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SIMPLES CONTES
D'UNE PLANÈTE BLEUE

 

 

Jean-Pierre Depétris

 


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L'ARRIERE PAYS

 

 

 

 

 

Les tribus qui peuplent ces montagnes sont plus primitives que celles de la plaine côtière.

Pour faire leurs huttes, les indigènes se servent des cailloux dont ils ont débarrassé l'aire de leur camp. Ils en construisent de petits murs grossiers qui ne dépassent jamais un mètre. Les toits sont faits de branches repliées en dôme et colmatés de paille. Les huttes offrent rarement plus de quatre mètres carrés de surface habitable. Celle-ci est légèrement creusée au-dessous du sol. Un village en possède plusieurs dizaines.

Le camp est entouré d'un mur, plus large que haut, fait de simples caillasses entassées. Il est construit, comme les huttes, avec les pierres retirées de l'aire du camp et des pâturages qui l'entourent. En cas d'attaque par une tribu hostile ou par des bêtes féroces, il est une réserve de projectiles pour les bergers qui font ligne derrière lui.

 

Chaque chef de tribu est accompagné d'un fou. Un fou, pas un sorcier, ni un prêtre : le culte est présidé par le chef lui-même, et les guérisseurs ou les féticheurs ne se distinguent pas spécialement des autres membres du clan.

Ce sont bien des fous. Beaucoup d'entre eux ont des malformations. Ils sont visiblement insensés, ou tout au moins très diminués mentalement.

 

Le fou jouit de prérogatives incroyables. Il ne faudrait pas croire qu'il serve à amuser le chef, ni la tribu. Il leur ferait plutôt peur.

Ce sont en général des personnages effrayants, et qui ne sont soumis à aucune règle. Ils peuvent tout se permettre, et personne, pas même un grand chef, n'oserait leur tenir tête.

Ils se promènent armés d'énormes bâtons, qui font redouter de toujours possibles accès de fureur. Souvent ils sont à l'origine de guerres tribales, et on les écoute volontiers en matière de stratégie.

 

Les fous sont les seuls à se déplacer par monts et par vaux où bon leur semble. Comment échappent-ils aux bêtes féroces ? Nul ne le sait.

Il n'est pas rare de voir arriver dans un camp le fou d'une tribu voisine. Il est traité par tous avec la même crainte respectueuse.

Il arrive que des fous se rencontrent. En général ils ne se disent rien. Ils semblent ne se prêter mutuellement aucune attention. Puis on les voit quitter le camp à peu de temps d'intervalle, marchant vaguement dans la même direction, chacun suivant son chemin, allant son pas.

 

Le fou est le véritable maître de la tribu. Le chef y tient plutôt le rôle d'un intermédiaire, d'un médiateur entre celui-ci et celle-là.

On a observé qu'aucune tribu ne se perpétuait bien longtemps si son fou venait à disparaître sans qu'elle puisse lui trouver un remplaçant.

Sans fou, une tribu finit par se disperser, ou par se laisser absorber par une autre.

 

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