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Voyages à Bolgobol

À BOLGOBOL

Jean-Pierre Depetris

© 2003

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Cahier XXIX
De passage à Bolborg





Le Vendredi premier août

La prédication de Hammad

Assurément, Caïn n'aurait pas dû tuer son frère. Cependant il le fit pour l'amour de Dieu. Qui pourrait le condamner ?

Quand Iblis vit Adam que Dieu avait créé à Son image, auquel il avait confié Son dépôt et donné le commandement sur Sa création, il ne ressentit pas autre chose. Il haït Adam et refusa de reconnaître l'autorité qui lui avait été confiée. Assurément, Iblis ne nous aime pas, mais il n'en aime pas moins Dieu d'un cœur pur.

L'amour ne connaît pas de partage et ne supporte pas de rival. Si votre aimée en aime un autre, de quoi seriez-vous capables ? Si vous n'avez pas compris qu'un Dieu d'Amour est un Dieu jaloux, qu'il est un Dieu Terrible, vous n'avez rien compris.

Est-ce une bonne raison pour assassiner son frère ? L'homme sage répondra non. Cependant, même l'homme sage ne peut savoir à quoi la jalousie le pousserait.

Dieu punit-il Iblis pour avoir refusé d'adorer et de servir Adam comme s'il était Son fils ? Pourquoi l'aurait-il fait ? Nous sommes nous-mêmes son châtiment. Comment le punir de sa désobéissance, quand elle était l'obéissance à un commandement plus impérieux, de ne rien associer à l'adoration de son Seigneur ?

Dieu punit les hommes, au contraire, qui ne surent se montrer à la hauteur de leur dignité, et voulut les faire périr dans le déluge. Ne croyez pas que Dieu soit notre allié contre Iblis, pas plus qu'il n'est le sien. Ne laissa-t-il pas tenter Job qui n'avait pourtant commis aucune faute ?

Ne croyez pas non plus que vous devriez combattre Iblis par amour pour Dieu. N'avez-vous pas déjà été choisis ? Méfiez-vous des ruses d'Iblis. Il sait susciter la haine de lui pour l'utiliser à ses fins.

Écoutez ses serviteurs. Paraissent-ils savoir qu'ils le servent ? Ils prétendent le combattre au contraire. Ils disent servir Dieu. Dieu a-t-il besoin d'eux pour punir Iblis de l'aimer sans partage ?

Quand le malin leur offre gloire et richesse, les vrais musulmans devraient au contraire les accepter par compassion, et ne pas s'empresser de les rejeter parce qu'ils ne leur trouvent aucun prix. Qui sait ? Il plairait peut-être à Dieu que nous sauvions Iblis.

 

Comme toujours, Hammad me surprend, cette fois par la teneur de son sermon. Il a été invité par le Révérend Pardramanda à prêcher dans la vallée de l'Oumrouat. Pardramanda est le supérieur du monastère Mérou Anta, en face du Mont Iblis.

Il y a bien peu de monde pour une cérémonie qui réunit les deux communautés. Voilà qui confirme mon impression que la religion ne concerne plus profondément les gens d'ici. Est-ce pour cela que les musulmans et les bouddhistes se sont réunis ?

Il a continué son prêche, que Ziddhâ me traduit à l'oreille, sur le caractère exclusif de l'amour.

 

L'amour sans partage

Ne sommes-nous pas tous à peu près semblables ? Si nous n'avons pas la femme que nous désirons, pourquoi une autre ne nous satisferait-elle pas, surtout si elle est plus jeune et plus jolie ? Un corps n'en vaut-il pas un autre ? Tous ceux qui ont aimé savent qu'il n'en est pas ainsi. Ce que nous paraissons chercher dans le corps désiré est ce qu'il a d'unique. Quand bien même le chercherions-nous dans d'autres, ce sera encore pour leur unicité.

Quand on aime, on voit l'objet de son amour tel que Dieu, à son image, l'a créé. Quand nous voyons des amants, nous pensons qu'ils sont fous, mais quand nous aimons, nous savons que nous ne rêvons pas.

Comprenez que vous ne verrez jamais l'image de Dieu dans votre miroir. Vous ne la verrez que dans le corps de l'aimée.

Iblis vous tendra le miroir. Il vous encouragera à devenir plus grand, plus puissant, plus glorieux, et même plus vertueux. Vous ne parviendrez qu'à devenir supérieur à quelques-uns, et donc inférieurs à quelques autres. Vous entrerez dans le rang. Pour savoir commander, vous apprendrez à obéir. Iblis ne supporte pas de vous voir aimer, ni être aimé, car il ne supporte pas de voir en vous l'image du Créateur.

Il veut vous faire croire que vous êtes remplaçables, que seul vous n'êtes rien. Il veut vous faire croire que plus les hommes sont nombreux, moins un seul à de valeur, et que vous devez être au-dessus de la multitude, ou au centre, ou à côté, alors qu'en vérité, il n'y a pas de multitude, mais des hommes entièrement uniques à l'image de l'Unique, insondables et irremplaçables. Dieu ait pitié de lui.

 

Après le prêche

Le Révérend Padramanda, quoique petit de taille, est un être massif et vigoureux d'une bonne soixantaine d'années. Il est vêtu d'un manteau noir élimé qui lui tombe sur une paire de bottes lourdes et terreuses. Un sabre est accroché à son sac. Ne serait-ce l'aspect rustique, il évoquerait plus à un Dark Vador asiatique qu'un moine bouddhiste.

M'apercevant à ses côtés en rejoignant Hammad, l'autre main sur la poignée de son sabre, il me saisit brusquement à la gorge avec la puissance et la surprenante vivacité d'un ours, et me rugit à l'oreille : « Qu'attends-tu ? »

Ma surprise est telle, qu'elle inhibe toute émotion, et je réponds froidement : « Le bon moment. »

Il part alors d'un formidable rire, ponctué d'une bruyante claque sur l'épaule. « Les moines sont toujours comme ça, » me glisse Ziddhâ à l'oreille.

 

 

Le 2 août

La bibliothèque de Hammad

Hammad m'a invité chez lui avec Ziddhâ à Bolborg, un petit village au-dessus de Fordoc, dans la vallée de la Barsse. Sa bibliothèque contient de nombreux livres en Français : La Boétie, Traité de la servitude volontaire ; Calvin, Essais choisis ; Descartes, Écrits philosophiques, l'édition en trois volumes de Ferdinand Alquié chez Garnier ; La Logique ou l'art de Penser de Arnauld et Nicole ; Les Mémoires d'Abraham Mazel et d'Élie Marion sur la Guerre des Camisards dans les Cévennes, publié par le pasteur Bost en 1931 chez Fischbacker ; Montesquieu, Les Lettres Persanes ; Voltaire, Romans et contes ; Rousseau, Essai sur l'origine des langues ; Sade, La Philosophie dans le Boudoir ; Morelli, Code de la Nature, Saint Martin, L'Homme de Désir et Le Ministère de l'homme-esprit ; Proudhon, Écrits sur la religion et Qu'est-ce que la propriété ? Hammad range comme moi ses livres par ordre chronologique, mais moi, je ne sépare pas les langues. Elles sont toutes mêlées.

Je continue donc ma liste en ne citant que les livres dont j'ai au moins entendu parler, à défaut de les avoir lus : Georges Sorel, Contribution à l'étude profane de la Bible, La Ruine du Monde Antique et Matériaux d'une théorie de prolétariat ; Ferdinand de Saussure : Cours de Linguistique générale ; Paul Valéry, Monsieur Teste et quelques tomes de Tel Quel ; André Breton, Les manifestes du Surréalisme et L'Amour fou ; Henri Michaux, Un Barbare en Asie ; Roger Caillois, L'Écriture des pierres, Jean Genêt, Un Captif amoureux ; Henri Corbin, En Islam iranien ; Pierre Dac, L'Os à Mœlle — tiens ? — ; Malcolm de Chazal, Sens Plastique ; tous les tomes d'Hermès de Michel Serres ; Xénakis, Musiques formelles ; Jean Ricardou, La Prise de Constantinople, René Thom, Esquisse d'une sémiophysique ; Pierre Garnier, Le Jardin japonais ; Samir Amin, Le Développement inégal. Et, tiens tiens, le dernier : Jean-Pierre Depétris, Du Juste et du Lointain, que je lui ai envoyé de Marseille le mois dernier.

 

J'ouvre au hasard le livre de Chazal : La voyelle est plus aérienne que la consonne, et la chevauche. Les voyelles sont les jockeys des consonnes. Mais de même que le jockey « dirige » sa bête en course, les voyelles dans la phrase, servent aux mots de gouvernails, et conditionnent leur angle de sortie de la bouche.

Hammad a écrit dans la marge en Français : La musique et la grammaire d'Al Kindy. Je ne suis pas sûr que l'attention que me porte Hammad ne soit due qu'à ma langue, mais elle doit fortement y contribuer.

 

 

Le 3 août

La chevalerie

Il faut être aveugle pour ne pas voir que de tous temps le monde fut mondial. À l'époque où Hadrien fit bâtir le mur qui devait couper en deux la Grande Bretagne pour protéger des Écossais la frontière boréale de l'empire, les Chinois entreprenaient la construction de leur Grande Muraille pour se défendre des Mongols. Les deux empires n'étaient pas dépourvus d'autres points communs. Ils se ressemblaient, du moins, bien plus que l'empire Song ne ressemblait à l'empire Tsin, ou le Saint Empire à l'Empire Romain. Au Moyen-Âge, la même soie du Kouantoung habillait les bourgeois de Venise ou de Flandre, et des chausses pointues étaient portées par des seigneurs francs comme par des princes ouzbeks.

La chevalerie fut un phénomène mondial elle aussi. On croit connaître ses origines occidentales. Les historiens européens l'expliquent cependant chacun selon sa propre origine. Là, par l'union des patriciens romains et des chefs ostrogoths, ici par la conquête de la terre celte par les Normands, là encore, par la lutte des seigneurs vandales ou wisigoths contre les Sarrasins d'Espagne.

Il y eut pourtant aussi une chevalerie musulmane, et l'on ferait mieux de chercher par là le mélange de quête mystique et amoureuse, qui n'était pas, de toute évidence, endogène au monde chrétien, ni romain. Elle ne l'était certes pas davantage au monde arabe, chrétien aussi, et romain, avant d'être à dominante islamique. Il y eut encore une chevalerie mongole, et coréenne, mandchoue, japonaise, et même chinoise, bien que la Chine fût de tous temps revêche à l'honneur des armes, à l'exaltation mystique et à la sublimation amoureuse.

Les sources de la chevalerie seraient plutôt à chercher dans la rencontre des cavaliers scythes et du système de castes indien. Là seulement, on trouve toutes ces composantes qui se mondialisèrent : association de la quête spirituelle et érotique, surestimations du métier des armes et des vertus guerrières. Le système des castes, cependant, met le sage au-dessus du guerrier, et c'est peut-être pour cela que l'empire des Sikas pencha pour le Bouddhisme.

 

Une conception de l'histoire plus révolutionnaire qu'évolutionniste

Le monde fut toujours mondial, et rien n'y demeura longtemps stable. La tradition est une construction a posteriori. Il est facile de trouver dans la mode la plus superficielle des racines millénaires, mais en réalité, il n'y a pas de racines, même pas de mémoire, seulement une imagination rétroactive.

Celle-ci sert à nous cacher l'irrémédiable, car, je n'ai aucun doute là-dessus, ce qui est fait est fait. On ne peut pas, comme avec les jeux informatiques, recommencer une partie enregistrée. Rien ne nous obligeait d'inventer la roue ou de domestiquer le cheval, mais après, plus moyen d'y revenir.

L'Histoire se plaît à nous masquer cela, et à se donner des airs de progression continue. Paulhan disait, pour justifier son manque d'inclination pour elle, qu'il ne s'intéressait pas à ce qui aurait pu se passer autrement. Or, c'est cela que devrait être l'Histoire, et là où elle commencerait à devenir instructive : la science de l'improbable et de ses conséquences irréversibles, l'étude du patatras.

Oui, si ce n'est que l'histoire est moins celle de faits, que de la parole qui les dit — pas seulement celle qui les conte ou les commente, mais celle qui leur donne sens, les inspire et, finalement, les provoque. Rien n'est plus troublant que ce rapport fugace entre les faits opaques et la parole qui les rêve.

 

Les chevaliers du Marmat

La littérature palanzie possède de très anciens récits de chevalerie, qui n'ont, selon mes informations, jamais été traduits en aucune autre langue. Il semble qu'on ne connaisse pas non plus l'époque où ils furent écrits. D'après ce que j'ai compris, ce serait plutôt une forme de littérature récurrente — tout le contraire en tout cas d'une tradition orale — un genre toujours pratiqué, et remontant très loin dans le passé.

 

 

Le 4 août

Les gens du Marmat sont travailleurs

Les gens du Marmat sont travailleurs. À moins qu'ils se cachent quand ils ne travaillent pas. Ce matin, le voisin de Hammad me salue dans la petite rue en escaliers qui sépare leurs maisons. Il a accumulé des pierres et gâche du ciment. L'escalier est en effet mal en point.

Il m'apprend, mi par gestes, mi en mauvais anglais, qu'il fait bien sec, que ses foins sont rentrés, et qu'il en profite pour le restaurer. Je suis sorti l'aider.

 

C'est ainsi qu'ils sont. Personne ne s'est jamais demandé à qui appartiennent ces escaliers, ni qui est chargé de les entretenir. Si je devais rester longtemps ici je suis bien sûr que je ne manquerais pas d'occupations.

Ils travaillent beaucoup, mais ils ne travaillent pas longtemps à la même chose. Deux heures plus tard, le voisin du dessus, qui a fini de traire ses chèvres, prend la relève du premier, qui doit sortir du fumier. À ce train-là, ils ne s'arrêtent jamais.

Les gens se parlent volontiers, mais quand on les voit attablés autour de cafés ou de thés dans les lieux publics, c'est généralement pour échafauder des projets de cet ordre. Je crois qu'on appelle aussi cela travailler, chez moi, et qu'il en est qui ne travaillent d'aucune autre façon. Sinon, ils se lisent les derniers vers qu'ils ont écrits, ou parlent de versification.

Dans les entreprises aussi, la journée est plutôt courte, les tâches variées et le turn-over fréquent, à ce que m'a dit Razzy. Ils préfèrent avoir deux ou trois métiers, plutôt que de faire le même sans cesse.

 

La République Tasgarde des Conseils du Marmat

Le statut de la république est complexe, ou, plutôt, inhabituel, ce qui le rend dur à comprendre : République Tasgarde désigne un territoire proprement circonscrit par des frontières, tandis que Conseils du Marmat concerne une entité beaucoup plus large, quelque peu indistincte, et qui les excède largement. En effet, il existe des Conseils du Marmat bien au-delà des frontières, et la République est censée les représenter comme ceux de l'intérieur.

Ceci n'est pas sans poser des problèmes avec la république voisine du Gourpa. Les conseils qui s'y trouvent ayant voix dans la République Tasgarde, il en résulte une sorte d'ingérence dans les deux sens. Le gouvernement Tasgard dépend pour une forte proportion de ressortissants étrangers, mais ceux-là mêmes, par les réseaux des conseils, sont un moyen fort de pression sur le Gourpa. Il existerait même des quantités de conseils plus ou moins associés au Marmat dans d'autres nations voisines, voire plus lointaines. Ils étaient clandestins, peut-être quelque peu folkloriques, et même légendaires, à la fin du vingtième siècle, mais ils semblent sortir depuis quelques années de leur sommeil.

Cette situation comporte quelques dangers, et les causes de frictions ne manquent pas avec la République Démocratique du Gourpa, constituée sur la pleine autorité d'un état central. On a ici une formule pour les conjurer. On dit : « les républiques sœurs ».

 

Le nouveau régime

Personne n'a très bien compris, je crois, la nature des changements politiques qu'a connu le Marmat de 1989 à 1993, même pas, peut-être, ceux qui en ont été les acteurs. Tout commença par l'ouverture du marché à des capitaux étrangers. « Qu'avons-nous à en faire ? » s'interrogèrent des loyas. Mais ils en avaient bien besoin. Aucun pays ne peut vivre en totale autarcie. On ne va pas créer une industrie pour produire seulement douze excavatrices ou cinq locomotives ; et si l'on construit un haut-fourneau, on ne pourra pas l'éteindre quand on aura obtenu l'acier nécessaire. On doit donc échanger.

A-t-on besoin de stocker des devises pour cela, si l'on a des produits ? Eh oui. Il serait peut-être très simple d'échanger son acier contre des excavatrices, mais il faudrait, pour un tel troc, que celui qui en a besoin soit précisément le même qui possède des excavatrices en surnombre.

Il fallait donc des devises, et vite, quand bon nombre de pays voisins sombrait dans l'oppression et la misère.

 

Des montagnes et des nuages

Je ne saurais dire si les nuages sont plus beaux à la mer ou à la montagne. Chez moi, on voit le ciel jusqu'à cette ligne horizontale où il se confond avec la mer. Comme mon pays est la plupart du temps balayé par un vent sec venu des terres, cette ligne est pure, et l'on voit la formidable déformation qu'exerce sur eux la perspective jusqu'au point le plus étiré de l'horizon. Ce point commence ici à me manquer.

Les nuages sont beaux aussi en montagne. Ils sont différents. On les sent plus à l'aise promener entre les cimes. On les voit mieux pour ce qu'ils sont, non comme en Méditerranée où ils semblent exister seulement pour magnifier l'immensité du ciel. On les sent ici plus à égalité avec la montagne, qu'ils grandissent autant qu'elle les grandit.

Ils donnent envie de la grimper. Ils sont comme la main qu'elle nous tendrait. J'aimerais monter les rejoindre avec Hammad, mais je m'en sens bien incapable. Je crains le vertige.

 

Je ne crains pas n'importe quel vertige. Je l'ignore sur un échafaudage ou une grande échelle. Je peux réellement me tenir très haut au bord du vide sans le ressentir, mais à la condition que j'aie un vis-à-vis. À ce moment-là, je peux construire un horizon mental.

Je n'ai pas le vertige à marcher sur une poutre à plusieurs dizaines de mètres, car je ne me soucie pas de ce qui est au-dessous de moi. Pourquoi ferais-je un faux pas davantage qu'en longeant un trottoir ? Je ne pense pas plus au vide qui est sous moi que si j'étais sur un plancher.

En montagne, c'est différent. Je n'ai pas de vis-à-vis. Je n'ai pas un plan mental sur lequel prendre appui. Je ne peux ignorer le vide, même si je n'en suis pas au bord.

Ziddhâ s'étonne que j'ai le vertige à pied quand je ne l'ai pas en voiture ou en moto, comme à l'entrée de la vallée de l'Oumrouat. Le véhicule m'apporte, avec lui, cet horizon virtuel. Il est sur le plan de la route, et je me fais fort de ne pas l'en laisser sortir.

 

Hier soir, Hammad nous a passé des diapositives de ses randonnées. À seulement les regarder, j'en ai les jambes cotonneuses. Si j'accepte de le suivre, il est certain de me débarrasser du vertige. Si je suis parvenu à le vaincre dans les structures ordonnées des constructions de l'industrie, j'y parviendrai bien dans le désordre de la nature.

« Je t'apprendrai, me dit-il. C'est par la technique qu'on vainc ses peurs instinctives. » C'est un engagement lourd qu'il me propose. Si j'accepte, je sais que ce ne sera pas un petit stage d'initiation à l'alpinisme ; il m'offre un véritable chemin initiatique, après lequel je ne tremblerai plus en regardant sous moi.

 

« À propos, Hammad, lui ai-je demandé. Pourquoi avoir donné ce nom au Mont Iblis ? — Vaincs-le avec moi, tu le sauras. »

 

 

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