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SIMPLES CONTES
D'UNE PLANÈTE BLEUE

 

 

Jean-Pierre Depétris

 


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PROLIFÉRATION

 

 

 

 

 

Vent secteur est force deux. Mer belle à peu agitée. Ciel dégagé près des côtes. Risque d'averses sur le relief.

Il avait retenu le bulletin météo dans le journal du soir parcouru à la gare. Un village passa très vite en faisant trembler la vitre.

 

La végétation qui foisonnait au bord des voies le fascinait. Le dense rideau de ronces qui longeait le talus lui rappela un roman de science-fiction : sur une planète lointaine des hommes luttaient contre une nature terriblement hostile.

Plus ils luttaient, plus la nature devenait hostile. Une fable écologique.

 

Les écologistes avaient bien du mal à réaliser une percée électorale. Défendre la nature... Les amas de ronces et les sombres feuillages qu'il voyait à contre-jour lui semblaient plus menaçants que menacés.

 

Sans doute y avait-il quelque chose de précaire dans cette vie végétale en sursis qui se déployait si vite là où l'on ne la désirait pas.

Ce matin, en face de chez lui, il avait vu que des coquelicots poussaient dans la gouttière d'un toit. Quelque chose de précaire..., mais d'une telle voracité.

 

Les constructions qui mordaient dans la campagne ne lui semblaient pas moins voraces ni précaires.

L'écologie se fondait-elle sur une volonté de protéger cela ou de s'en protéger ? Peut-être seulement sur l'illusion d'en être étranger.

En réalité il pensait aux écologistes parce qu'il venait de lire un article sur leur score aux municipales.

 

En scrutant le paysage, il se dit que les premiers impressionnistes avaient bien saisi cette voracité, cette avidité de lumière...

Il était encore chez Paul hier, dans son atelier qui donnait sur le jardin. Sentait-il encore l'odeur des arbres en fleurs à travers celles de l'huile et des essences ?

Il n'était pas sûr que la peinture contemporaine ait pris la bonne voie : trop polie, trop policée — et au fond trop simpliste et trop tiède.

 

Il aurait pourtant souhaité voir la campagne en ne pensant à rien. La voir telle qu'elle était, pure, l'esprit vide de toute charpente sur laquelle sa vision aurait pu s'étayer. La voir comme un homme préhistorique.

Il imagina des hommes préhistoriques marchant courbés à travers les branchages.

 

Avant même de comprendre que cela n'avait aucun sens, il se rendit compte que le souvenir d'un tableau du Lorrain n'avait pas quitté son esprit pendant toutes ces réflexions.

Un autre village défila.

Un instant il crut percevoir quelque chose de commun entre cette végétation qui poussait au bord des voies, et ces visions en lui qui passaient.

 

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