À Bandar‘alam

Jean-Pierre Depetris, juin 2018.

Au port de Bandar‘alam - Près du port - À propos de Raya - L’esprit à Bandar‘alam - Suite

Table des matières





Cinquième carnet - Au port de Bandar‘alam

À Bandar‘alam

Nous sommes arrivés à Bandar‘alam quand le jour tombait. La ville est bâtie sur un site rocheux, une forteresse naturelle. Elle s’est étendue en trois siècles bien au-delà dans la plaine alluviale autour du petit delta de la Nagoundat.

Raya a un appartement en face de la mer, en face des îlots rocheux qui protègent l’entrée du port. Les vieux canons y ont été remplacés par des rampes de missiles.

Raya habite à l’étage d’un petit immeuble de la vieille ville aux ruelles étroites, mais la déclivité du terrain lui laisse une large vue sur la rade. On peut y voir se lever et se coucher la lune. L’immeuble est relativement ancien ; j’entends par là qu’il n’a peut-être pas été bâti avant le vingtième siècle, mais il est typique de ces vieux quartiers des ports du monde entier, aux maisons à la fois coquettes et rustiques, à la fois austère et ornée de bas-reliefs et de mosaïques calligraphiques ou florales. Elle est typique de ces républiques portuaires, où, non pourtant sans modestie, on ne se départit jamais d’une certaine fierté, presque d’un sentiment aristocratique ; le sentiment de n’avoir pas de prince, de sultan, de brahmane, de mandarins ou autres bureaucrates, propriétaires ou actionnaires.

L’urbanisme de la vieille ville en dit long sur ses mœurs, et sur son histoire. Les mœurs dans les ports, partout, sont modelées par les métiers de la mer. Même en Europe, ils étaient les seules activités auxquels un aristocrate pouvait se livrer sans déchoir ; le seul métier où tous ceux qui l’exerçaient étaient rompus à celui des armes, ce qui a toujours jeté un flou entre les castes de guerriers et celles des travailleurs. Jusqu’au dix-neuvième siècle, sur toutes les mers du monde, vaisseaux, jonques ou boutres étaient flanqués de quelques bombardes, et l’on n’y trouvait nul marin qui ne sût utiliser les armes à feu et manier la lame, à plus forte raison dans un port de pirates.

Tous devaient aussi connaître la mer, savoir construire, entretenir et réparer leurs embarcations où qu’ils se trouvassent, pouvant à l’occasion se faire un peu des ingénieurs de marine. Aussi les maisons, quoi que souvent modestes, disent l’importance et le respect qu’ils s’accordaient les uns aux autres. Certes, même à Bandar‘alam, tous n’étaient pas égaux, et l’on n’y aspirait pas. Il importait seulement que ceux qui étaient reconnus les premiers l’aient été par leurs pairs.

L’immeuble où habite Raya a un petit jardin du côté de la mer. Nous n’y avons pas accès par l’étage, mais il éloigne et rabaisse le vis-à-vis, et il parfume les soirs, quand l’air devient plus tiède.

Than

– J’admire la façon dont la Chine actuelle a réingéré le Confucianisme.

– Oui, je dois dire que les campagnes anti-confucéennes de la Révolution Culturelle nous avaient mis ici dans une situation inconfortable, me répond Than.

Than est une voisine de Raya. Un peu plus jeune que nous, elle était encore une enfant à l’époque. Elle est chinoise, et, évidemment, confucianiste, ce qui signifie à peu près que, depuis des siècles sa famille parle et lit le chinois, et que les statuettes des Trois Vénérables trônent sur le buffet du salon pour assurer santé et prospérité.

Depuis le repli sur soi de l’empire autour du quinzième siècle, les Chinois du sud-est de l’Asie se sont sentis abandonnés, et ils se sont repliés eux aussi sur leurs mœurs et leurs coutumes. L’île devenue un repaire de pirates, ils s’étaient spécialisés dans l’écoulement du produit des rapines avec les ports de Hong-Kong, de Shanghai ou de Macao, et la recherche de capitaux pour l’armement des navires. Après les périodes chaotiques autour du dix-neuvième siècle et de la Guerre Civile Mondiale au vingtième, ils continuent, ils continuent du moins à entretenir des relations commerciales avec la Chine continentale, mais pas, bien sûr, à pratiquer la piraterie.

L’essence du Confucianisme

Les attaques des Maoïstes contre le Confucianisme, probablement non dépourvues de tout fondement, le rendant responsable du déclin de la Chine et de son ouverture à des puissances étrangères malveillantes, mettaient mal à l’aise les Chinois de la diaspora. Elles allaient à l’encontre de l’idée qu’ils se faisaient d’eux-mêmes, contraints de renier une part ou une autre de ce qu’on appelle aujourd’hui, fort mal par ailleurs, leur « identité ». Ils étaient contraints de choisir, disons, entre la Chine réelle et leur culture chinoise.

Il va sans dire qu’alors la république de Tchang Kaï-chek avait fait long feu et n’était plus une alternative. Même pour le Kuomintang, il ne faisait déjà plus aucun doute qu’il n’existait qu’une Chine et qu’elle n’était pas la leur. Il suffisait de laisser jouer le temps : comme bon nombre d’Occidentaux, les Nationalistes étaient sûrs que le Chine se fatiguerait vite de l’utopie communiste quand elle verrait son vrai visage…, et ils attendent toujours ; les autres au contraire étaient convaincus que les Nationalistes finiraient tôt ou tard par se lasser de jouer les valets de l’Impérialisme. On peut deviner qui finira par avoir raison.

Aujourd’hui, alors que l’Impérialisme s’est réduit à l’État Profond des USA et à un armement aussi pléthorique et coûteux qu’en voie d’obsolescence, quoi que toujours dangereux malgré tout, l’Asie tout entière ressent une lassitude de cette présence pesante et toujours moins solide, et plus encore peut-être, des insolences et des provocations incessantes de la diplomatie états-unienne. Même les citoyens des USA commencent à manifester eux-aussi des signes d’impatience. Il est donc plus urgent que jamais de laisser encore le temps agir.

En attendant, la Chine nouvelle a retourné le Confucianisme comme un gant. Certes, une observation négligente pourrait laisser croire le contraire, que les Communistes chinois auraient seulement, en quelque sorte, plutôt retourné leurs vestes. Non, ils ont retourné le Confucianisme, et ils l’ont retourné pour le remettre dans le bon sens. C’est ce que pense Than.

Après avoir montré le mal qu’avait fait le Confucianisme à la Chine, il suffisait de montrer celui qui avait dû lui avoir d’abord été fait pour aboutir à un tel résultat. Il suffisait de revenir au texte.

– J’ai été plutôt content de cette réhabilitation de Confucius, dis-je. J’avais lu depuis longtemps ses entretiens et les gloses de gloses qui en ruisselaient. N’y comprenant rien au début, j’ai fini par aimer cette philosophie de la vie simple. On a fait avec Confucius ce que Feuerbach avait fait avec l’Essence du Christianisme.

Les Chinois à Tamgound

Than ayant dit que les attaques dirigées contre le Confucianisme étaient « d’abord » inconfortables pour l’idée que les Chinois de la diaspora se faisaient d’eux-mêmes, je l’ai interrogée sur la suite que ce « d’abord » faisait augurer ; si elle songeait à l’idée qu’ils se faisaient des autres, ou à celle que les autres se faisaient d’eux ?

« L’idée que les autres plutôt se faisaient de nous… », m’a expliqué Than. « Pour les anti-communistes, tous les Chinois de l’île étaient virtuellement des Communistes ; pour les Communistes, ils étaient des Confucianistes réactionnaires. Pour les deux, ils étaient de toute façon une minorité, et il est toujours tentant de chercher dans une minorité la responsabilité de tous les maux. » Il est vrai que quelques-uns s’étaient enrichis dans la construction navale et l’armement depuis le dix-neuvième siècle, mais la plupart étaient des dockers et des métallurgistes, parmi lesquels se trouvait l’avant-garde du mouvement syndical.

D’une digression

Quand on écrit à la plume sur du papier, ou même quand on dactylographie, on obtient immédiatement un texte sur un support matériel, sur une page où il ne variera plus.

Nous avons tous des façons différentes de remplir une page, d’en occuper l’espace. L’un écrit en pattes de mouches, laissant de larges marges, quand l’autre écrit d’un bord à l’autre sans n’en laisser aucune. Certains écrivent gros, d’autres, minuscule ; certains tracent leurs lignes bien droites et régulières ; d’autres, qui obliquent vers le haut, d’autres, vers le bas. Certains même laissent grimper leurs lignes vers le haut de la page quand ils se penchent sur elle avec plus d’attention, et descendre mollement, lorsqu’ils se collent en arrière sur leur dossier et laissent leur main suivre tranquillement la plume. J’ai encore pu parfaitement l’observer quand Saad m’a laissé regarder les copies qu’il corrigeait.

Nous avons tous des manières différentes d’écrire, mais nous n’y songeons pas beaucoup dans la mesure où nous n’avons pas à le faire. Ça vient-seul, pourrait-on dire. Quand nous éditons un texte, la mise-en-page, au contraire, ne vient pas seule. Elle s’impose peut-être bien quand même malgré tout, mais il nous revient de trouver comment ; comment le texte lui-même impose sa mise-en-page. Celui qui fait métier d’éditer doit être habile à trouver comment.

Je déteste les livres publiés dans des collections où l’on impose à tous la même mise-en-page sans chercher davantage celle qui conviendrait à chacun. Le meilleur choix serait de se rapprocher de l’écriture manuscrite de leur auteur, et du mouvement de sa pensée.

Je me souviens d’avoir lu un ouvrage de Pierre Livet, un ouvrage remarquable, paru aux Éditions de l’Éclat, éditions elles aussi remarquables. Le texte était si tassé dans les pages que j’ai eu peine à le lire. À l’évidence, on avait cherché à réduire au plus juste le prix du papier. C’était au moins logique, et un tel souci est compréhensible. Il est courant chez les éditeurs d’essais scientifiques ou philosophiques

Je me souviens encore d’un ouvrage d’Hubert Lucot, Langst, édité par l’Imprimerie Nationale, et dont les caractères choisis étaient bien trop gros, hachant les longs énoncés dans des lignes trop courtes. La mise-en-page rendait là encore la lecture moins souple. Une telle mise-en-page aurait été excellente pour Francis Ponge, par exemple, Francis Ponge qui prétendait écrire de telle sorte que chaque mot pût être mis en italiques ; mais elle ne convenait pas pour Hubert Lucot, dont le choix de chaque terme est moins important que leur suite, que le flux continu qu’ils produisent…

– Tu digresses encore, me coupe Raya, et tu ne réponds toujours pas à ma question : pourquoi juges-tu important de toucher au code pour tirer tout le parti de ce que le numérique apporte à l’écriture ?

Leili et Saad

La sœur de Raya, qui s’appelle Leili, nous a rejoints à Bandar‘alam. Saad est venu lui aussi avec elle ; il a pris une chambre dans un petit hôtel du port. J’en ai pris une moi aussi. Leili s’est installée dans l’appartement de Raya, qui est bien assez grand pour deux, mais moins pour trois, et il devenait alors gênant que je continue à le partager, surtout si Saad, lui, s’installait ailleurs.

Après tout, c’est bien mieux ainsi. Raya et Leili ont chacune leur chambre dans cet appartement familial qu’elles se partagent parfois, ou laissent à d’autres parents qui auraient à venir à Bandar‘alam. Il est rarement vide.

J’aime cet appartement. Je m’y sens bien, mais pas trop longtemps. Très vite me vient l’impression qu’il me rejette. C’est un vieil appartement tellement typé et si longtemps habité par trois générations de la famille de Raya et Leili, qu’il en devient hanté. Je ne saurais m’y sentir chez moi.

C’est aussi un appartement de femme. Les appartements de femmes sont toujours plus accueillants que ceux des hommes, plus ordonnés, mieux décorés : des vases fleuris, toujours, des estampes sous verre, des estampes représentant des fleurs, ou des calligraphies, comme celle, dans la chambre de Raya, de la Sourate de l’Aube, que je n’ai jamais pu entendre sans émotion :

Par la lumière de l’Aube

Par la nuit quand elle s’étend…

Il y a toujours quelque-chose d’envoûtant pour un homme dans un appartement de femme ; et peut-être la réciproque est-elle vraie ; mais il ne peut s’y sentir chez lui ; et peut-être la réciproque est-elle vraie aussi.

Je me souviens que Raya avait paru émue quand elle était entrée dans la chambre que me laissait Saad chez lui. Elle avait fait des remarques en ce sens sur ma façon d’y imprimer ma marque, malgré le peu de temps depuis lequel j’occupais ce lieu : le fauteuil devant l’ordinateur portable face à la fenêtre, le casque négligemment posé sur le bras articulé de la lampe, le porte-manteau accroché à la bibliothèque, où je pendais ma chemise pendant les nuits chaudes, le stylo, le porte-mine et le marqueur dans un verre, la tasse où restait un fond de café, l’appareil photo suspendu à la chaise, et le désordre des papiers et de mes carnets sur la table, où tout était pourtant parfaitement à sa place, sous ma main.

Oui, c’est mieux que nous puissions nous voir chacun chez nous quand nous le désirons ; nous inviter l’un l’autre, à tour de rôle. Je regrette de ne pouvoir l’inviter à dîner et faire la cuisine moi-même ; préparer le poisson comme je le fais chez moi. Le poisson ne manque pas près du port à Bandar‘alam.

Chez les Moghols

Les Moghols s’étaient mis très tôt à utiliser des chaises et des tables hautes, mais on aime toujours ici s’asseoir sur des tapis, s’entourer de coussins. Moi, j’ai toujours quelques difficultés à rester longtemps assis les jambes croisées. Je finis toujours par m’allonger, même en mangeant, comme un romain ; ou encore comme les Chinois, les jambes croisées sur le côté, appuyés sur un coude, que j’ai vu sur des estampes taoïstes au musée de Bandar‘alam.






Sixième carnet - Près du port

Le musée de Bandar‘alam

Je suis allé visiter le musée de Bandar‘alam avec Than. Il est immense, et nous nous sommes limités d’abord aux seules salles consacrées aux estampes chinoises. Elles m’ont accessoirement décomplexé de mon ventre trop flasque, malgré mes promenades à vélo quand j’étais chez Saad, et qui me met mal à l’aise parfois devant Raya, à la taille si élancée.

J’ai vu des quantités de Vénérables, d’Immortels ; des dynasties de maîtres Tchan, aux chemises largement ouvertes jusqu’à la ceinture, sur des ventres bien plus gros et plus mous que le mien, avec des tignasses et des barbes plus hirsutes que les miennes, et qui n’étaient pourtant pas dépourvus de prestance, et sans doute de séduction. Les corps imparfaits, tracés en quelques coups de pinceau, dégageaient souvent une force et une attraction qui n’avait rien à envier à ceux plus athlétiques des statues occidentales inspirées de la Grèce antique.

Than a tenté de m’expliquer pendant notre visite, pourquoi cette antique mythologie populaire restait si vivace en Chine, et notamment dans cette diaspora nourrie bien davantage des Entretiens de Confucius que des contes taoïstes.

Elle a tenté de me l’expliquer, mais elle ne m’en a pas dit beaucoup plus que je ne savais déjà. Lao Tseu et Confucius, bien qu’ils constituent deux aspects irréductibles de la pensée chinoises, ne forment pas plus deux traditions qui s’excluraient l’une l’autre, que ne le sont les philosophies d’Aristote et de Platon dans la pensée occidentale.

Je connais déjà suffisamment Than, et je connais aussi déjà assez bien le pays, pour savoir que lorsqu’elle parle de la pensée occidentale, elle pense principalement à la philosophie arabo-persane : l’aristotélisme d’Avicenne (Ibn Sina), le platonisme d’Algazel (Al-Ghazâlî) ; ce que le monde arabe, l’Occident Arabe, le Maghreb, appelle précisément la Sagesse Orientale, ou des Lumières, la soupçonnant toujours d’influences zoroastriennes.

Le Taoïsme traîne davantage que le confucianisme une mythologie populaire antique, mais on ne doit pas y chercher de plus significatives résurgences que le caducée d’Hermès sur la porte des pharmacies, ou les fréquents sujets mythologiques dans l’art européen. Cette antique mythologie est devenue depuis des siècles davantage un thème littéraire, ou un prétexte artistique, qu’une manifestation proprement religieuse.

Le ciel subtropical

Le ciel est étrangement dégagé sur la mer cette nuit à la fenêtre ouverte de chez Raya, face au sud. La Voie Lactée le barre tout entier en diagonale. Au milieu, là où la concentration d’étoiles est la plus dense, au plein centre de la Voie Lactée, on distinguerait presque Saturne à l’œil nu. (Raya a une lunette.) Un peu plus à l’Est, un peu plus bas sur la mer, Mars, près du Bélier, luit d’un éclat rouge vif. Dans leur prolongement à l’Ouest, Jupiter est entre la pointe de la Balance et la Vierge.

Je n’ai pas l’habitude de voir ces astres, si hauts dans le ciel, sous cette latitude. En partie, les reconnaissant, je me sens chez moi ; en partie, j’éprouve une impression d’étrangeté à les découvrir si proches du Zénith, et comme une légère sensation de vertige.

Raya, qui s’est rapprochée de moi, laisse tomber sa tête sur mon épaule quand je la saisis par la hanche. Je sais que cet instant ne s’effacera jamais, avec ses saveurs d’Éden.

Les boutres

Les rues de Bandar‘alam ne sont pas sans charme. Elles sont étroites, souvent en escaliers. Les petits murs de pierre des jardins n’y sont pas assez hauts pour cacher entièrement aux regards leurs feuillages qui dégagent leur fraîcheur et leurs senteurs de terre humide. Même en plein jour, on y entend les insectes et les crapauds. On y entend des oiseaux, parfois un coq. On y distingue un pigeonnier parmi les branches.

La ville est toute ainsi entre l’appartement de Raya et l’hôtel ou je suis descendu. L’hôtel, l’Hôtel Al ‘alam, a une salle bar-restaurant au rez-de-chaussée, en face des quais où sont rangés des bateaux de pêche. Ce sont de petits boutres aux voiles triangulaires, dites latines.

En fait, les voiles des boutres ne sont pas si triangulaires, ni si latines non plus. Elles forment plutôt un triangle tronqué, et qui s’appelle donc, comme le sait tout écolier, un trapèze, même lorsque l’un des côtés est beaucoup plus petit que les autres. Elles ne sont pas si latines non plus ; elles ont été introduites du Golfe Persique en Méditerranée par les Égyptiens aux premiers siècles de l’Hégire, ou peut-être bien avant, et elle venaient probablement de plus loin encore, là où l’on naviguait sur des mers bien plus grandes, sur des océans.

On donne le nom générique de boutre à des navires très différents qui vont de simples barques dotées d’une voile latine, les dhows, ou encore à de petits voiliers rapides dont on fait toujours des courses dans le Golfe Persique, jusqu’à des grands baghalats de quarante mètres, ou des bhums avec de hautes proues, qui sillonnèrent longtemps l’Océan Indien ou le Détroit de Malacca.

On continue aujourd’hui à fabriquer de grands boutres à moteur qui font encore du cabotage commercial des régions de Dar es Salam aux Îles de La Sonde. Il faudra que je songe à expliquer à Raya pourquoi ces boutres à moteur sont au code source ce que la voile triangulaire fut à l’écriture.

À l’Hôtel Al ‘alam

Saad et moi mangeons souvent ensemble au restaurant de l’Hôtel Al ‘alam, et nous y bavardons longuement autour d’un café, et parfois de quelques coupes de vin qui lui font suite. On boit ici le vin dans des coupes en acier inoxydable ou en d’autres métaux plus ou moins précieux, qui révèlent différemment sa couleur et son jambage.

Saad aime le vin. Tous les gens l’aiment ici, et Tamgound en importe beaucoup, principalement de Chine. Bien que la majorité des habitants soient musulmans, la prétendue interdiction coranique ne paraît pas les concerner. Elle n’a d’ailleurs jamais préoccupé beaucoup le monde moghol ni tatare qui ont fourni depuis des temps immémoriaux toute l’Asie en vins fameux.

Saad s’est fortement épris de Leili. Elle se demande si elle ne va pas le suivre à Fâfura à la rentrée prochaine ; et Saad cherche déjà une opportunité de donner des cours à l’université de Bandar‘alam.

Personnellement, je regrette un peu les environs de Lamdong et leur relative fraîcheur. Et puis les orages dans la campagne sont tellement plus beaux que sur la ville.

Au bar de l’hôtel

– Tu connais le Coran et tu sais lire l’arabe, m’a dit Saad. Je ne vais pas t’apprendre qu’il n’est pas un livre de lois. On y trouve bien quelques prescriptions, mais on devrait prendre le temps d’y réfléchir. Là il est dit qu’une femme vaut un homme, et ici qu’elle a droit à la moitié de l’héritage ; là que l’esclavage est un mal, et ici qu’il est bon de racheter la liberté d’un esclave. Pourquoi ces demi-mesures ? Parce que le Coran n’est pas un livre de lois justement.

– Je te l’accorde.

– La sagesse du Coran donne des directions, et elle laisse le soin de constituer un droit positif, une shariat, qui y conduise ; mais ce droit ne peut être qu’un compromis. La shariat n’est pas un droit d’ordre divin. Il n’existe pas un tel droit ; la shariat est seulement la construction d’un droit positif à partir des deux fondements. Tu dois savoir cela ?

– Oui, j’ai lu des choses à ce propos il y a longtemps, qui concernaient l’époque des premiers califes, et que j’aurais bien du mal à retrouver.

– Il y a deux sortes de fondements : les premiers sont les principes que laisse entrevoir le Coran, et les seconds sont les lois telles qu’elles préexistaient et telles qu’elles étaient appliquées localement avant lui. C’est pourquoi les shariats sont toutes différentes dans tous les lieux du monde et en tous les temps, même si elles s’inspirent du Coran, ou du moins le proclament. Ne me dis pas que tu l’ignorais.

– Je ne l’ignore pas. C’est de notoriété commune.

– Il est périlleux de vouloir concilier la morale et le droit. N’en déplaise à Emmanuel Kant, la loi n’est pas le bien ; la shariat est une construction humaine et provisoire dont on peut seulement se servir pour avancer, d’où son nom.

– Je t’accorde tout cela, mais où veux-tu en venir, Saad ? C’est une question intéressante et bien complexe que tu soulèves là, mais je crains qu’inévitablement elle ne se dérobe dans des sophismes. Tu me permettras de m’en tenir à ce que le droit n’est qu’un prolongement plus ou moins fantaisiste des infrastructures de production dans l’idéologie. De lois, je connais seulement celles de la physique, celles des mathématiques, et celles des langages.

Un lapsus de Saad

– Je te rejoindrais volontiers sur ce point que ne contredirait sans doute pas l’enseignement du Sixième Imam, Ja‘far Al Sâdiq, béni soit son nom ; mais voilà bien quand même le style de jugements que Friedrich Nietzsche aurait identifiés comme ceux d’un Chrétien ou d’un Anarchiste. On ne peut pas se dérober ainsi devant toutes les situations.

– Que veux-tu dire ?

– Qu’a dit Isha le prophète (Jésus) pour empêcher la lapidation de la femme adultère ? Il a répondu habilement : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». C’était une façon astucieuse de ne pas récuser l’antique loi, ni de l’accréditer. Mouhammad le prophète n’était plus en situation de s’en contenter ; il fallait trancher et manifester en même temps la sagesse de son prédécesseur. Le Coran dit que cette loi est inapplicable et hypocrite, et qu’une telle loi qu’on ne peut appliquer sous peine de n’avoir plus de femmes, on doit l’abolir.

– Il paraît que de prétendus Musulmans l’appliquent pourtant toujours.

– Je n’en sais rien, mais ils doivent alors être bien présomptueux pour s’opposer ainsi aux paroles du Coran. Quoi qu’il en soit, le Coran n’est pas un livre de lois. Il dit que cette loi devrait être abolie, mais il n’énonce pas son abolition, pas plus qu’il n’énonce cette autre loi qui mériterait pourtant de l’être, que l’amour est divin, adultère ou non, et que s’y opposer est un blasphème.

– Certes, le Mahabharata des Indiens nous enseigne ce qui est advenu au Prince Pandu après qu’il eut abattu un cerf au moment de l’accouplement. Mais est-ce ce que penseraient les cadis et les oulémas ?

– C’est sans importance. Les oulémas sont utiles pour nous apprendre ce que nous ne saurions pas ; par exemple, dans la sourate de l’Homme au poisson, qui est ce fameux « homme au poisson » ; mais nous n’avons pas besoin d’eux pour lire ce qui est écrit dans un arabe clair sous la plume d’Israfil.

– Gibrîl.

– Quoi ?

– Pas Raphaël, Gabriel.

– Ah oui, Gibrîl, drôle de lapsus.

Une sourate fantôme

« Il n’existe aucune sourate qui s’appelle l’Homme au poisson », m’assure Raya. « Saad a probablement dû faire une confusion avec la sourate soixante-huit, Le Calame, où ce nom est employé pour désigner le prophète Younous. »

« Est-on certain qu’il s’agisse bien de Younous (Jonas), s’il n’est pas désigné par son nom ? »

« Le texte arabe ne laisse pas planer beaucoup de doute. Existe-t-il un autre prophète qui ait vécu dans le ventre d’un poisson ? »

« Non, mais j’en connais au moins un autre qui pourrait être appelé “l’homme au poisson” : c’est Tobie, fils de Tobie. »

« Je n’ai jamais entendu le nom de ce prophète. En a-t-il un autre dans le Coran ? »

« Euh, non, à moins qu’il n’y ait été appelé “l’Homme au poisson”. Son histoire est dans le Livre de Tobie, où le fils guérit la cécité de son père à l’aide du fiel d’un poisson que lui a apporté Raphaël. Saad venait justement de faire un lapsus en utilisant le nom de Raphaël à la place de Gabriel. »

« Comment Saad connaîtrait-il le Livre de Tobie ? »

« Je n’en sais rien, mais j’ai vu plusieurs miniatures mogholes au musée de Bandar‘alam qui représentaient Israfil portant un énorme poissons, comme si elles illustraient le Livre de Tobie. »

« J’imagine, comme pour notre rencontre, qu’il doit s’agir encore d’une manifestation du double théorème d’improbabilité », me répond Raya en souriant, comme pour clore la question.

« Peut-être… J’y vois surtout comme des images que nos esprits forgeraient pour nous mettre sous les yeux ce que nous aurions aperçu sans le voir ? »

« Il faudra que tu m’expliques à nouveau ce qu’est exactement le double théorème d’improbabilité », dit Raya en bayant, « mais rendors-toi maintenant. »

Le double principe d'improbabilité

« Dans tout système ouvert, tout événement qui n’est pas délibérément provoqué est de nature improbable. L’improbabilité s’accroît en proportion des déterminations, et donc de l’ouverture du système. On peut en principe, même si l’on ne le peut pas en pratique, remonter les chaînes causales de l’événement improbable, mais on ne peut pas descendre l’enchaînement des causes pour le prédire. Cette impossibilité n’est pas seulement pratique, elle est principielle. »

« Que doit-on entendre ici par principielle ? » m’interroge Raya.

« Que Dieu lui-même en serait incapable », dis-je en pensant à Laplace. Le regard de Raya qui cherche celui de Saad m’indique qu’elle ne perçoit pas bien les limites de mon sérieux.

« Même Tout-Puissant, il est des choses que Dieu ne peut pas faire », renchéris-je « par exemple, faire que ce qui a été cesse d’avoir été. Cela, seul un poète saurait le faire, mais tout le monde sait que les poètes ne sont pas sérieux. »

« He déconne », la rassure Saad.






Septième carnet - À propos de Raya

Le démon de Laplace

« Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »

— Pierre-Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités

Raya a retrouvé en ligne la citation exacte de Laplace. Ce n’est pas bien difficile. Elle me l’a envoyée avec son commentaire.

« Je comprends mieux ce que tu voulais dire. La question que tu soulèves n’est pas qu’une telle “intelligence” existât ou non – il est probable que Laplace lui-même ne le crût pas –, mais existât-elle, elle ne pourrait connaître l’avenir. »

Elle m’a envoyé son commentaire en français avec ses imparfaits du subjonctif que je n’ai pas retouchés.

« Quoique bref, ton courriel m’a impressionné par son niveau de langue », lui ai-je dit pendant que nous remontions les marches de pierre nous conduisant chez elle, après qu’elle est venue déjeuner avec moi sur le port. « On devrait parler plus souvent en français pour que tu progresses à l’oral. »

La chaleur est éprouvante dans la vieille ville, non qu’il y fasse plus chaud qu’ailleurs, au contraire, les ruelles étroites et les jardins y ménageant une relative fraîcheur, mais à cause des pentes et des escaliers qui pour les gravir vous couvrent de sueur.

Je comprends pourquoi les villes et les villages de ces régions sont toujours bâtis sur des terrains plats, contournant des collines si nécessaire et les aménageant en parcs boisés et ombragés. À Bandar‘alam, des préoccupations plus militaires ont fait déroger à ces coutumes en bâtissant la vieille ville sur les flancs d’une forteresse naturelle.

« On devrait aussi parler plus souvent en arabe, pour que je progresse aussi », lui ai-je encore proposé. « Il y a un si riche vocabulaire en arabe pour décrire la chaleur. »

Le procès de crétinisation

Un programme, ça sert à faire accomplir à ta place des actes répétitifs. Autant dire qu’un ordinateur ça sert surtout à coder. Quand un programme est écrit, bien sûr, il n’est plus nécessaire de recommencer.

On a sans doute toujours des corrections à apporter à un programme, ça bouge sans cesse dans le petit monde de la programmation, mais quand une mise à jour a été faite, on n’a plus en principe à s’en préoccuper pendant un certain temps.

On a toujours aussi des scripts à coder pour compléter des programmes. On écrit notamment des scripts pour faire travailler des programmes entre eux. Par exemple, pour lancer ton correcteur grammatical dans ton traitement de texte.

Là encore, lorsque quelqu’un a écrit un script, il est écrit pour tous et pour quiconque. Il te suffit de le copier à la bonne place, et, lorsque tu l’as, tu peux t’en inspirer pour le modifier de telle sorte que ton correcteur grammatical soit lancé cette fois dans ton programme de courriel.

Lorsqu’on commença à utiliser couramment des ordinateurs personnels, il apparut naturel de s’en servir à coder, à coder des scripts et à les associer à des programmes dans lesquels ils finissaient parfois par être définitivement intégrés, s’ils s’avéraient être utiles pour tous.

Pour tout un chacun il était donc naturel de coder, et pour cela les éditeurs de code étaient bien documentés. Aujourd’hui, on ne code presque plus, et tu trouves des applications toutes prêtes pour faire n’importe quoi, comme consulter la météo… Tu ne codes presque plus pour que la machine accomplisse à ta place des actes répétitifs ; ce sont de petites applications, écrites pour tous propos, qui te font accomplir des actes répétitifs malgré toi.

Ce sont des questions de cette sorte qu’aborde Saad sans sa thèse. Il ne se demande pas si un tel usage de l’informatique à fait baisser le Quotient Intellectuel moyen de la jeunesse des pays industrialisés de deux points par décennie en quarante ans, ou si cette évolution de l’informatique a plutôt été elle-même causée par cette baisse du Quotient Intellectuel. Il observe plutôt l’imbécillité comme un processus ; comme un processus programmé. Son approche, en somme, est plus radicalement empiriste.

Versification

Al jaww, al mâ‘ nahimat, wa al hawâ hâmiya, yakoulân al haqq.

Nous nous sommes amusés à écrire en arabe sous la forme du haïkaï renga. La langue s’y prête bien, mais jusqu’à un certain point toutefois. Le haïkaï qui est par sa nature une poésie horizontale, devient plus vertical en arabe.

L’air, l’eau qui dort, et le vent chaud, ils disent le réel.

Mais « le Réel » est aussi un nom divin dans la tradition coranique. Mes vers prennent alors une acception qui n’est plus celle que je leur donnais en écrivant. Un traducteur particulièrement gonflé pourrait même se risquer jusqu’à : « Ils chantent Dieu » ; « ils chantent la louange du Créateur »… (J’ai déjà vu pire !) Je n’ai moi-même pas pu m’empêcher de penser au nom divin en me relisant ; de penser à Mansur Al-Hallaj, condamné à mort pour avoir écrit, littéralement, « je suis (le) réel ».

J’aurais pu choisir al haqqiqa, la réalité, plutôt qu’al haqq, mais deux syllabes me restaient alors sur les bras. J’aurais pu chercher encore, il existe toujours des moyens de jongler avec la versification. Comme le français, l’arabe y offre plus de ressources que l’anglais, notamment celle des déclinaisons, mais il vaut mieux très bien connaître la langue.

Et puis, est-ce si gênant ? N’est-ce pas la fonction de la poésie que de remettre en cause le sens donné une fois pour toutes au mot, de rejouer dans l’occurrence d’un terme toute sa charge culturelle.

Il n’est pas facile de passer d’une langue à l’autre, mais on le peut, et parfois merveilleusement. On pourrait traduire aussi par « ils disent la vérité ». J’aime moins, mais par certains côtés ce serait plus fidèle, fidèle au mouvement de ma pensée. Pour autant, l’énoncé reste assez vertical quand même, non ?

« Je me demande parfois si toutes les langues ne seraient pas aussi un peu des langages de programmation », ajoute Raya. « Saad et toi me faites sentir le caractère programmatif commun à toutes les structures linguistiques. »

« Il a fallu attendre le poète Saadi, avec les influences qu’il ramenait de ses voyages en Asie, pour horizontaliser un peu la langue arabe », dis-je en poursuivant mon idée.

« Saadi écrivait en persan », me reprend Raya, « mais je t’accorde qu’il a eu une forte influence sur la poésie arabe. »

« Je ne suis de toute façon pas qualifié pour énoncer des jugements définitifs sur ces questions. Ce ne sont que des intuitions que je livre, et je suis toujours prêt à les corriger. »

« Il semble que la langue arabe ait été profondément marquée », ajoute Raya, « certes par la poétique coranique, bien sûr, mais aussi, à travers les philologues de Bagdad, de Damas et d’Ispahan, par la philosophie grecque, celles d’Aristote et de Platon et, bien plus qu’en Europe qui en conservait moins de fragments, par celles des Anaxagore, Anaximandre, Démocrite…, ceux qu’on appelle un peu à tort les Pré-socratiques. »

Sur le quai

Raya est très cultivée pour tenir une station-service. Elle la tient à temps perdu. La preuve, elle a pu la quitter depuis déjà de longs jours.

« Raya a bien quelques diplômes universitaires », m’apprend Than, « mais elle ne se cache pas derrière. Ni Saad, ni toi, ni moi, et peut-être pas même sa sœur, ne savent exactement les études qu’elle a suivies. »

Je rencontre souvent Than près du port. Elle passe quotidiennement devant l’hôtel pour aller faire des courses. Je lui offre alors quelquefois de prendre un thé avec moi aux tables installées le long du quai. L’espace devant la devanture est rafraîchie par le clapotis des vagues que brise la longue jetée. Il est à l’ombre jusqu’en fin d’après-midi, où l’on peut y contempler le coucher du soleil. Il nous est arrivé aussi de nous croiser en achetant du poisson aux barques du port, les dhows.

« De toute façon, on ne vous demande jamais de diplômes à Tamgound », me dit Than. « On vous demande ce que vous savez ; ce que vous savez faire, pas où ni comment vous l’avez appris. Ce peut être redoutable note bien ; il ne suffit pas d’avoir su dans un bref moment de sa vie résoudre des équations du second degré, et d’avoir oublié. Bien sûr, ne plus savoir résoudre une équation du second degré, ce n’est pas exactement pareil que ne l’avoir jamais su. Ces choses sont d’ailleurs comme le vélo : elles ne s’oublient pas. On tâtonne un peu et l’on retrouve vite. »

Raya n’a pas appris le français à l’université. Ce qu’elle connaît et sait faire le mieux, m’a-t-elle confié, n’est pas ce qu’elle a appris en suivant des cours.

De la Lueur de l’Aube au Grand Midi

Raya ne s’appelle pas Raya. C’est son nom de guerre. De naissance, elle s’appelle Douha. J’en comprends mieux la sourate qui est encadrée dans sa chambre. Ce sont ses parents qui lui ont donné ce prénom, et qui lui ont offert aussi cette calligraphie.

Douha est un beau prénom, mais c’est aussi un prénom très religieux. Traduit, il serait des plus laïques en France : Aube, plus exactement « le jour montant ». Je crois bien n’avoir jamais entendu parler d’une Sainte Aube, ni même d’une Sainte Aurore.

Ce n’est pas pareil en arabe. C’est un peu comme si, à Marseille, une femme portait le prénom de Marie-Madeleine. On ne pourrait s’empêcher de penser aux Évangiles et aux Trois Maries, comme Douha, en arabe, fait irrésistiblement penser au Coran.

Ce serait même trop : on finirait par se demander si ça ne cacherait pas autre chose. On penserait aux Évangiles de Marie de Magdala, au livre copte de la Pistis Sophia. Et avec Douha, on finirait par soupçonner quelque rapport avec Shihab od-Din Yahya Sohrawardi, le sheikh al-ishrâq, ou à quelque imam caché…

Raya a choisi un nom de plume plus neutre. Elle a certainement bien fait. Et Raya aussi lui va bien, sans dire plus qu’elle ne dit elle-même.

Choisir Raya a sans doute marqué un passage assumé à la maturité, ce que signifie un peu le prénom (et aussi belle, épanouie) : de la Lueur de l’Aube au Grand Midi. Il y aurait à faire pour la psychanalyse, quoique la simple analyse des mots suffise.

Dialogue avec Raya

« Je ne t’ai pas pris pour un Européen quand je t’ai vu la première fois », m’a dit Raya, « ni pour un Américain. Tes vêtements ne portaient pas ostensiblement le logo de leurs fabriquants. »

« Tu donnais l’impression d’être en paix », a-t-elle dit encore, « mais ton regard paraissait avoir vu des choses terribles. Je me suis demandé si tu étais un Libyen ou un Syrien. Qu’as-tu vu de si atroce ? »

« L’évolution de l’internet et de la programmation », dis-je sans hésiter.

« Pourquoi est-il toujours nécessaire que tu déconnes ? » m’a encore demandé Raya.

« Je déconne peut-être moins que vous ne le croyez toujours, toi et Saad, depuis que je vous ai appris ce mot. »

De la réalité subjective

J’ai trouvé une carte arabe du douzième siècle qui montrait le monde connu. Le Sud est en haut, comme il était de coutume.

C’est une bonne idée de mettre le Sud en haut. Pourquoi ? Quand on lit ou quand on écrit, comment se place-t-on ? On se place sous une bonne lumière. Et où trouve-t-on une meilleure lumière qu’en face d’une fenêtre qui ouvre sur le Sud ? On voit alors une carte qui est orientée exactement dans la position où l’on se trouve. J’en fais très souvent l’expérience. Ou plutôt, je fais l’expérience inverse d’un petit effort mental toujours nécessaire, quand je consulte la météo par exemple. Je vois un vent figuré par une flèche qui va de gauche à droite, quand en réalité, là où je me trouve, il souffle de la droite.

Quand on regarde une carte du ciel, il se présente comme les anciennes cartes arabes. L’Est est à gauche, et il est bien plus pratique d’y reconnaître les astres si l’on a le ciel en face de soi.

On voit sur la carte que j’ai trouvée, que les régions de la Méditerranée et de Transoxiane étaient mieux connues alors par les Arabes et les Persans que l’Asie et ses mers. Les mesures en sont plus exactes, et la taille en est aussi plus grande en proportion. Naturellement, sur les cartes chinoises de la même époque, qui mettaient, elles, l’Est en haut, c’est le contraire.

Les cartes sont toujours, au moins pour partie, des représentations imaginaires des territoires dont elles dessinent les formes. Aussi, même celles qui seraient les plus fausses apprennent beaucoup sur la réalité du monde dans les temps et les lieux où elles furent dressées ; sur sa réalité subjective, mais qui n’en est pas moins réelle, car vécue et éprouvée. La carte, même fausse, nous apprend sur le territoire effectif, tel qu’il est concrètement et pratiquement vécu, ce que nous cacherait une carte contemporaine plus juste.

La réalité subjective du monde, sa réalité vécue, tend à être négligée, et l’on considérerait à tort que cette réalité serait moins concrète.






Huitième carnet - L’esprit à Bandar‘alam

Le Tamgound Oriental

Tamgound constitue une république autonome avec une autre île, plus exactement un groupe de petites îles bien plus à l’est, entre le Timor, la Nouvelle-Guinée et l’Australie. Ces îles ont constitué dans des temps lointains comme une base-arrière de Bandar‘alam. À d’autres moments, au cours de périodes difficile, c’est Bandar‘alam qui en fut comme un poste-avancé, dont le Tamgound Oriental, tellement plus excentré, constituait un repaire sûr.

Les pirates étaient tranquilles dans ce bout du monde qui n’intéressait personne, loin des grandes routes de navigation, et qui n’avait en conséquence rien d’autre à leur offrir qu’un lieu pour se faire oublier.

Histoire du Tamgound Oriental

Les autochtones qui peuplaient ces îles depuis une époque indéterminée, maintenaient leur équilibre démographique en se livrant de petites guerres qui ne faisaient pas beaucoup de morts avec leurs armes primitives, mais un certain nombre de prisonniers qu’on avait coutume de manger. Il paraît qu’en ce temps-là les victimes n’en faisaient pas un plus grand malheur que celui de s’être laissé prendre vivants.

Être fait prisonnier était pour eux un déshonneur qui ne pouvait être lavé que par la mort. Ils étaient exécutés avec tout le respect dû à des ennemis tombés avec l’honneur qui leur était ainsi restitué. On dit qu’ils s’y prêtaient, avec regret peut-être, mais de bonne grâce. Les îles étaient si petites qu’on s’y connaissait souvent d’une île à l’autre. Le prisonnier savait parfois qu’il avait mangé le père de qui le mangerait, et c’était alors une occasion d’honorer sa mémoire.

Les premiers pirates qui débarquèrent, et qui n’étaient pas des idiots, ne se formalisèrent pas trop pour leurs camarades qui, après la première escarmouche, se firent manger. Pour faire quand même comprendre aux indigènes qu’ils n’aimaient pas ça, et par respect pour leurs frères d’armes, ils empalèrent quelques-uns de leurs propres prisonniers sur le lieu où ils avaient été attaqués, puis ils proposèrent sans plus de manières d’oublier ces malentendus et de passer à des relations plus cordiales.

Les pirates qui n’étaient ni de bons cultivateurs, ni de bons éleveurs, ne s’intéressaient pas à la terre des autochtones. Un littoral abrité en eau profonde était la seule chose qui les intéressât et qui était sans valeur pour les indigènes. Rien ne les opposait qui ne se négociât aisément.

Tout aurait pu en rester là, chaque groupe vivant sa vie de son côté en ignorant l’autre, si les femmes des îles n’avaient été avides de nouvelles expériences, et si les pirates n’avaient pas manqué de femmes. Ne participant pas aux guerres, les femmes étaient en surnombre sur les îles, et obéissant au principe des vases communicants, plusieurs vinrent vivre parmi les pirates, dont elles portèrent les enfants. Des pirates s’établirent parmi les sauvages. Séduits par leurs femmes, ils le furent aussi par leurs mœurs. Certains d’entre eux dirent même que ces peuples simples étaient plus proches d’Allah que les hypocrites qui récitent le Coran. Ils leur en firent la lecture, et leur apprirent à le lire, apprenant eux-mêmes les rites et les mythes locaux.

Les peuples des îles finirent par renoncer au cannibalisme après la grande épidémie qui ravagea l’archipel à la fin du treizième siècle. Les médecins de Bandaracra, le port construit par les pirates sur l’île qu’ils nommèrent Acra, les convainquirent que le cannibalisme avait propagé l’épidémie, et ils les persuadèrent même que manger du porc n’était pas très avisé non plus. L’assemblée des conseils ne voulut pas cependant insister sur ce point, comprenant bien que sans porc, les communautés allaient manquer de viande.

Ils suggérèrent aux îliens de contrôler plutôt leur démographie en se livrant avec eux à la piraterie. Il ne manque pas d’empires décadents et corrompus qui insultent le ciel et les hommes, et dont les riches vaisseaux sillonnent les mers.

Ce que Than m’a dit

Than a écrit une thèse d’histoire sur la piraterie entre le Golfe du Bengale et la Mer de Chine. C’est curieux pour une Chinoise, mais elle m’a expliqué que tout le monde à Bandar‘alam est plus ou moins descendant de pirate, elle pas moins que les autres.

J’imagine pourtant que, pour être fonctionnel, un équipage devait compter sur un important personnel à terre. Il fallait construire dans des arsenaux des baghalats, des bhums, des grandes jonques, même s’ils en capturaient, quoique souvent en très mauvais état, il fallait les réparer après les combats ou les tempêtes, fabriquer des armes, même s’ils en saisissaient, charger et décharger les navires ; il fallait cultiver et pécher de quoi se nourrir ; il fallait construire et entretenir les demeures, les fortifications et les installations portuaires, etc. Bandar‘alam, et l’île tout entière plus encore, devaient bien abriter l’équivalent de la population d’un port de guerre, dont tous les habitants ne sont évidemment pas des matelots.

Than a reconnu que je ne me trompais pas. Il n’y a jamais eu dans toute l’histoire de Tamgound qu’un nombre limité d’équipages efficaces et insaisissables, et de grands capitaines qui ont gravé leurs noms dans les mémoires. Ali Al Hakim, Muyi Din Al Kabir, Jamila al Izrakyia, jeune esclave noire enfuie de Zanzibar, Ibn al Kavi le Perse, Sun Shi Laï, grand capitaine qui déserta la marine chinoise quand l’empereur interdit de naviguer au-delà de la Mer de Chine alors qu’il aimait une femme de Brunei, Israfil al Bandarabasy le Juif, Sing le Sikh… Des hommes, et quelques femmes, venus de tous les coins du monde, car la terre est petite vue de la mer.

Tous des hommes savants, rusés et audacieux ; grands stratèges et aussi souvent musiciens et poètes à leurs heures, malgré les légendes qui courraient dans tous les ports d’Asie et d’Afrique, les faisant passer pour des brutes assoiffées de richesses et de sang.

« Bien sûr », a reconnu Than, « ils étaient aussi quelquefois, à leurs heures, des brutes assoiffées de richesses et de sang. »

Pour autant, il n’était pas un homme de Tamgound, on un membre de sa famille, qui ne se soit livré à la course et à l’abordage au moins une fois dans sa vie.

Entendant un tenbang dans la nuit

À Bandar‘alam aussi on entend chanter du tenbang dans la nuit. Et pas seulement du tenbang. Le soir, on sort les kacapis, sortes de cithares en forme de coffres de bois ciselé, et les sulings, longues flûtes semblables à des hautbois. On sort les Kacapis et les sulings dans les escaliers des rues étroites, dans les jardins, sur les grèves entre les dhows tirés à sec, sur les rochers de la jetée. Cela me rappelle les camps de gitans de mon enfance, avant que les actions sociales et culturelles ne leur eurent appris à se taire et à consommer les produits de l’industrie musicale avec des écouteurs dans les oreilles.

Il existe bien ici aussi une « musique de téléphone ». On sort volontiers son ordinateur de poche lors de ces concerts intimes et improvisés, puis on met en ligne l’enregistrement. C’est pour en inspirer d’autres, pour échanger avec d’autres compositeurs et d’autres chanteurs. On aime ici faire sa musique soi-même, ensemble, écrire ses propres paroles, composer ses mélodies. On préférera toujours cela à entendre en simple spectateur. Si l’on aime ici aussi découvrir des paroles et des musiques neuves, c’est pour s’en inspirer avant tout. C’est ainsi que Tangound résiste toujours avec succès à l’industrie musicale, aux industries culturelles. Tangound fait plus que leur résister, elle les menace, comme en d’autres temps, les pirates menacèrent le commerce des empires décadents et corrompus qui insultaient les hommes et le ciel.

Aroun al Kobrâ

Aboul Wahid était d’une lignée qui avait côtoyé les derniers descendants du Prophète. Son ancêtre, Yahya Al Sanahi avait quitté le Yémen, persuadé que les temps historiques de l’Islam étaient clos quand disparut Ismail, fils d’As Sâdiq, destiné à devenir le septième imam.

Yahya était un savant, non pas de ces savants qui étudient le fiqh ; il était de ces vrais savants qui étudient la composition de la matière et des nombres, les quantités et les mesures, pour y lire la sagesse de Dieu et faire de l’homme son émir. Il s’établit à Ispahan, où lui et ses fils excellèrent dans la chimie des métaux et dans l’art de composer les plus complexes alliages d’acier.

L’un de ses fils, Aboul Wahid, connut Jabir Ibn Hayyan et travailla avec lui. Il écrivit de nombreux livres dont La Sagesse du Ciel Métallique. Il prêtait lui aussi à l’Imam Jafar, qu’il citait abondamment, des idées dont les savants se demandent encore s’il les énonça ou si elles ne furent pas développées plus tard par ses disciples. L’Imam Jafar fut le dernier imam unanimement reconnu et dont l’héritage est disputé par les innombrables familles de l’Islam.

Le fils d’Aboul Wahid devint si célèbre par la maîtrise de son art, qu’il fut convié par le Grand Koubilaï à le rejoindre à Samarcande…

Tout cela, je m’en fous notablement. J’imagine par ailleurs, pour ce que je connais de Koubilaï Khan, que cette invitation devait ressembler à un enlèvement. Autant en venir tout de suite à l’arrière-petit-fils d’Aboul Wahid, Aroun al Kobrâ, qui quitta les arsenaux de Karachi à la chute de Shâh Jahân. Il faisait fondre un excellent acier pour le fût des canons, et il rejoignit Bandar‘alam pour y offrir ses services contre les moyens de poursuivre ses recherches.

Il contribua de façon déterminante à donner à la piraterie de Tamgound une dimension qu’on ne vit jamais prendre ailleurs. Ce fut le seul cas où une communauté de pirates se dota d’une industrie et de moyens de recherche dignes de ce nom.

Jamila al Izrakia

Jamila al Izrakia, Jamila la noire, parcourut toutes les mers du monde pendant sa courte vie pour retrouver l’amant des bras duquel elle fut arrachée pour être vendue à Zanzibar. Son amant lui-même avait probablement été vendu.

Elle écrivit de merveilleux poèmes d’amour que l’on chante parfois encore la nuit dans les ruelles de Bandar‘alam.

Sa violence et sa cruauté furent critiquées parfois par les oulémas, qui enseignaient que la vengeance appartient à Dieu seul, et dont l’un des quatre-vingt-dix-neuf noms est précisément le Vengeur. Les hommes de son équipage la justifiaient en disant qu’elle agissait par amour et qu’elle accomplissait ainsi la vengeance de Dieu. Ils la disaient « bien guidée », et en donnaient pour preuve toutes les improbables victoires où elle les avait conduits.

Des anges

« Que sais-tu exactement des anges ? », me demande Saad assis sur un tapis posé à même la grève devant l’hôtel.

« Il en est de trois sortes », dis-je après avoir porté à mes lèvres une coupe de vin. « Les premiers ont deux ailes, comme les mouches ; les autres en ont quatre, comme la plupart des insectes ; quelques-un, comme ces autres insectes dont les ailes sont protégées par une paire d’élytres, en ont six. »

Pendant que Saad me regarde de travers, je contemple mon vin qui prend des tons étranges et beaux dans l’acier de ma coupe avec les lueurs de la nuit. « Il est dit encore qu’ils sont faits de lumière, à la différence des djinns qui sont fait de feu. » Les chants sont encore lointains dans ce début de la nuit. Peut-être d’autres musiciens viendront s’installer plus près de nous si Dieu le veut, comme on dit ici.

« On enseigne aussi qu’ils ont été créés sans libre-arbitre », poursuis-je encore, « exécutant les commandements qui leur ont été donnés, sans pouvoir s’y soustraire. Par ce dernier point, ils ressemblent plus à des drones automatisés qu’à des insectes, dont ils se distinguent aussi par la taille. »

« Quand seras-tu enfin sérieux ? » grogne Saad en remplissant nos coupes.

« Que trouves-tu dans ce que je viens de dire qui serait contraire à ce que tu as lu ou appris ? »

« Contraire, non. Ce n’est pas la question, ce sont tes commentaires… », dit-il en reprenant sa coupe. « Ils me font pourtant penser à mon propre travail, je ne sais pas encore par quels subtils détours. Je te le dirai si je parviens à le comprendre »

L’angélisme du sexe

« Les anges habitent le Malakut », dis-je encore sur ma lancée, « le alam al mithal, le monde des intelligences sensibles, entre le monde concret et le Jabarut, celui de l’esprit et des entités algébriques. »

« Comment sais-tu ces choses-là ? » s’étonne Saad. « C’est bien la première fois que je vois traduire mithal par intelligence sensible, où as-tu appris ces choses ? »

« Il n’est pas nécessaire de lire des bibliothèques entières pour les comprendre, et quand tu as compris, il n’est pas bien difficile de les traduire. La traduction de mithal par « imaginal », comme a opté Henri Corbin, est ambiguë. Il ne s’agit pas d’image, mais des sens, des dix sens : la vision, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût, et les cinq mêmes symétriquement : ce que veulent dire les regards, les gestes et les visages, les paroles, les caresses, les arômes et les saveurs. Il s’agit du monde proprement sensible, non pas concret, et vivant surtout, car ce monde est fait pour deux, et deux seulement. Il est proprement le monde de l’amour, avec des ruelles bordées de jardins dont chacun est un jardin de l’Éden, et si étroites, comme celles de Bandar‘alam, qu’on ne peut y passer qu’à deux en se serrant l’un contre l’autre. »

De nouveaux chants montent maintenant dans le nuit. « Le monde de l’esprit n’est pas moins matériel lui non plus », dis-je encore, « il est celui où les matériaux se marient selon les lois de la chimie et de la mécanique. L’intelligible y dépasse tout sujet séparé, s’éteint dans l’unique pour existancier le réel à travers les rêves des multiples formes de vie. Il est le monde des entités génériques. Al jabr, c’est bien ainsi que les philosophes ont traduit l’idée de Platon en arabe, non ? Et c’est aussi le mot qui a donné algèbre. » Je bois une gorgée de vin car parler donne soif avec cette chaleur, même si elle est humide, et j’ajoute pour conclure :

« Le monde des intelligences sensibles n’est pas moins matériel ni réel que le monde concret évidemment, puisque littéralement il est le même, il est celui où la matière est sensible, sensuelle, et surtout parole, et regards, et caresses, et baisers… Il n’est pas difficile de comprendre ce qu’il est, mais un peu plus de l’expliquer, car il n’est pas vraiment celui des explications. »

« Oui », grommelle Saad après un long silence, « tu n’as pas tort, plutôt que s’interroger sur le sexe des anges, il vaut mieux commencer par considérer l’angélisme du sexe. »




Neuvième carnet

Table des matières








© Jean-Pierre Depétris, juin 2018

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Adresse de l’original : http://jdepetris.free.fr/Livres/livre_18/




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