Jean-Pierre Depétris - CARNET DE CROQUIS



FEUILLES D'AUTOMNE

 

1993

 

 

 

 

 

 

Le 20 septembre

 

L'eau ruisselle avec une étonnante lenteur. Par exemple, quand le cantonnier nettoie la rue de bon matin, en longeant le ruisseau au bord du trottoir, on peut s'apercevoir qu'on la rattrape et la dépasse très vite.

 

De même, lorsque l'eau est coupée en amont, il lui faut plus de temps encore pour finir de couler. Le flux, même interrompu d'un seul coup, baisse progressivement en aval jusqu'à n'être plus qu'un imperceptible ruissellement.

On a peine à le croire tant elle est fluide.

 

Quand une vague s'écrase sur un rocher, on perçoit mieux encore la lenteur avec laquelle elle ruisselle et s'écoule pendant encore un long moment.

 

On peut aussi tout simplement renverser un verre pour observer que l'eau ne s'étale pas instantanément, mais qu'il lui faut un certain temps pour se répandre ; un temps qui s'allonge et s'allonge tandis que les bords de la flaque n'avancent plus qu'imperceptiblement.

 

*

 

Le 21 septembre

 

De toutes les lectures, ce sont celles d'ouvrages de logique qui me procurent le plus de plaisir. La logique, ou encore la physique ou les mathématiques ; quelquefois même une certaine poésie.

 

Comment vérifie-t-on à coup sûr le plaisir que l'on prend à lire ? Eh bien voilà, on se plonge dans la lecture, et on lève les yeux de temps en temps.

Alors on peut voir passer une pie entre les toits, ou un bus tourner au coin de la rue, ou encore tout simplement la poussière en suspension dans le rai de lumière que filtre le volet.

Plus est beau ce que l'on voit en levant les yeux, meilleur est le livre.

 

Pour moi ce sont les ouvrages de logique. Je ne prétends pas qu'il en soit ainsi pour tout le monde.

Cependant, lorsqu'on a lu un certain temps, et qu'on a vraisemblablement dû lever les yeux un certain nombre de fois, si l'on ne garde en mémoire aucune vision éblouissante du monde ; ou, pire encore, si notre lecture n'a éveillé que des rêveries sans mesure commune avec la réalité que nous avons immédiatement sous les yeux, alors mieux vaut changer d'ouvrage.

 

*

 

Le 28 septembre

 

Pourquoi sommes nous si sûrs que la pierre que nous allons lâcher va tomber ? Ce n'est pas seulement parce que nous savons que toutes les pierres qu'on lâche tombent toujours.

C'est parce que la pression qui va la faire tomber, nous ne cessons de la ressentir à travers tout notre corps.

Sinon, pourquoi aurait-on parfois le vertige au bord d'un parapet, même si l'on a pu se convaincre de son absolue solidité ; tandis que l'on ne l'aurait pas à marcher sur un plancher pourri, même si l'on est par ailleurs inquiet et qu'on avance avec prudence ?

 

Cette certitude-là est moins un savoir (moins encore une croyance) qu'une expérience physique.

On pourrait à ce sujet réfléchir aux exemples des boules de billard de Hume. (Et à l'apprentissage.)

 

*

 

On vit toujours avec la voix d'un Dieu, ou d'un Père, qui nous reproche de faire des offrandes à des idoles, d'échanger notre héritage contre des vanités. Et toujours derrière, la voix d'un diable qui saisit l'occasion d'ajouter que nous vallons plus qu'on ne nous accorde.

Et quand l'un nous invite à la modestie, l'autre nous excite à l'orgueil ; et avec des arguments si proches qu'un rien en retourne le sens.

Quand l'un nous dit que les vanités ne sont rien, l'autre nous dit qu'elles sont insuffisantes. Et là aussi une simple nuance fait toute la différence.

Et quand l'un nous interdit de nous soumettre à n'importe qui, l'autre en profite pour nous glisser à l'oreille que nous ne sommes pas n'importe qui.

 

*

 

Le 2 octobre

 

Devant la grandeur de la nature tout architecte doit se sentir modeste. La mer, la montagne ; qu'est-ce qui semblerait encore grand ?

Mais on peut utiliser le paysage : château sur une crête ; utiliser la vue que l'on a d'un certain site où l'on bâtit.

Or ça ne marche pas. C'est au contraire comme si la nature s'en trouvait rétrécie. Comme si le paysage offert à la vue perdait de sa grandeur ; de sa réalité. À l'inverse, la petite baraque près du ruisseau a une autre force.

Les plus belles architectures sont encore celles des ruelles de banlieue ou de village.

 

*

 

Le 6 octobre

 

DE NATVRA RERVM

« Le droit naturel » ; « les langues naturelles ».

N'est-il pas digne d'admiration d'avoir reconnu la nature dans le droit et les langues ?

Si elles n'avaient pas été naturelles, elles n'auraient pu être que divines. — Non. Un esprit étourdi aurait pu les croire humaines. C'est pourquoi la chose est admirable. Mais pourtant ne nous mène pas loin.

Si la chose est naturelle, nous devons donc nous comporter avec elle comme avec les autres choses de la nature : nous en servir, les étudier, les comprendre, les maîtriser.

— Nous ? Mais qui, nous ? La société ? Le peuple ? Les citoyens ?

— Natura res. C'est justement par là qu'il faudrait commencer par ne pas s'avancer.

 

*

 

Le 19 octobre

 

Des toiles de fourmis, partout.

Tous les angles des murs, tous les meubles des pièces sont couverts de toiles de fourmis.

 

Plus tard on vérifie qu'aucune espèce de fourmi ne tisse de toile, comme seules les araignées le font. Ce n'était donc pas des toiles de fourmis. A-t-on vu seulement des fourmis tisser ces toiles ?

Non. Mais ce sont pourtant bien des toiles de fourmis.

 

*

 

Elle lutte entre la vie et la mort ; et toi tu es dans l'angoisse.

Ce n'est pas la première fois que tu vis une telle horreur pour quelqu'un que tu aimes ; et la fin n'a pas toujours été heureuse.

Alors une idée te vient : quelle que soit l'issue, rien n'est sauvé. Si elle vit, à moins que tu ne te retrouves à sa place avant, cette scène sera à revivre, ou une toute semblable. Ce que tu redoutes, ce à quoi tu veux échapper, est inévitable.

Cette idée change ton état. On dirait qu'elle te calme.

Ce qui te surprend, c'est que cette idée ne te soit pas du tout familière.

Au fond tu restes incrédule. Tu ne sens pas sur toi le travail de la mort, comme tu sens le poids de ton corps. Tu le vois seulement sur un autre.

Sinon, peut-être saurais-tu mieux l'affronter.

 

*

 

Le 22 octobre

 

Impression d'être comme coulé dans une forme.

Intellectuellement parlant, l'homme serait plus proche du végétal que de l'animal. Ce qui veut dire que l'animal pourrait nous servir de modèle pour ce qui est de son autonomie envers les choses de la nature (comme le suggère Hegel).

Passer de la végétativité à l'animalité intellectuelle.

(Voir 8 mai 1993.)

 

*

 

Le 23 octobre

 

Le caractère fallacieux du langage n'est jamais mieux mis à jour que dans le contresens, lorsqu'on lit ou lorsqu'on traduit, et au curieux sentiment que l'erreur éveille en nous.

Cela tient parfois à l'oubli d'une particule, à la confusion entre deux lettres au sein d'un mot, ou encore, à la non observation de guillemets au début d'une citation, qu'alors on ne reconnaît plus telle.

 

Parfois, le sens de la proposition nous gêne, et on rétablit en relisant.

Parfois c'est plus complexe. Le sens nous satisfait. Et ce n'est que bien après coup, plus loin dans le texte, que le contresens se met à apparaître.

Cela peut venir, par exemple, de ce que l'on ne perçoit plus la cohérence grammaticale d'une longue phrase. Ou encore, qu'on arrive à la fermeture de guillemets que l'on n'avait pas vu s'ouvrir.

 

Parfois, tout simplement, la suite semble dire l'exact opposé de ce que l'on avait cru lire.

Or, ce que nous avions cru lire — ce que nous avions effectivement lu — nous satisfaisait entièrement. Nous relisons, et ce que nous relisons d'autre déstabilise cette satisfaction, et nous satisfait à son tour aussi bien.

 

Nous nous sentirions honteux de notre première erreur ; et surtout de l'illusion de cohérence dans laquelle nous étions tombés.

Car il n'y avait en nous nul filtre critique. Nous nous laissions tout bonnement convaincre du contraire de ce qui nous convainc maintenant.

Et cela jette aussi un trouble sur ce qui nous convainc maintenant.

 

*

 

Le 23 novembre

 

Pourquoi toujours, quand la nuit tombe, ou quand elle se dissipe, se sent-on loin ?

 

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Le 28 novembre

 

Et de quoi ?

 

 


 

 

 

NOTÉ AU VOL

 

Entre

Du Juste et du lointain

et

Suite sur le fonctionnement réel de la pensée.

 

 

 

 

 

Le 30 avril

 

Il y a le génie et il y a le travail.

Le travail est une question de force, c'est à dire de santé.

Le génie, comme la santé, me semble accessible à tous, et pourtant fugace, jamais sûrement acquis.

D'un côté, dons du ciel, et pourtant accessibles par l'hygiène, récupérables par des soins.

Comme la santé, le génie semble doté d'une certaine force autonome, d'une nécessité naturelle qui le fait tendre à s'imposer, envers et contre tout.

 

Aussi l'homme de génie est à peu près aussi banal à mes yeux que l'homme en bonne santé. Ce qui suscite l'admiration, c'est la rencontre du génie et du travail.

La santé suppose une certaine hygiène ; le génie une éthique.

L'hygiène, c'est ne pas traiter son corps comme une serpillière. Mais ce n'est pas pour autant le choyer. La santé exige une certaine rudesse de vie. Le corps pâtit bien plus de la mollesse.

L'éthique, c'est ne pas mettre son génie au service de n'importe quoi. Ce n'est pas pour autant la recherche de la bonne conscience. La recherche de la bonne conscience est à l'éthique ce que la gastronomie est à la santé. (Platon, Kant, etc...)

 

La puissance. Quand on pense le corps et l'esprit selon la puissance, on ne perçoit plus en fait ni corps ni esprit.

C'est la puissance qui fait le muscle, non l'inverse, et qui s'en passe aussi bien.

Regarde un éléphant conduit par un jeune garçon.

Quoi de plus émouvant qu'un corps fatigué et chétif que sa seule puissance tient droit.

Quoi de plus fascinant qu'un esprit vide, peut-être, mais tendu comme une voile.

 

On aurait tort de croire que la pensée droite n'a pas besoin d'éthique. Mais on aurait tort de penser que l'éthique n'a pas à se fonder dans la pensée : c'est le contraire.

 

Le vrai, le beau, le bien ne sont pas des choses distinctes. La même chose est belle quand les sens la perçoivent, juste quand l'intelligence la saisit, bonne quand les actes l'accomplissent.

L'erreur, le mal, la laideur désignent justement cette séparation...

 

*

 

Le premier mai

 

... cette distinction, qui n'est qu'un simple point de vue.

 

*

 

Jamais l'esprit ne s'épuise à rechercher l'intelligence dans la sensation, la vertu dans l'intelligence, l'acuité des sensations dans celle de l'esprit ; à trouver la rigueur des phénomènes et à forger celle de ses comportements.

 

*

 

J'ai la tentation depuis l'enfance d'être génial dans tout ce que j'accomplis. Ceci m'amène à déployer quantité d'efforts pour des actes que d'aucun effectue sans s'en soucier.

Si ce n'est génial, j'en deviens travailleur.

Mais je peux aussi bien en devenir fainéant par crainte du travail que la moindre activité me coûte.

Il est vrai que je trouve un réel plaisir à de tels efforts.

 

Parfois, par jeu, j'oublie mes exigences. Je cours au plus simple. Je ne me soucie pas de bien faire.

C'est souvent à ces moments-là que je fais le mieux.

Mais surtout, je découvre dans ces moments un plaisir de la cessation de tout effort. Ce plaisir du « ça fait du bien quand ça s'arrête ».

Ce plaisir est tout dépendant du premier.

 

*

 

Le 20 juin

 

La question du sexe des anges est moins creuse qu'elle n'y paraît. Elle est seulement posée à l'envers : l'angélisme du sexe, voilà la bonne question qu'auraient dû se poser les théologiens.

La femme est certainement plus proche de l'ange que l'homme, ça se voit au premier coup d'œil.

 

*

 

Qu'est-ce que l'ange ?

L'ange est ce qui permet au monothéiste de connaître les dieux, au pluriel, sans blasphémer.

L'ange n'est jamais très loin du démon.

L'Autre de l'Autre. Il est par excellence le porte-parole.

Dénégation à la fois de l'Unique et du multiple.

 

*

 

Le 21 juin

 

Fait perdre son sang-froid, d'être compris de travers. Ce n'est pas à quoi on est préparé.

C'est l'acquis de l'expérience, que de retrouver ce sang-froid : voir que c'est inévitable, qu'au fond on n'en a rien à cirer.

C'est long à apprendre, de ne pas broncher. Impression d'être aux prises avec un adversaire — du moins une force ; c'est à dire dotée d'une certaine cohérence, d'une unité : non pas une quantité d'obstacles disparates.

 

Unité qui est au fond la nôtre ; ou l'anti-notre. Comme sous l'effet de la vitesse, le monde fait un dans sa résistance.

Long et difficile l'apprentissage, l'apprentissage du corps, tellement plus lourd que l'esprit. Et pourtant infiniment plus vif quand il sait.

 

*

 

La loi du plus grand nombre est ce qu'elle est. La sottise aussi. Aucune ne compense l'autre. Le nombre ne rend pas la sottise moins sotte. La sottise n'affaiblit pas la loi du nombre.

L'esprit n'en est pas immédiatement convaincu. Ou plutôt triche, et se dédouble, car on rêve de se noyer dans le nombre.

 

*

 

Le 28 juin

 

La pensée existe. C'est l'idée qui m'a frappé l'autre jour.

On ne sait pas bien ce que veut dire « pensée », ni non plus « exister ». Les mots ne veulent jamais rien dire de bien précis. Ce qui ne nous gène d'ailleurs en rien pour nous en servir.

Ou plutôt est-ce là un aspect majeur de la rhétorique que d'apprendre à se servir des mots sans que leur imprécision ne nous gêne.

La pensée existe donc.

 

Ce nuage dans le ciel, on peut bien dire qu'il existe aussi. Ce nuage, je le distingue bien, et je peux le dessiner, ou mieux encore le photographier. Je peux en inférer qu'il est plus existant, par exemple, qu'une ligne dépressionnaire.

Pourtant, si je prends une photo de ce même nuage quelques minutes plus tard, on aura peine à le reconnaître.

 

Je peux dire que la ligne dépressionnaire qui traverse maintenant la Provence est la même qui se trouvait hier sur l'Espagne (puis-je en dire autant du nuage ?). Et c'est curieux si l'on y songe.

Le massif ersinien et le nuage qui passe, ou le vent qui le pousse, n'ont pas le même rapport à la consistance et à la durée. Mais cette différence reste purement quantitative. Au fond l'existence physique, matérielle, objective est essentiellement évanescente.

C'est que lui manque l'autre pôle : l'existence subjective.

Je ne vois pas l'existence purement objective qu'aurait une ligne de dépression.

 

Là est peut-être toute la différence entre la chose et l'objet. Encore des mots dont on ne sait pas très bien ce qu'ils veulent dire.

Ce que l'on peut savoir, c'est que, selon qu'on l'applique à chose ou à objet, la signification d'exister change.

 

On peut se demander si la pensée existe plutôt comme une ligne dépressionnaire ou plutôt comme une ligne de faille.

Je crois qu'elle existe d'une façon toute différente, quoique plus proche de la ligne dépressionnaire que de la ligne de faille. Ce qu'on peut soupçonner à sa seule façon de se déplacer.

 

Quand au nuage, il est vrai qu'il se déplace souvent avec la ligne dépressionnaire, au point que l'un puisse être le signe de l'autre.

C'est un rapport au signe tout similaire qui se joue avec la pensée, et nous trompe quant à son existence.

 

*

 

Le 29 juin

 

La pensée existe, il me semble, en ce qu'elle ne serait pas une évanescente condensation.

C'est pourtant l'impression que nous en avons quand nous pensons.

Quand nous pensons, oui. Mais pas quand la pensée n'est plus là : quand nous recherchons une pensée dont le souvenir ou l'exactitude nous échappent.

 

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Le 3 juillet

 

Mieux que tout, les lettres se prêtent à l'escroquerie.

D'autant mieux que l'escroquerie au fond ne les disqualifie pas.

(La Rhétorique d'Aristote.)

 

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Le 12 juillet

 

Dans les lettres, l'escroquerie tient une part toute différente de celle qu'elle occupe dans toute autre activité intellectuelle. Ailleurs, on la cache et craint toujours qu'elle ne soit découverte. Dans les lettres, elle est ce que l'on voit d'abord.

Habileté, prestidigitation, ce sont les premières qualités que l'on découvre dans un texte littéraire, et que l'on étudie avec beaucoup de sérieux dans les établissements d'enseignement ; alors qu'elles discréditeraient à coup sûr tout philosophe, tout scientifique, tout penseur...

« Ce ne sont que des mots », voilà la première critique que l'on fera à la pensée qu'on récuse ; alors que dans les lettres ce sera un fait acquis, un point de départ.

Ce ne sont que des mots maniés avec habileté, futiles jeux de langage. Il n'est question d'abord que d'observer l'habileté du joueur. De là, il n'est pas dit que ne se révèle quelque point de vue essentiel.

Mais plus question alors d'en démasque l'artifice. L'artifice était là d'abord, évident, et c'est ce caractère artificieux qu'on a démasqué.

 

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Le 13 juillet

 

Il me semble qu'on comprend trop au premier degré ce que dit Wittgenstein de la règle et du dressage. Il y a du second degré, du péjoratif, de l'humour noir — plutôt de l'humour noir — dans son propos. Non : il n'y a pas une justification du dressage. Ni proprement une critique ; et c'est ce qui égare. Simple constatation de son aspect « naturel »... bestial.

Bref, ce qui relève du dressage ne relève pas de la pensée, de l'intellection, de l'esprit. C'est seulement ainsi, en quelque sorte, que la communauté humaine intervient sur nous comme force naturelle. Nous nous heurtons à la baguette du maître comme notre pioche heurte un caillou. C'est tout. Cette résistance est sans doute essentielle au travail de notre esprit ; comme toute résistance, pas davantage.

 

Est-ce ainsi que nous apprenons à exprimer un sentiment par notre visage ? Qui saurait dire les règles que nous employons pour faire un regard de compréhension ou de colère ? Ou encore pour l'interpréter ? C'est aussi une question que creuse Wittgenstein.

Nous ne pouvons nier qu'il y a jeu, règles, et jeu de règles dans les jeux de physionomie. Mais comment apprend-on ces règles pour savoir y jouer ? Où et comment un dressage y intervient-il ?

 

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Le 15 juillet

 

On a craint que l'audiovisuel ne détrône l'écrit. À la longue, c'est le danger contraire qui menace la langue : l'écriture est partout.

Imaginons une civilisation qui en vienne à réduire la musique à la seule écriture musicale. On n'écouterait ni ne jouerait plus de la musique, mais on la lirait. On n'apprendrait plus à chanter ou à jouer, mais à écrire des partitions. Les enregistrements ne seraient plus utilisés que pour s'éviter la peine de lire ou d'écrire.

Quelle serait la première conséquence d'une telle pratique ? Vraisemblablement on finirait par ne plus savoir retrouver dans le signe écrit le signe sonore : c'est à dire qu'on en viendrait à ne plus savoir lire.

 

*

 

(?)

 

J'ouvre la radio, l'homme dit : « Si Jésus revenait aujourd'hui sur terre, est-ce qu'il se servirait d'un micro ? »

Il est sûr que non. Moi pas.

Il faudra que je me demande comment je le verrais s'en servir.

 

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Le 5 mai

 

« Qu'est-ce que je t'ai dit hier ! », crie le jeune homme à son chien.

Il a dit à son chien de rester tranquillement couché pendant qu'il rangeait les tables, plutôt que de courir sur la plage où sa présence n'est pas souhaitée.

 

 

« Qu'est-ce que je t'ai dit hier ! » Il est furieux et frappe son chien.

J'étais là hier. Il lui a bien dit la même chose.

 

 

Je suis sûr que le chien finira par comprendre. Il restera couché pendant que son maître rangera les tables.

Il ne comprendra pourtant jamais un mot de la phrase de son maître. À quoi pourrait-il seulement associer le mot « hier » ?

Alors pourquoi son maître les dit-il ? À qui, en définitive, les dit-il ?

Du moins, ne prononce-t-il pas les mots pour que les mots soient compris.

 

 

Les coups et les caresses : je me demande si la communication ne va jamais très au-delà des coups et des caresses.

Mais est remarquable la façon dont les paroles accompagnent la communication (les coups et les caresses).

 

 

(L'école de Lin Tsi.)

(Voir 5 juillet 1993 (15), et 15 juillet 1994)

 

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