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Ouvrages récents dont je recommande la lecture, en général accessibles en lignes.



Ken Knabb, Secrets Publics

Secrets Publics est le troisième livre que Ken Knabb publie en français, bien qu'il se présente toujours comme le « traducteur américain des films de Guy Debord et d'une anthologie de l'Internationale Situationniste ».

Ken Knabb a si bien assimilé la langue et la culture française que j'ai parfois avec lui l'impression de m'adresser à un compatriote. Il conserve pourtant ce caractère très nord-américain de l'énonciation claire et directe, sans souci de paraître intelligent, ou seulement intéressant. L'ouvrage aurait-il alors pu s'appeler « L'IS pour les nul » ? Non, bien qu'on puisse incontestablement en faire une tel usage — c'est le premier livre à lire pour celui qui n'y connaît rien, ni sur la critique radicale, ni sur la contre-culture nord américaines.

Secrets Publics est aussi le livre d'un auteur. On voit se dessiner au fur et à mesure des publications de Knabb une pensée forte et personnelle. Le ton sans manière ne doit pas laisser ignorer la variété de l'expérience et de l'érudition, ni moins encore la souplesse et la subtilité. Ken Knabb s'implique personnellement dans tout ce qu'il écrit ; il est toujours présent comme acteur, non comme témoin ou observateur. C'est ce qui lui permet de naviguer comme personne sur les sujets les plus divers sans prendre de pose ni se casser la figure.



Antonio Gimenez, Les Fils de la nuit

Antonio Gimenez est né en Italie sous le nom de Bruno Salvadori. Il est mort à Marseille en 1982, me laissant à peine le temps de le connaître un peu. C'est à cette époque qu'il a écrit ses souvenirs de La Guerre d'Espagne, à laquelle il participa dans le Groupe International de la Colonne Durruti.

Les ouvrages des historiens font l'impasse sur l'essentiel : à quoi rêvent ceux qui créent l'avenir ? Les rêveurs de réalité sont généralement discrets sur ce point, même quand on les connaît intimement. Ils croient (ou ils sentent, je ne sais pas) qu'on ne veut pas (ou ne peut pas, je ne sais pas non plus) entendre comment les rêves dessinent le réel, fût-ce en s'y écrasant. Ils croient qu'on attend d'eux les détails et les anecdotes de l'Histoire, ce qui aurait pu être différent.

 

Cette fois, Antonio Gimenez a su en parler : de ses rêves, de leur sortie au réel. On voit alors très clairement ce que j'avais toujours cru comprendre : que la lutte de classe est une guerre pour l'esprit.



L'impansable, l'effondrement du temps

pénétration 1


Je n'aurais jamais vu tout seul en quoi Œdipe roi et Œdipe à Colonne se rejouent dans la trilogie de Matrix. Je me demande jusqu'à quel point les auteurs de Matrix ont pu eux-mêmes voir ou ne pas voir cette évidence, tout à la fois aveuglés et voyants, comme Œdipe et Neo.

Le Sphinx dit (pages 190-91) :

Tout ce que la pensée croit découvrir d'important n'est pas de son fait. Les découvertes procèdent d'un ailleurs sur lequel la réflexion pensante n'a aucune prise. Dans toute cette question de la technique, ce que la pensée est incapable de VOIR, c'est son propre mouvement

[Ici le passage à la page suivante doit à mon sens se lire comme l'enjambement d'un vers.]

de P(A)NSEMENT DU FAIT TECHNIQUE LUI-MÊME, TEL qu'il s'impose actuellement. Aujourd'hui est la mise à jour de cette formidable collusion du pouvoir planétaire de la technique et de la politique planétaire du désir de l'espèce humaine.

Et il continue :

Que la technique soit question tabou par excellence, qu'elle ait presque systématiquement été diabolisée, devrait nous signaler qu'il y a là un symptôme de résistance évident à la Vision de ce que nous sommes, et de ce qui est en train d'arriver ; une formidable stratégie d'imposture où la machine pensante maquille, occulte par tous les moyens sophistiques le miroir impitoyable que lui tend le monde qu'elle secrète.

 

Lire le texte intégral de ma critique,
inséré dans mon quatrième voyage à Bolgobol.

Le lire sur le site du Grand Souffle.