Jean-Pierre Depétris

Considérations d'un profane sur le vivant


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II

A PROPOS DES CONFUSIONS CONCERNANT

DIFFÉRENTES SORTES DE SUCCESSIONS :

CAUSALES, LOGIQUES, TEMPORELLES, SPATIALES...

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 10 janvier

« En amont et en aval », cela revient très souvent dans ma bouche. Je préfère dire « amont » et « aval » que préciser davantage, spécifier davantage si je pense à un ordre logique, chronologique, spatial, causal, final... que sais-je ?

Je ne pense pas entretenir par cette imprécision la moindre confusion puisqu'il n'y a en fait ni « mont » ni « val » : j'emploie manifestement une image.

 

*

 

Cette dernière remarque mérite qu'on s'y arrête : l'imprécision et la confusion ne vont pas nécessairement ensemble. Au contraire : la confusion est bien souvent produite par un excès de précision. Ceci s'observe très bien dans la peinture, où la netteté de l'image tient souvent à l'imprécision du détail. On peut s'en assurer en comparant par exemple des détails de Renoir et de Rousseau.

On peut cependant bien considérer « précision » et « confusion » comme des termes contraires. Disons alors que l'imprécision du détail ne nuit pas à la précision de l'ensemble, et même la favorise. La raison n'en est pas mystérieuse. Elle est double : (i) Si chaque détail imprécis est à sa place, le regard, ou encore le travail de l'imagination, est bien capable de compléter sa vision. (ii) La vision précise doit de toute façon supprimer des détails inadéquats, dont l'excès générerait la confusion. (L'imprécision n'est alors que la suppression de ces détails par avance.)

Ce qui s'observe ainsi de façon évidente dans la peinture s'exerce plus fortement encore dans l'emploi de la langue, quoique il soit plus difficile alors de le décrire.

 

*

 

Du mont, ça glisse vers le val. Mais rien n'empêche qu'on remonte le cours à pied, que le cours fasse des méandres, ni que des lames tourbillonnent.

 

Tout est là, saisi en un seul bloc : la causalité, et peut-être plusieurs chaînes causales distinctes ; la chronologie, la durée, plusieurs durées ; l'espace, géographique, géométrique autant que topologique (on peut se représenter un cours par une droite sans tenir compte de ses détours) ; l'enchaînement logique...

Nous avons un sens : de A vers B. Mais c'est en réalité terriblement imprécis ; délibérément imprécis, et cependant parfaitement juste.

 

Le sens — ou l'ordre. Précisément il en est plusieurs. L'ordre causal n'est pas l'ordre logique, ni l'ordre temporel, ni l'ordre spatial. Ce sont là deux couples transformistes : la causalité se déguise souvent en logique et inversement, de même le temporel et le spatial.

Le temps aime se montrer dans l'espace : le cadran de la montre, les couches géologiques, la succession des événements au fil des pages d'un récit... Sur cette superposition du spatial et du temporel, qui devient très souvent une confusion pour le commun des mortels, se surimposent encore la logique et la causalité.

 

Cette surimposition crée l'illusion d'un « sens unique », crée l'illusion que tous les enchaînements devraient avoir la même orientation.

Une illusion peut en cacher une autre : Elle oblitère aussi, sous l'illusion de la linéarité, l'enroulement, la vibration, le battement, la pulsation...

Et pourtant nous sommes très savants — je veux dire qu'il y a des gens bien plus savants que moi — sur l'analyse et la synthèse, ou sur la théorie ondulatoire. Peut-être même le sommes-nous trop pour ne pas nous y perdre, et nous nous retrouvons souvent bien maladroits quand il s'agit de remettre notre montre à l'heure d'été.

 

*

 

Le 14 janvier

Temps, espace, causalité, logique... ce sont autant d'instances déterminées par le mouvement. (Je voudrais dire par le « travail ».)

Mais ce n'est manifestement pas la même chose qui se déplace. Dans la logique, on dira que c'est le raisonnement ; mais on aurait bien du mal à dire ce qu'est le raisonnement. Dans la causalité, ce sont la cause et l'effet qui se courent après et se changent l'un en l'autre sitôt qu'ils se rejoignent. Dans le temps et l'espace, c'est la matière. Matière ne veut rien dire d'autre, en fait, que ce « supposé quelque chose » qui ce déplace dans le temps et l'espace.

 

*

 

Quand je dis mouvement, je devrais m'empresser de préciser : le mouvement ordonné.

 

*

 

Quand je dis « ordonné », je ne peux m'empêcher de me demander : « par qui ? »

Il va de soi que toute réponse qui ressemblerait à quelque chose comme « par Dieu » ne serait à mes yeux qu'une pirouette ; au mieux une figure de rhétorique.

« Par moi » me satisfait mieux — Dogen me semble ici plus radical que Descartes.

Mais « par moi » peut se traduire aussi par « c'est un rêve ».

 

*

 

« Le mouvement est ordonné par moi. » Cela a un sens. J'ordonne en effet mes impressions et mes réflexions. Je les ordonne sur un souffle et une pulsation.

Mon sang qui bat, ma poitrine qui se soulève. Cela peut se dire « subjectif ». Et cela suggère l'illusion.

Mais ce n'est manifestement pas une illusion.

(Pas impression de réalité, mais impression réelle.)

 

*

 

Tout vient peut-être de cette supposée matière qui se déplace dans le temps et l'espace (l'espace-temps). Cependant, cette matière se dissout dans un mouvement toujours plus subtil ; nous retombons toujours sur du mouvement.

En fait de matière, nous tombons toujours sur de la « mesure » (quantum), au mieux une « pesée » : immobilité du mouvement, équilibre des forces.

 

*

 

« L'homme est la mesure de toute chose... »

À comprendre plus littéralement qu'on ne le fait d'habitude ; plus au premier degré. L'infiniment grand, l'infiniment petit : l'incommensurable.

Le réel est au plus près de l'immédiatement perceptible. Mais cette perception est un travail ; un travail réel.

Dans la plus puissante lunette du monde, un homme ne voit jamais qu'avec son œil.

 

*

 

Le temporel et le spatial (non pas le spatial et le temporel).

La théorie de la relativité fait du temps une quatrième dimension. Pourquoi pas la première ?

La longueur ? En quoi la longueur ne serait pas une durée ? Tente d'imaginer la longueur sans largeur ni profondeur, et distingue-la de la durée. (Je ne dis pas que ce soit impossible.)

Pourquoi pas le temps comme première dimension ? Et comme deuxième, et troisième, et quatrième, etc... ?

 

Je pense ici à l'efficacité et la rigueur qu'apporte Einstein à Poincaré, semblables à celles qu'apporta Newton à Descartes : elles se payent d'une réduction fallacieuse.

La théorie de la relativité permet de mesurer un univers bien plus « mou » que celui de Newton, mais bien moins convulsif que n'est le monde.

 

*

 

Sans doute, à tout vouloir ramener au mouvement, comme je le fais, on reviendrait vite à de semblables réductions et à de semblables illusions qu'en ramenant tout à l'espace, la matière, etc... Cependant, on doit ici observer que ces « réductions » ne sont pas sans efficacité pratique.

L'idée de « vérité » nous égare. On ne rendra pas la réalité plus réelle. Importe plutôt qu'à opérer des réductions, ces réductions soient réelles.

On se voit très bien dans un bon miroir : il nous renvoie une bonne image. Mais il ne nous renvoie bien sûr qu'une image. Et il n'y aurait aucun sens à la dire vraie ou fausse.

 

*

 

L'expérience du miroir : l'animal ou le petit enfant qui se regardent bouger devant le miroir. Bien sûr que c'est une expérience : comment sais-tu que ce n'est pas un autre, ni l'image d'un autre mais la tienne inversée ? Comment le sais-tu si tu ne fais rien ?

La plupart des animaux ne savent d'ailleurs pas faire l'expérience du miroir.

L'expérience du miroir nous est devenue trop familière ; fais alors l'expérience du jeu de miroir. Observe bien que tu dois agir, faire des gestes, ou au moins déplacer ton point de vue pour corriger ta perception.

 

— Est-ce que dans la nuit matinale, ce sont bien les toits en face on des reflets d'autres toits que je vois sur les vitres ?

Je dois déplacer ma tête pour en juger. C'est cela l'expérience. Ce n'est pas plus compliqué. Disons : La confrontation du sujet et de l'objet ; de la perception et de l'action, de la chose et de « moi ».

(Pas si compliqué, oui, mais on doit y remarquer quand même une double polarisation : sujet et objet, perception et action.)

 

*

 

Ce que je voie sur le trottoir en face est ou n'est pas un reflet sur la vitre. Cela, que je le sache ou pas. Et cela fonde ce que nous appelons « vrai » ou « faux ». Cela le fonde indépendamment de l'expérience qui nous le révèle.

Admettons. Mais pour qui la vérité est-elle là ? Ou si tu préfères : en quoi est-elle une vérité, indépendamment de l'expérience qui la révélerait ?

Cela ne veut-il pas dire : « Avant que tu ne l'accomplisses, l'expérience était virtuellement faisable » ? Alors la question de la vérité n'est pas séparable du temps.

Ou cela ne veut-il pas dire : « La vérité t'attend dans le temps, alors que — et même parce que — elle n'est pas temporelle » ? Je crois que ça veut dire quelque chose comme ça. Et « quelque chose comme ça » finit par nous empêcher de comprendre ce qu'est une expérience.

 

*

 

La cause et l'expérience :

Déterminer une cause, cela ne serait-il pas comme découvrir une poignée — une prise possible — dans un enchaînement d'événements ?

« En tournant le guidon, je fais tourner le vélo » : quelque chose comme ça. « En appuyant sur les pédales, je le fais avancer. »

« En agitant la surface de l'eau, je la fais jaillir par à-coups à l'autre bout du tuyau. »

 

*

 

— Et quand tu dis que les marées sont causées par la gravitation de la lune, où est la poignée ?

— Trop haut pour que je puisse l'atteindre. Ces sortes de causes sont moins pour moi des poignées que des cadrans — des indicateurs. J'observe une relation de symétrie entre deux événements et je dis qu'ils sont liés. L'un peut m'annoncer l'autre.

 

*

 

— Mais ne parles-tu pas alors abusivement de causalité ? Car je ne vois pas ce qui te permet de déterminer où est la cause et où est l'effet. À moins que tu n'appelles « cause » l'événement que tu fais l'indicateur — le signe — de l'autre.

— Je suis bien d'accord qu'il y a là un glissement de sens. C'est un tel glissement qui fausse la physique aristotélicienne ; qui rend un certain nombre d'inférences fausses, comme l'explication de l'accélération, par exemple.

 

Je remplace donc l'expérience par l'observation répétée :

Quand x, alors toujours y

Dans ce cas, la relation est nécessairement transitive :

Quand y, toujours x

Il y a un indicateur, mais pas de poignée.

La façon dont nous énonçons les problèmes masque souvent la très grande différence qu'il y a entre « quand je fais x, alors y » et « quand j'observe x, alors j'observe aussi y ».

 

Aristote cherchait la cause du mouvement dans le mouvant ; Newton l'a cherchée dans l'immobile (l'attraction de l'immobile), ce qui lui a fait supposer l'absolu de l'immobile : l'espace. Et nous pressentons bien des raisons, après toutes les corrections que cela pouvait apporter à la physique aristotélicienne, de soupçonner que nous l'avons peut-être laissée trop vite en jachère. Nous n'avons fait qu'inverser des erreurs.

 

*

 

— Mais peut-être en ajoutant z ?

Si x et z, alors y.

Si y alors soit x et z, soit x ou soit z.

— Tu n'as qu'à appeler s « x et/ou z », et tu retombes à la figure antérieure. À moins que tu n'aie trouvé un moyen de maîtriser l'introduction de z. Et cela est une expérience : tu as trouvé une poignée.

« Quand j'ajoute z, alors y. »

 

Je veux dire que, puisque tu appelles causalité une sorte de chaîne, tu ne la feras jamais tourner sans pédalier.

 

*

 

Le 15 janvier

« Si le vrai est ce que est fondé, alors le fondement n'est pas vrai, ni faux non plus », écrivait Wittgenstein ; le fondement est quelque chose comme une poignée, un manche, une pédale...

C'est entre ces poignées, ces manches, que la logique s'articule. Le modèle : l'articulation de la géométrie à la mécanique.

La logique serait-elle à la causalité ce que les jambes sont au vélo ? (Plutôt les mouvements du cycliste.)

C'est à dire qu'on peut remplacer les jambes par un moteur à piston. Dans ce cas, le vélomoteur est devenu un dispositif du même ordre que le vélo, mais plus complexe. (cf. Du Juste et du lointain.)

 

*

 

On peut bien sûr appeler « cause » ce que j'appelle « amont », c'est à dire laisser à « cause » une signification vague, que l'on peut alors préciser : cause matérielle, formelle, efficiente, première, seconde, finale...

C'est en rejetant ces catégories que s'est affirmée la méthode expérimentale. Est-ce en ne considérant que la cause efficiente comme seule véritable cause ? Disons, en se fabricant des causes efficientes à se mettre sous la main — des poignées pour l'expérience ?

 

*

 

« ... un dispositif... plus complexe. »

Du simple au complexe, ou inversement, ce peut être encore un aspect de l'amont et de l'aval.

Non. C'est tout autre chose.

Quel rapport entre simple et complexe et analyse et synthèse ?

L'analyse découpe le complexe en éléments simples. Mais en multipliant les éléments, on peut dire aussi qu'elle le complexifie.

Tout devient complexe pour peu qu'on le détaille en multiples éléments, fussent-ils simples, et tout devient simple pour qu'on le saisisse synthétiquement.

 

Ainsi, le mouvement du voilier selon le parallélogramme des forces : quelles opérations mentale fais-tu pour virer de bord ? Il se peut bien que tu n'en fasses aucune, comme pour incliner ta moto dans un virage, comme pour déplacer ta langue dans le palais quand tu parles.

 

*

 

Remarque

Je fais dans mes pratiques d'écriture de groupe des observations qui vont à l'encontre de toutes les données admises.

J'observe par exemple des compréhensions plus fines chez des enfants qui ne sont pas par ailleurs de bons élèves, que chez des adultes d'un niveau d'instruction largement supérieur à la moyenne et ayant souvent une pratique professionnelle des lettres et de l'écriture.

La semaine dernière, le même travail a été accompli en moins d'une heure et demie par un groupe de onze à quatorze ans et en trois heures par un groupe d'adultes. Tous les enfants ont atteint des résultats probants, ont bien compris les consignes et ont été capables, dans l'accomplissement des consignes successives, d'inférer les conclusions que les précédentes devaient leur suggérer.

Les adultes (plusieurs agrégés de lettres, au moins un écrivain, et deux personnes animant par ailleurs des ateliers d'écriture), semblent avoir eu plus de difficultés. (J'observe aussi que les réussites se situent surtout du côté des plus jeunes — mais pas de façon absolue.)

 

 

Le détail des consignes pourrait rendre mon propos plus significatif :

1. On écrit un court récit. (très simple : on n'a qu'à raconter une anecdote survenue la veille ou le jour même. Très court aussi : le minimum pour rendre un récit intelligible.)

2. On les lit à haute voix et on en fait la critique.

— Pour qu'un très bref récit soit lisible, il doit fourmiller de détails précis et faciles à concevoir pour le lecteur.

— Le recours au style direct peut économiser des descriptions. La façon dont quelqu'un parle, ou encore des gens entre eux, peut être riche d'informations.

On corrige les récits produits en s'évertuant de les abréger par de tels recours.

3. Sur une autre feuille, on rédige un nouveau bref récit en tentant d'utiliser cette fois-ci les enseignements techniques du texte précédent. (On a bien sûr changé de sujet.)

4. Chacun lit à haute voix son second récit, et l'on en fait à nouveau la critique. On le corrige éventuellement.

5. Chacun entreprend alors de rechercher dans les deux récits consécutifs qu'il aura écrits des figures symétriques.

Il peut y en avoir de toute sorte : — Des personnages peuvent y entretenir des situations comparables, voire inversées... — Il peut y avoir des symétries rythmiques (par exemple : dans les deux cas, suite de phrases brèves s'achevant sur une longue phrase), ou des symétries phonétiques : la sensible dominante d'un son. — Des mots répétés dans les deux cas. — Il peut y en avoir vraiment de toute sorte.

Il est possible, en cas de difficultés, d'échanger ses feuilles et de travailler sur le texte d'un autre. Il est souhaitable dans tous les cas d'échanger le plus possible pendant ce travail.

6. On tente d'introduire l'un des récits au sein de l'autre. (Chacun peut concevoir qu'une histoire soit racontée au sein même d'une autre histoire : c'est cela même.)

7. Quand on a fini, on échange ses deux premiers textes écrits chacun sur une feuille avec ceux de son voisin, et l'on fait la même chose avec ses deux récits.

8. On lit, on commente.

 

 

Comment des enfants ont-ils pu être à ce jeu plus vifs que des adultes ? Qu'est-ce que cela signifiait alors comprendre ou ne pas comprendre ? Je ne crois pas que ce soit ici de réelles capacités intellectuelles — pour autant qu'on sache ce que ça veut dire — qui étaient en jeu, mais peut-être une certaine « force vitale », quelque chose de semblable à la rapidité du réflexe.

 

*

 

Laissons les vents gémir et les rois murmurer.

— Comment s'assurer que cette phrase ait été bien comprise ? — Analysons-là !

Il semble que ce soit toujours ainsi qu'on veuille s'assurer d'une compréhension. Mais quels rapports entretiennent entre elles l'analyse et la compréhension ?

 

Un adulte ne devrait pas avoir de mal à nous dire que « les vents », dans cette phrase, sont là pour les forces naturelles, et « les rois », pour les puissances humaines.

Les mots ici sont employés comme dans le vers de Mallarmé « La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres ».

Un enfant ne semble pas capable de nous expliquer cela. J'hésiterais pourtant à dire qu'il ne le comprend pas. Je dirais plutôt que toutes les réponses qu'il me donne quand je l'interroge sont moins des réponses à mes questions qu'à la phrase même. Ces réponses peuvent me laisser supposer qu'il a mal compris, mais aussi bien le contraire.

 

Si plutôt que d'attendre l'explication, l'analyse, je demande la réponse, alors les capacités intellectuelles de l'enfant semblent bien plus élevées qu'on ne le dit communément.

Parfois la plus fine analyse formelle contraste avec les erreurs et les maladresses dans l'application ou l'imitation, parfois, au contraire, l'application la plus subtile succède à l'incapacité d'analyser.

 

(— Comprendre, ce n'est pas savoir répéter comme un perroquet. — Soit, mais es-tu bien sûr que tu doives te dispenser indéfiniment d'accomplir quelque chose spontanément, comme un réflexe, comme l'opération d'une machine, ou comme un perroquet si tu veux ?)

 

*

 

Comment t'y prends-tu pour tenir sur une planche à roulettes ? As-tu étudié la dynamique et la statique ?

Moi je n'ai jamais réussi un tel exploit. Mais j'ai marché sur une corde. Comment m'y suis-je pris ? J'ai regardé devant moi et avancé exactement dans la direction de mon regard. C'est cela exactement mon impression : je me tiens à mon regard.

 

*

 

Rien n'est en soi simple ou complexe, tout dépend de la saisie. Compare Freud et Descartes :

En parlant de la concentration, nous avons déjà vu le cas ou deux représentations qui ont quelque chose en commun, un point de contact dans les pensées du rêve, se substituent, dans le contenu du rêve, par une représentation composite, où un noyau plus ou moins distinct correspond à l'élément commun, des caractéristiques accessoires indistinctes aux traits particuliers des deux représentations. Un déplacement s'ajoute-t-il à cette condensation, il n'en résulte pas la formation d'une représentation composite, mais celle d'un élément commun moyen, qui se comporte par rapport aux éléments isolés comme, pour prendre une analogie, la résultante par rapport à ses composantes dans le parallélogramme des forces.

(Freud : SR 670-71 - 88-89)

Si donc, par exemple, j'ai commencé par reconnaître, grâce à des opérations distinctes, quelle est la proportion qui existe entre les grandeurs A et B, ensuite entre B et C, puis entre C et D, et enfin entre D et E, je ne puis m'en faire une idée précise à partir de celles que je connais déjà, à moins de me les rappeler toutes. Aussi vais-je les parcourir plusieurs fois par un mouvement continu de l'imagination, qui voit chaque terme par intuition en même temps qu'elle passe aux autres, jusqu'à ce que j'ai appris à passer si rapidement de la première proportion à la dernière que je ne laisse presque plus aucun rôle à la mémoire et qu'il me semble avoir une intuition simultanée de tout ; de cette manière, en effet, tout en aidant la mémoire, on remédie aussi à la lenteur de l'esprit, et l'on accroît dans une certaine mesure sa capacité.

(Descartes : Règles 387-388)

 

*

 

(Ici je pense au cinéma. Qu'y a-t-il de plus surprenant que ce déroulement de la pellicule d'un côté, et ce mouvement tout différent sur l'écran qui ne garde plus aucune trace du premier ; ce défilement d'images immobiles qui produit une image mobile. Une semblable mobilité manque à ce que disent Freud et Descartes.)

 

*

 

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