III TEXTE ET OBJET LOGIQUE
La notion dobjet logique
Un système combinatoire repose sur un nombre fini de signes quil doit être possible de distinguer les uns des autres.
En Français, il existe des façons très différentes de prononcer la lettre r de lAlsace à la Catalogne. Ces sons distincts correspondent pourtant au même phonème, alors que ce nest pas le cas dans dautre langues. De même, le Japonais possède un phonème qui correspond à un r roulé très proche du l. Si un étranger le prononce plutôt l ou plutôt r, aucune confusion ne sera possible, car il nexiste aucun phonème approchant dans le Japonais. LArabe a au contraire plusieurs lettres et phonèmes qui se prononcent comme les différentes acceptions du r en Français.
Nous avons donc un jeu complet, une « boîte », contenant un nombre précis dobjets nettement identifiables les uns des autres.
Cest un peu comme un jeu déchecs. Du moment quon peut distinguer les pièces les unes des autres, elles peuvent bien épouser nimporte quelle forme.
Il serait tout à fait envisageable de remplacer des lettres par des numéros. On numéroterait, par exemple, de 1 à 26 les principaux caractères, on ajouterait un indice pour indiquer les haut de casse. On numéroterait les accents, les signes de ponctuation, et même, si lon veut, les espaces. Il existe bien des possibilités.
De même, la forme particulière dune pièce de jeu déchecs na aucune importance en soi, et sert seulement à la distinguer des autres pièces.
Ce qui est vrai du signe visuel lest tout autant du signe sonore. Depuis quon sait enregistrer du son, la prononciation du Français à changé. Il est probables quon ne comprendrait plus aujourdhui le Français tel que quil se parlait au dix-septième siècle, alors quon est parfaitement capable de le lire.
On peut jouer aux échecs avec nimporte quoi. Une salière et un moulin à poivre peuvent faire une reine et un roi convenables. On peut aussi bien décider dappeler la reine « salière », et le roi « moulin à poivre », même si lon joue avec des pièces qui représentent une reine et un roi. Seules importent finalement les règles de déplacement des pièces.
On peut remplacer les pièces par des lettres, et même remplacer léchiquier par des coordonnées. Bref, le jeu déchec nest pas un ensemble dobjets physiques, léchiquier et les pièces, mais plutôt dobjets logiques : système de coordonnées et règles de déplacement.
Les objets physiques ne servent quà donner une représentation intuitive des objets logiques. Les caractères, les phonèmes, voire les signes du Braille, ne sont eux-mêmes que des figurations intuitives de tels objets logiques.
Objet et symbole
Tout symbole est un objet, mais tout objet nest pas un symbole. Un symbole est un objet qui
réfère à autre chose. Cet autre-chose peut être un autre objet, un concept, une
notion
un paradigme, ou tout ce que lon voudra. Par exemple, le symbole $ renvoie à la
monnaie des USA.
Dans certains cas, un symbole renvoie à un objet logique, et un objet logique nest pas exactement
la même chose quun symbole logique. Par exemple, les symboles ¬
ou pourraient être remplacés par dautres
(constitutifs dun autre langage) ou encore écrits en langues
naturelles : non, et no, and la, wa, tout en gardant leur même fonction de connecteurs logiques. Un objet logique nest pas pour autant assimilable à un concept concepts de négation ou dassociativité en loccurrence ni à quoi que ce soit de cet ordre ce que les classiques avaient appelés « les intelligibles ».
Pourquoi cela ? Parce quil nest pas nécessaire quils soient compris pour quils assurent leur fonction. Par exemple les lettres a et b nont pas à être comprises de quelque façon que ce soit, elles nont dailleurs intrinsèquement aucune signification, pour assurer leur nature et leur fonction de lettres.
Plus encore, les lettres a et b ne sont pas ces lettres a et b ci. Elles ne sont aucune occurrence particulière de a et de b. Certes, elles nexistent que si elles sont figurées dune manière ou dune autre, dans une écriture manuelle ou dans une police particulière, ou encore si elles sont prononcées, mais leurs occurrences ne sont alors que des figurations possibles parmi dautres. Des figurations de quoi ? Dobjets logiques quelles sont.
Lobjet logique est donc quelque chose de beaucoup plus « vide » quun concept. Il na ni sens ni contenu. Et il est à la fois aussi, par ses propriétés, très proche de lobjet concret. Une virgule mal placée dans une opération algébrique rendra erronée toutes les opérations, aussi sûrement et bêtement quun caillou pourrait nous faire trébucher et cela, même, et surtout, si cest une machine qui effectue les opérations.
Caractères et objets logiques
Nous avons évoqué plus haut la notion de caractères spéciaux. Certains dentre eux sont des lettres spécifiques à certaines langues nationales au sein dune même famille, comme le ß allemand, où des lettres standards accompagnées de signes diacritiques comme accents ou cédille. Elles ont donc le même statut que les 26 lettres standards de lalphabet ; elles ont une valeur phonétique et sont dépourvues de valeur sémantique, et fonctionnent selon le principe de la double articulation.
Dautres caractères spéciaux sont des symboles. Ils ont une signification pour
eux-mêmes, comme $, √, π
, et lon
peut les prononcer de diverses façons en différentes langues, sans que leur signification ne soit
changée. En cela, ils fonctionnent comme les chiffres. Ils sont dailleurs souvent des connecteurs
numériques ou logiques.
Il ne reste alors plus dans notre schéma que les signes de ponctuation et les caractères invisibles qui introduisent dans le texte des ruptures et des respirations. Les premiers sont des signes visibles qui ont une valeur sonore, les seconds sont des signes invisibles qui marquent des espaces visibles.
Nous avons besoin dafficher les caractères invisibles seulement quand nous éditons un texte, sinon nous préférons les masquer quand nous lisons, et même quand nous écrivons. Les espaces vides quils gèrent sont leur raison dêtre. Aussi, les caractères invisibles et les signes de ponctuations ont des fonctions et des statuts similaires et peuvent être regroupés sous la même rubrique.
Évidemment, chaque caractère na pas une identité si tranchée, puisque nous pouvons utiliser une virgule ou des parenthèses comme connecteurs numériques, ou des lettres comme des symboles numérique dans une équation. Cest une conséquence du rapport entre objet et symbole. Chaque caractère, comme chaque objet, peut fonctionner comme symbole.
La Version 01 française de
Qu'est-ce qu'un texte ? est constitué
de 16 fichiet html associés à une feuille de style (text1.css)
et d'un dossier "graphics" contenant 15 fichiers,
réunis dans un fchier
txt_fr, que l'on peut librement télécharger.
© Jean-Pierre Depétris, avril 2002, avril 2003
Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer
et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre.
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