Jean Pierre Depétris
LE LIVRE
DES
DEMEURES VERTEBRALES
- Pour entrer et sortir a été publié dans Détours dÉcriture 9.
- Stèle de la flamme gardée et Stèle de La Dame aux Reflets Rouges
ont été publiés dans Les cahiers de la Vierge Noire
- Stèle dune conception
a été publié dans Stélaire, cahier 3/4.
- Pour façonner des figures, dans une sérigraphie de Guy Cousin,
a été tiré à 60 exemplaires par les éditions Collodion.
Le Livre des demeures vertébrales est constituée d'un dossier
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© Jean-Pierre Depétris, 1985, 2002
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TABLE
Première partie
I. Pour conserver lusage de lécriture
II Pour entrer et sortir
III Pour sortir du sommeil
IV Pour passer le seuil
V Pour traverser
VI Stèle de la flamme gardée
VII Pour trouver la fraîcheur
VIII Stèle de La Dame aux Reflets Rouges
IX Pour marcher sur les richesses
X Stèle dune conception
XI Pour façonner des figures
Première partie
I
POUR CONSERVER LUSAGE DE LÉCRITURE
Voilà le ciel déployé et tendu
Comme un drap
Voilà le rouleau écrit
Les étoiles sont les lettres de mes paroles
Mes cils sont les pieux qui tendent la toile
Et font résonner lil Solaire
Ils sont les rayons de la roue
Je ne crains pas la mort
Je ne connais pas la perte de mémoire
Mon nom est « Le-Maître-de-lOubli »
Le monde vieillira seul
Vois! Je trace une route
Elle se tord comme un serpent
Quand on lui écrase la tête
Avec un bâton droit
Vois! Je suis une pluie
Qui fait réfléchir les pierres
Mieux que toute chose
Vois! Ma route sétend
Elle est devenue droite
Sous leffet de mon rayon
Les animaux aiment cette chaleur
Ils viennent sétendre sur lasphalte fumante
Et se font écraser
Lessieu de mes roues les broie
Je ne suis pas Celui-qui-ne-sait-où-il-va
Je ne suis pas Celui-qui-attend
Le Soleil étend ses nuages devant lui
Et les frappe
Mes paroles sont ses rayons qui tonnent
Mon souffle agite le voile des mots
Ils viennent dune bouche
Que garde un sphinx silencieux
Je suis loreille tendue
Qui pointe des feuillages
Comment la distinguer dans la nuit
Si mon jour aveugle ?
Je suis : « Celui-qui-tient-la-main-de-la-peur »
Je suis : « Celui-qui-guide-la-peur »
Elle ne cherche pas à se dégager
Car elle a peur
Voici « Celle-qui-invite-au-bal »
Voici « La-porteuse-de-masque »
Tu ne portes rien sous ton déguisement
Pas même un corps
Vois! Je connais tes noms
Ils sont « Porteuse-du-regard »
« Entrouvreuse-des-lèvres »
« Celle-qui-na-pas-besoin-de-visage »
Vois! Je viens du dedans
Vois! Jai ouvert la peau du serpent
Voici que junifie les deux mondes
Et que je sépare les eaux
Voici les puissances que jassemble
Pour recevoir de moi
LOuverture que je montre
Et la Sortie que je cache
Je suis « La-fenêtre-ouvrant-sur-la-rue »
Je déchiffre ses signes incrustés
Je déchiffre ses mouvements
Je suis lOuverture du Livre
Je suis le Livre
Qui-nest-jamais-vraiment-écrit
Je suis le Livre
Qui-ouvre-sur-la-rue
Je suis la fenêtre
Qui donne sur le vide
Je possède la Vérité
Et la Foi au mensonge
Je suis le Mensonge Réel
Entends! Lascenseur sest arrêté
Les paliers pourraient être les cases dun jeu
Je te salue
« Celle-qui-invite-masquée »
Je te salue
Toi « Qui-rend-visible-le-masque »
Vois! Je connais tes noms
« Vierge-enceinte-de-lenfant »
« Celle-qui-porte-un-monde-dans-son-ventre »
Maintenant jinterroge le bruit
« Que dis-tu ? Tes paroles se tressent
Elles vibrent »
Je sais que le réseau des mots est sous tension
Tu te tromperais en interrogeant les noms
Comme on pèse le cur des morts
Quelque chose circule là-dedans
Tu prendrais le jus si tu y mettais les doigts
Voilà que je dénude les noms
Comme on dénude un fil
On écorche un serpent
Je sens un cave sous moi
Sous ma peau
Javale tant dair
Je suis si avide dair
Je veux le garder me creuser davantage
Pas me gonfler me creuser
Je suis une nuit peuplée
Je suis lombre épaisse des ramures
Quagite le vent
Le vent je le sens
Je le sens sous moi
Sous ma peau
Plus terrible quà la surface
Car ce vent a une voix
Ma peau est comme une protection
Ma peau est un rempart
Vois! Je suis sorti de ma peau
Je me suis réfugié dehors
Vois! Cest dehors que je règne
Nous ny sommes pas seuls
Et nous savons nous défendre
Voici les deux pointes de cuivre
Voici la langue fourchue
Je suis celui qui apporte le tremblement de la fièvre
Je suis le Réel
Je suis le Vibrant
Voici mon nom secret
« Est-il-vrai-que-tout-tremble ? »
Je suis celui qui dit
« Ce nest pas le sens qui vaut mais la morsure »
À chaque instant je traverse la mort
En pulsations
Je traverses la mort à chaque instant
Je suis celui qui fait voir
Une image mobile
Avec les images fixes
Qui défilent sur lécran
Ma réflexion a la pureté
Dun miroir sans tain
III
POUR SORTIR DU SOMMEIL
Je vois écrire un rapace dans mon rêve
Dans le ciel il prend appui sur ses plumes
Mais il écrit avec son bec
Voilà que le ciel devient pâle
Je connais la signification
Qui se vêt de ce gris lumineux
Une lumière de certitude
Est cachée en lui
Je sais le nom secret
De celui qui ouvre le ciel
Son nom est
« Celui-qui-conçoit-la-sortie »
Un soleil gainé
Beau comme un fil de cuivre
Avec deux dents
Tendues comme des fiches
Le venin circule dune dent à lautre
Vois! Derrière le gris lumineux
La bouche du soleil
Derrière le ciel écaillé
Le ciel laiteux
Je sais un serpent lové dans mon crâne
Il descend le long de ma colonne vertébrale
Par un étroit canal
Creusé dans mes vertèbres
Le serpent surgit à mon front
Malheur à qui le verra surgir de mon front!
Qui verra sa langue dénudée
Comme deux fils de cuivre
Et sa gueule grande ouverte sur la lumière
Je sais aussi mon corps de femme
Celui que jai laissé derrière
Derrière ma peau
Le creux de son vagin
À lautre face de mon sexe
Ouvrant sur la matrice du Réel
Je sais la parole belle
Comme la réversibilité de la mort
Quand elle plonge ses racines
Du bon côté
Comme la faille dune roche
Où sinstalle un essaim
Voici « Lours-blanc-aux-ailes-de-dentelle »
Voici « Celui-qui-sait-parler-aux-abeilles »
Il dit des paroles suaves comme le miel
Vois le vol compact des abeilles
Et entends leur bourdonnement!
Je les ai enserrées dans un tube étroit
Je les fais circuler ainsi
Je leur prends la force de leurs ailes battantes
Leur transparence tendue
Et leur venin
Plus délicieux que le miel
Je suis un Miel Douloureux
La face boursouflée du Soleil
Avant quelle néclate
Ne souvre sur le feu de sa brûlure
Entends encore ce cri terrible
Cette bouche démesurée qui sétire
Jusquà la complète extinction de la face
Je suis le doigt pointé
Je suis lencre renversée
Jécris le nom dun cyclone
Le ciel est mon crâne ouvert
Voici lombre qui revient
Voici lombre qui mentoure
Je suis le maître des mains luisantes
Ma respiration est lente
La sueur me recouvre
Voilà que la chaleur monte
Voilà que je monte aussi
Lascenseur ne sarrête plus aux étages
Et les chiffres sont comme les numéros dune roulette
Je ne songe pas à redescendre
Je suis la corne du bouc
Quand elle se remplit dair et sonne
Je suis la corne de brume
Je suis la corne renversée du typhon
Je suis la corne creuse
Qui est dépourvue de surface
Entends-tu ? Lascenseur monte toujours
Lhumidité porte le bruit
Voilà que je sors mon mouchoir
Et que je louvre en grand
Voilà que je défie la nuit
Mes noms y sont écrits
« Celui-qui-conçoit-la-sortie »
« Celui-qui-fixe-lidée »
Voilà que jouvre ma main
Comme on ouvre une porte
Et je passe
VI
STÈLE DE LA FLAMME GARDÉE
Voici la barque des morts
Jy suis assis
Elle remonte un fleuve sonore
Cest moi qui suis à sa poupe la conduit
Et je me reconnais
Entends-tu le courant du fleuve
Son cours est semé de pieux et de lames
Les bruits quils émettent
Les sons de ses remous
Sont exactement mesurés
Entends-tu chaque mouvement deau
Qui rend un son précis
Le fleuve coule comme un chant
Qui a réalisé cet arrangement singulier
Chercherais-tu à deviner des paroles
La langue en est inconnue
Le fleuve égrène des syllabes qui saccordent
Comme un filet elles se tressent
Le sens je le cherche dans le courant
Quimporte la langue quelle soit connue ou pas
La barque des morts descend le fleuve
Voici le briquet en forme de barque
Voici La Barque qui transporte une flamme allumée
Voici le Navire à la proue ardente
Le feu me brûlera-t-il si jobéis
À la soif que jai de lui
Mon corps me conduit vers la flamme
Ce nest pas pour brûler
Si javance mes lèvres
Comment puis-je ouvrir une bouche aussi grande ?
Mes lèvres sélargissent
Sélargissent toujours
En moi la peur creuse son gouffre
Mais très au fond de moi
Ce fond là nest rien devant la bouche démesurée
Qui ne cesse de sagrandir
Je connais lhorreur de la brûlure
Mais la flamme non plus nest rien devant ma bouche ouverte
Rien ne pourrait matteindre
Que je naie dabord englouti
Deuxième partie
VII
POUR TROUVER LA FRAÎCHEUR
Voici la fête foraine
Et ses baraques rangées
Voici la lumière et le bruit
Tu peux les quitter
Par des ruelles obscures
Sens lhumidité du soir
Ne dirait-on pas de la ouate ?
Les lumières et les bruits
Quelle étouffe
Deviennent cassants et fragiles
Voici les objets macabres
Rangés dans les baraques
Voici les crânes de plastique
Et les squelettes de papier
Voici les images grotesques
Et tu les reconnais
Leurs noms sont
« Farces-et-attrapes »
Voici « La-Grimace-qui-grime »
Voici « La-Grimace-qui-masque »
Voici « Le-Masque-gris »
Maintenant tu lis les choses une à une
Comme tu mangerais des frites
Ici est la dérision du sacré
Ici est la Sainte Dérision
Son nom est « Celui-qui-singe »
Son nom est « Celui-qui-signe »
Vois les lumières sur la nuit
Vois le sillage décume
Et les courants deau noire
Qui se heurtent
Ici est le tourbillon
Où sarrêtent les bois morts
Et tournent stupidement
Ecoute!
Ce sont les vagues du rivage
Entends-tu le ressac ?
Déjà tu ne peux plus partir
Déjà tu attends lautre vague
À moins que tu nattendes
Quelque chose de définitif
Comme une machine à sous
Qui finit par cracher
Elles te parlent Entends-tu ?
Elles te disent
« La grossièreté est le fruit dun travail
Elle nest pas naturelle
Elle nest pas naïve »
Elles te disent
« La magie tient beaucoup
Aux jambes bronzées des filles
Aux pieds négligemment enfilés
Dans des espadrilles »
Elles te parlent Entends-tu ?
Elles te disent
« Nous sommes la tentation soutenue
De léclat
Nous sommes les vagues du rivage »
Tu avances parmi les rangées de baraques
Et tu prononces ces paroles
« Voyez!
Je suis le maître de la foire
Je suis le bateleur
Mes noms sont
Masque-qui-ne-masque-rien
Moule-où-senfonce-largile »
Tu avances parmi les stands
Tu vas au cur de la foire
Là où est un lavoir
Et tu dis
« Je suis le masque qui crée le Réel
Le mensonge contre lequel
La Vérité prend corps
Je suis les cercles vicieux du temps
Dans lesquels la matière se trame
Comme un cordage »
Tu es au cur de la foire
Tu es devant le lavoir
Tu entres maintenant dans son ombre
VIII
STÈLE
à
LA DAME AUX REFLETS ROUGES
Javais rêvé dautres éclats
bien sur jentends aussi par éclats
brisures
Jai connu une femme en présence de qui
tout semblait se colorer de rouge
Cétait à peine perceptible
Dailleurs je ne men aperçus pas dabord
en sa présence
mais seulement à son départ
Elle me conduisit un jour
sur la berge dune rivière
où était un banc de galets
singulièrement vaste
Pendant des heures elle me fit découvrir
sur les faces des pierres
des choses que je navais jamais osé imaginer
À mon retour
il me semblait que je pouvais percevoir
le poids spécifique de mon squelette
dans chacun de mes mouvements
IX
POUR MARCHER SUR LES RICHESSES
Vois!
Tu arrives dans la ville
Tu entres dans la ville
Vois-tu les lézards ?
Il y en a partout
En as-tu jamais vu autant ?
Savais-tu quils étaient si nombreux ?
Savais-tu quil ny avait rien dautre que des lézards
Dans la ville ?
Vois!
Jentre dans la ville
Je tente de percer lénigme
De leur sourire
Puis lénigme de leur regard
Puis celle du battement de leurs tempes
Celle de londulation de leur queue
Celle de la position de leurs doigts
Sur la pierre chaude
Vois!
Je pénètre dans la ville
Je savais tout cela
Jen avais été prévenu
Je regarde les doigts des lézards
Contre la surface pierreuse
Quils ne détournent pas mon attention
De cette surface
Mais quils me mettent sur la voie
Quils me fassent percevoir le tressage
Que grâce à eux
Au faible contacte de leurs doigts
Sur la pierre
Aux ondulations de leur corps
Aux battements de leurs tempes
À leur regard
À leur sourire fermé
Japerçoive le tressage
Que je le vois enfin!
Vois!
Tout est tressé autour de toi
Vois combien ce tressage est ténu
Vois comme il est serré
Si serré
Que ce ne sont plus tes yeux
Qui le voient
Quand ils scrutent la pierre
Quand ils voient sa surface inclinée
Dans la pleine lumière
Comme un panier tressé
Chaque fibre
Est tressée de fibres plus petites
Regarde!
Ne semblent-elles pas couler ?
Regarde!
Et que cela témeuve
Regarde la poussière
Regarde la poussière qui en sort
Elle jaillit
La poussière
Ne dirait-on pas de l'écume ?
Ne dirait-on pas quelle bouillonne ?
Elle est comme une écume terne
Vois la poussière qui jaillit!
Vois les grains de poussière!
On dirait des mottes de terre
Ou des boules dalgues sèches
Qui jonchent les plages
Vois!
Vois comme tout est tressé
Distingues-tu les fils de la trame ?
Selon comment je regarde
Je crois voir un pelage
Ou encore une toile peinte
Qui lorsque japproche les yeux
Laisse voir imprimée dans la pâte
La trace des poils du pinceau
Vois!
Un pelage lustré
Un pelage huileux
Comme si la peinture nétait pas encore sèche
Huileux
Mais surtout pas humide
Voici les herbes jaunes
Sous le soleil
Voici les sacs de jute
Qui enferment les graines
Je suis lil-de-Porcelaine
Je suis le Silence-de-lHôpital
Et je connais les quatre noms des couleurs
Le blanc sappelle Siège et Corps
Le rouge Lampe et Bouche
Le bleu sappelle Voile et il
Et le noir les travaille et les mine
Je suis le Silence-de-lHôpital
Et je connais les quatre noms des couleurs
La Forme est leur attribut
Quelles emplissent et modèlent
Je suis lil-de-Porcelaine
Je suis le Vide-Puissant
Je suis la Force-qui-Puise
« Celui-qui-colore-de-gris »
Je suis le Silence-de-lHôpital
La main invisible qui joue
Le pilon qui actionne et fascine
Je ne crée pas mais transvide
Mon nom est « Le-Réversible »
Je suis lil-de-Porcelaine
Le pilon invisible qui broie
La main qui passionne et active.
Ici est la·Salle-Dattente
Ici est le lieu de lInerte
Et ceux-là sont les Patients.
Je suis le Silence-de-lHôpital
Je suis lil-de-Porcelaine
« Celui-qui-colore-de-gris »
Ici lon étire les membres
Ici lon évide les creux
Comme des pattes dinsectes
Le sens sarticule et se casse
Je suis la Forme-Froide
Et la Figure-Vide
Mon nom est « Le-Pétrisseur »
Je suis lil-de-Porcelaine
Et je connais les quatre noms des couleurs
Je suis le Torse-Blanc qui trame la matière
Je suis la Pierre-Nuageuse
« Celui-qui-colore-de-gris »
XI
POUR FAÇONNER DES FIGURES
Vois! Jarrache les membres
Vois! Je donne à la peau la nudité de los
Je suis le mystère de la prothèse
La main artificielle qui masturbe los mat
Le crâne lisse des toupies
- Pour entrer et sortir a été publié dans Détours dÉcriture 9.
- Stèle de la flamme gardée et Stèle de La Dame aux Reflets Rouges ont été publiés dans Les cahiers de la Vierge Noire
- Stèle dune conception a été publié dans Stélaire, cahier 3/4.
- Pour façonner des figures, dans une sérigraphie de Guy Cousin, a été tiré à 60 exemplaires par les éditions Collodion.
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