Éphémérides

Jean-Pierre Depetris, juin 2020.

Rémanences - Sur la science moderne - Espace - Rien comme avant - Suite

Table des matières





Rémanences

Réflexions incorrectes, le 22 juin

Pour parler sincèrement, je n’ai pas totalement exclu la possibilité d’une attaque bactériologique sur la Chine par un virus produit en laboratoire. Le Professeur Luc Montagner n’a pas l’air gâteux, et s’il est un homme capable d’identifier une ligne suspecte d’un code génétique, c’est bien lui.

Enfin, tout cela n’est que de la spéculation. Ce qui n’en est pas, c'est que les USA tentent tous les coups contre la Chine, même les plus improbables, sans succès. On peut donc en imaginer un particulièrement tordu, qui resterait à leur protée. En fait, ce serait le seul moyen dont ils disposent. Oui, mais ce serait idiot. Et aors ?

Je livre ces réflexions en toute confidentialité. Ne le répétons pas, disons que je n’ai rien dit. Elles sont politiquement très incorrectes parce que, si on les retient, si on les envisage, qu’est-ce qu’on pourrait bien avoir à en faire ?

Pensée et réel, le 23 juin

N’oublions pas que la réalité est faite d’inextricables croisements de chaînes causales, dont il est éventuellement possible de remonter à la source, mais jamais d’en descendre longtemps, et d’actes volontaires, ou involontaires, qui s’ignorent les uns les autres ou s’affrontent ; bref, qu’elle est improbable.

N’oublions pas non plus qu’une grande base de données peut fournir des enseignements utiles à condition qu’elle concerne une collection finie d’éléments, et qu’elle en soit exhaustive. Une immense base de données qui reposerait sur la part d’un ensemble dont on ignorait les limites, ne nous apprendrait pas grand-chose.

Sachons aussi que la pensée ne peut envelopper le réel. Tu peux toujours tenter d’imaginer un Dieu, et rien d’autre, qui en serait capable. Même alors, comment imaginer que son esprit enveloppât sa création ? (Un tel dieu pourrait-il encore être confondu avec ce qu’on a appelé Dieu ?)

Sachons encore que les « vérités quantitatives » tendent à être circonscrites dans un « domaine de définition », entre des valeurs extrêmes de leurs variables.

D’une question de race, le 24 juin

Y a-t-il réellement du racisme dans le monde atlantique ? Tout dépend de ce qu’on appelle racisme. Il y a des chiffres : les « bavures policières » touchent plus particulièrement certaines populations, qui sont aussi surreprésentées dans les prisons, et qui habitent plus particulièrement dans des quartiers ou des immeubles mal entretenus… On peut appeler cela du racisme. On peut même s’insurger. Tout cela est vrai, mais ce n’est pas le plus grave.

Les privilèges ou les handicaps se transmettent longtemps au fil des générations. Il pourrait ne s’agir que des stigmates d’un racisme passé qui peineraient à se dissiper. Ce n’est pas faux bien sûr, et il y a de quoi justifier des mouvements qui voudraient accélérer cette dissipation. Tout cela se défend, mais ce n’est pas encore le plus grave.

Le plus grave est l’idée fantaisiste que les Occidentaux se font de l’Occident. Cela seul justifierait pleinement le renversement de quelques statues. Et puis, franchement, qui a envie de boire un café devant la gueule d’un esclavagiste ?

Notons qu’il existe quand même de vrais racistes, et qui s’affirment comme tels avec impudence. Pourtant les notions de race et de racisme sont devenues très inconsistantes, le sont redevenues en fait. Ce sont des théories raciales à prétentions scientifiques qui les ont mises à mal en s’évertuant de les étayer. Si l’on cherche des gens qui se réfèrent sérieusement à de telles théories aujourd’hui, on aura presque autant de mal à en trouver que des « platistes ».

Avant que la science ne s’en mêle au cours du dix-neuvième siècle, la notion de « race » n’était pas utilisée de façon bien différente de celle de « racines » qui l’a remplacée. Il devient alors difficile de définir une frontière nette entre des réactions épidermiques confinant à la maladie mentale, et des idéologies qui prônent l’exceptionnalisme de la culture occidentale et sa nécessaire suprématie. Ceux qui se rallient à ces dernières sont nombreux, et ceux qui les professent sont souvent tenus pour des gens « très bien ».

Les cognes, le 25 juin

Quelles que soient les populations concernées, les USA comptent cinquante pour cent des personnes détenues sur la planète. C’est énorme. Les USA comptent dix fois plus de détenus que la Chine qui est trois fois plus peuplée. Il y a donc en proportion trente fois plus de détenus aux USA. Les forces policières et para-policières sont aussi pléthoriques, et armées pour la guerre. Sur tous ces points, l’Europe n’est pas très loin derrière, et notamment la France.

La police semble toujours plus échapper à tout contrôle, à se comporter comme les Tontons Macoutes d’anciennes républiques bananières, convaincus de leur impunité. On compte de toute façon bien trop de policiers, de para-policiers, de vigiles et de surveillants, de séries policières, de romans policiers, de logiques policières, de chiens policiers…, et sans parler des caméras de surveillance, pour que ne se ressente pas une lourde atmosphère carcérale.

On ne manque pas de se demander comment les régimes supposés « autoritaires » pourraient l’être avec si peu de policiers et de prisons.

Résurgences d’un Nazisme Européen ? Les Tontons Macoutes n’en ont pas l’envergure, ils cognent, c’est tout, éventuellement, ils tirent. Ils ne trouveraient pas un supposé « terroriste » dans leur propre commissariat. On se demande s’ils ne finissent pas par être craints davantage par ceux pour qui ils frappent, et en France selon les sondages, pour qui ils ne votent pas, que par ceux sur qui ils sévissent. Les cognes risquent de poser de réels problèmes dans le monde atlantique. Bien sûr, on me répondrait que tout dépend du contrôle par la Justice. Bien sûr…

Impressions, le 26 juin

Quand j’étais adolescent, j’avais le sentiment profond de vivre à neuf cents kilomètres du centre du monde, du centre intellectuel du moins. Je ne tenais pas particulièrement à être dans ce centre, mais j’aimais le sentir tout proche, à une nuit de train couchette de la Gare Saint-Charles à la Gare de Lyon.

Je maîtrisais la seconde langue du monde, et je bredouillais déjà la première. Je savais que la seconde était de toute façon la première pour les choses de l’esprit, et j’étais convaincu que tout ce qui s’écrivait, s’était écrit ou s’écrirait d’intéressant, ne saurait tarder à être traduit en français. (Je n’étais pas très conscient alors, ne m’y étant jamais frotté, de ce que la langue perd dans une traduction.)

Aujourd’hui, je ne suis qu’à cinq heures de train de Paris et j’ai appris à lire des ouvrages difficiles en anglais, mais je n’ai plus du tout la même impression. Je n’en suis pas attristé, peut-être plus détendu, plus détaché.






Sur la science moderne

Courriel du premier juillet

Salut,

Je te réponds sans avoir ta lettre sous les yeux […]

Pour ce qui est de la modernité (orientale ou occidentale), j’en ai dit quelques bribes dans des courriels de ce printemps et dans ce que je suis en train de publier en ligne. Je ne prétends pas t’apprendre que l’Europe a connu une révolution décisive entre la Renaissance et la Guerre Mondiale, scientifique, culturelle, religieuse, philosophique, politique…, qui l’a conduite à dominer le monde. Appelons-la Modernité. Elle était occidentale à l’origine, mais elle est devenue mondiale trois siècles plus tard. Le monde entier a assimilé totalement cette modernité, aussi n’est-elle plus occidentale.

Le monde occidental n’est même plus moderne au sens historique du terme, car il veut que cette modernité demeure occidentale ; il reste seulement impérialiste. Cette modernité ne serait pas non plus spécifiquement orientale, mais comme l’Asie est devenue le centre dynamique du monde, et participe activement au développement de la planète, cette modernité est historiquement orientale, dans le même sens où elle avait été occidentale.

Voilà pour l’essentiel, il y aurait beaucoup de détail à préciser. Par exemple, seul l’Orient assume pleinement l’histoire (scientifique, philosophique, politique…) depuis la Guerre Mondiale. […]

La Porte de l’Orient, le premier juillet

J’ai noté que l’irritation hystérique que provoque le Professeur Didier Raoult chez certains notables devait probablement beaucoup à ses références perpétuelles à la Chine.

Cet homme est décidément au centre du cyclone. Il défend avec beaucoup d’intelligence la science face à l’institution d’une recherche procédurale…, et il est Marseillais.

Marseille, ce n’est pas rien. Aux temps du Paris-Dakar, une blague circulait : « Quelle est la première ville africaine que traverse le Paris-Dakar ? Réponse : Marseille. » Ça faisait rire. Marseille est donc une ville africaine. Elle est aussi qualifiée depuis l’antiquité de « Porte de l’Orient » (avec des sous-entendus variables selon les époques et le sens dans lequel circule la civilisation).

Le Professeur Raoult enfonce le clou en ne cachant pas ses liens étroits avec les institutions médicales africaines et l’estime qu’il leur porte, ni avec la Chine dont les chercheurs et les médecins sont pour lui la référence. Il y a de quoi placer le brave homme au centre de toutes les « crises » contemporaines : de refondation de la science face à ses fonctions de légitimation procédurales, celle de la révolte contre l’esprit colonial, celle de l’effondrement hypothécaire des capitaux devant la puissance productive chinoise, celle d’une lente décomposition de la cohésion et de la puissance militaire de l’OTAN…

Tout cela, dont personne ne voit le lien, il l’incarne.

La nature, le 2 juillet

Qu’est-ce que la nature ? Disons, la physique, et tout précisément les choses de la physique qui se reproduisent elles-mêmes.

La physique, autant dire la matière ; mais la matière abstraite et unique n’existe pas, pas plus que le nombre ou la couleur. Il existe des couleurs particulières, rouge, bleu, infra-rouge, jaune de Naples ; des nombres particuliers, entiers, rationnels, irrationnels… De même, il existe des matériaux, les éléments simples et leurs composés, dotés de propriétés mécaniques et chimiques – la physique et la chimie ayant été à peu près unifiées à la fin du dix-neuvième siècle – et ces propriétés s’expriment curieusement à travers les lois des mathématiques. Disons que la nature est ce qui se reproduit matériellement selon les lois des mathématiques.

Je dis « curieusement » car ce rapport entre les lois des mathématiques, disons de la raison, et celles de la nature est plutôt complexe et riche en apories. Ce fut une question politique pendant la Révolution Française où l’on se déchira sur l’opportunité d’un culte de l’Être Suprême qui serait la Nature ou au contraire la Raison, pour trancher enfin par pas de culte du tout.

Cette question, qui avait pourtant bien un sens, en est restée là, marquant un terme, à mes yeux, à cette révolution de l’Occident Moderne. En réalité, elle n’en est pas restée là, mais on n’a plus assisté à cette forme de progression unitaire et catastrophique poussée par la bourgeoisie laborieuse de quelques capitales européennes. Pour le dire le plus simplement, l’idéologie dominante s’est fixée à la philosophie des Lumières, se figeant plus particulièrement à ses aspects seulement politiques et économiques.

La nature, ce qui se reproduit matériellement selon des lois mathématiques, fait un retour spectaculaire en ce tournant de siècles. En fait, son discours est bien trop spectaculaire pour être honnête.

La vraie question qui fut occultée par la Révolution Française est celle que j’ai déjà évoquée : la pensée peut-elle envelopper le réel ? Dit autrement : la nature obéit-elle aux lois des mathématiques, ou intuitionons-nous ces lois du comportement des matériaux ? Non, la question est moins abyssale qu’il n’y paraît.

Un délire collectif, le 5 juin

Quand j’ai commencé à entendre parler de confiscation de l’espace public, j’ai immédiatement pensé à une pandémie de peste brune. Je me trompais. Elle aurait touché toutes les populations de toutes les nations et leurs gouvernements ?

Non, on le distinguait bien, tous restaient égaux à eux-mêmes, malgré ce qui ne pouvait être alors qu’un délire collectif : un délire qui ne servait aucune cause apparente, ne poursuivait aucun but, ni ne servait aucun complot ; délire qui frappait les foules autant que leurs notables sans discernement, ni surtout, et c’est un fait à noter, sans rien changer à ce que chacun était déjà avant d’être atteint. Chacun continuait à penser et à se comporter comme avant, tout en intégrant le délire à ses paroles et à ses actes.

On délirait, à l’exception de quelques têtes un peu plus solides, mais on ne perdait pas le nord, comme on dit. En toute conscience ou pas, et c’est encore un fait notable que cette part de conscience ou non fut si peu identifiable, la plupart des gens s’évertuaient à tirer les circonstances dans le sens de leurs intérêts ou de leurs idées fixes. C’était curieux, et même un peu inquiétant, de voir une telle unanimité dans le délire, et tant de diversité pour le détourner dans les conclusions les plus opposées selon les penchants habituels de chacun, et avec plus de force que jamais.

Ceux qui semblaient avoir gardé leur raison (nous nous reconnaissions souvent sans nous connaître), restions prudents (surtout ne pas les contrarier). Nous continuons encore un peu, bien que nous soyons toujours plus nombreux jusqu’à être devenus probablement majoritaires ; par pudeur, je pense, et par déférence envers ceux qui restent atteints.

Question de scientificité

Apparemment, les mesures prises par les autorités semblent inspirées par l’incompétence et par le conflit d’intérêt. Cette apparence n’est pas probante, d’abord parce que l’un et l’autre sont quelque-peu contradictoires. Si chacune de ces explications satisferait à un rapide examen, elles deviennent ensemble moins convaincantes. Il existe bien sûr des conflits d’intérêt, et des courtisans occupent probablement la place d’hommes de l’art, mais ce n’est pas ce qui importe.

Didier Raoult en a très bien parlé devant la commission parlementaire, insistant sur l’aspect structurel dont le rôle majeur de l’incompétence et du conflit d’intérêt n’est qu’une conséquence. Bien sûr, on pouvait s’y attendre, les commentateurs et les personnes concernées se sont focalisés seulement sur celle-ci, se concentrant même sur les personnes, qui à leur tour se justifient ab hominem. C’est sans intérêt.

Le plus important, est le paradigme de preuve scientifique qu’on tente de réduire à une conformité à des normes procédurales. La question des « essais randomisés » en est au centre, au nom de quoi l’on attaque les preuves, elles scientifiques, de l’IHU de Marseille. On en fait une contre-preuve pas défaut, avouant implicitement qu’on ne dispose de rien d’autre (on sait maintenant ce qu’il en est des grandes revues scientifiques et de leurs comités de lecture), et démontrant que de telles procédures, somme-toute administratives, seraient le critère ultime de cette scientificité.

Nul ne se sent contraint à leur propos de faire le moindre effort pour en prouver la scientificité : c’est la procédure, la procédure scientifique, c’est tout.






Espace

À propos de communication, le 8 juillet

Le professeur Raoult ressemble à un homme qui n’a jamais appris à communiquer. Tout le monde l’apprend de nos jours à travers stages ou formations ; je ne connais pas un bon chômeur qui n’en ait pas suivi un. Ce que nous avons tous appris, lui l’ignore superbement. Il parle bien cependant, entraîné à donner des cours et des conférences. Ses énoncés sont rigoureux et nuancés.

Ses adversaires et ses défenseurs ne semblent pas s’en apercevoir. On lui trouve « un franc parler ». Moi, je le trouve clair, rigoureux et nuancé, je ne crois pas que ce soit la même chose, non ?

On peut aussi noter qu’un discours, tout préoccupé à énoncer avec rigueur des faits précis et des jugements nuancées, sans se soucier autrement de séduire ou d’embobiner son auditoire, paraît immédiatement perturbant, choquant même, provocateur.

Pourquoi a-t-il tant d’adversaires et si maladroits ? Et pourquoi tant d’autres prennent son parti, alors que toutes les tentatives de ruiner ses thèses essuient de cuisants échecs ? Beaucoup de gens ont vu qu’il n’avait pas appris à communiquer, et sans doute pensent-ils qu’il en deviendrait vulnérable. Ce que défendent si confusément ses détracteurs l’est bien davantage ; et les techniques psychologiques de la communication, également.

L’espace dérobé, le 10 juillet

Le désert s’est estompé. Il est toujours là en fond, mais moins prégnant qu’il ne l’était avant la confiscation de l’espace public. L’espace public, lui, n’est pas revenu, comme je l’attendais avec impatience. Les gens sortent pourtant, et les voitures roulent. Les gens circulent, volubiles dès qu’ils sont un peu plus de deux ; on est bien obligé de crier un peu sur des trottoirs où les voitures garées ne laissent pas beaucoup de place. Les rues redeviennent bruyantes et enfumées, mais ça ne fait pas un espace public.

L’espace public ne revient pas. Les bars ont rouvert, ils servent des repas et ils ferment plus tôt, en début d’après-midi. Le soir, on n’en trouve plus, du moins dans mon quartier, car je n’ai plus eu le cœur de redescendre dans le centre.

Beaucoup de gens demeurent masqués. Parfois, on ne reconnaît pas un ami. Un bar près de chez moi a gardé les chaises empilées sur les tables du fond. La radio appelle à respecter « les gestes barrières » pour barrer l’espace public. On n’ose plus serrer la main.

Le radio signale le moindre foyer d’infection avec des mots choisis : explosion, flambée, virulence… Ces derniers jours, l’épidémie était réapparue en Chine, les quelques foyers ont été vite circonscrits et il n’y eut pas un mort.

L’épidémie s’installe dans l’hémisphère sud, comme il était prévisible, et il n’est qu’aux USA où elle repartirait de plus belle, pour peu qu’on accorde encore crédit à des nouvelles venues des USA. Quoi qu’il en soit, on n’a pas non plus de raison d’en douter.

De toute façon, on ne sait rien, même pas jusqu’à quel point les tests sont fiables. Seul le nombre des morts est un indicateur précis, pour peu du moins qu’on se soit assuré des causes du décès. On ne dispose alors de rien d’autre que comparer les courbes de mortalité saisonnières. On ne trouve que très peu d’endroits, très localisés, où une variation soit significative.

Les mortalités les plus fortes se situent dans un triangle entre l’Espagne, la Suède et l’Angleterre, avec une petite pointe sur la Suisse et le nord de l’Italie, et dans toute l’Amérique du Nord. (Attendons de voir pour l’hémisphère sud.) Les mesures prises ont pourtant été différentes entre tous ces pays. Il est vrai que les consignes gouvernementales, plus ou moins rationnelles, n’ont pas empêché les populations d’être affolées et de se comporter à peu près de la même façon, de se calfeutrer et de porter des masques, voire des gants pour sortir (quand elles en avaient).

Ces régions de l’Europe Atlantique et de l’Amérique du Nord ont bien plus de morts par million d’habitants que le reste de la planète. Pourquoi ? Soit les mesures y étaient particulièrement inadaptées ; soit l’épidémie s’y était déclarée bien avant qu’elle ne fut identifiée en Chine ; soit les deux. Bien sûr, nous n’en savons rien.

L’espace public n’est pas vraiment réapparu. Il n’y a que des espaces privés que chacun traîne avec lui, ce que souligne le rituel du masque : quand des amis se rencontrent, ils baissent leurs masques pour échanger des paroles.

Pandémie de peste brune, le 11 juillet

L’observation de ces morceaux d’espaces privés que les uns et les autres trimbalent avec eux dans un espace qui devrait être public, m’a inspiré une réflexion sur la notion de totalitarisme. Je dois d’abord dire que je n’accorde pas un grand sérieux à une telle notion qui n’a d’autre fonction que mettre dans le même sac Hitler et Staline, ce qui est un peu de l’ordre de « tout est dans tout et réciproquement ».

S’il est une réalité que le terme de totalitarisme décrirait bien, ce serait plutôt celle de la démocratie libérale, la démocratie libérale réelle disons, ou mieux ; le libéralisme bureaucratique d’État. Le fascisme et le bolchevisme en sont respectivement une déviation droitière et une autre gauchiste. Le totalitarisme, c’est l’État total, dont le libéralisme bureaucratique d’État fait de « l’individu » la valeur suprême, comme le nazisme la trouvait dans la race, et le bolchevisme dans l’humanité.

L’individu, cette valeur suprême, est conçu par le libéralisme bureaucratique d’État comme un fragment, un rouage sans existence autonome, un simple élément statistique, un « particulier » comme on dit, de l’immense système politique et social que gère l’État (en principe démocratiquement). Tout y devient affaire personnelle, individuelle, et l’État protège « le particulier » de tout, notamment des autres. De cet « individu », le nazisme a mis au-dessus la race ; et le bolchevisme, l’humanité.

Oui, mais l’individu, c’est aussi l’homme réel, l’humanité réelle. Quelle est cette humanité abstraite (ne parlons même pas de la race) qui s’opposerait à chaque humain, chaque humanité réelle, et se placerait au-dessus d’elle ? Elle ne se placera qu’au-dessus de l’individu « particulier », lui-même abstrait, sans considération de ses relations réelles, de ce à quoi ou à qui il se voue, de ses enracinements, de son rapport partagé au monde. Et c’est en effet ce même individu que l’État libéral bureaucratique prétend défendre contre les autres, contre son environnement, voire contre lui-même.

Défendre le travailleur contre son employeur, et inversement, la femme contre son mari, l’enfant contre ses parents, admettons : ils ne peuvent pas se défendre seuls, bien sûr. Mais pourquoi seuls ? Pourquoi sont-ils seuls ? Parce que c’est un individu seul et sans défense qu’il s’agit de construire et de protéger tout en le plaçant comme une valeur suprême. Cette même notion d’individu, d’individu seul et sans défense, avait été spontanément reprise par le fascisme et le bolchevisme, pas moins désireux de le faire entrer dans les rangs de la fraternité raciale ou de la solidarité humaine (et observons que ce n’est quand même pas la même chose). Ils ne l’avaient en fait même pas reprise, car elle était devenue dominante.

Comprenons bien que le mot « individu » ne désigne pas alors la même chose. C’est en cela, que je ne me trompais peut-être pas complètement en pensant à une pandémie de peste brune cet hiver.

La volonté dans l’espace, le 12 juillet

L’enfant a des envies : il veut une glace, tout de suite, et, qu’il l’obtienne ou pas, il l’aura bientôt oubliée. Le jeune adolescent a des désirs, et il attend longtemps le moment où il les réalisera. Le jeune homme a une volonté, et il est prêt à renoncer à bien des envies pour l’accomplir : travailler pendant les vacances pour se payer un voyage, par exemple. L’adulte a des devoirs : il est prêt à tous les sacrifices pour ce qui compte pour lui. On sent bien cette évolution de l’envie au devoir, où chaque moment se trempe pour passer à l’autre. L’individu est où se trempe le devoir. Disons que c’est l’individu de l’anarcho-individualisme, l’homme de devoir dont parlaient tant les vieux anars. Il n’a rien à voir avec l’individu libéral-totalitaire, seul et sans défense, qui en reste, en principe, aux envies et aux désirs.

Ce n’est pas la première fois que j’énonce cette idée. Je la rappelle ici, car ce dont je parle s’inscrit dans l’espace ; je l’ai noté ces derniers jours.






Rien comme avant

Questions de langues, le 14 juillet

J’ai souvent entendu dire que l’anti-islamisme n’était pas un racisme, car l’Islam n’est pas une race. Tiens, le Judaïsme oui ?

Le mot « sémite » s’applique à une famille de langues : hébreux, araméen, syriaque, arabe, hittite…, comme le mot « arien », à une autre : persan, sanskrit, grec, Latin…, et à leurs dérivés : allemand, ourdou, yiddish…

Deux rêves, le 15 juillet

Il y a quelques jours, j’ai fait un rêve étrange : dans un boulevard périphérique, je dépannais une dépanneuse. Il m’a laissé songeur, et m’est demeuré obscur.

Deux ou trois jours plus tard, j’ai encore fait un rêve au cours duquel j’interprétais celui de la dépanneuse, ou plutôt, au cours d’une réception, dans un salon où je me trouvais avec des amis, j’ai eu l’intuition immédiate de sa signification. Au réveil, j’en avais hélas tout oublié.

Un autre rêve

J’ai fait un autre rêve dans la saison. Je tombais dans une mer agitée avec celle que j’aime. Nous avions chuté de haut et nous nous enfoncions profondément sous la surface, dans des courants qui circulaient au pied de la falaise où l’eau devenait sombre, et où je craignais qu’ils ne nous poussent contre des roches. Elle s’enfonçait avec moi, et avant que je n’aie pu faire un mouvement vers elle pour lui porter secours, je l’ai vue se retourner et nager vigoureusement vers la surface. Je me suis dit : « Tiens, elle sait faire ça ? »

Je nageais à sa suite, et quand j’ai atteint la surface, me demandant comment nous allions grimper sur les rochers coupants au bas de la falaise, je l’ai vue qui continuait à nager en s’élevant dans le ciel. Je l’ai suivie en me disant encore : « Tiens, elle sait faire ça aussi ? »

Nous avons nagé, tout droit jusqu’au sommet de la falaise, qui était coiffée d’un coquet quartier de petites maisons traditionnelles. Je commençais à perdre mon souffle quand j’ai compris que je nageais dans l’air et que je pouvais reprendre ma respiration. Elle avait gagné de la distance pendant que je manquais de m’étouffer, et continuait à s’élever toujours plus haut dans le ciel. Je la suivais, et je la voyais dans une robe blanche en face d’un pâle croissant de lune dans l’azur. Je forçai la cadence, fortement chamboulé, mais quand même plutôt émerveillé.

Un pouvoir militaire aux USA, le 16 juillet

Tout se passe aux États-Unis comme si l’on y préparait un coup-d’État militaire. Je sais bien que personne n’y croit : la structure de l’État fédéral, sa constitution intangible, l’adhésion unanime et quasi-mystique de toute la société à ses principes et ses structures sont incompatibles avec une dictature militaire telle qu’en a connue la partie sud du continent. Mais qui pense à cela ? Oublions Pinochet et songeons à César. Un empire appelle un empereur. Imperator était un titre militaire en latin. Jules César était empereur des Gaules avant de passer le Rubicon ; ensuite, il est devenu l’empereur de tout le monde latin.

Notons que le pouvoir militaire est déjà en place aux USA, ou le pouvoir militaro-industriel, ou plutôt militaro-financier compte tenu de l’état de l’industrie. Il était prévisible, et même prévu depuis Eisenhower, et ne demande qu’à être un peu plus officialisé. Notons aussi que l’empire romain était après Jules César, mais aussi avant bien sûr, composé de nations, de gouvernements aux constitutions très diverses, liées par des accords et des traités. L’empereur, choisi par l’armée, en était le commandant en chef.

Naturellement, un chef suprême n’est pas indispensable, et peu souhaitable non plus ; un conseil militaire serait plus indiqué : un conseil militaire de l’OTAN.

L’Empire contre-attaque, le 17 juillet

Regardons l’architecture institutionnelle des États-Unis. C’est la Rome antique en plus grand. Ce ne sont pas des vestiges, comme en Italie et dans l’Europe du Sud. Tout date de la constitution des États-Unis. Voilà qui dit beaucoup, notamment que l’immuable constitution n’est pas si éloignée en esprit de la Rome impériale, et que toute référence à l’antiquité latine, serait-elle critique, ne pourrait être regardée comme anti-nationale. Ce serait moins vrai pour l’Europe, soumise à l’OTAN et sous l’influence des USA, ou pour le monde hispanique, où cette antiquité est bien circonscrite dans le passé. De toute façon, les Étasuniens, pas plus que les Européens et les Hispaniques, ne savent grand-chose de l’antiquité. Ce n’est pas vraiment la question. Il est dommage qu’ils n’en sachent rien, et ignorent comment l’empire de César déboucha sur la guerre civile.

Marseille encore

On peut s’étonner que le sénat de Marseille prit parti contre César, renforçant Pompée de la plus importante force navale de l’époque. Jules César était pourtant aimé et respecté à Marseille, dont il était même citoyen d’honneur, mais où le sénat n’envisageait pas qu’il pût être soumis à une autorité impériale. Marseille fut l’une des rares cités à entrer en guerre du côté de Pompée. César ne s’y attendait pas d’une ville qu’il croyait acquise à sa cause et dont il aurait espéré au moins la neutralité, comme il l’a écrit, et il fit preuve, malgré son amertume, d’une clémence inhabituelle à son égard. Je crois qu’il n’avait pas estimé que les Massaliotes n’étaient pas seulement de stricts républicains, mais qu’ils n’aimaient pas non plus qu’on distribue des titres de citoyenneté romaine à n’importe qui.

Cette histoire n’est pas sans rapports lointains avec la situation actuelle aux États-Unis. Plusieurs points y sont surprenant : D’abord, les autorités semblent délibérément laisser pourrir la situation. On est surpris d’un certain laxisme des forces répressives qui ne nous avaient pas habitués à les voir mettre des gants. Loin de moi le regret qu’ils renoncent à leurs méthodes, mais on doit s’interroger. À mon sens, c’est dans cette perspective que les policiers, les militaires et tous les politiciens sont ces temps-ci si prolixes en génuflexions.

Il est probable que le Président Trump ne s’en remette pas pour gagner les élections, avec une armée dont il n’est manifestement pas le candidat et qui refuse ostensiblement de lui obéir. Dans le cas inverse, la démocratie Étasunienne possède assez de ressource dans son troisième tour des Grands Électeurs. Pour autant, rien n’est joué, et surtout pas la suite.

Quel rapport avec l’empire de César ? Cet impérialisme cosmopolite justement, qui pousse objectivement à se confondre souverainisme et xénophobie, et condamne toute résistance à la défaite.

Rien ne sera comme avant, le 18 juillet

La confiscation de l’espace public recommence : sa dissolution. Les masques ressurgissent. Les uns et les autres se convainquent que nous sommes cernés de sournois et dangereux virus. Il ne sert à rien de discuter.

Reviendraient-ils vraiment ? Aux dernières nouvelles sérieuses, non. Ils reviennent seulement hanter les esprits troublés. Ce qu’il en demeure de l’espace public devient effrayant. Plus rien ne redeviendra comme avant.

Tous les ans, depuis des temps immémoriaux, des infections saisonnières touchent les populations. Tous les ans, la mort prélève son tribut. Alors, quoiqu’il se passe, retour du même, arrivée d’un nouveau, apparition d’un quelconque microbe, les raisons seront données de reprendre ce cirque.

Et pourquoi l’humanité ne déciderait-elle pas de refuser ce tribut annuel à la mort Pourquoi ne ferions-nous pas tout pour l’empêcher. Oui, je veux bien, pourquoi pas ? Est-ce bien ce que nous faisons ?

Nous avons eu un mal de chien ce soir pour trouver où boire un verre ensemble vers six heures. Plus rien ne sera comme avant.




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© Jean-Pierre Depétris, juin 2020

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Adresse de l’original : http://jdepetris.free.fr/Livres/ephemerides/




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