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Voyages à Bolgobol

À BOLGOBOL

Jean-Pierre Depetris

© 2003

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Cahier XXII
La nouvelle mosquée de Bolgobol





Le 11 juillet

Les Fardousy

La construction de la nouvelle moquée de Bolgobol retient souvent l'imam Fardousy loin de ses montagnes et de la vallée de Bin Al Azar. Ce n'est pas qu'il y soit directement impliqué, mais sa femme fait partie du groupe d'architectes qui supportent le projet.

« Jean-Pierre ! Je ne me doutais pas que Dieu fasse encore se croiser nos chemins, » dit-il en français en m'apercevant, et me serrant dans ses bras. En le saisissant par les épaules, je lui réponds en arabe : « Dieu donne sans compter. Je suis content de te revoir, Hammad. » Ce sont peut-être de bien grandes effusions pour un bout de route fait ensemble il y a à peine deux mois.

Jamilat Fardousy est nettement plus jeune que son mari. Tout de blanc vêtue, une capuche cache ses cheveux, et met en valeur ses yeux et ses lèvres, qu'un discret maquillage accentue encore. Son ample et légère robe de lin épouse les mouvements de toute sa silhouette. En regardant Hammad, je me demande comment il a pu séduire une telle beauté — peut-être simplement en sachant la voir.

J'observe, en la lui présentant, qu'il sait aussi voir Ziddhâ. Je lui glisse à l'oreille : « Tu as manifestement appris à reconnaître la magnificence de Dieu en toutes ses créatures ». « Plus que tu le crois, me répond-il en riant, béni soit Son nom. »

 

Après avoir ramené la moto ce matin à son propriétaire, j'ai accompagné Ziddhâ à l'université, où elle devait suivre un cours de Manzi, puis je suis retourné à la rue Al Kobra pour récupérer mon Powerbook et quelques affaires. Je suis ensuite allé l'attendre au parc Ibn Rochd en tenant mon journal. C'est là qu'elle m'a surpris en m'apprenant que Manzi et Douha allaient nous rejoindre après être allés chercher les Fardouzy avec qui ils devaient déjeuner ici-même.

 

La construction de la nouvelle mosquée

La nouvelle mosquée de Bolgobol est un projet coopératif. Il est parti du désir de quelques personnes de construire un lieu de prière ne s'inspirant pas de ce qui avait déjà été fait dans le passé. Il s'agit de tout repenser à zéro. Le but est d'allier la beauté, la fonctionnalité et le symbolisme en proscrivant la décoration.

La prohibition par l'Islam de toute figuration fait que l'esthétique des mosquées n'a d'autres ressources que l'architecture et la calligraphie. Aussi est-il parfois difficile de la goûter sans préparation ni connaissance de la langue. À supposer même qu'on identifie des lettres, on risque fort de n'y voir qu'une dentelle décorative. Il m'a fallu moi-même un certain temps pour y voir, ou plutôt pour entendre autre chose, car je crois que ce fut d'abord mon sens auditif qui entraîna les autres.

Mon regard courrait distraitement sur des motifs calligraphiques, quand je me suis mis à les prononcer mentalement. Spontanément, cette lecture s'est donnée une scansion, et très vite, tout s'est mis à vivre ensemble : le son, le sens, le dessin des lettres, l'architecture, la pierre, les mesures, l'espace, l'air, ma respiration... J'eus fait cette expérience à dix ans, je l'eus identifiée à la grâce ; en approchant la quarantaine, elle affermit simplement mon estime de l'homme.

Voilà ce que le projet entreprend de mettre en œuvre, sans s'appuyer sur les vieux procédés éprouvés, mais en les repensant complètement.

 

« C'est heureux que tu n'aies pas eu la grâce en voyant une mosquée, me dit Hammad quand je raconte l'anecdote, l'amour n'a pas besoin d'entremetteur. » Comme je faisais mine d'en attendre davantage, il continue : « L'amour seul fait se rencontrer les amants. Ce n'est pas la fonction des mosquées, des imams et des prêches, que de griser les fidèles pour les entremettre avec la divinité. Leur fonction serai plutôt de les dégriser. »

« C'est précisément à quoi nous nous attachons dans la conception de la mosquée, précise Jamilat. Je suppose que tu comprends bien ça. » Douha répond à mon regard interrogateur : « Oui, je leur ai parlé de ton intervention sur les Côtes du Rhône. »

 

Dialogue métaphysique

Peu à peu, tous ceux qui ont une occupation s'en vont, et même Ziddha, voyant la conversation bien engagée avec Hammad, se trouve une course à faire. Je lui donne les clés de la voiture qui nous attend devant le parc.

Comment les gens que je rencontre voient le monde est ce qui m'intéresse le plus quand je voyage. Il n'y a là aucune curiosité sociologique de ma part, pas même un désir de mieux les connaître, mais l'espoir, pas toujours déçu, qu'ils m'en révèlent des aspects qui me seraient restés invisibles sans eux, et qu'ils m'aident à accroître mon acuité. Fardousy a dû s'en rendre compte, car il accepte enfin de se risquer dans une controverse avec moi.

 

— Il me semble qu'il y a au moins autant d'athéismes qu'il y a de diversité de l'expérience religieuse. Dit-il

— Ton vocabulaire est de toute façon biaisé. Il tend à opposer athéisme et religion, alors que beaucoup de religions n'ont aucun dieu, et qu'il n'en est au fond qu'une seule qui n'en ait qu'un. Il sous-entend aussi que l'athéisme serait une dénégation du monothéisme.

Le terme d'athéisme tout particulièrement, est biaisé. Il suppose que l'existence d'un dieu irait de soi, qu'il serait, en somme, naturel de croire en son existence, et que certains, les athées, mettraient en doute, à tort ou à raison, cette croyance naturelle. Le fait est que c'est plutôt le monothéisme qui est une dénégation. Il commence d'ailleurs ainsi : « Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu. » (La ilah...)

— Une négation du polythéisme et de l'idolâtrie, remarque Hammad, pas de l'athéisme.

— Ça ne fait pas pour autant de l'athéisme une dénégation du monothéisme. Personne n'avait imaginé un Être Suprême avant les Prophètes du Moyen-Orient. Et la plupart des hommes ne croyaient pas plus à un dieu qu'à plusieurs, ni n'y croient maintenant.

— C'est vrai qu'il n'y a qu'un seul monothéisme, avec une seule origine, une seule histoire, même si c'est celle des guerres entre ses fidèles, une seule tradition, même si elle est soumise à controverses, une même dispersion autour d'un seul territoire. En quoi est-ce surprenant, puisqu'il n'y a qu'un Dieu ? Gloire à Lui et à Son Prophète.

 

Sommes-nous des personnages de fiction ?

— Suppose donc qu'un Dieu tout-puissant ait créé l'homme, suggèré-je. Alors l'homme qui croit cela doit être cohérent et se considérer comme un personnage de fiction.

— Mais il nous a créés réellement.

— N'importe, il manquerait alors quelque chose au réel. Il peut être valorisant d'être un personnage de fiction, surtout si l'on entretient des liens intimes avec son créateur. Il y a bien là de quoi compenser une perte de réalité. L'important est surtout d'être « sous un regard », dans une parole, être dans et par cela.

— Je ne doute pas que ce que tu énonces soit un ressort de l'existence positive des religions. C'est pourtant pure infidélité envers les textes fondateurs et le contenu des Écritures.

 

« Suppose un Dieu créateur, ajouté-je, et qui soit donc un vrai créateur, laissant sa créature lui échapper. Suppose que, partant d'une telle croyance, tu te mettes à douter. De quoi douterais-tu alors ? Suppose au contraire que rien n'ait créé le monde ni l'homme. Quelle conséquence induit une telle affirmation ? Pour le moins, elle ouvre un champ immense au possible. Sans doute aussi réunifie-t-elle ce possible et le réel. Tout ce qui est possible est en œuvre — par exemple, l'évolution des espèces. »

« Accepte au moins un instant de te convaincre que rien ne t'ait créé. Dans ce cas, aucun regard ne te recouvre quand tu es seul. Aucune oreille ne t'écoute, aucune voix ne te parle... Tente de te convaincre que tu es seul. Ne sens que le sol sous tes pieds, le vent dans tes cheveux. Tu perçois le monde et tu te perçois aussi dans ce monde. Tente alors de sonder cette perception. Peux-tu y parvenir aussi bien que le Dieu que tu aurais imaginé. Ne te sens-tu pas insondable, vide, ou plutôt chargé de toute virtualité ? »

« Vois-tu, quand je lis les Écritures, répond-il, ce sont de telles expériences que j'y découvre. Ce doute complet à propos de tout ce qui n'est pas ta propre expérience est précisément ce qui te conduit à ton Seigneur. Tu es français, et tu peux lire Descartes dans le texte : c'est le seul noyau de certitude que dégage son doute radical, et sur lequel il peut étayer toutes les autres. »

 

«  Prends cette image au pied de la lettre, insisté-je : La religion est l'opium du peuple. Demande-toi alors comment la drogue agit sur le sujet devenu dépendant. Quel est en réalité l'objet le plus intime de sa croyance ? N'est-ce pas : "Je sais qui je suis car je ne suis pas seulement pour moi mais d'abord pour un autre ?" »

« Et quel autre justement ? Répond-il. En quoi Dieu serait-il alors plus nécessaire que n'importe qui ? Ce Dieu n'est d'ailleurs la plupart du temps qu'une croyance collective. Si je crois en Dieu parce que tout le monde y croit, c'est donc que je ne crois pas en Lui mais en tout le monde. Or, ce tout-le-monde, les-autres, la-société, selon comment tu veux l'appeler, ne constitue-t-il pas un sujet tout à fait apte au même usage : garantir l'identité ? N'est-ce pas ainsi que l'Occident Chrétien, en devenant l'Occident Moderne, est passé de l'opium à l'héroïne ? »

« Tu me propose ta maxime la religion est l'opium du peuple comme une image. Je t'en donne une autre : Le Créateur nous révèle la réalité de sa création, et par la connaissance que nous en acquérons, nous nous rapprochons de Lui. Elle ne sonne pas très moderne. Elle est pourtant à la source de la modernité. Pourquoi ne serait-ce pas aussi une image ? C'est une bonne image et qui a fait ses preuves. »

« Les héritiers des Modernes ne diraient plus cela aujourd'hui. Ils penseraient plutôt : La société nous donne des représentations qui nous permettent de mieux connaître le monde qui nous entoure, et par cette connaissance, nous nous insérons mieux dans la société. »

 

« Si le premier discours est une image, continue-t-il, ce dernier en est une autre, et elles ont manifestement un air de parenté. Est-ce encore une bonne image ? »

« Apparemment, on s'est débarrassé de Dieu, mais le réel est passé avec lui à la trappe. Cette dernière image me semble beaucoup plus pauvre que la première, où chaque terme était éclairé par les autres : un même Être produit le monde et ma connaissance du monde, et cette dernière me fait aussi connaître cet Être. S'il est vrai que la première proposition ne nous apprend pas grand-chose sur ce qu'elle met derrière les mots, elle nous dit au moins comment en apprendre plus : étudier le monde réel, l'étudier et le comprendre du point de vue de sa production et de sa reproduction. »

« La société, elle, ne produit pas le monde, ni n'est le monde réel ; elle n'est ni la créature ni le créateur. Aussi, si la seconde proposition est une image, elle est une image pauvre. Au mieux, définit-elle l'homme comme un animal d'élevage, une machine programmée ne sachant même pas par qui. »

« À cette science d'oulémas laïques, j'aime encore mieux l'évêque Berkeley ou les philosophes de Port-Royal. Cerveau, Dieu, Société, ce ne sont que des images, et c'est ce qu'elles figurent qu'il serait bon d'entendre. »

 

« Je t'entends bien, le coupé-je. Je ne dis pas le contraire. Je dis simplement que si l'on suppose un Dieu puis si l'on cherche à l'enlever, on finit toujours par le remplacer. Qu'ai-je à dénier une dénégation du polythéisme et de l'idolâtrie ? Je ne suis ni polythéiste, ni idolâtre. »

« Cependant, tu l'as relevé toi-même, nous sommes en train de jouer avec des images, nous manipulons des jeux de langage ; l'important est à quoi l'on s'en sert. Je perçois ton usage. »

 

« Regarde, Jean-Pierre » me dit Hammad en pointant les cimes dans la perspective du musée des techniques. « Regarde l'horizon », précise-t-il, voyant que je cherche ce qu'il me montre. « Aussi proches que nous soyons l'un de l'autre, l'horizon que tu voies ne sera pas identique au mien. Tu te déplaces et il se déplace avec toi. Aucune carte, aucun plan ne contient jamais l'horizon. Il n'est qu'à la place où tu es au moment où tu y es. Diras-tu qu'il n'exite pas parce qu'il n'existe que pour toi ? Ou pour moi ? »

« Tu ne sais dire où habite l'horizon. Diras-tu qu'il n'existe pas ?  — Il existe, le rassuré-je, mais ne viens-tu pas de dire que c'est moi, toi, toute vie, qui le fait exister, et même s'élargir ? »

« Il n'en demeure pas moins toujours au-delà de toi. Mais je t'entends aussi, poursuit-il en voyant bien que cette rhétorique ne nous mènerait maintenant plus à rien, et je perçois l'usage de ton langage. Pourtant tu me surprends. Je me serais attendu à ce que tu parles d'une troisième personne. »

« Laquelle ? »

« Le spectateur, bien sûr. Tu parles d'auteur et de personnage. Que fais-tu du spectateur ? Lui seul est fictif, et empêche la créature de brûler à la flamme du Créateur. »

 

 

Le 12 juillet

J'ai encore travaillé à illustrer mon journal

J'ai encore travaillé aujourd'hui à illustrer mon journal. Comme je n'ai ni scanner, ni appareil photo numérique, l'entreprise n'est pas facile. Je ne suis pas maladroit en croquis, mais il n'est pas question d'employer la souris comme un crayon, une plume ou un pinceau. Je n'ai pas davantage de palette graphique, ni de logiciel de traitement d'image ou de dessin très perfectionnés. Je n'ai donc d'autre ressource que d'utiliser des images qui sont déjà sur le net, notamment sur des sites touristiques locaux.

Au début, je me suis contenté de placer sur ma page de simples URL en laissant l'image originale sur son site. J'en ai tout au plus modifié la taille. Le résultat n'était pas très satisfaisant.

D'une part, il est un peu bête de prendre du temps à charger une image de taille importante pour l'afficher dans un format réduit. Il est certainement préférable d'en conserver une copie plus rapide à afficher sur son propre serveur. Ce choix me limitait à des images explicitement libres de droits, ou m'imposait de demander des autorisations. (Je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'afficher une image dans un autre format, même si elle reste identique sur son site d'origine, ne soit pas la modifier et trahir son auteur.)

D'autre part, ces images piquées de-ci de-là créaient une cacophonie de tons sur ma page, et je préférais en modifier la pixélisation, la luminosité, les contrastes et la balance des couleurs. Je souhaitais les recadrer aussi.

 

En me lançant dans un tel travail, je ne pouvais qu'expérimenter et observer ce que je savais déjà bien un peu. Une image ne montre que ce qu'on lui fait montrer, et elle n'a en réalité qu'un lointain rapport avec ce qui est effectivement photographié.

Je me suis donc pris au jeu, et mis à utiliser des images qui n'avaient plus aucun rapport avec les lieux que je traversais, me contentant de les modifier jusqu'à ce qu'elles leur ressemblent. C'est étonnamment facile. C'est au moins aussi facile que produire sur une surface vierge une image au crayon ou au pinceau — à moins que ce ne soit aussi difficile, selon le point de vue auquel on se place.

 

On aurait peine à croire comment des détails, en changeant, peuvent changer un ensemble, ou comment un ensemble peut changer des détails. On efface, on estompe, on duplique des fragments avec l'outil tampon, on dilate des parties de la surface, on en contracte d'autres. On colle un premier plan sur le fond d'une autre photo, on modifie les proportions.

On finit par se demander à quoi tient exactement une ressemblance, à quoi l'on identifie un lieu, une forme, un visage. On finit par se demander ce que l'on voit exactement quand on regarde. En travaillant les détails d'une image, on doit bien constater que l'on n'avait d'abord rien vu.

Et pourtant on voit beaucoup plus que l'on aurait à voir. Si l'on y prête attention, la phénoménologie de la vision est très proche de l'hallucination.

 

Tout fonctionne comme avec l'écriture. C'est incroyable tout ce que l'on peut percevoir, sentir, comprendre dans quelques lignes, alors qu'on ne les voit pas à proprement parler. C'est étonnant ce que chacun pourra y lire, qu'il les ait ou non bien comprises, alors que si on l'interroge, il devra admettre qu'il n'a rien remarqué du temps et des personnes, de la construction grammaticale, ni du choix de certains mots plutôt que d'autres. Tous ces aspects auront pourtant agi sur son esprit, et auront même agi si bien que son imagination en produira plus qu'il ne lui en était donné.

Les poètes japonais ont poussé plus loin que quiconque l'art de reconstituer des images complètes à l'aide de seulement dix-sept syllabes.

 

Pierre Laurent Faure a fait allusion à Jules Verne dans un récent courriel à propos de mon journal. « Ton journal de voyage est un moyen bien commode d'accéder à des points théoriques complexes — il est vrai que je te lis trop pour te rassurer ici. Je pourrais également te parler de passages qui m'ont ennuyé, mais je ne suis même pas sûr qu'ils ne soient pas essentiels à un autre moment du texte où je me suis délecté. Et puis ce n'est pas parce que Jules Verne m'ennuie lorsqu'il joue un peu trop au géologue qu'il ennuie tout le monde. »

Cela m'a rappelé les magnifiques illustrations de L. Benett dans l'édition originale de Hetzel, et m'a donné l'idée d'utiliser un filtre pour transformer toutes mes photos en gravures.

Si l'on utilise un seul filtre, le résultat n'est pas bon. Il vaut mieux en utiliser au moins deux, sur deux calques différents, et jouer alors sur la transparence de celui que l'on met dessus. Il n'est pas exclu de varier localement le niveau de transparence, ou même de gommer quelques traits avec un fort grossissement.

Il est préférable, le plus souvent, d'appliquer ce traitement à l'image avant de la réduire, sinon il risque d'être dur de contrôler les traits. Comme tous les outils, il faut de toute façon d'abord le prendre en main.

 

On pourrait croire que les nombreuses images qui accompagnent mon journal m'ont pris énormément de temps. Il n'en est rien. J'ai travaillé très vite sur des copies, et me suis fait une contrainte de ne rien enregistrer avant la fin, comme lorsqu'on travaille à la plume et qu'on ne peut rien retoucher.

La remarquable ressource qu'offre l'informatique de tout pouvoir retoucher à chaque instant peut très vite se révéler désastreuse. J'ai rencontré des gens rendus stériles, ou seulement insipides, pour ne pas avoir su se méfier de l'excès de moyens. (Jean Ricardou parle avec pertinence des dangers de l'excès de moyens dans le numéro 7/8 d'À TRAVERS CHAMPS. <http://jdepetris.free.fr/pages/atc.html>)

J'ai travaillé très vite, sans me reprendre, et certaines images ne m'ont pas demandé plus de dix minutes, une fois que j'ai eu systématisé la façon de m'y prendre. Ce qui ne se fait pas vite ne se fera pas nécessairement en plus de temps. Sans une certaine vitesse, le galet cesse de ricocher sur l'eau.

 

Le portrait de Ziddhâ

J'en ai fait tout particulièrement l'expérience avec le portrait de Ziddhâ. Je n'ai pas utilisé une photo d'elle. C'est celle d'une femme qui ne lui ressemblait même pas, mais avait une attitude qui lui était caractéristique, et que je me suis efforcé d'accentuer.

Bien sûr, j'ai retouché la forme du visage, du nez, j'ai changé le regard, modifié, presque un à un, quelques pixels dans le blanc de l'œil et dans l'ombre des paupières, et tous ceux qui la connaissent ont crû que c'était elle.

Je ne pense pas pourtant que ceux qui ne la connaissent pas puissent l'imaginer telle qu'elle est. J'ai donc repris son portrait en tentant d'accentuer davantage son type, mais je ne suis plus alors parvenu à conserver la spontanéité de sa posture. Ces choses là s'attrapent au vol, d'un seul coup, comme on tire un gibier.

 

 

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