Jean-Pierre Depetris, juin 2020.
Temps de folie - Temps d’ébranlements - Grandeur et petitesse de la terreur - Impressions d’automne - Suite…
Quand je parle avec des connaissances, des amis, des rencontres de bistrots, j’entends de curieuses conceptions du monde qui serait entre les mains d’étranges êtres tenant en partie des Lapins Crétins, et de stratèges machiavéliques. J’ai peine à imaginer de tels êtres hybrides.
Je peux toutefois me figurer des personnages d’une intelligence moyenne qui se prendraient pour Machiavel, et qui finiraient par s’emmêler dans leurs plans jusqu’à se comporter comme des crétins. Oui, il y a peut-être quelque chose de ça dans les pays en voie de sous-développement ; des nains qui programmeraient avec des méta-données de géants, pour paraphraser quelqu’un. Oui, je n’en sais rien, l’image est plaisante. Restons badins.
J’ai écouté un nouvel entretien de Didier Raoult avec un certain David Pujadas sur LCI. L’homme de l’art ne semble toujours pas avoir fait de stage de communication, mais il est maintenant passé maître pour suivre son idée devant un journaliste dont la mission est manifestement de le piéger. J’imagine qu’il ne doit pas être facile de conserver l’esprit clair face à des questions totalement confuses, tout en gardant un solide et cordial sens de l’humour.
Pourquoi, s’il s’agit de s’y opposer et de le prendre en défaut, personne n’a-t-il jamais songé à opposer à Raoult quelqu’un de sa carrure ? Le plus vraisemblable est qu’on n’en trouve pas. Où pourrait-on trouver des gens qui aient son expérience, ses moyens, sa capacité d’analyse, l’accès à toutes les données qu’il dissèque… ? Et qui sauraient lui opposer des arguments aussi clairs, aussi factuels, et somme toute aussi intelligibles ? Je ne sais pas où l’on en trouverait ailleurs que dans l’institut qu’il dirige, ou dans de comparables. On en a bien questionné quelques-uns, mais qui jouent tous la même partition, sur d’autres tons, s’attardant sur des aspects différents selon leurs spécialités ou leurs diverses approches, mais qui certainement ne s’opposent pas.
La deuxième vague : quelle deuxième vague ? Le virus a muté, il n’a plus le même génome, il est moins contagieux et ne tue que les agonisants. Ce n’est plus le même virus : on pourrait l’appeler maintenant covid 20. La preuve ? Des gens atteints cet hiver ont été contaminés à nouveau cet automne ; leurs anticorps ne les ont pas protégés, ils ne sont plus immunisés. Bon courage pour le vaccin.
Les mesures soi-disant sanitaires ne servent qu’à accroître les maladies diverses, et elles y parviennent assez bien dans cette saison où l’on commence à prendre froid. Elles doivent aussi déjà tuer davantage que les virus eux-mêmes, notamment en répandant la misère et en empêchant les gens de prendre l’air et le soleil, sans parler de l’effet nocébo. (L’inverse de l’effet placebo, mais aussi bien connu depuis longtemps.)
« C’est quand même bien le même virus !? » a insisté Pujadas. Raoult a éclaté d’un rire jovial : « si vous pouvez expliquer la différence entre un virus mutant et un nouveau virus, moi je ne le sais pas. » Moi non plus bien sûr. C’est d’ailleurs la question que je me posais déjà depuis un certain temps.
Comment la « communauté scientifique » s’y prend-elle pour décider si le variant d’un virus est ou n’est plus le même virus ? J’imagine qu’elle s’y prend comme pour décider si Pluton est une planète ou un astéroïde : on le met aux voix. J’imagine que c’est à peu près ainsi qu’on décide de combien va s’élever le niveau de la mer d’ici la fin du siècle. On prend tous les modèles conçus par les chercheurs, et l’on fait la moyenne, ou l’on cherche la médiane. Bon, pourquoi pas ? Ce n’est pas un scandale, du moment qu’on a compris. Mais ça le devient peut-être un peu si l’on conçoit la chose comme un concile épiscopal. Donc, on n’appellera pas les virus mutants covid 20, ce qui ne change rien.
Rebelote pour la résidence surveillée. L’espace public est à nouveau confisqué. Je l’avais dit, on peut continuer ainsi jusqu’à la fin des temps. Mélenchon nous bassinait avec sa deuxième vague, il n’y en a pas, mais il y en a quand même. On pourra appeler covid 19 les nouveaux virus jusqu’à la fin des temps. La cheffe du Ramassis National veut rendre obligatoire le vaccin qui n’existe pas encore, et n’existera jamais, contre le virus qui a disparu. Les oppositions en rajoutent.
Pourquoi ? Pourquoi personne ne se demande pourquoi ? Je veux dire sérieusement. Tôt ou tard, tout le monde saura que c’est de la folie.
Et aujourd’hui ? Je n’en sais rien. Je ne connais pas beaucoup de gens qui marchent, mais de là à savoir ce que chacun en pense… D’ailleurs, je m’en fous un peu. Pour ce que ça change.
Pourtant des questions sont bien là à se poser. Comment les plus complètes absurdités parviennent-elles à s’imposer comme seules, et contre tous ? Parce que c’est bien cela qui est troublant, pas que des idées tordues se glissent dans la tête de tel Machiavel ou tel lapin crétin, ou soient exploitées par des firmes pharmaceutiques ou quelques groupes d’intérêts, mais s’imposent à tous, du moins font converger les comportements pour des esprits qui ne cessent pourtant de se contester les uns les autres. Comme si se critiquer mutuellement favorisait l’asservissement à la même marotte.
Il y a quand même un bon côté à appeler toujours covid 19 le nouveau : je peux aérer la pièce où je travaille quelle que soit la direction du vent. Bientôt, la rue recommencera à sentir le jardin plutôt que le garage.
Des députés et des ministres ont choisi ces temps de folie pour prêcher la croisade ; mais attention, pas n’importe laquelle, pas la croisade de la Chrétienté, ni celle de l’Occident Moderne, pas même celle de l’OTAN. Non, la croisade de « la laïcité à la française » : une croisade bien de chez nous qui ne sorte pas des frontières. Peu importe donc que la France ne soit pas comprise de ses voisins, que les pays musulmans appellent au boycott des produits français, et que le président turc suggère discrètement à son homologue de consulter.
La laïcité n’est pas une idée française. Elle est une idée des Protestants. Leur idée était que l’Église n’était pas une institution de clercs, mais la communauté des fidèles à qui il appartenait de choisir et d’approuver ou non leurs pasteurs. Comme les Protestants envisageaient la réforme d’une seule et même Église, il ne fut pas d’abord question des rapports entre des cultes différents. Se posa incidemment la question des Hébreux, religion déjà laïque dans le sens protestant, dont nul ne savait quoi faire dans un tel modèle. Quelques années plus tard, il devint évident que l’Europe se divisait pour longtemps entre deux christianismes. Logiquement, le principe de laïcité impliqua l’indifférence des princes en matière de religion, ce qui réglait tout aussi logiquement la « question juive ».
Le concept de laïcité n’est pas sorti tout armé de l’esprit de parlementaires, comme Athéna de la tête du Jupiter. Il fut forgé à tâtons, et à travers toute l’Europe ; il fut discuté en latin, en anglais, en allemand, en français à travers des correspondances croisées entre des militants religieux et des philosophes. Il n’y a donc qu’un seul et même concept pour tout le monde occidental, mais jouant des rôles sensiblement différents selon les sociétés. Il s’agit dans tous les cas de protéger du clergé dominant les institutions publiques, et donc aussi, par conséquent, de protéger les cultes minoritaires de ces institutions : Catholiques, par exemple, en Angleterre ; Protestants en France ; et Juifs partout…, puis quand la question a pu se poser, Musulmans de quelque obédience, Orthodoxes, Maronites, Bouddhistes, Hindouistes…, et même athées quand l’idée en fut concevable. Voilà en bon français ce que signifie laïcité, et pas « laïcité française ».
À propos, quel rapport entre covid et laïcité ? L’idée de concile épiscopal, j’imagine. Laïque, ne s’est jamais opposé à religieux, mais à clerc, à clergé.
Je suis bien dépité par ce nouveau confinement. La circulation automobile a peu baissé, bien moins que cet hiver.
Il fait encore très bon, mais on doit se méfier de cette saison, et plus encore lorsque le climat est si hospitalier. Le jour tombe vite, et si l’on oublie de se munir d’une veste ou d’une petite laine, la fraîcheur du soir risque de surprendre l’insouciant. Voilà ce que serait un conseil sanitaire sensé : « N’omettez pas de vous couvrir, mais pas le nez et la bouche, idiots. »
Un autre risque vient de ce que les jours si courts et la fraîcheur qui vient si vite font naître l’envie de se confiner et de ne pas volontiers ouvrir les portes et les fenêtres. Il est impératif en cette saison de sortir, marcher, profiter pleinement des plus rares rayons du soleil, et d’aérer le plus possible les appartements. Inévitablement, le faible ensoleillement affecte les organismes en cette saison à laquelle la coutume a associé des idées morbides, Toussaint, Halloween. Elle affecte les organismes et même les psychologies. Ce n’est pas le moment de se remplir l’esprit avec des pensées toxiques.
Cette saison est belle, en vérité, elle est douce, elle vaut la peine d’en profiter. Son vent ne mord pas, ni son soleil que la nébulosité tamise, les feuillages qui ne sont pas encore tombés sont plus colorés que des fleurs, ses nuits sont tièdes.
Le mot « automne » m’inspire le féminin : « une automne », ça sonne bien, ça sonne mieux ; je me trompais d’ailleurs quand j’étais enfant. C’est une saison séductrice comme une femme, surtout ici à Marseille, une femme un peu mure et austère, mais belle comme savent l’être les Corses ou les Siciliennes aux yeux rieurs et au sourire d’ange, et elle ne paraît pas aimer qu’on ne tombe pas sous son charme. Comme aurait su le faire une déesse antique, elle frappe alors de morosité.
Aussi le matin, devant la grande glace, je choisis avec soin mes vêtements aux couleurs de l’automne. Chemise de flanelle à carreaux sur un tricot de peau brique ou anthracite, pantalon d’une solide toile brun sombre, bottines aux semelles crantées, et pour le soir, une veste sans manche couleur taupe portée négligemment à l’épaule, ou la fermeture-éclair tirée jusqu’au col. J’espère ainsi plaire à celle que j’aime, qu’elle soit heureuse d’être à mes côtés, douce et belle comme un automne en Méditerranée.
Le système démocratique n’en finit plus de rendre son dernier souffle, même dans son sanctuaire des USA. La presse vient d’y élire son président. La presse ! ? Oui, la presse, les médias quoi, et leurs bombes à fragmentations des réseaux « sociaux ». Elle y est parvenue à l’aide évidente des suffrages d’un nombre considérable d’âmes mortes (je fais bien sûr allusion au roman de Nicolas Gogol).
Les Étasuniens ont donc appliqué chez eux le principe de la révolution de couleur. C’est bien le dernier endroit où ce genre de choses risquait d’encore marcher. Tout n’est pourtant pas déjà complètement plié, il se peut que ça foire grotesquement comme au Vénézuéla, en Bolivie ou en Biélorussie.
J’attendais un coup d’État aux USA. Je ne suis pas surpris sur ce point, je le suis plutôt par son caractère naïf, apparemment très maîtrisé, mais foncièrement maladroit. Tout s’est pourtant bien passé dans le calme, enfin presque, par écrans interposés.
Trump avait depuis quelques temps déjà perdu le pouvoir, et je ne prendrais pas de pari, quels que soient les référés et les recomptages éventuels, qu’il le regagne. Il avait perdu les médias, il avait perdu l’armée, il avait perdu Tweeter qui n’hésitait plus à censurer le président en exercice, etc. Pour autant, il n’est pas probant qu’il eût aussi perdu les suffrages, et les Démocrates prennent un gros risque à moyen et long terme à les mépriser.
Qu’importe, l’Empire devait gagner contre l’Union. L’Empire doit gagner. Où cela conduirait-il si l’élection de Joseph Biden devait être invalidée ? Ça n’aura très probablement pas lieu, mais le coup est tiré.
Les Nations vassales se sont empressées de féliciter le César bientôt octogénaire. Ici en France, on fête cette victoire au-delà de toute décence comme si elle était notre, et l’on s’évertue de décrédibiliser les avis critiques au-delà de toute raison.
Les rapports relatifs entre les notions de gauche et de droite ont beaucoup évolué pendant ces dernières générations. Il serait trop rapide d’affirmer que gauche et droite ne veulent plus rien dire ; c’est plutôt qu’elles ne disent plus ce qu’elles disaient : à savoir liberté et égalité d’un côté, et traditions et privilèges de l’autre, disons. Le fait est que ce qui est bien toujours de la droite, parait plus intelligent que ce qui paraît encore de gauche. Je n’aime pas ça.
Aujourd’hui, la droite effective, qui passe pour une gauche, se trouve être le camp de l’impérialisme, celui d’un empire unique, et qui se voudrait universel pour cette raison, mais qui est au contraire historique, ethnoculturel et géographiquement localisé.
Ce qui en face pourrait être une gauche, et qui serait donc anti-impérialiste, est malheureusement affecté d’une maladie sénile : le nationalisme. Aussi se convainc-t-elle seule d’être de droite, et trouve-t-elle stratégiquement correct de défendre traditions et privilèges.
Au fond, il n’y a que deux droites en fonction. Comment cette topique évoluera-t-elle ? On verra bien.
« Quel rapport entre covid et laïcité ? L’idée de concile épiscopal, j’imagine. Laïque, ne s’est jamais opposé à religieux, mais à clerc, à clergé. » C’est ce que j’écrivais ce premier du mois, et qui n’a pas paru bien clair à une lectrice pour laquelle je me sens tenu de m’expliquer mieux.
Je disais donc que le concept de laïcité fut conçu par des communautés protestantes, qui étaient donc catholiques encore et n’envisageaient, ni même ne concevaient, une autre réforme que celle de l’Église catholique. Ils ignoraient donc la question, qui alors ne se posait pas, des rapports entre fidèles de diverses religions, et moins encore entre croyants et libres penseurs. Leur problème était celui des rapports entre fidèles et clercs ; rien de plus.
Ce n’est qu’à partir du moment où la Réforme se révéla être plutôt un schisme, puis que les Protestants se divisèrent aussi entre Luthériens et Baptistes, Puritains et Presbytériens…, que la question concerna aussi, inévitablement, la diversité des cultes, et donc, nécessairement, la séparation entre politique et religion. Pour autant, le fondement restait le même. Les Européens n’étaient plus prêts à se laisser dicter le vrai et le faux par des clercs.
On doit mettre une telle idée dans la perspective de la révolution de la Science Moderne. La vérité n’y est plus fondée sur le statut des savants qui l’énoncent et la diffusent sur la base d’un consensus, d’un concile. Elle repose rigoureusement sur l’inférence et l’expérience : la modélisation géométrique, et l’expérience reproductible.
Sur ce point, on remarquera encore que le bon docteur Raoult met, avec opportunité et force discernement, ses mocassins dans le plat.
J’ai appris ce soir incidemment que le conseil de l’ordre des charlatans vient de porter plainte contre le Professeur Raoult. Tout cela fait partie de ces choses dont on peut avantageusement s’épargner la critique tant elles s’évertuent à se plonger seules dans la dérision.
Bon, soit, rien à dire, mais un vide demeure devant soi, vertigineux et angoissant. Moi comme les autres, nous avons toujours un temps de retard devant ce vide déferlant.
Il ne nous laisse rien à critiquer, rien à combattre, rien dont on pourrait se débarrasser. Il nous laisse interdits devant notre propre impuissance à reprendre la main et à produire, quand, au fond, il ne resterait plus rien pour nous barrer le chemin, sinon du vide. Nous cherchons des prises en vain.
Ça ne traînait pas au début. Sitôt l’élection annoncée par les quatre grandes chaînes et leurs réseaux « sociaux », le petit monde de l’OTAN s’est empressé de faire allégeance, et si Trump faisait de la résistance, c’est lui alors qui était supposé chercher à usurper le pouvoir.
On se demande pourtant ce qui aurait été entendu si une telle élection s’était déroulée ailleurs, notamment de la part des USA. Les chefs d’État des principaux pays, Chine, Russie etc, attendent toujours des déclarations plus officielles pour reconnaître le vainqueur putatif ; la Cour suprême accepte d’étudier les plaintes des Républicains.
Plus le temps passe et plus on voit que le vote Biden fut loin d’être un raz-de-marée ; que se sont passées des choses vraiment étranges dans les bureaux de vote et lors du dépouillement, je veux dire plus bizarres que de coutume. Bref, ce sont ceux-là mêmes qui l’ont élu sans attendre seulement un véritable verdict, qui sèment maintenant le doute à vouloir trop fébrilement le lever, et à afficher une assurance forcée.
Il me paraît impossible maintenant de destituer le président en exercice comme s’il refusait le résultat des urnes. Ça ne passerait plus. Alors ? Alors on verra bien.
« Les élites », c’est un terme curieux dans son emploi devenu commun. Il se donne des airs de paradigme sociologique : une classe. Laquelle ?
Pourquoi pas tout simplement « les exploiteurs » ? Non, on sent que ce serait impropre. Ce terme ne désigne pas une classe dont la fonction principale serait d’exploiter le travail des autres, bien qu’elle le fasse aussi. « Classe dirigeante » serait plus juste. Ce n’est pourtant pas ce que veut dire et dénier tout à la fois, le choix des mots « les élites ». Ces mots qui ne sont pas les bons, à la place desquels sont-ils mis ? Peut-être « les clercs ».
Les clercs, le clergé : la classe qui reproduit et contrôle l’idéologie. La formule m’économise par la même occasion de devoir expliquer ce que j’entends par « idéologie » : le système de pensée que produisent les clercs.
Les élites, ça a davantage de prestige, ça laisse penser que les clercs seraient bien des élites. Les clercs disent seulement ce que les autres doivent penser. Ça n’en fait pas des élites, seulement des personnes qui savent ce qu’on doit dire pour être inodore et incolore, neutre et objectif, disons. Elles font souvent de longues études pour cela.
Le clergé doit être neutre et objectif, impersonnel, comme il est de mise dans une institution nationale et laïque (surtout « laïque à la française »). Un clergé laïque : pour éviter l’oxymore, on dit « les élites ».
Il pleut très peu, et pourtant la terre est toujours humide. J’ai balayé devant chez moi en début de semaine. Mon jeune voisin avait ouvert l’eau de la rue ; j’en ai profité pour donner un coup de balai et nettoyer les feuilles mortes qui formaient déjà un tapis d’humus. Il n’y en a plus maintenant sur les branches. Je crois bien que le balayeur municipal n’est plus passé depuis au moins l’an dernier. Eh bien ce samedi, le trottoir est encore humide où j’avais jeté de l’eau.
Il fait beau pourtant, les jours sont brefs mais ensoleillés, un léger mistral a soufflé. Il n’empêche pas une légère nébulosité dès qu’il faiblit, et qui rend les étoiles la nuit à peine discernables.
Tout le monde a peur. D’une angine de poitrine ? Bien sûr que non. Chacun a peur de menaces bien plus personnalisées qui rôdent dans son ombre. Cette épidémie d’angine (laissons les noms savants au clergé qui doit faire croire qu’il est plus sachant que quiconque) révèle la peur qui puait déjà autour de nous.
Pourquoi le conseil de l’ordre attaque-t-il en justice le professeur Raoult, au risque de se faire traîner dans la boue ? Pourquoi s’y risque-t-il quand on sent les institutions bien fragiles ? Pour terroriser les médecins probablement, qui risqueraient leur gagne-pain, et dont beaucoup se sentiraient en position instable pour se défendre, manquant probablement d’assurance quant à leur déontologie.
Très peu de gens sont au clair avec leur déontologie, et ils s’en sentent précarisés. Cela répand une peur diffuse. Ce n’est pas la peur d’une angine, d’un rhume ou d’une grippe, avec laquelle on vit toutes les saisons fraîches et peu ensoleillées, quand les températures avoisinent les dix degrés, et dont on se soigne en trois ou six jours ; c’est une peur plus diffuse, et dont personne ne tient beaucoup à parler.
Chacun a peur de sa propre médiocrité en fait, et de la dépendance où elle le place. Ce n’est pas une crainte métaphysique, mais plutôt infra-physique, pour tout dire : financière. Qui craint de perdre son emploi, qui son statut, qui ses allocations, qui son réseau, qui ses subventions, ses arrangements, ses dessous de table, ses avantages… Ça ne vole pas haut, mais ça n’en crée pas moins un climat de terreur.
Ça ne vole certes pas haut, mais ça peut devenir tragique, létal. Cet hiver, plus de gens en mourront que d’une grippe ou d’une angine, ou bien celles-ci les emporteront pour s’être retrouvés à la rue.
Évidemment, avec un masque chirurgical sur la gueule, on n’est pas à son avantage. On a l’air con, surtout face à aucun danger sanitaire réel, et ça paralyse, ça rend pleutre. Naturellement, lâcheté et terreur régnaient déjà bien avant 2020. C’est devenu récemment plus visible, avec bien d’autres choses depuis le début de l’année.
On pourrait toujours se dire que ce n’est pas un vrai régime de terreur, que ce n’est pas si grave un masque sur la figure, pas si grave en réalité. D’ailleurs c’est une dictature totalement démocratique que nous avons sous les yeux, tout le monde est terrorisé, égalitairement pourrait-on dire, même ceux qui réglementent la terreur, même les clercs et leurs tontons macoutes, qui perdent leur sang froid et les pédales. Il s’agit donc alors d’un régime totalement totalitaire.
« 73 % des Chinois considèrent la Chine comme démocratique, alors que seulement 49 % des Américains pensent la même chose des États-Unis. » Je n’ai plus trace d’où j’ai noté ces chiffres qui sont d’ailleurs à prendre pour ce qu’ils valent. (Le nombre me semble élevé pour les USA.) Tout dépend aussi de ce que l’on appelle démocratie. On peut songer à la démocratie que les États-unis sont parvenu à exporter en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Ukraine ou ailleurs.
Quoi qu’il en soit, on assiste ces derniers temps à une vague de propagande anti-chinoise qui atteint des proportions carrément psychotiques. Je me suis laissé dire que les autorités étasuniennes avaient débloqué pour cela des fonds considérables.
La presse dominante n’est pas seule à s’y mettre, même divers esprits critiques de gauche ou de droite apportent sur leurs blogues leur modeste contribution. Serait-ce une façon de montrer patte blanche pour se faire pardonner les coups de griffe ? Je n’en sais rien, mais je suis sûr qu’ils n’ont rien touché, eux. Moi non plus, et quand ce sera le cas, je verrai. D’ici là, je balance plutôt comme les sondages.
Bon, revenons aux choses sérieuses. Je ne sais même plus ou en est la sonde chinoise destinée à explorer la lune pour y chercher de l’eau, le Lapin de jade, je crois me souvenir. N’est-ce pas à la fois plus concret et plus poétique ?
Ce dimanche est une magnifique journée de printemps. Encore une fois, je ne dis pas que la presse mente ; peut-être fait-il bien un temps épouvantable partout ailleurs. Si c’est exact, le monde entier devrait légitimement être informé que nous avons ici un merveilleux et surprenant temps de printemps. D’un autre côté, je comprends mal que le soleil soit éclatant et qu’il fasse si bon ici alors que tout autour de Marseille, des bouches du Rhône peut-être, on ne connaîtrait que verglas ciels bouchés ou inondations.
Salut,
[…] La situation me laisse un peu les bras ballants. Comment enfoncer des portes qui sont déjà à terre ? J’ai l’impression que presque tout le monde a à peu près compris la situation. Les autres ne doivent pas vouloir comprendre ou avoir des problèmes cognitifs. Pour ce que ça change…
Ça ne peut pas changer grand-chose parce qu’on ne trouve pas, je ne dis même pas des solutions, mais seulement des perspectives. De toute façon, toujours les actes devancent la pensée ; alors, ça encore, ça ne change pas grand-chose.
Certainement, je ne me satisfais pas d’avoir à peu près compris. J’aimerais comprendre davantage. Depuis ce printemps, j’ai la forte impression que le confinement en est d’abord un de l’économie et du commerce ; une façon de les congeler, de tirer le frein à main. J’y vois une façon de ralentir la chute, tout en lui donnant une explication commode, et des moyens faciles de contenir toute agitation.
C’est une forte impression que j’ai. Il me semble que le travail était devenu plus consommateur que producteur, aussi coûte-t-il peut-être moins de le ralentir, mais je ne comprends pas nettement les détails. Geler, ralentir ; ce n’est certainement pas une solution, ni même une perspective.
Mais comment refuser de ralentir une chute ? Il se pourrait qu’un certain nombre de ceux qui semblent ne pas vouloir comprendre la situation réelle, soient plus ou moins animés par cette intuition. Pour autant, ralentir ne change rien.
Amitié, jp
Ça y est, le temps hivernal a pointé son nez, avec un vent du nord modéré mais glacé.
On essaie de garder les mains dans les poches.
Aujourd’hui les mouettes volent bas, rapides et proches, entre les façades des petites rues, très blanches sur le ciel propre. Elles ont quelque-chose de surnaturel. Je ne sais quoi. Plutôt est-ce au lieu qu’elles donnent un ton fantastique, plus réel que de nature disons, c’est ça, surréel.
Avec ce temps, il était prévisible que je prenne froid. Rien de grave, un début de rhume dont je suis venu à bout avec des essences. Depuis deux jours, le ciel est couvert de nuages hauts et gris, et les chaussées sont encore humides ce matin.
Les mouettes volent haut, comme toujours quand il fait ce temps, et elles donnent l’impression que les nuages le sont plus encore. Ces oiseaux ont un art achevé de jouer avec l’espace.
Influencer ce que pensent les autres, c’est devenu une obsession, semble-t-il. Tout l’internet paraît avoir été transformé, pour ne pas dire saboté, à ce seul usage. Influencer les autres est une idée fixe. Celle-ci avait cependant animé les esprits humains bien avant l’internet. Moi-même j’en ai été obsédé en d’autres temps. En ces temps-là, l’idée en était encore raisonnable ; on pouvait croire y parvenir, et l’on y parvenait dans une certaine mesure.
De simples conversations de café étaient alors susceptibles d’aiguiser les réflexions et de les tramer efficacement. On ne doit surtout pas déconsidérer les conversations de bistrot. Elles constituaient à peu de frais d’irremplaçables moyens de passer ses idées à la critique collective, en proportion du moins de son habilité à choisir ses compagnons de table.
En hordes, on y parvenait mieux, et plus encore au moyen de la publication. Dans ma jeunesse, les moyens de publier avaient déjà beaucoup progressé. Plus encore qu’influencer quiconque, le principal intérêt était de forger patiemment ses énoncés, les relire à satiété et les corriger, avant de les critiquer en comités de lecture. Tout cela était encore raisonnable à l’époque.
L’internet a constitué un saut qualitatif, un saut qui permettait de passer aisément de l’idée fixe à la démence. Il était déterminé par le passage au tirage illimité. Jusqu’alors, quoi qu’on eût publié, on buttait sur le chiffre du tirage. Il forçait à se faire une idée, et même plus qu’une idée, une connaissance, d’un lectorat auquel on s’adressait. Avec l’internet, il devenait possible de s’adresser à la cantonade, c’est-à-dire à la fois à tout le monde, et à personne.
L’internet nous donnait les moyens réels, mais seulement virtuels, de nous adresser à tous. Sitôt en ligne, la page était accessible, sans aucun travail supplémentaire, à tous les usagers de l’internet, même si chacun comprenait fort bien que jamais la totalité des utilisateurs de l’internet ne s’arrêterait sur cette page. Alors a commencé la course au référencement et aux abonnés, et là, ce n’était plus raisonnable.
Assurément, je le sais, l’internet offre bien d’autres usages efficaces et sensés. Du courriel au site public, il autorise des échanges modulés, adaptés à toutes les éventualités, pour quiconque en connaît le besoin. Il a pourtant évolué dans des directions différentes et totalement aberrantes. Des quantités d’outils numériques à peu près incontrôlables incitent, contraignent même d’une certaine façon, à ces usages aberrants, qui se réduisent presque exclusivement à tenter d’influencer ce que pensent les autres.
On est tenté de les influencer à ce point obsessionnellement qu’on ne songe même plus à transmettre ses propres pensées, ses propres opinions, si tant est qu’on en ait encore. N’importe lesquelles feraient l’affaire. Ces moyens alimentent une frénésie à entraîner la cantonade à croire ou à penser n’importe quoi, du moment que tous le pensent, du moment qu’on est au moins les plus nombreux possible à penser de la même façon.
On ne peut qu’en être surpris au moment où ce que pense quiconque paraît ne plus avoir la moindre importance. Mieux encore, où l’on ne perçoit plus ce qu’une « opinion publique », ou seulement « représentative » aurait encore de force ou de pouvoir, face à un clergé, peu intelligent peut-être, mais fortement outillé et coordonné pour diffuser massivement son catéchisme, et protégé par ses tontons macoutes en voie d’émancipation complète. « Les autres » peuvent bien penser n’importe quoi. Pour ce que ça changera.
© Jean-Pierre Depétris, juin 2020
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