Préface pour l'édition
imprimée
Marseille, Juillet 2008
J'ai écrit ce journal il y
a déjà cinq ans, au cours de mon premier voyage à
Bolgobol en 2003. Je l'ai édité en ligne en temps réel
pour mon propre usage et pour une poignée d'amis à qui
j'en avais donné le code d'accès, et j'y ai quelquefois
intégré nos échanges.
L'année suivante, en 2004,
j'ai cherché à le faire éditer avant d'effectuer
mon deuxième voyage. L'idée m'en était pourtant
sortie de la tête bien avant toute conclusion. C'est qu'il
devient pénible, quand on s'est habitué à éditer
en ligne et à échanger par courriel des URLs,
d'imprimer des livres entiers, de tirer des photocopies et de faire
des queues à la poste pour des éditeurs, surtout quand
on voyage.
Avant d'entreprendre mon troisième
séjour, en 2005, j'ai choisi de laisser l'accès
complètement libre à mes cahiers, permettant même
au premier venu de lire celui que j'allais entreprendre comme par
dessus mon épaule. Selon Paul Valéry c'est
ainsi qu'on devrait lire tous les livres. Je le pense aussi,
et pourtant je me demande encore si c'est bien ainsi qu'on devrait
les écrire.
Il m'agace autant que quiconque
qu'on lise dans mon dos, perçant à jour mes
hésitations, les maladresses d'un premier jet, et même
mes fautes d'orthographe. Le lecteur lui-même peut regretter
aussi de découvrir le procès d'écriture au prix
de ne pas lire immédiatement l'ouvrage peaufiné. Si
j'en ai pris finalement mon parti, c'est que l'un et l'autre y
gagnent malgré tout d'appréciables avantages :
ceux de communiquer en modifiant le cours du livre en même
temps qu'il est tout à la fois écrit et lu.
En juillet 2007, quand j'achevais
la préface de mon quatrième journal, qui se voulait
aussi celle de tous les autres, je n'envisageais plus aucune version
imprimée. Mes livres étaient édités en
lignes, et ils étaient bien ainsi.
Après tout, la lecture à
l'écran devient toujours plus confortable. On peut aisément
modifier la taille d'affichage, la luminosité et le contraste,
naviguer dans les menus, rechercher, copier, faire prononcer le texte
par une voix de synthèse, ouvrir des liens externes, conserver
plusieurs pages dans différents signets, on peut même
faire ses propres annotations sur un fichier PDF, et y placer des
marque-page virtuels. Il n'est pas non plus si prohibitif d'imprimer
de petits livrets A5 et de les agrafer pour les emporter sous un pin,
dans le bus, sur le lit ou même aux toilettes. Je lis de plus
en plus ainsi, pourquoi ne me lirait-on pas de même ?
Ce n'est pourtant pas l'avis de
tout le monde. Je reconnais moi-même que le bloc
de papier est bien agréable à manipuler et facile à
ranger, pour un prix comparable ou à peine supérieur à
celui d'une cartouche d'encre et d'une ramette. Si le livre
numérique a de gros avantages, il n'en perd aucun quand on
l'imprime, et en gagne d'autres dont
on aurait tort de se priver.
Aux temps où l'imprimerie
fut inventée, ceux qui étaient capables d'écrire
et de lire un livre, et surtout d'en payer l'édition ou de
l'acheter, constituaient un milieu très fermé. Le temps
s'écoulait très lentement alors. Les livres se
répondaient souvent les uns aux autres, et il n'était
pas rare que de nouvelles éditions contiennent les
commentaires qu'avait suscité la première, brouillant
les limites entre l'écrit public et la correspondance privée.
Aujourd'hui, où le cercle
des lettrés s'est considérablement élargi, et où
le prix d'un livre est bien moins un souci que le temps nécessaire
à le lire, l'imprimerie et son commerce ont fini par figer ce
qui était comme un mouvement continu et partagé de
l'esprit. Écrire, relire, éditer, diffuser, lire,
critiquer
sont hélas devenus des moments séparés,
dédiés à des corps bien distincts : auteurs,
éditeurs, critiques, public
et tendant même à
une furieuse spécialisation : médiateurs, conseillers
de rédaction
Le livre numérique fait
heureusement sauter ces écluses. Écrire, lire, éditer
redeviennent un seul et même processus ouvert. Ce qui était
pour l'imprimerie l'édition originale, devient alors la
dernière version.
Cette édition imprimée
d'À Bolgobol
en est justement la version 1.1. Elle
est édidée en ligne
sous les conditions énoncées dans la Licence
pour Documents Libres,
qui réserve les droits de reproduction imprimée. Chacun
est libre de faire à peu près ce qu'il veut de cette
version numérique aux seules conditions qu'il indique le nom
de l'auteur, l'adresse où l'on peut trouver la dernière
version, et que les copies, rééditions ou modifications
demeurent aussi libres d'accès que l'original.
Toutes ces remarques sont moins
anecdotiques envers mon journal qu'on pourrait le croire avant de
l'avoir lu. Mon voyage en était aussi un dans les lettres ;
et ce livre, ce que j'en rapporte de plus tangible.
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