Jean-Pierre Depetris

Contes spirituels

 

 

 


 

 

« Tant que foi et incroyance ne seront pas identiques, il n'y aura pas un seul fidèle », disait Abû-l-Khaïr.

Ni un seul homme qui sera sorti de l'ombre de ses fantômes.

 

 

 

 

 


 

 

Dieu regarda le ciel. « Non de moi, se dit-il, j'ai oublié de passer à l'heure d'été. » Il s'apprêta donc à déplacer le ciel, mais dans quel sens ?

Dieu dit : « N'est-il pas intéressant que même un Dieu soit troublé par de tels problèmes ? »

 

 

 

 

 

« J'ai créé les mondes », disait Dieu.

« J'ai créé les mers et les montagnes et je leur ai offert mon secret. Elles ont tremblé sous ce poids. Puis j'ai créé l'homme. Seul lui a accepté. »

« Et j'ai peine à le croire »

 

 

 

 

 

Dieu entreprit un jour de créer la vie. Il prit de l'argile et sculpta un homme à son image. Il était habile et la forme était parfaite, et il vit que cela était bon.

Mais sa créature ne vivait pas. « Je dois lui transmettre le mouvement », se dit-il. Dieu alors alla acheter des roues dentées, des ressorts, des tuyaux et de bons outils. Quand il eut fini, il remonta l'engrenage qui tendait le ressort de la pompe hydraulique, et son automate bougea. Il marcha, il dansa, fit des courbettes et des pirouettes, et il vit que cela était bon.

Mais il n'avait toujours pas la vie.

« Je dois lui transmettre l'intelligence », se dit Dieu. Et il acheta un ordinateur personnel. Il écrivit du code pour faire un programme intelligent.

Et un jour, Dieu reçut ce courriel : « Ça ne donne toujours rien. Notre système sait apprendre, mais il n'a toujours pas la vie. »

« Comment se fait-il que nous soyons déjà si nombreux sur ce projet ? » se dit Dieu.

 

 

 

 

 

Comment j'ai créé le monde ? répondait Dieu à un interview. Ce n'est pas si difficile avec quatre-vingt-dix éléments simples à partir desquels on peut composer une infinité d'autres éléments aux propriétés mécaniques les plus diverses. Essayez vous-même, ça se fait tout seul.

Le plus dur n'est pas de créer, c'est de concevoir. Essayez de concevoir ce qui stabilise les tourbillons et ce qui les fait varier sans qu'ils se dissipent. Mais ce n'est rien encore. Essayez de l'imaginer !

 

 

 

 

 

Avec le temps, Dieu se fit des copains, et il les fit sortir d'Égypte où ils étaient en captivité. Cela les impressionna, et ils se dirent « nous sommes les élus de Dieu ».

Et cela fâcha Dieu.

Dieu est comme tout le monde, il s'attache. Il se fit de nouveaux amis. Il leur envoya son fils qui leur apprit qu'il n'est pas si grave de tomber si un ami sort de l'ombre à ta place. Et beaucoup d'amis sortirent de l'ombre.

Cela impressionna le monde et l'on dit que le fils de Dieu était Dieu lui-même.

Et cela fâcha Dieu.

Alors Dieu écrivit un livre à ses amis, et il leur dit qu'il leur appartenait de se battre pour leur liberté.

Les hommes virent le pouvoir des mots, et cela les impressionna. Ils dirent que Dieu avait créé le monde avec une plume et adorèrent le livre.

Et cela fâcha Dieu.

Dieu se dit « les hommes devraient apprendre à lire », mais, cette fois, il garda ses pensées pour lui. Et des hommes, sans le savoir, pensèrent la même chose que Dieu. « Il faut que tous les hommes sachent lire. » Et, comme ils ne savaient pas, ils commencèrent par apprendre aux autres.

 

 

 

 

 

« En 1812, je faisais mon service militaire dans la cavalerie », avait écrit Dieu dans ses mémoires.

Tous les éditeurs auxquels il les proposa eurent la même réaction : « Qui va comprendre votre allusion à la phrase de Hegel sur la bataille de Iéna ? Et puis, évitez ces renvois d'ascenseur. Hegel fait déjà référence à vous. Ça fait copinage. »

Dieu haussait les épaules : « Les éditeurs se croient plus intelligents que les autres. Ils ont bien compris, eux. Et puis, s'ils possédaient les droits de Hegel, ils n'y regarderaient pas de si près. »

 

 

 

 

 

Dieu aimait beaucoup ses enfants et il les couvrait de cadeaux. En rentrant le soir, il leur ramenait des CD, des rollers, des tickets de MacDo. Et ses enfants l'aimaient aussi. Ils se jetaient à son cou et le couvraient de baisers.

Un jour, il voulut leur faire un cadeau exceptionnel. C'est comme ça qu'il eut l'idée de créer le monde et de le leur offrir.

Ses enfants furent si émerveillés qu'ils ne songèrent même pas à le remercier. Ils ne purent détacher leur regard du monde et oublièrent leur père. Dieu en fut d'abord peiné, puis effrayé de voir combien le monde changeait ses enfants. Enfin, il en ressentit une rage et songea même à les tuer. C'est ainsi qu'il vit combien son œuvre était réelle et le changeait lui aussi.

 

 

 

 

 

« Je suis une double contradiction », disait Dieu à son psychanalyste. « Je dis aux hommes qu'ils n'ont pas de maîtres, et je me présente comme le leur. Je dis aux hommes qu'il n'y a pas de dieux, si ce n'est Moi. »

« Parlez-moi des rapports avec votre père », demanda le psychanalyste.

 

 

 

 

 

Dieu, un jour, décida d'inventer les nombres : un, deux, trois, quatre... Dieu étant infini, il créa une infinité de nombres, et il vit que cela était bon, mais long.

Dieu étant aussi l'unique, il créa l'unité. Puis il entreprit de la diviser. Il la divisa à l'infini.

Puis, Dieu créa l'espace. Pour s'entraîner, il construisit d'abord un espace à une dimension, mais il dut admettre que sa ligne infinie était aussi un cercle, un cercle infini.

Si sa ligne avait une extrémité, elle était finie, mais si elle n'en avait pas, elle traçait un cercle infini fini.

« C'est un problème de langage », disait Dieu pour s'en sortir.

 

 

 

 

 

Dieu créa la surface. Il mesura l'aire de son cercle infini. Il n'eut aucune peine à élever au carré un rayon infini. Il eut plus de mal à calculer π.

 

 

 

 

 

Dieu jouait au dé.

Il y jouait bien.

Il jouait comme un dieu.

 

 

 

 

 

« Ai-je créé l'homme à mon image, ou m'a-t-il créé à la sienne ? Et si encore il s'était créé à la mienne ? » Se demandait Dieu.

« Mais je n'ai pas d'image, » se disait Dieu.

 

 

 

 

 

Il avait créé le monde, de cela Dieu était certain. Mais il ne se souvenait pas de quand. Cela devait bien faire plus de six mille ans.

Ce qui le troublait, c'est que le monde semblait bien plus vieux, et bien plus grand. La terre seule semblait plus grande et plus vieille qu'il ne pouvait seulement l'imaginer.

Je l'aurais dont créé réellement, disait Dieu. De telles choses ne peuvent pas seulement s'imaginer.

 

 

 

 

 

Dieu disait :

« Les hommes ont voulu bâtir une tour jusqu'au ciel pour se faire mes égaux.

Moi, j'ai multiplié leurs langages pour les aider à parvenir jusqu'à moi, mais ils n'ont pas su s'en servir.

Toujours il en est qui veulent forcer les autres à parler le leur. »

 

 

 

 

 

« Je suis Dieu ! » Dit Hallaj. Et les docteurs le firent couper en morceaux.

« Je suis toi ! » Répondit Dieu. Et ils le découpèrent aussi.

 

 

 

 

 

Il fut un temps où le monde n'était pas coupé de Dieu, et toutes les créatures entendaient leur Créateur.

Un jour Dieu leur dit : « J'ai créé le monde selon les lois de la raison, et j'ai donné ces lois à toute ma création. »

Alors tous furent pris de fou rire.

 

 

 

 

 

« Je suis l'être qui contient tous les être, » dit Dieu.

« L'être qui contiendrait tous les êtres ne serait qu'un être qui pourrait être contenu par un autre être qui contiendrait tous les être, » dit un homme.

Dieu haussa les épaules : « Chaque être peut bien contenir tous les êtres. »

 

 

 

 

 

Au début, Dieu créa le Verbe.

Puis il créa le substantif.

Ensuite, il tira le pronom du substantif, et créa les déclinaisons.

Enfin, avec le verbe il fit l'adverbe, et avec le substantif, il fit l'adjectif.

Aussi, quand Dieu apprenait à ses amis à écrire, il leur disait toujours : « Pensez d'abord le verbe, traduisez-le et entendez-le bien. De lui, tout découle, même son sujet. »

 

 

 

 

 

Si Descartes revenait et comprenait la théorie de la relativité, il dirait : « J'avais donc raison, on ne peut penser l'étendue sans sa substance. »

Et si Newton revenait, il dirait aussi : « J'avais donc raison, il fallait partir de l'espace, il suffisait de ne pas le limiter à trois dimensions. »

« En un sens, ils avaient raison tous les deux, disait Dieu, en un autre, ils avaient tort ; ils avaient tort d'avoir raison, et pourtant ils avaient raison d'avoir tort. C'est pourquoi il est si dur, même pour Moi, de Me comprendre. »

 

 

 

 

 

Quand Dieu eut créé le monde, et qu'il vit qu'il était immense, sauvage et sans ordre, il fut un court instant saisi d'effroi.

Puis il vit que ce monde était consistant, qu'il était le même pour toutes les créatures, et que même les plus faibles ne tremblaient pas.

 

 

 

 

 

Au début, Dieu créa un monde immobile. Dans leur lit, les rivières ne coulaient pas. Les pierres ne roulaient pas sur les pentes, le feu ne consumait rien, et même la lumière n'éclairait pas.

« Ça ne marche pas », dit-il.

Alors il donna à sa création les lois de la mécanique. Et la lumière fut, les rivières coulèrent et les pierres dévalèrent les pentes.

 

« Tout cela ne va que dans un sens, dit Dieu. Tout cela est sans vie. »

Alors Dieu créa la beauté du monde.

Le monde était si beau que partout des racines plongèrent dans les profondeurs de la terre pour en goûter les sels. Des feuillages s'étalèrent pour goûter la lumière. Le feu habita les créatures qui se vêtirent de derme. Elles se murent pour mieux percevoir la beauté du monde, et le perçurent pour mieux se mouvoir.

Un court moment Dieu fut saisi de compassion pour ses créatures, et faillit pleurer de les voir s'entredévorer. Mais il vit que même les plus faibles créatures ne tremblaient pas.

 

« Tout cela se meut librement dans l'espace, se dit Dieu, mais reste prisonnier du temps. Le monde connaît la jouissance, mais demeure sans intelligence. »

Alors Dieu créa la trace.

Les rivières ne se laissèrent plus couler dans leur lit, mais se mirent à le tracer dans la roche, les animaux traçaient des pistes en foulant les herbages, et les prédateurs les suivaient.

En se décomposant, les créatures mortes laissaient leurs formes dans les pierres, comme, vivantes, leurs sensations s'imprimaient dans leur corps, et quand elles dormaient, elles en faisaient leurs rêves.

Alors Dieu vit que le monde immense, sauvage et sans ordre qu'il avait créé était bien infini, et qu'ils étaient maintenant, lui et sa création, en chacune de ses créatures.

 

 

 

 

 

Au début, Dieu créa le monde par la croyance. Il crut au monde, et le monde fut. Et il donna sa croyance au monde.

Il vit que ses créatures croyaient en lui, mais qu'elles ne comprenaient rien, et il se sentit seul.

Alors il leur donna le doute.

Le doute était comme des dents et des serres puissantes. Les créatures ne crurent plus à la réalité des choses sensibles, et, dans le doute, elles s'en saisissaient et les dévoraient.

C'est ainsi qu'elles connurent la certitude.

 

 

 

 

 

Je suis amour, disait Dieu.

Je suis un Dieu terrible.

Pourquoi ne comprennent-ils pas qu'un Dieu d'amour soit un Dieu terrible ?

 

 

 

 

 

Il y a à peine six mille ans, Dieu créa le monde, et il a déjà maintenant plusieurs milliards d'années. Comment encore douter ?

 

 

 

 

 

Dieu a fait l'homme à son image, il l'a fait créateur. Disait le prophète.

Dieu a fait toutes les créatures à son image.

Tant qu'une créature ne voit pas avec les yeux de la certitude qu'elle crée le monde, comment verrait-elle qu'elle ne le crée pas seule ? Tant qu'elle ne voit pas qu'elle ne le crée pas seule, comment aurait-elle la certitude d'elle-même et du monde ?

 

 

 

 

 

J'ai créé le monde, et je suis en toute créature, dit Dieu.

Quelle créature me parle en ce moment même ? demanda le Maître de la chaire.

 

 

 

 

 


 



© Jean-Pierre Depétris, 2005
Contes spirituels
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