autre chose à faire que regarder des films. »

« Ça n’y change rien ! »

La tête dans les étoiles

Kalia n’a pas vraiment apprécié que je l’aie laissée seule au moment de rentrer le regain ; mais que pouvais-je faire avec ma patte folle ? Je crois qu’elle a appris aussi, je ne sais comment, mes bonnes relations avec Hanna dans la vallée du Dar-Kall-Koury. Elle est cependant venue me rejoindre à Tourba. Elle est logée chez Darâ.

Bien sûr, nous n’avons jamais cessé de rester en contact, et nous nous sommes écrit presque tous les jours. Elle-même m’avait conseillé de demeurer quelques temps à Yatkoussour, où la marche est moins pénible que dans des champs, des sentiers ou des cailloutis…

Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’Al Kindî a écrit sur la musique. Il y a bien longtemps que je n’ai plus cherché à mettre la main sur son livre. J’ignore donc s’il a jamais dit la même-chose que Leibniz, à savoir que la musique serait de la mathématique qui s’ignore. Musica est exercitium arithmeticae occultum nescientis se numerare animi.

Cependant, la théorie des rayons d’Al Kindî est immédiatement entrée en résonance dès que je l’ai lue, avec celle de Leibniz concernant les Monades. Les deux théories s’éclairent et s’enrichissent, et finalement se complètent. Au fond, ce qui rayonne chez Al Kindî ne peut être que ce que Leibniz appelle les monades. De même, les monades ne sauraient avoir d’existence autonome sans ces rayonnements qu’elles exercent les unes sur les autres. Ces « rayons » ne sont rien d’autre que ce que la physique n’a cessé d’étudier depuis : ébranlements des molécules, lumière, champs électromagnétiques, gravitationnels…

Leibniz décrit ces monades comme des entités matérielles et étendues, Al Kindî les décrits plutôt comme des foyers de rayonnements ; chacune n’est plus alors un point de l’univers, mais plutôt une configuration unique de cet univers tout entier. Pour l’expliquer par une image astrologique, science prise très au sérieux à l’époque, on pourrait dire qu’une configuration spécifique du ciel est une composante de moi-même, alors que le même ciel, dans une configuration différente, l’est d’un autre. Ou encore, comme le disait si bien André Breton, « cette épingle que chacun voudrait tirer du jeu, il me plaît d’en chercher la tête dans les étoiles ».

C’est en conversant sur cette question, à partir des paroles du forgeron, que Kalia a oublié son ressentiment, et que nous nous sommes retrouvés dans les mêmes dispositions qu’avant mon départ. Ramzo et Darâ se sont discrètement éclipsés, nous laissant seuls pour la journée.

Au crépuscule, devant la porte avant d’entrer, je ne peux m’empêcher de regarder la disposition du ciel autour de la lune qui devient pleine.






Cahier dix-huit - À Karazan

Kalia enseigne la danse orientale

Kalia enseigne la danse orientale. Il y a déjà longtemps que je le sais et que j’en ai compris pourquoi elle était si souvent entourée de jeunes femmes.

La danse orientale, qui met en avant les mouvements des hanches et de la taille, est très suggestive, surtout pour quelqu’un qui n’a pas une sensibilité esthétique ou une réelle culture artistique. Il la verra alors, disons, comme du Cancan par exemple. Le Cancan, lui, est délibérément suggestif, bien que, comparé à la danse orientale, il fasse figure de spectacle paroissial. D’un autre côté, la danse orientale n’est pas plus suggestive qu’un ballet contemporain.

Tout dépend finalement du regard. Tout dépend de la relation en miroir proposée entre celui qui montre et celui qui regarde. C’est l’éternelle question de toutes les réalisations artistiques et intellectuelles, de ce qu’on appelait en d’autres temps les « œuvres de l’esprit ».

Comme pour la poésie, on a une danse orientale traditionnelle et une autre contemporaine ; et Kalia tient sur son art des propos très semblables à ceux de Méhmêt sur la poésie.

Je l’ai accompagnée dans la ville de Karazan, la principale agglomération du pays, bien plus bas dans la vallée de l’Ourkhan, où Kalia habite le plus clair de son temps pendant les saisons froides, et où elle dispense les arcanes de son art.

Je prends mes notes dans un bar de Karazan, où, par un improbable hasard, l’écran de la télévision s’est mis à diffuser un clip de Shakira. Karazan est une ville qui commence à épouser les mauvaises habitudes de la modernité mondialisée.

Shakira est à ma connaissance la première vedette des pays émergents à dépasser en audience celles du monde anglo-américain. Elle offre pour cela une étonnante synthèse de l’extravagance sud-américaine, de rythmes africains et, justement, de danse orientale. Ce n’est certainement pas ainsi que Kalia voit la danse orientale contemporaine, bien sûr, même si je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle pense de Shakira par ailleurs.

Au début, m’a-t-elle expliqué, on a cherché à protéger notre travail du pillage commercial. Nous craignions les emprunts sans respect du marché mondial. Nous avons vite compris que la meilleure protection était la liberté totale. Le marché craint la liberté comme le vice la vertu. Il la craint d’autant plus qu’elle est contagieuse. Les licences copyleft veillent à entretenir cette contagion.

Un champ de blé

Kalia me fait penser à un épi, un épi de blé. Elle n’est pourtant pas blonde, ses cheveux sont argentés. Ses yeux aussi, ni noirs ni bleus, ont des lueurs d’argent. Sa peau, elle, est dorée. Aussi, en la voyant danser, je ne sais dire comment la souplesse de son corps s’accorde à une telle impression.

Je ne sais si l’on peut dire qu’un épi de blé soit souple. Un champ de blé tout entier qui danse dans le vent peut seulement donner cette impression de souplesse. C’est peut-être cela, quand Kalia danse, elle devient un champ de blé tout entier.

Mansour

À Karazan, j’ai rencontré Mansour. Mansour dirige la publication du journal en ligne pour lequel Méhmêt fait ses traductions, que je corrige et relis.

L’homme est plutôt jeune, agréable et direct. On sent qu’il déploie cependant des efforts pour masquer ces qualités, cherchant plutôt à paraître mûr, et donc à se vieillir, à quoi l’aident une petite calvitie et un ventre déjà un peu bedonnant. Il cherche aussi à dégager une impression d’autorité et d’assurance, pour quoi il a sans doute choisi son costume impersonnel et qui froisse un peu. Malgré de tels efforts, Mansour n’inspire pas moins spontanément des sentiments d’estime et de confiance, et même rapidement une impression d’autorité qui doit tout au ton de conviction de ses propos.

Il m’a reçu chez lui. Il n’a en fait pas d’autre bureau que celui qui s’affiche à l’écran de son ordinateur. Puis il m’a proposé de sortir prendre un café dans le parc, le jardin public tout près de chez lui, pour profiter d’un de ces derniers après-midi agréables de la saison. Là, sous la treille de la buvette, il s’est engagé dans une vaste critique du vocabulaire qui, à travers la dominance de la langue anglaise, exerce d’inquiétants tropismes idéologiques. Dans le monde entier, aucune presse professionnelle ne prend d’ailleurs de distance envers lui.

« Le terme d’islamophobie est impropre », me dit-il. « Une phobie est un phénomène primaire, spontané et irréfléchi. Là nous parlons d’un montage complexe, étayé sur des travaux de chercheurs, et alimentés par des propagandes élaborées. Le nazisme était antisémite, pas judéophobe. »

Naturellement, il parle parfaitement le français. C’est la moindre des choses pour quelqu’un qui dirige un site qui, pour une partie traduit en français des articles écrits par des auteurs locaux ; et pour l’autre, des articles du français en langue locale.

« Que des personnes aient une antipathie spontanée pour les Musulmans et l’Islam », continue-t-il, « cela peut se concevoir. Dans de tels cas, les gens en question n’expriment leur antipathie que pour un groupe proche et déterminé ; les immigrés de leurs banlieues, par exemple. Ils n’ont pas besoin d’une idéologie complexe et argumentée pour cela. De simples griefs, légitimes ou exagérés, leurs suffisent. Ces remarques ne justifient en rien de telles antipathies, qui peuvent aussi bien devenir meurtrières dans des cas extrêmes. Elles demeurent cependant ponctuelles et limitées. »

L’après-midi est en effet bien agréable, surtout au milieu de ce parc boisé et ensoleillé. Un peu plus loin sur la pelouse, un groupe de jeunes gens forment un petit orchestre avec un luth, un tabla et un waja autour de deux jeunes filles qui s’entraînent à la danse orientale.

« L’anti-islamisme, au contraire, est aussi élaboré que le fut l’antisémitisme, et a la même prétention scientifique, » poursuit Mansour. « Il n’en devient pas plus rationnel, au contraire. Il est plus irrationnel qu’une simple phobie. Il s’agit d’une reconstruction complexe et étendue de la réalité, bien au-delà de son point de fixation. »

Il s’interrompt pour boire une gorgée de café, et en profite pour contempler un instant la danse des jeunes filles sur la pelouse, comme pour y chercher une plus juste distance avec sa propre pensée, puis il conclut : « Il n’y a naturellement aucun intérêt à critiquer les détails de cette reconstruction. S’y laisser entraîner serait au contraire irrésistiblement la meilleure façon d’y participer. C’est ce qui fait qu’il est toujours très embarrassant de tripoter ces pseudo-doctrines sans s’y engluer, mais il est surtout utile de maintenir une distance critique avec le vocabulaire. »

Leçon de vocabulaire

Un tout jeune garçon vient vers nous. Il s’est écorché le genou en jouant au ballon un peu plus loin sur la pelouse avec des enfants de son âge. Mansour me présente l’un de ses fils. Il aura profité aussi de l’occasion pour veiller discrètement sur lui. Il m’a l’air d’un papa-poule.

« Le terme de racisme est lui-même particulièrement impropre », reprend-il après que j’ai sorti de mon sac un petit pansement, et que son fils est reparti jouer. J’en porte toujours sur moi depuis que je me suis écorché dans la vallée du Djirac. « Il y a longtemps que plus aucune théorie raciale n’est prise au sérieux. Racisme s’appliquerait à la rigueur à des réactions viscérales, c’est-à-dire phobiques, mais qui justement n’ont aucun besoin d’une théorie raciale élaborée, ou du moins d’une généralisation proprement racialisée. Plutôt qu’avec le terme de “race”, la notion de racisme, fonctionnerait aujourd’hui bien mieux avec celui de “racine”. C’est au fond bien de cela qu’il s’agit avec l’anti-islamisme. Ce n’est pas que l’Islam y serait particulièrement conçu en termes de racines, mais qu’il mettrait en danger celles de la civilisation occidentale. » Il s’interrompt pour considérer encore les jeunes danseuses, puis jeter un rapide coup d’œil sur le groupe d’enfants parmi lesquels son fils joue au ballon, et ajoute : « Aller plus loin conduirait à s’égarer dans le délire d’interprétation, mais on peut continuer à interroger le vocabulaire. Le terme de “terrorisme”, en particulier, avec son relent quelque-peu gestapiste, serait à proscrire de tout propos qui voudrait conserver une salubre rigueur. C’est un terme qu’on emploie paresseusement sans réfléchir, ni songer qu’il peut contribuer à infléchir nos réflexions à notre insu. »

Je ne l’interromps pas car je suis plutôt attentif à chercher si ses remarques ne contiendraient pas quelques critiques concernant les articles que j’ai lus et corrigés. Je n’en vois toujours pas.

« “Jihadiste” est un autre terme à prendre avec des pincettes », continue-t-il. « Il vaut mieux penser avec le français “combattant”, ou opter pour l’arabe moujahid. La connotation religieuse du néologisme franco-arabe n’arrange rien, en particulier dans des régions où les instances nationales et confessionnelles sont déjà si dures à distinguer. Si l’on veut désigner spécifiquement ces milices qui sèment le chaos pour des buts peu aisément identifiables, avec des soutiens qui ne le sont pas davantage, le terme arabe de takfiri, largement utilisé par les plus concernés, et signifiant à peu près “ceux qui excluent et excommunient”, est bien plus juste et plus précis. »

« Personnellement, j’ai toujours eu des réserves pour utiliser envers un groupe le nom que lui donnent ses ennemis », le contredis-je enfin. « Si je ne dispose pas d’un terme neutre, je préfère utiliser le nom qu’il se donne lui-même. »

« Je serais tenté de t’approuver », me répond-il, « si ce n’est que dans bien des conflits, aujourd’hui, personne ne pourrait prétendre savoir avec exactitude qui se bat contre qui, même ceux qui sont engagés sur le terrain, je suppose. »

« Je suppose aussi qu’il en a souvent été un peu ainsi dans l’histoire », dis-je. « Ce fut du moins souvent le cas dans l’histoire européenne. »

Le site que dirige Mansour

Le site que dirige Mansour traduit donc des articles du français, et souvent aussi de l’anglais, pour les rendre immédiatement accessibles à des lecteurs locaux. Ferait-il ainsi de la propagande pour le bloc occidental ? Pas exactement.

Il y a quelques années, quand Mansour et ses amis ont ouvert leur site en pleines Révolutions de Jasmin, ils y écrivaient de lourdes analyses qui tentaient de décrypter les stratégies complexes du bloc atlantique pour barrer la route aux insurrections arabes et les instrumentaliser. Puis ils ont bien dû admettre qu’il n’y avait pas grand-chose à décrypter, et qu’il valait mieux donner à leurs lecteurs des documents de première main dont ils pouvaient très bien alors tirer eux-mêmes les conclusions.

Il n’y a jamais eu ni analyse ni stratégie m’avait déjà expliqué Méhmêt. Les révolutions arabes étaient spontanément anti-bureaucratiques, alors que le bloc atlantique est furieusement et fondamentalement bureaucrate. Si tout poussait ce dernier à favoriser l’effondrement de vieilles bureaucraties héritières d’un socialisme arabe, c’était pour les remplacer, sous le nom de démocratie, par un plus moderne Libéralisme Bureaucratique d’État, qui ne pouvait conduire qu’au choc.

Le Waja

Le Waja, cet harmonium qui accompagnait dans le parc la danse des jeunes filles, comme à Yatkoussour, la lecture des poètes, et qui tient une si grande place dans la musique traditionnelle en Asie, semble bien être une invention toute occidentale, et même française. Il aurait été inventé par Alexandre Debain en France en 1840.

C’est du moins ce qui se dit, mais j’ai pu voir en ligne l’harmonium dont Debain a bien déposé le brevet. C’est un harmonium des plus banals et bien trop volumineux pour l’emporter dans un jardin ou pour une lecture publique, et il ne dispose pas d’un soufflet qu’on actionne à la main. Aucun autre des instruments très ingénieux que Debain inventa ne ressemble à ce que l’on appelle ici un Waja.

Finalement, l’internet, loin de balayer les méconnaissances qui nous accablaient avant, mais dont nous étions prêts à prendre pour argent comptant toutes les informations qui auraient prétendues les dissiper, les imprègne maintenant toutes d’incertitude. Nous sommes bien forcés de voir qu’il n’y a jamais de dernier mot en rien, même dans ce qui devrait être en principe facile à vérifier. Ce n’est au fond pas plus mal.

Place du Pont

Karazan est une ville sans grande beauté ni forte personnalité. Les montagnes qui l’entourent sont trop lointaines. Elles forment une ligne ininterrompue qui enferme le regard. Seules leurs crêtes toujours coiffées de nuages pourraient le séduire.

Son grand parc en plein centre contribue à y rendre la vie agréable. On trouve beaucoup d’espaces verts à Karazan, ou plutôt d’espaces vierges, abandonnés aux herbes folles et aux buissons.

La Place du Pont près d’où habite Kalia, là où sont les principaux magasins, est comme un pré sauvage avec trois ou quatre arbres, symboliquement délimitée par une barrière de bois qui ne la ferme pas complètement. Elle semble plutôt disposée là pour permettre aux passants de s’y appuyer ou de s’y asseoir, largement ouvertes sur des allées de terre que les pas ont tracées.

Entre la chaussée et le pré, un large trottoir goudronné est patiemment rongé par l’herbe et la terre. Le non moins large trottoir d’en face longe le cours de l’Ourkhan jusqu’au pont.

Il ne faudrait pas croire que la ville soit mal entretenue. Elle est propre, on n’y trouve pas de détritus, et les poubelles sont sorties aux heures où passent les services de la voirie.

On trouve partout de tels espaces, parfois bien plus petits, que la végétation regagne, près de l’arrêt d’un bus, devant une station-service, entre deux maisons…






Cahier dix-neuf - Des insectes et des hommes

Le Chilopode

Le chilopode, ou centipède (Scutigera coleoptrata) est de la famille des mille-pattes. Il ne possède pas mille pattes, ni même cent, mais trente seulement. Ce n’est donc pas un insecte.

Contrairement aux millipèdes qui se déplacent en ondulant, le chilopode avance en ligne droite. Les pattes du chilopode sont plus longues que celles du mille-pattes, il se déplace donc plus vite ; elles sont longues et souples comme les moustaches d’un chat. Son corps composé de seize segments est long et plat. Brun et gris, il arbore trois bandes sombres sur le dos. Les jeunes muent de nombreuses fois, acquérant un nouveau segment et donc une nouvelle paire de pattes jusqu’à l’âge adulte. Ils atteignent leur maturité en trois ans et vivent deux fois plus longtemps.

Il y a des chilopodes chez Kalia, que l’on voit parfois parcourir la surface d’un mur à vive allure. Elle ne souhaite pas qu’on leur fasse de mal. Ils se nourrissent de petits insectes et de larves, et débarrassent ainsi l’appartement des moucherons et autres insectes qui profitent de la proximité du bassin et du petit jardin sur lesquels donne l’arrière de sa maison.

Ces arthropodes de la région (on compte à ce jour quelques trois mille cinq-cents espèces sur toute la planète) ne paraissent pas rechercher spécialement l’humidité. Ils ressemblent plutôt à des épis secs. Ils ont une certaine beauté, non seulement quand on les voit courir sur un mur, mais aussi quand on les prend dans sa main pour mieux les regarder. C’est comme si l’on tenait un épi vivant. Leurs petits yeux noirs, la vivacité de leurs lignes et la souplesse de leurs longues pattes ont quelque chose de félin.

Seul le premier segment de leur corps est dépourvu de pattes (l’adulte en possède donc seize), les deux membres s’y sont transformés en crochets à venin. Il est préférable de ne pas agacer ou effrayer le chilopode quand on le touche, car si son venin n’est pas dangereux, sa piqûre peut être modérément douloureuse. Sinon il paraît aimer les caresses.

Du regard

Tout est dans la façon de percevoir un visage. Ce n’est pas si évident en fait. Un visage, ce n’est pas seulement des yeux, une bouche, éventuellement un nez. Un visage, c’est d’abord avec quoi j’entre en relation : un regard, des sons, sinon des paroles, qui me sont adressés et qui réagissent aux miens.

Nous n’avons généralement pas de difficulté à percevoir un visage humain, nous n’en avons pas beaucoup plus avec les autres mammifères, puis ça devient toujours plus difficile quand nous nous éloignons de notre espèce. Nous avons alors toujours plus de mal à interpréter un sourire, un regard amical.

À vrai dire, nul ne saurait expliquer précisément ce qu’il fait pour lancer un regard amical. En réalité, il y a bien d’autres parties du corps qui participent au lancer de regard, et finalement le corps tout entier et peut-être plus encore. Nous ne saurions pas davantage décrire comment nous nous y prenons pour décrypter un tel regard. Nous en sommes d’autant plus embarrassés quand nous nous éloignons de la famille des mammifères et de l’ordre des vertébrés.

Il n’y a pas de doute que le visage d’un calmar soit très expressif, et ses yeux assez semblables aux nôtres, mais il est difficile d’interpréter le silencieux mouvement des tentacules qui masquent son bec. Le visage des arthropodes est plus embarrassant encore. D’abord, ils sont minuscules, on voit à peine leur tête. Comment y discernerions-nous un visage ? Ensuite, la chitine qui les recouvre n’a pas la mobilité d’une peau. Qu’importe, ils sont articulés, ont des palpes et des antennes, et ne sont pas moins expressifs que tout l’ensemble des vivants. Il suffit d’avoir de bons yeux.

Pour comprendre les insectes, on doit d’abord tenir compte de trois choses : ils n’ont ni crâne ni colonne vertébrale qui contiennent leur système sensoriel. Plus exactement, leur corps est tout entier ce crâne et ce squelette qui le contient. Ensuite, ils sont miniaturisés, ce qui permet le couplage de ce système nerveux avec un système chimique, qui existe aussi chez les animaux plus gros, mais est alors trop lent pour avoir la même fonction sur l’ensemble du corps. Enfin, ils vivent en accéléré, menant une vie brève à toute allure. Imaginons à quelle vitesse ils se déplacent si on la met à l’échelle de leur taille. Leurs perceptions sont donc aussi accélérées.

Bref, les insectes et nous sommes très différents, mais pas au point que ces différences ne puissent produire des comportements somme-toute très similaires. Avec un peu d’attention, nous pouvons les voir exprimer des émotions et des sentiments très semblables à ceux des mammifères.

Les guêpes et les abeilles sont des animaux particulièrement expansifs et joueurs, si du moins on leur répond. Il est rare quand il en passe une dans ma proximité qu’elle ne vienne pas se poser sur moi, de préférence sur mes mains. Elle sent tout de suite si on la remarque et si les gestes qu’on accomplit sont en réponse à ses mouvements.

Contrairement aux fourmis, qui sont pourtant du même ordre, ces hyménoptères nous perçoivent très bien, et il est probable qu’ils nous reconnaissent quand ils nous voient souvent. J’ai une très bonne vue de près ; la vue des myopes ne baisse pas avec l’âge. Quand une abeille se pose sur ma main j’aime regarder son petit visage de cuir noir. La tête est séparée du corps par un cou long, mince et mobile, qui fait varier son inclinaison et produit un vaste champ d’expression, et si les yeux sont des boules noires immobiles, les antennes ne le sont pas. Si nous n’étions pas si immenses, j’aimerais la caresser.

Tout être vivant éprouve un intérêt spontané pour un autre, et cherche à communiquer. Communiquer quoi ? Je ne saurais le dire. Peut-être qu’on aime la vie.

Naturellement, ce n’est possible que dans une relation désintéressée. Une sauterelle, un omble ou un gibier me mettraient plutôt l’eau à la bouche, et je ne suis pas du genre à fraterniser avec un être que je vais finir par tuer et manger.

Le pont de l’Ourkhan

À Karagan, l’Ourkhan a déjà un fort débit. Il traverse la ville entre deux berges qui ont été conçues pour ses crues et qui lui laissent deux larges plages de cailloux au milieu desquelles il s’écoule. De loin en loin, des escaliers permettent d’y descendre, et je pourrais aisément continuer à y pêcher si j’en avais encore l’envie.

Près de la place, sur la même rive tout de suite après le pont, un bar surplombe la berge. Comme il est fréquent ici, il vend aussi des cartes-postales, des journaux, des livres, de la papeterie, du petit matériel électronique et quelques autres bricoles. Je m’y arrête souvent le matin quand je n’ai pas envie de marcher jusqu’au parc, s’il pleut par exemple, comme aujourd’hui. J’aime y voir et entendre couler l’Ourkhan.

Là aussi un écran diffuse des clips. Il n’y en a qu’un, du moins, et l’on n’est pas obligé de s’y planter devant. Il ne m’a jamais déplu, par ailleurs, d’entendre dans les lieux publics les chansons populaires à la mode.

J’y ai déjà écouté plusieurs fois la chanteuse soundanaise Elvy Sukaesih. Bien qu’elle soit un peu plus âgée que moi, elle parvient à conserver un succès mondial, et qui va très au-delà de la zone linguistique soundanaise, de l’Asie du Sud-Est, et même de l’aire culturelle arabo-persane : j’ai lu sur Wikipedia qu’elle vendait beaucoup de disques au Japon.

Les chansons soundanaises paraissent accorder une singulière importance aux paroles. Celles-ci accompagnent toujours les clips en sous-titre, bien que ces chansons aient une audience plus large que les populations qui comprennent cette langue. Pour être plus aisément suivies, les syllabes sont éclairées au fur et à mesure qu’elles sont prononcées. Aussi, je me prends parfois à les suivre mot à mot et à mieux les entendre, bien que je n’y comprenne rien.

Il m’est arrivé d’entendre ces chansons même à Marseille, en prenant un couscous dans un restaurant arabe aussi bien que des nems dans un chinois. La chanson soundanaise participe incontestablement de la musique arabo-persane, mais elle a aussi de petits emprunts chinois, et, si l’on écoute bien, on y entend encore quelques sonorités hispaniques, quelques rappels de flamenco et même de fado.

La tradition de cette chanson populaire n’est pas très vieille, le genre s’est fixé au cours du vingtième siècle. Bien sûr on trouve aussi en Indonésie une musique plus rock, faisant appel, au moins pour quelques mots, aux ressources de la langue anglaise, sans renoncer complètement au soundanais, notamment avec la très jeune et très sexy Cinta Laura. Avec elle, on voit que l’Indonésie, membre important de l’Organisation de la coopération islamique, est bien loin de l’austère Iran. Il est vrai que le tourisme oblige.

On trouve ici d’autres musiques encore, originaires de diverses parties du monde, par exemple la Gitane turque Öykü Gürman qui, avec ou sans son frère, tend à s’éloigner du strict flamenco qui les a fait connaître.

C’est sans doute un lieu commun de dire que le show-biz pervertit la chanson populaire que j’aime sinon entendre dans les lieux publics. C’est du moins très sensible quand je vois l’évolution de chanteurs que j’ai connus à leurs débuts.

L’internet, qui donne tous les moyens de le court-circuiter, s’en fait pourtant le plus ignoble allié. C’est compréhensible dans la mesure où l’on voit tous les efforts qui convergent pour en contrôler les flux. L’industrie du show-biz, ou si l’on préfère les industries culturelles, n’y parviennent pourtant pas, et y laissent bien des plumes. Elles seraient déjà mortes si elles ne trouvaient des complices inattendus dans ceux qui veulent se servir du web pour en faire une alternative, et qui les servent pourtant en cherchant à les concurrencer.

Correspondance sur la musique

J’avais écrit à Pierre Petiot :

« La musique me fait pressentir une autre histoire de l’humanité – je dis bien de l’humanité, et pas seulement de la musique – car c’est un critère qui vaut bien l’étude des langues, des institutions, des ethnies, du commerce, de l’art et de l’architecture, etc. »

« C’est que certains motifs musicaux peuvent circuler et s’acclimater bien plus vite que des techniques, des idées, des littératures, etc. Il est par exemple bien plus facile de reproduire des thèmes de la musique des Tang, même avec d’autres instruments, que d’apprendre la versification chinoise, ou même à manger avec des baguettes (et combien plus aisément à l’aide d’éditeurs numériques). »

Il m’a répondu :

« Lorsque nous sommes allés en Chine, j’avais emporté des cassettes de musique bretonne. Je les ai passées aux gens que nous avons rencontrés à Pékin, qui m’ont dit que cela ressemblait à de la musique chinoise du treizième siècle. Par la suite, en écoutant un enregistrement de musique chinoise dans un restaurant chinois, j’ai pu constater que c'était vrai. Je ne savais pas ce qui passait, mais j’ai reconnu quelque chose de quasiment breton. J’ai aussitôt demandé ce que c’était et on m’a répondu que c’était de la musique chinoise du treizième siècle ! Je ne pense pas qu’il y ait eu contagion, seulement convergences accidentelles certes, mais pas moins pour cela réelles. »

Personnellement, je pense plutôt à la contagion, comme j’en ai déjà parlé à plusieurs reprises.

Intelligence collective et instinct artificiel

J’ai lu au cours de ces dernières années quelques travaux sur l’intelligence collective des insectes. Ils me semblent finalement plus instructifs sur le manque d’intelligence de l’organisation libérale bureaucratique.

Ces études partent d’un point de vue contestable : que les insectes seraient dépourvus d’intelligence. Ce point de vue que remet en cause la moindre observation, s’appuie sur un raisonnement non moins contestable : les insectes ne seraient pas intelligents parce qu’ils sont dépourvus de cerveau. À ce compte, ils n’ont pas de cœur ; mais ils n’en ont pas moins une circulation sanguine. Ils n’ont simplement pas de centre nerveux ; pas d’intelligence, c’est une autre histoire.

La théorie avance qu’à partir de commandes très simples, un groupe de petits automates pourrait exécuter des actions complexes. De là, on peut imaginer qu’à partir de motivations très simples, basées sur des intérêts individuels strictement comptables, une civilisation pourrait faire de grandes choses. Voilà aussi qui reste à voir.

Même Varoufakis a observé que parfois des visages de bureaucrates peuvent être moins expressifs que celui d’une guêpe. (Vous avancez un argument sur lequel vous avez réellement travaillé – pour être sûr que c’est logiquement cohérent – et vous rencontrez des regards vides.)

Il y a plus de sagesse dans l’extrait qui suit d’Hippolyte Chavannes de la Giraudière (1889. Les petits naturalistes. Alfred Mane et fils, Tours, page 54), pourtant très daté :

« Il faut bien se garder de confondre chez les animaux, comme on le fait trop souvent, l’instinct avec l’intelligence. La différence est très importante à établir. L’instinct constitue le lot des espèces, et l’intelligence appartient à l’individu. Ainsi, tout ce qu’un animal fait par instinct, tous les animaux de son espèce le font comme lui, de la même manière que lui, dans les mêmes circonstances que lui. Quand, par exemple, un lapin creuse son terrier, quand un oiseau fait son nid, quand un chat enterre et cache ses ordures, on ne peut pas dire que ces trois animaux, en agissant ainsi, fassent preuve d’intelligence. »

« Non, tous les trois obéissent purement et simplement à l’instinct dont la Providence a doué leur espèce. Ils agissent machinalement, puisque ce lapin, cet oiseau, ce chat ne font absolument que ce que font, depuis le commencement du monde, tous les chats, tous les lapins, tous les oiseaux qui ont peuplé la terre. Les actes d’intelligence que l’on observe chez les animaux ont un tout autre caractère. On les reconnaît à ce que, “au lieu de se rapporter à la vie ordinaire de l’animal, comme, les actes d’instinct, ils se rapportent aux circonstances particulières où l’individu se trouve accidentellement placé, et dans lesquelles il se comporte comme le pourrait faire une personne raisonnable”. (Strauss.) »

Naturellement, on se doute que je ne croie pas que nos instincts nous aient été donnés par la Providence, hommes comme insectes, à plus forte raison depuis le commencement du monde. Nous pourrions alors nous demander comment nous les produisons.






Cahier vingt - Retour à la civilisation

De la pertinence des liens externes

Je m’interroge ces temps-ci sur la pertinence des liens externes dans un ouvrage littéraire. Pour moi un ouvrage littéraire ne doit pas avoir besoin de renvois hors texte, notes ou illustrations. Ce sont même les caractéristiques qui distinguent un tel ouvrage d’un essai. Je n’irai pas jusqu’à m’interdire l’emploi d’images ou de photos, ou même de vidéos, mais à la condition impérative qu’il puisse être publié sans, et ne rien perdre d’important, comme les romans de Jules Verne par exemple, qui peuvent demeurer lisibles sans dommage privés des splendides gravures de l’édition Hetzel. Je m’interdis plus strictement toute note de bas de page ou de fin de volume.

Or, un lien externe ne serait-il pas du même ordre qu’une note, et pire encore, puisqu’il ne renvoie pas à une autre partie de la page, mais hors de l’ouvrage lui-même ? De plus, ces liens ont tendance à se briser avec le temps. Qu’en restera-t-il dans seulement dix ou vingt ans ? Ne ferais-je pas ainsi une sorte de littérature auto-dégradable ?

De telles réflexions m’ont traversé l’esprit depuis longtemps sans me convaincre. Je me rends compte qu’à travers mes liens externes, j’introduis plutôt au sein de l’écriture ce qui l’a toujours traversée virtuellement. Jules Verne, pour rester sur mon exemple, ne plaçait pas dans son texte des liens qui ouvraient immédiatement des documents contemporains. Pour autant, ses lecteurs contemporains ne faisaient pas moins ces liens mentalement.

Nous devenons toujours moins capables de les refaire pour notre compte, sans du moins un dossier érudit qui accompagne la réédition. De la même manière, mes liens hypertextuels s’invalideront au fil du temps. Je suis donc bien conduit à me demander en cours d’écriture jusqu’à quel point ces liens sont utiles, si ce n’est nécessaires, pour lire ce que j’écris.

Il est dur de répondre, mais il est bon de commencer par ne pas se tromper de question : elle n’est pas en réalité celle des liens hypertextuels, mais de ce que l’on est préalablement supposé savoir pour lire. On est, de toute façon, toujours supposé savoir quelque-chose avant de lire, au moins savoir lire.

Universalité et savoir

« En somme », résume Kalia, « tu nous dis que songer à l’emploi de liens hypertexte nous conduit à interroger la place que nous avons toujours faite, plus ou moins à notre insu, aux idées et aux connaissances que nous supposions à nos lecteurs. »

« C’est une question intéressante », remarque Mansour, « et qui ne concerne pas seulement l’écriture littéraire, me semble-t-il ». Il est venu avec sa femme Cintia prendre le thé avec nous chez Kalia, puisque nous sommes quasiment voisins. « Ne trouves-tu pas ? » lui demande-t-il en se tournant vers elle, car sa méconnaissance de l’anglais la tient quelque peu à l’écart de la conversation. « Cintia a travaillé sur l’évolution contemporaine du savoir », reprend-il en revenant à nous après lui avoir dit quelques mots dans leur langue. « Nous vivons aujourd’hui dans une époque de diffraction du savoir », nous explique-t-il à sa place. « Très souvent au cours de l’histoire, des savoirs se sont institués à destination des élites. Tous les gens instruits possédaient alors un large corps de connaissances communes auquel se raccordaient celles qui étaient plus spécialisées. Nous sommes arrivés dans une situation plutôt inverse. »

« La modernité occidentale avait établi un tel savoir universel entre le dix-neuvième et le vingtième siècle », intervient Cintia en français. Elle le parle très bien. Mansour et elle, se sont connus en l’étudiant à l’université.

« Au début du vingtième siècle, les intellectuels du monde entier possédaient une très large base de connaissances communes qui concernait notamment les mathématiques et les sciences physiques, et qui n’ignorait pas non plus les lettres et la philosophie de la modernité occidentale. » Parvient-elle à continuer en anglais pour ne pas exclure Kalia. « Au début de ce nouveau siècle, ce qui tiendrait lieu d’une telle base commune concerne principalement le commerce et la politique internationale. Il devient alors ironique d’employer à propos de ceux qui la possèdent, les termes d’intellectuels ou d’élites. »

À l’évidence, Cintia n’ignore pas l’anglais, même si son élocution a été plus hésitante, abondamment aidée de ses gestes et légèrement plus fautive que n’en témoigne ma traduction. Il est vrai aussi, comme je l’ai souvent remarqué, que notre niveau de langue peut largement varier selon notre implication. La même personne, quand elle est bien plantée dans son propos, peut devenir éloquente dans une langue qu’elle ne possède que superficiellement, et quand elle ne l’est pas, devenir quasiment aphasique dans sa langue maternelle.

« On peut observer », continue-t-elle, « que ce corpus qui est commun aux dominants, a achevé sa rupture avec les sciences physiques et les mathématiques. Les techniques et les sciences n’ont pas cessé d’évoluer, et dans le même temps les connaissances communes aux dirigeants du monde entier se fixent toujours plus dans la culture d’une époque qui leur est antérieure, celle des Lumières du dix-huitième siècle. Cela se traduit notamment par l’importance donnée aux vieilles doctrines libérales et la phobie du communisme. »

« C’est plutôt évident », remarque Kalia, « et je me demande, lorsque la rupture sera achevée entre les connaissances que possèdent ces castes détentrices du pouvoir, et celles qui sont pratiquement mises en œuvre dans la production de la vie humaine, quel choc va en résulter. »

« La question est d’autant plus intéressante que ces pseudo-savoirs dominent même dans les régions où ces castes restent en principe sous contrôle », note Mansour, « comme en Chine. »

Dialogue avec Kalia

– C’est ironique, me dit Kalia quand Mansour et Cintia sont partis, lorsque la plupart des peuples n’avaient qu’un accès limité et souvent réprimé à la propagande du bloc atlantique, tout le monde ne rêvait que de musique rock et de blue jeans. Aujourd’hui que le monde entier peut y accéder aussi facilement que dans les pays où elle est produite, cette idéologie excite plutôt une hostilité générale. À tel point que Mansour n’a rien trouvé de mieux pour la combattre, que la traduire et la diffuser.

– C’est d’autant plus ironique quand on songe aux ressources que le bloc atlantique dépense pour une propagande si contre-productive.

– Je me demande pourquoi elle génère en Europe des rejets plus réactionnaires encore.

– Je ne suis pas si sûr de cela. La force des idées réactionnaires en Europe est plutôt l’effet d’un vide qui leur est laissé. Quand on a connu le siècle antérieur et qu’on voit de près les mouvements d’extrême-droite actuels, ils ne donnent pas l’impression d’une force propre, mais plutôt de vide aussi. Des mouvements tout opposés inspirent davantage une impression de vigueur.

– Quand même…

– Vois-tu, nous vivons souvent sans conscience, nous agissons machinalement comme des automates, animés par des instincts artificiels. On ne doit pas confondre ces instincts, qui appartiennent à l’organisation sociale, avec la pensée qui appartient à l’individu. Tout ce qu’un individu fait par instinct, tous les autres le font comme lui, de la même manière que lui, dans les mêmes circonstances que lui ; on ne peut alors dire qu’il pense. Pour autant, rien ne nous dit ce qu’il pensera ni ce qu’il fera lorsqu’il se trouvera dans des circonstances particulières pour lesquelles son instinct ne lui donnera pas des réponses appropriées.

Programme et instinct artificiel

J’ai remarqué que lorsque je regarde des vidéos sur YouTube qui ne me sont pas proposées par les grands sites de presse occidentaux, mais par des sites étrangers ou des sites indépendants, comme celui de Mansour par exemple, le programme me suggère souvent d’autres vidéos qui « pourraient m’intéresser », telles que des discours du Front National ou des choses de ce genre.

Au fond, c’est plutôt rassurant. Il est moins évident de ne pas céder aux suggestions d’un instinct qu’à celles d’un programme. Ce serait peut-être là le signe, l’ébauche d’un changement, et pour tout dire, d’un progrès dans le processus d’individuation : l’instinct artificiel passe de la subjectivité à un objet externe, et donc manipulable, dont il est possible de lire et de modifier le code. L’écriture avait déjà été un progrès de cet ordre.

Il est bien évident que personne, même indirectement, ne me suggère alors de regarder une vidéo du Front National. Des intelligences humaines qui suivraient ma navigation, même parmi les moins éclairées, verraient qu’une telle suggestion n’est pas des plus pertinentes. Un programme plutôt, agit alors comme un instinct non plus seulement artificiel, mais objectivé, pour établir une corrélation automatique entre ce qui ne s’inscrit pas dans le système d’un discours dominant, et ce qui s’en présente comme une alternative. Une telle corrélation est alors immédiatement soumise à mon attention.

Les larges espaces de Karazan

Si la ville de Karazan donne une impression de richesses, c’est en espace. Les maisons n’y sont pas bien hautes, même les barres d’immeubles neufs ne dépassent pas souvent les trois étages, et l’espace partout est large entre les constructions. Il est si large que toujours y débordent les herbes sauvages et les buissons. Les rues sont larges entre les maisons, et les trottoirs aussi. Beaucoup de magasins tentent de les occuper, sortent leurs étalages, des enseignes mobiles, des panneaux sur roulettes, des parasols ; ils n’y semblent pas moins perdus. L’espace les avale, gagné par les herbes folles aux pieds des allées de platanes, ou débordant les petites barrières de bois qui ferment approximativement des jardins potagers.

Les services de la voirie ne tiennent pas pied pour désherber, goudronner ou daller. Et la ville de Karazan elle-même paraît perdue dans sa grande plaine fermée de toute part de cimes neigeuses avec lesquelles se confondent leurs coiffures de nuages.

Cet espace est magnifié encore par les fils électriques, et les innombrables poteaux de bois ou pylones de métal qui les supportent. Des oiseaux y sont posés comme des notes sur une portée, quand ils ne se grisent pas à traverser l’excès d’espace.

La profusion de l’espace est la richesse de Karazan, pour le reste, la ville est austère.

Karazan à l’automne

J’imagine que la ville de Karazan doit être plus belle au printemps, quand la végétation est pleine de sève, que les ramures sont lourdes de feuilles bien vertes et de fleurs éclatantes. Je n’en suis cependant pas si sûr. Les jaunes vifs, les roux et même les rouges intenses dont se colorent les feuillages, valent bien une floraison. Les terres rouges labourées que parfois l’écartement entre les maisons laisse voir dans les lointains, participent à cette impression de gravité. J’emploie ici ce mot de gravité dans son sens newtonien, qui nous fait percevoir le contraste baroque entre l’immensité du ciel et le poids de la terre.

Danse orientale

Il serait vain de chercher les origines de la danse orientale, car c’est ainsi au fond que dansent la plupart des peuples de la terre. Ce n’est qu’en Europe et en Afrique qu’on s’est mis à danser sans laisser bouger la moelle épinière. Des Grecs aux Maoris, on pratiquait sans doute ainsi depuis toujours. C’est ce qu’affirme Kalia, et elle a probablement raison. Il suffit de suivre la diffusion des corsets.

J’ai pu plusieurs fois assister aux répétitions du ballet qu’elle met au point avec trois de ses jeunes amies. Leur costume n’est pas ce qui m’a le moins surpris. Elles portent de larges pantalons de chantier, avec, nouées à leur bassin, des écharpes aux larges franges. Leurs poitrines gonflent de courts gilets sans manches très échancrés, et leurs cheveux sont attachés sous des foulards qui évoquent la coiffure des pirates.

Pour autant, leurs costumes ne sont pas identiques, ni leur danse non plus. La plus jeune, déjà très douée, est vêtue tout de noir, avec un débardeur à la place du gilet, et un ceinturon de cuir rehaussé de métal par-dessus le châle qui ceint sa taille. Kalia ne porte pas de gilet non plus, mais une chemise qu’elle a nouée au-dessus de son nombril. Elles dansent toute les quatre différemment, mais en harmonie, ou plutôt en contrepoint.

De l’intelligence et de l’instinct

« Une remarque qui a été faite, c’est que ce sont ordinairement les animaux qui font par instinct les choses les plus compliquées et les plus surprenantes, chez lesquels on rencontre le moins souvent des preuves d’intelligence. Il semblerait que le Créateur ait toujours eu soin de développer d’autant plus l’intelligence des individus composant une espèce, que l’instinct de cette espèce était borné, et par contre de développer d’autant plus l’instinct d’une espèce, qu’il avait parcimonieusement dispensé l’intelligence aux individus. » C’est ce qu’écrivait Hippolyte Chavannes de la Giraudière dans Les petits naturalistes.

Je pense que la relation entre instinct et intelligence est un peu plus subtile. L’intelligence me paraît profondément enracinée dans l’instinct. La parole, la faculté de compter, me semblent relever bien plus de processus instinctuels que de la pensée lucide. Ce ne sont que les chercheurs en mathématiques qui pensent leurs calculs ; les autres se contentent de les effectuer, ou les font effectuer par des programmes, tout aussi machinalement, qu’ils soient chercheurs ou non. De même, nous ne songeons à la grammaire que lorsque nous comparons, pour les apprendre ou les étudier, une langue à l’autre. Et nous voyons bien alors que la plupart des processus cognitifs induits par le langage se font à notre insu. Or cet insu ne va pas sans l’apparition d’une forme de vie, forte et fertile, qui paraît autonome.

Je ne saurais cependant rien dire des aspects phylogénétiques ou ontogénétiques de la formation de tels instincts. L’époque tend à escamoter la question en substituant à ces deux termes celui de société. Je sais seulement dire qu’il s’agit d’un escamotage.




Cahier vingt-et-un

Table des matières


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© Jean-Pierre Depétris, mai 2015

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