Site de Jean-Pierre Depétris

SÉMINAIRE FÉVRIER 1998


   
   

    Le nom de l'auteur, le nom d'une œuvre nous aident à notre insu à interpréter le texte. Des citation anonymes peuvent ainsi devenir très ambiguës. Que dire alors de citations attribuées faussement à des auteurs ? C’est ce que le collectif du SéD’éReX s’est amusé à faire au cours d’une de ses soirées.
    Il s’agisait de lire les mêmes textes comme des textes différents selon à quels auteurs on les attribuait — ce qui en change incontestablement le sens.
    On peut s'amuser à chercher les vrais auteurs avant de les retrouver au bas de la page.


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    1 Je ne pense pas du tout à la manière dont chaque expression en ces derniers temps a été employée dans les écoles, parce qu’il y aurait une extrême difficulté à vouloir se servir des mêmes noms pour exprimer des idées profondément différentes ; mais je m’en tiens uniquement à la signification de chaque mot, afin qu’à défaut de termes propres, je prenne chaque fois pour traduire mon idée ceux qui me lui semblent convenir le mieux.
   

Jacob Bœhme
    De la signature des choses
   


    2 Quand le ciel s’éclaircit, le soleil apparaît
    Quand il pleut, la terre est humide
    Je viens de vous expliquer tout du fond de mon cœur
    Mais je crains que vous ne me croyiez.
   

Queneau
   


    3 Mais au fond, qu’est-ce que l’apparence ? Quels sont ses rapports avec l’essence ? N’oublions pas que toute essence, toute vérité, pour ne pas rester abstraction pure, doit apparaître.
   

Hume
    Traité de la nature humaine
   


    4 « L’homme qui est éclairé, et celui qui est inculte, sont-ils identiques ou sont-ils différents ? » Le maître de la chaire dit : « Pour celui qui est éclairé, ils ont identiques ; pour celui qui n’est pas éclairé, ils sont différents ».
   

Jacques Lacan, Séminaire 17
   


    5 Le monde a trois « faces évolutives » :
    La première assignation ; le monde y porte le nom de « volonté primitive » ;
    La seconde assignation ; le monde y porte le nom de « substances fixes » ;
    L’assignation dans l’extérieur ; le monde y est nommé « les substances extérieures ».
    Les « substances fixes » sont ce qu’on appelle « le parfum de l’existence ». Le monde sensible indique leurs lois et leurs effectivités.
   

Emmanuel Schwedenborg
    Le Livre des rêves
   


    6 Le lieu du temps est l’éternité, c’est à dire l’instant, ou encore le présent.
   

René Char
   


    7 Le rapport de la Terre au Soleil est aussi en même temps un rapport de la Terre à elle-même, ou à sa propre essence, car la mesure de la grandeur et de la force de la lumière, sous laquelle le Soleil est l’objet de la Terre constitue la mesure de la distance qui confère à la Terre sa nature spécifique. Chaque planète possède dans son Soleil le miroir de sa propre essence.
   

Galilée
    Introduction à deux sciences nouvelles
   


    8 Seul le changement est durable.
   

Héraclite
   


    9 La matière est la mutabilité des choses muables qui est susceptible de prendre toutes les formes en quoi se meuvent les choses muables. Et en quoi consiste-t-elle ? Est-elle esprit ? Est-elle corps ? Est-elle une espèce d’esprit ou de corps ? Si l’on pouvait dire : « un néant qui est quelque chose », ou « ce qui est et qui n’est pas », c’est ainsi que je la nommerais.
   

Michel Foucault
    Les mots et les choses
   


    10 La matière éternelle, impérissable n’est réelle ou n’a d’existence qu’en tant que somme de ses phénomènes transitoires. Nous disons que les changements résident dans la matière, que la matière est ce qui subsiste, que seuls les changements se modifient ; nous pouvons avec autant de raison inverser les choses et dire : la matière consiste dans le changement, la matière est ce qui se transforme et la seule chose qui subsiste est le changement.
   

Hegel
    La Phénoménologie de l'esprit
   


    11 La qualité dépend de son sujet, c’est à dire que tu ne t’appropries pas, ni les qualités d’autrui ni les tiennes propres, et que tu ne les possèdes d’aucune manière, avant que tu ne saches que tu es le sujet même dont elles dépendent, et que tu réalises que tu es celui qui connaît ; c’est alors seulement que la connaissance sera vraiment tienne, et dès lors ta certitude n’aura plus besoin de confirmation, car la qualité est inséparable de son sujet.
   

Karl Marx, Manuscrits de 1844
   


    12 C’est que le Livre qui révèle toute intimité est l’homme lui-même. C’est l’homme qui est le livre de l’être de tous les êtres... Il recèle le grand arcane.
   

Descartes, Lettre au duc de Luynes
   


    13 Sans le soleil, et malgré les autres astres, on aurait la nuit.
   

Paul Eluard, Donner à voir
   


    14 L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui existent et de leur nature, de celles qui ne sont pas et de l’explication de leur non existence.
   

Cioran,La tentation d'exister
   


    15 La couleur n’existe que par convention ; de même l’amer. Suppose que les sens ripostent à la raison : pauvre raison, qui prend chez nous tes arguments et t’en sers pour nous calomnier. Ta victoire est ton échec.
   

Wittgenstein
    Remarques sur les couleurs
   

16 Ne cherches pas à tout savoir si tu ne veux tout ignorer.
   

Confucius, Le Livre du Milieu
   


    17 Toute parole, tout écrit et tout enseignement est sans valeur si la connaissance de la signature n’y est point renfermée : car cela ne vient alors que de l’histoire et de l’ouï-dire, en qui l’esprit est muet ; mais si l’esprit dévoile la signature, on entend alors et on comprend comment l’esprit s’est manifesté, par le principe, dans le son et avec la voix.
    Car encore que j’entende parler, enseigner, prêcher, encore que je lise, je ne comprends parfaitement et ne m’assimile ces discours et ces lectures que si leur esprit, sortant de leur signature formelle, entre en la mienne et s’y imprime ; j’ai alors une base solide, visuelle et auditive : quand on a le battant, on peut sonner la cloche.
    Ainsi, l’on voit que toutes les créatures humaines viennent d’une seule, racine et mère unique : si cela n’était, un homme ne saurait comprendre le verbe d’un autre.
   

Maître Eckhart
   


    18 Celui qui se rend utile se met au service du monde, et n’y suffit pas. Celui qui ne se rend pas utile met le monde à son service, et pourrait davantage.
   

G. E. Debord
   


    19 Distinguer l’action du ciel d’avec l’action de l’homme, voilà le sommet de la connaissance. Connaître l’action du ciel, c’est constater ce que chacun de nous possède par nature. Connaître l’action de l’homme, c’est essayer de préserver ce que son intelligence ne peut connaître par ce qu’elle connaît. Mais une telle connaissance a son problème. Car toute connaissance doit se conformer à quelque chose pour être vraie. Mais ce quelque chose ne peut pas être déterminé uniquement par la connaissance. Ainsi, comment peut-on savoir que ce que j’appelle le ciel n’est pas l’homme et que ce que j’appelle l’homme n’est pas le ciel. D’ailleurs, seul l’homme véritable peut posséder une connaissance vraie.
   

Augustin, Confessions
   


    20 Autour de l’autel se dresse une église, et cette église grandit, et ses murailles s’écartent chaque jour davantage. Ce que couvre l’ombre de ses voûtes est — sacré, inaccessible à tes désirs, soustrait à tes étreintes. Le ventre creux, tu rôdes au pied de ses murailles, cherchant pour apaiser ta faim quelques restes de profane, et les cercles de ta course vont sans cesse s’élargissant. Bientôt cette église couvrira la terre entière, et tu seras refoulé à ses plus lointaines limites ; encore un pas, et le monde du sacré a vaincu, tu t’enfonces dans l’abîme. Courage donc, paria, puisqu’il est temps encore! Cesse d’errer, criant famine, à travers les champs fauchés du profane ; risque tout, et rue toi à travers les portes au cœur même du sanctuaire!
    Si tu consommes le sacré, tu l’auras fait tien! Digère l’hostie, et tu en es quitte!
   

Münzer
    Lettre à Florian Geyer
   


    21 De ce fait il a été démontré par la raison que les rayons de toutes les étoiles opèrent diversement dans les choses du monde selon les diverses propriétés de ces mêmes choses, vu que toutes les choses naissent et subsistent grâce aux rayons.
    […]
    De là vient que des matières préjacentes différentes reçoivent par la biais du mouvement des formes nouvelles différentes, selon, bien entendu, que chacune est plus apte par sa nature propre à recevoir telle forme. C’est pour cela qu’à partir d’une semence de blé est engendrée une moisson de blé plutôt que d’orge dans un endroit où, si l’on avait semé de la graine d’orge, une moisson d’orge eût été engendrée grâce à la même puissance des rayons concourant dans ce lieu, laquelle — tout en demeurant la même en un endroit quelconque — opère des choses diverses selon la diversité de la matière rencontrée.
   

Cyrano de Bergerac
   


    22 Enfin dans sa relation avec son interprétant immédiat, je diviserais les signes en trois classes comme suit :
    1. Ceux qui sont interprétables dans des pensées ou autres signes du même genre en séries infinies.
    2. Ceux qui sont interprétables dans des expériences effectives.
    3. Ceux qui sont interprétables dans des qualités de sensations ou apparences.
   

G. Pico della Mirandola
    De Hominis Dignitate
   


    23 Il y a eu partout tellement d’invasion de races diverses, Huns, Tartares, Mongols, Normands, etc., et tant d’afflux de religions diverses, néolithique, totémique, solaire, animiste, sumérienne, assyrienne, druidique, romaine, islamique, bouddhique, nestorienne, chrétienne, etc., que personne n’est pur, que chacun est un indicible, un indébrouillable mélange.
    Ainsi, quand on se retire en soi, et qu’on arrive à supprimer le multiple débat émanant des strates de cette énorme infrastructure, on arrive à une paix, à un plan tellement inouï qu’on pourrait se demander si cela aussi ne serait pas le « surnaturel ».
   

Karl Marx
    La critique moralisante et la morale critique
   


    24 Qu’est-ce qu’une civilisation? Une impasse.
    Non, Confucius n’est pas grand.
    Non, Tsi Hoang Ti n’est pas grand, ni Gautama Bouddha. Mais depuis on n’a pas fait mieux.
    Un peuple devrait être honteux d’avoir une histoire.
    Et l’Européen tout comme l’Asiatique, naturellement.
    C’est dans l’avenir qu’ils doivent voir leur Histoire.
   

Georges Sorel, Réflexions sur la violence
   


    25 Qui chante en groupe mettra, quand on le lui demandera, son frère en prison.
   

Antonin Artaud
   


    26 Des hommes ont jugé qu’un roi peut faire pleuvoir; nous disons que c’est là contredire toute expérience. Aujourd’hui, on juge que l’aéroplane, la radio, etc. sont des moyens de rapprochement des peuples et de diffusion de la culture.
   

Charles De Gaulle
   


    27 Paul Valéry a bien défini la civilisation moderne, l’européenne; je n’avais pas attendu les précisions qu’il fournit sur ses bornes pour en être dégoûté.
    Jamais je ne sentis que ses trous et d’où elle était absente, ce pourquoi pendant mon enfance je passais pour inapte à l’étude.
    Ah! oui, la civilisation européenne, eh bien, ni vos Romains, Grecs, ni Chrétiens n’ont plus d’oxygène assez pour personne, M. Valéry.
    Le XXe siècle, diront les gens en l’an 2500, croyait que la terre était plate.
    Il y a croyance effective et il y a l’autre.
    La terre n’est pas ronde, pas encore, non, il faut la faire ronde.
    Les écrivains commencent à se dire de l’Univers.
    Parfois il arrive que l’un d’eux se mette en voyage, pousse jusqu’à Hong-Kong, passe la nuit avec une jaune. Puis il revient, on le regarde, on l’invite à parler... Il connaît la Chine!
    Semblablement; les matelots japonais du bateau amarré au mien à Rotterdam, je les écoutais, qui me parlaient de la France. L’Abbaye de Thélème, le Casino de Paris. Je les vois encore. Je les écoutais avec un visage de cuir.
   

Louis Aragon
   


    28 Semblablement ceux qui sont imbéciles notoires, je me garde bien de les juger tels.
    Les érudits, les savants sont ceux qui ont accepté et les imbéciles et ignorants, ceux qui n’ont pas accepté.
    Pas seulement la religion, toutes les sciences sont l’objet du pari de Pascal.
    « Commencez par admettre ceci et vous verrez comme tout est simple, et qu’il n’y a rien à perdre de toute façon. Même si c’est faux, puisque vous aurez acquis des connaissances que, faute de liaison, vous eussiez dû laisser là.» Mais certains se révoltent, ne veulent pas de ces a priori, de ces approximatives théories, de ces procédés, syllogismes, conclusions hâtives tirées d’apparences concordantes, et se révoltant trop tôt se barrent le chemin de connaissances ultérieures. Car l’appareil scientifique est un bloc.
    Il ne faut pas être imbécile trop tôt.
    Vers trente ans, les études faites, c’est permis, on peut redevenir simple, et faire ainsi des découvertes.
    J’ai souvent remarqué, dans les études secondaires, que les élèves « imbéciles » butaient avec grande sûreté sur le hasardeux, le spéculatif et le nœud de la théorie proposée.
    Ils posaient des questions au professeur là-dessus, qui leur réexpliquait la chose. Eux cependant restaient songeurs, aux rires et ricanements de la populace des forts en thème.
    Dans la suite, j’ai remarqué que ces théories renversées par de successifs savants l’étaient justement par cet endroit où l’imbécile de quinze ans avait mis le doigt.
    Les derniers de la classe, il leur faudrait seulement une autre culture, une culture géniale.
    Beaucoup d’entre eux étaient ainsi faits qu’ils eussent compris la vie par le plus simple, par le plus bas, et le plus sûr.
    Pour ce qui est de la religion catholique, quand je l’étudiais, je me méfiais beaucoup des évêques, chanoines et professeurs de cours de de théologie et de philosophie. Ils sont fort roués, je pensais. Meilleur me paraissait le curé d’Ars, blackboulé à tous examens et questions théologiques, ou saint Joseph de Cupertino surnommé l’âne, et Ruysbroeck l’admirable qui faisait tout de travers, qui ne comprirent point infiniment de détails, mais l’essentiel jusqu’à la moelle: le Dieu qu’il y avait à aimer.
    « Si quis videtur inter vos sapiens esse in hoc saeculo, stultus fiat ut sit sapiens (saint Paul).»
    C’est presque une tradition intellectuelle de faire confiance aux fous. Mais moi, je pense surtout beaucoup de bien des imbéciles.
   

Wittgenstein, Fiches
   


    29 Un enfant pourrait dire à un autre: « Je sais que la terre est vieille de plusieurs centaines d’années », et cela voudrait dire: Je l’ai appris.
   

Socrate
   


    30 Ce que nous devons plutôt considérer en premier lieu, c’est le rôle de la décision que l’on prend en faveur d’une proposition ou contre elle.
   

Bonaparte
   


    31 Mais je pourrais dire aussi: Il m’a été révélé par Dieu qu’il en est ainsi. Dieu m’a appris que ceci est mon pied. Et si quelque chose arrivait qui semble contredire cette connaissance je le considérerais forcément comme illusion.
   

Feuerbach
    Manifestes philosopiques
   


   
   


   
   
    Scie à métaux
   


   
    Autentiques auteurs des citations :
    1 Descartes, Règles pour la direction de l’esprit. — 2,4, Wou Men Kouan. — 3 Hegel, L’Esthétique. — 5 El Hindî, L’Epitre du cadeau. — 6 Nicolas de Cusa. — 7 Feuerbach, L’Essence du Christianisme. — 8 Mary Schelley. — 9, 10 Augustin, Confessions, livre XXII. — 11 Abd Al Karim Al Jily. — 12 Jacob Böhme, Epitres théosophiques XX, III. — 13 Héraclite. — 14 Protagoras, La vérité ou discours destructif. — 15, 16 Démocrite. — 17 Jacob Böhme, De la signature des choses. — 18 Lie Tseu. — 19 Tcouang Tseu. — 20 Max Stirner, L’Unique et sa propriété. — 21 Al Kindy, De Radis. — 22 Charles S. Peirce. — 23, 24, 25, 27, Michaux. — 26, 29, 30, 31, Wittgenstein, De la Certitude.




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