Jean-Pierre Depétris
DU SILLAGE ET DE LÉCUME
I
La science nous enseigne que la manifestation possède durée, résistance, configuration, structure déterminée et loi.
Cependant, lactualisation de ses qualités donne un terme à la durée, une limite à la résistance, une variation de la configuration, une transformation de la structure, et un paradoxe à la loi.
II
Le phénomène senracine et se maintient entre deux évanescences :
lévanescence dans lêtre,
lévanescence dans le devenir.
Dans le devenir, le phénomène est aboli dans dautres phénomènes.
Dans lêtre, le phénomène est aboli dans son effectuation.
Il y a là deux définitions de la mort, qui peuvent aussi bien, lune, lautre, ou les deux ensemble, constituer trois définitions de la vie.
III
Il existe deux formes dêtre qui sont, lune en regard de lautre, deux formes de disparaître.
La durée et la consistance dun phénomène sont fonctions du rapport entre ces deux formes. équilibre entre deux évanescences : celle de limmobilité et celle du mouvement.
Ou encore, équilibre entre la virtualisation et lactualisation.
Le monde manifesté, ou si tu préfères le monde réel, est tout entier leffectuation de cette séparation.<
IV
Si lon conçoit des pôles, on ne peut les concevoir dans une indépendance réciproque. On doit les concevoir dans leur relation unitaire. De cela, tu ne peux douter.
Aucun ne produit son opposé. Cest lunité qui se dissocie, qui se trace comme un sillage autour duquel se manifestent les deux signes contraires.<
V
Il ny aura jamais pure virtualisation ni pure actualisation.
Cest lobservation de la réalité sensible comme si elle était une existence inerte qui fait apparaître les particules de matière ou les champs dénergie comme sil ny avait queux de réels, et quelle en soit le mirage.
Cependant, si tu observes lopposition entre le pur être-là et le pur devenir-autre, tu verras le monde réel comme une réalisation.
VI
Le un donne le deux.
Tu entendras peut-être dire que le deux se résorbe dans le un. Ou encore que lunicité absorbe laltérité. Nen conclus pas que le un vienne du deux.
Le un donne le deux, mais ne sy annule pas. Il se conserve dans le double comme un troisième. Il est à la fois :
Lunité du double.
La séparation de lun et de lautre au sein du deux.
Leur réconciliation. Lapparition de la réalité sensible sur le disparaître dans limmuable et le disparaître dans le mouvement.<
VII
Comment te faire comprendre lunicité du triple ?
Pense au mot « sens ». Il possède trois acceptions : la direction, la sensation et la signification. Elles sont aussi trois moments du même concept.
Le premier est le mouvement.
Ensuite vient leffet, le retour du mouvement qui est la sensation.
Le troisième est lentendement : la discrimination de lagent et de lagi, qui seffectue avec la distinction des deux autres moments.
VIII
Par lun, sous sa forme de lopposé à lautre, se manifeste la dialectique du réel.
Les deux nexistent effectivement que dans lun entends bien effectivement.
Chaque un des deux est une évanescence, une non-existence.
IX
En tant quil est être, deux ne tient pas de lui-même existence.
Mais en tant quil est non-être, il est un vide exactement égal au un.
En fait, il est le vide du un.
Deux nest plus alors les deux mais le deux, qui est le pur négatif du un.
Lorsquil est les deux, il est à la fois la pure potentialité et la pure actualité.
Cest ce que les anciens ont appelé : « Un repos et un mouvement ».
Deux, en tant quil est seulement la négation du un, est sa puissance, la force qui le travaille et le mine.
X
Le deux ne serait rien sans le un. Il est sa puissance. Cest à dire son attribut.
Mais sans cet attribut, le un non plus ne serait rien. Toute leffectivité du un repose sur lui.
Aussi le pouvoir sur le un sobtient-il par le deux qui est son vide.
Cest pourquoi on la appelé : « La porte ouverte au palais fermé du Un ».
XI
La porte est à la fois ouverte et fermée.
Elle est un et elle est deux.
Si tu ny vois quune dualité, elle te cachera lun trinitaire.
Alors restera fermée pour toi lintimité profonde de lentendement subjectif et de la réalité objective.
XII
Le mépris des choses sensibles nest pas une bonne chose, mais pire est la croyance en leur inessentialité.
Si tu ignores dans lapparence lessence qui apparaît, tu ne connaîtras jamais lessence.
Vide et invisible est la puissance, la force motrice, mais labandon du plein et du visible nest pas la voie qui conduit à sa maîtrise.
XIII
Ce qui vit est alimenté.
Ce qui devient aliment meurt.
Tu peux chérir ce qui te nourrit, mais tu serais fou sil te prenait le désir de le nourrir.
Le prophète jésus dit :
« Si le lion mange lhomme, le lion devient homme. Si lhomme mange le lion, le lion devient homme. »
Peut-être comprendras-tu.
XIV
Le réel nourrit le réel.
Certains enseignent le vide parfait, le repos immuable et lêtre absolu. Dautres la lumière, lembrasement et le souffle pur.
Quas-tu à en attendre ?
Ces choses là sont indigestes à ton corps comme à ton esprit.
À partir du réel, dissous et coagule.
Ici prend fin le Traité du Sillage et de lEcume. Il est complet du commencement à la fin, conformément à ce qui est écrit.
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