Éphémérides

Jean-Pierre Depetris, juin 2020.

Imagination et imaginaire - Horizons politiques - Brèches - Rafales d’automne - Suite

Table des matières





Imagination et imaginaire

D’où vienne les idées géniales, le 26 septembre

Des nuages immenses se déplacent à une vitesse étonnante, propres et blancs. J’aurais froid si je n’avais pas pris ma saharienne, même quand le soleil ressort dans de larges espaces d’azur.

D’où je suis, je ne sens presque pas le vent qui chasse les nuages si vite. L’air paraît pur, pas au point de donner envie de le respirer à pleins poumons, mais suffisamment pour espérer voir cette nuit la Voie Lactée de la fenêtre.

Je n’ai plus l’âge de Greta Thunberg, et je suis moins sévère qu’elle sur l’inaptitude des institutions internationales à provoquer, non pas une baisse, ni une seule baisse de la croissance, mais au moins une baisse d’accélération de l’extraction de carbone. Je n’ai pas la moindre idée de comment on pourrait y parvenir, du moins dans l’état de nos techniques et de nos connaissances scientifiques, bien plus efficaces pour l’heure à perfectionner des gadgets qu’à résoudre les problèmes qui se posent.

D’un autre côté, je ne vois pas non plus comment ces moyens permettraient encore longtemps le niveau d’extraction actuel, avec des accès aux ressources qui se complexifient, et les raréfient ; ce qui posera de pires problèmes. On doit s’y résigner, il n’y a pas de solution, du moins dans l’état actuel des capacités techniques et scientifiques. Si l’on doit chercher un espoir, ce serait donc plutôt du côté de ces capacités, dans, disons, une révolution scientifique.

D’où viennent les idées géniales ? Des moyens financier mis à disposition de leur recherche ? Soit, l’évolution technique tend à accompagner la richesse (quoique…), mais plus pratiquement, d’un point de vue plus phénoménologique, comment naissent-elles ? On pourra se demander plus tard comment se fait la jonction avec les forces productives.

Descartes en a parlé pour ce qui le concerne : en se levant tard et en somnolant dans son lit le matin. Les époux Einstein, faisaient plutôt des excursions en montagne. La plupart des génies normaux bavardent tard la nuit dans des débits de boissons. Nombreux ont renforcé leur imagination par divers excitants : café, tabac, hachisch, LSD…

Alors je me demande si les organismes internationaux ad hoc, et même Greta Thunberg, qui malgré son jeune âge et son air un peu dément dit moins souvent d’âneries qu’à son tour, errent dans la bonne direction.

Questions abyssales, le 29 septembre

À l’échelle mondiale, le virus ne fait pas beaucoup de dégâts. En Europe occidentale, si ; pas autant que les journaux officiels voudraient le faire croire, mais quand même. Pourquoi ?

D’aucuns prétendent que le virus viendrait de Chine, où il a pratiquement disparu. Et il n’a proportionnellement pas fait plus de victimes à Wuhan, où il a été découvert, qu’à Marseille, et nettement moins qu’à Paris. Ces observations sont d’autant plus curieuses que la France est connue pour posséder des moyens sanitaires hors du commun, et dont la gestion est entre les mains de mandarins exceptionnellement compétents. Nous avons tous été informés que les mesures prises dès le début de l’épidémie, ont efficacement contenu la contagion ; alors les questions se bousculent devant ce paradoxe.

Les faits sont têtus : même si l’on exagère les taux de contamination et de létalité, ils demeurent étrangement élevés comparés au reste du monde. Comment est-ce possible ? Des jeunes n’auraient peut-être pas respecté scrupuleusement les mesures d’hygiène ? Bien des pays qui ont pourtant moins de mesures d’hygiène et plus de jeunes, n’ont pas de tels taux. Alors, on ne peut quand même pas soupçonner que ces mesures aient eu des effets pires que le mal ?

Quoiqu’il en soit, on en a remis une couche, comme je le prévoyais, en imposant la fermeture des bars et des restaurants à Marseille. Ces mesures m’inquiètent évidemment : Où de jeunes savants iront-ils chercher des idées géniales maintenant ? Certainement pas seuls dans leurs studios. Sans compter que, je le crains, le port d’un masque risque de ralentir significativement l’oxygénation du cerveau.

Commentaires

Pas de fontaines, pas de vespasiennes. Autant dire que, sans bars ni restaurants, l’espace public est à nouveau interdit. Et comment aller travailler dans ces conditions ? Où manger ? Où boire ? Où pisser ?…

Les politiques et les professionnels ont tenu à protester vigoureusement contre ces mesures stupides, et, pour rester dans le ton, ils ont tenu à protester stupidement. « Nous allons tous vers la faillite », ont pleurniché les professionnels à qui voulait bien compatir. Ces gens n’ont apparemment aucune idée de leur utilité.

Et la recherche, non ? Aider la recherche. Aider les chercheurs à trouver des idées géniales contre le réchauffement climatique.

Je l’ai déjà écrit : l’époque rend badin. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant, ce que je dis ainsi n’est pas sot.

La crise économique, le 3 octobre

L’économie, j’entends par là un système financier et un droit des affaires, existe depuis très longtemps, depuis bien avant l’antiquité. Avant même d’exister formellement, ces choses-là ont dû exister virtuellement depuis plus longtemps encore. Pourquoi de telles choses sont apparues ? J’imagine qu’elles étaient des moyens de formater un peu les activités humaines, de leur donner plus de corps et plus de durée.

La monnaie, le droit, n’ont pas d’existence concrété. Elles sont des constructions mentales destinées à servir de guides pour les activités plus concrètes, leur servir comme des lignes tracées sur un cahier pour guider l’écriture. Ce sont des béquilles en quelque sorte, des béquilles mentales.

Autant dire que l’on doit jouer le jeu si l’on veut que ça marche, car ce ne sont pas des étais en bois ou en métal qui supporteraient le poids de choses réelles. Ces règles ont donc besoin d’une force qui les fasse respecter, de tribunaux et de châtiments.

Bien sûr, elles ont besoin aussi d’une force interne, intrinsèque, qui est leur cohérence, leur capacité de formater les activités humaines pour peu qu’on les respecte. Même alors, elles ne suffiraient pas à irriguer des champs ou à extraire des minerais de la terre. Pour cela, nous avons besoin d’autres lois, de lois plus dures qui n’ont pas besoin de tribunaux ni de châtiments, qui sont celles-là-mêmes de la terre, et qu’elle nous fournit avec récoltes et minerais.

Eh bien voilà, j’ai cette étrange impression que ce très ancien formatage mental des activités humaines a inversé sa fonction envers elles. Cet échafaudage, destiné à guider les activités humaines comme les lignes d’un cahier guident l’écriture, doit être maintenant soutenu par des béquilles bien concrètes ; et les activités humaines, celles qui sont productrices du moins, sont tout occupées à fournir les béquilles nécessaires, semblables à celles des tableaux de Salvador Dali, de bonnes et solides béquilles, de préférence fabriquées en Chine.

Les béquilles mentales, le 4 octobre

Un système économique et un droit commercial ont une incidence profonde sur la réalité des activités humaines, même s’ils souffrent par eux-mêmes d’un certain manque de réalité. Honnêtement, je ne saurais dire si un tel système est par nature indispensable ou catastrophique, ni dans quelles mesures. Il me semble en tout cas que, sans lui, on ne sache plus à quoi se tenir.

Je sais bien que des lignes sur une feuille ne produisent pas de texte, et moi-même, je n’ai besoin d’aucun lignage ni quadrillage pour écrire droit. Je serais donc enclin à penser qu’un tel cadre imaginaire pourrait être abandonné sans grand dommage. C’est ce que font d’ailleurs tous les États lors de crises graves. On observe alors qu’il n’en résulte pas des situations idylliques. En fait c’est une question.

J’ai bien sûr entendu parler de la démocratie. Oui, l’idée de la délibération collective paraît bonne a priori. Elle est très attirante sous la plume de John Dewey ; et le Parti Communiste Chinois la pratique d’une manière qui n’est pas particulièrement repoussante, ce que confirme la haine que lui vouent les pays en voie de sous-développement (qui préfèrent nommer démocratie la stricte soumission au système (de la finance et du droit des affaires (fondés sur le dollar et les lois des USA))).

Cependant, ces règles systémiques ne marchent que dans la mesure où elles ne sont pas mises en causes. Si l’on commence à ouvrir la boîte de Pandore des questions, on ne sait pas dans quoi l’on s’engage. Et comment saurait-on quoi décider, et jusqu’à quel point tout changer ? Ces règles que nous remettrions en cause n’ont jamais été décidées, elles ont été lentement dessinées par la coutume. S’agira-t-il alors d’en changer des détails, dont les conséquences à long terme seront, de toute façon, inconnaissables, et ce que pratiquent déjà depuis longtemps tous les gouvernements du monde ; ou bien d’opter pour des changements radicaux, suggérant à chacun, pendant les travaux de rénovation, de se tenir solidement au pinceau pendant qu’on déplace l’échelle ?






Horizons politiques

Des soviets, le 6 octobre

Mes dernières réflexions du 4 octobre offrent d’excellents arguments pour des gens de droite (ceux qui défendent les traditions et les privilèges). Ce sont des arguments raisonnables, et les seuls valides à mes yeux. Je n’ai jamais cru qu’on pouvait se tenir au pinceau. Ils supposent toutefois que les structures molles demeurent bien calées sur leurs béquilles, ce qui est moins fréquent qu’on le croit.

En somme, je veux dire que, pour ce qui est de renverser l’ordre établi, celui-ci se débrouille généralement bien tout seul. La question qui se pose alors est seulement : que faire ? J’aurais tendance à me tourner vers les fabricants de béquilles. J’entends évidemment les travailleurs, auxquels on doit inclure les ingénieurs, et, tout aussi évidemment, les chercheurs, ceux, du moins, qui s’occupent des lois qui n’ont nul besoin de tribunaux ni de châtiments. Ces gens sont généralement, chacun à son niveau, dévalorisés par l’ordre établi, tout en étant les mieux placés pour apporter des remèdes pragmatiques, les seuls en fait qui en soient capables.

Mon point de vue ? Ceux qui me connaissent le connaissent aussi : tout le pouvoir aux soviets ; en bon français, aux conseils de travailleurs. Mais où sont les travailleurs susceptibles de tenir conseils ? Peut-être plus dans ce continent.

Un 11 septembre, le 7 octobre

Mistral, mistral, je ne suis pas mécontent. L’air est bon, la maison est facile à aérer et le linge sèche vite. Mauvaise nouvelle cependant : une poutre de la toiture est sur le point de se briser ; des travaux onéreux et urgents sont nécessaires.

Un pas décisif a été franchi un certain 11 septembre 1973 où le Président Salvador Allende a été assassiné lors d’un coup d’État militaire au Chili. Le mythe de la démocratie a reçu un coup fatal ce jour-là. Toutes les idées que nous nous faisions de la politique en ont été progressivement mais définitivement ébranlées.

Je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment, bien sûr. Ce n’était qu’un coup d’État et ce n’était pas le premier ; nous connaissions l’expérience indonésienne et malaise. Il y avait cependant quelque-chose de neuf, qui n’était pas immédiatement visible dans toutes ses conséquences.

Depuis la Révolution de 1917, et, plus en amont encore, depuis toutes les successives révolutions européennes antérieures, traînait dans les esprits l’idée d’une libération insurrectionnelle. Elle avait d’ailleurs connu des succès au cours du vingtième siècle. Che Guevara en était encore un martyre tout frais. Le mythe s’est brisé.

En 1973, cette insurrection militaire contre une révolution par les urnes qui semblait ne pas si mal marcher, l’instauration d’un régime de terreur saluée par les économistes libéraux du monde entier, pourtant si passionnés de démocratie d’habitude, a mis à bas tout à la fois le mythe insurrectionnel et le mythe démocratique. Depuis, tout a suivi un cours nouveau.

C’est maintenant le Pentagone qui pilote, soutient et utilise ses « révolutions de couleur », et c’est plutôt en face qu’on tente de calmer les passions, et d’enseigner la patience. Le monde a bien changé. Quant aux élections, rares sont celles qui se tiennent dans des conditions incontestables, donnent des résultats aussi clairs qu’indiscutables ; et ils sont souvent violemment contestés. On assiste alors à des tentatives toujours plus pitoyables de réitérer les exploits de Pinochet, ou d’étouffer les pays par des « sanctions », ou encore de simples manœuvre financières, quand leurs résultats dérangent le monde en voie de sous-développement.

Que faire alors, si l’on ne peut plus croire aux armes ni aux urnes ? Mais qui y avait jamais cru ? Ce ne sont pas dans ces impasses que s’était orientée la gauche ouvrière, CGT d’Émile Pouget ou IWW d’Eugene Debs.

Totalitarisme Assisté par Ordinateur, le 8 octobre

Je suis toujours admiratif de l’imagination sans limite déployée pour concevoir des formes politiques plus terribles que la démocratie, plus autoritaires, plus répressives, plus totalitaires ; et je suis tout aussi surpris de l’absence d’imagination, cette fois totale, pour en concevoir de meilleures : moins coercitives, moins répressives, moins intrusives, moins oppressives…, du genre anarchiste-communiste. Aucune imagination dans cette voie.

Moi, c’est le contraire ; mais il y a des gens intelligents et sympathiques qui imaginent comment les démocraties pourraient devenir pires, notamment assistées par l’intelligence artificielle ; le Totalitarisme Assisté par Ordinateur (TAO). Pour cela, ils s’appuient souvent sur de solides connaissances, et souvent aussi sur une expérience très professionnelle des procès de production. Car, on le comprend sans peine, la question est moins cruciale en ce qui concerne la protection de la vie privée, que le contrôle des procès de production.

Anti-prédiction, le 11 octobre

J’ai suivi le premier débat entre Donald Trump et Joseph Biden. J’étais surtout curieux de vérifier si l’état mental de ce dernier était aussi dégradé qu’on le dit parfois.

J’ai été si surpris par le niveau de langue des deux débatteurs que je les ai écoutés jusqu’au bout. Les deux ont des problèmes de vocabulaire ; Biden le cache mieux, car il débite des discours stéréotypés avec une forte assurance. Sur ce dernier point, il a nettement dominé le débat, surjouant à la perfection l’homme d’État. Il a cependant des problèmes de syntaxe, ne sachant pas très bien démarrer ni achever une phrase. Trump ignore ce genre de problème, tant la sienne est rudimentaire. Il épouse la posture de l’homme de bon sens exerçant ses capacités de conviction devant un comptoir.

Le contenu du débat n’avait pas d’intérêt. Trump s’évertuait à prouver que son adversaire et sa bande étaient de dangereux gauchistes, ce qui n’est pas facile on doit le reconnaître ; et Biden, qu’il n’était même pas de gauche, ce qui n’est pas très compliqué au contraire. Pour une écoute superficielle, telle qu’on l’accorde généralement à un débat télévisé, Biden a pu convaincre de l’essentiel : qu’il n’était pas gâteux, et peut-être moins que son adversaire. C’était l’enjeu.

Si Trump renouvelle sa contre-performance, il perdra les élections. Il les perdra nettement et sans contestation possible, et ce serait dommage. Trump est en effet le seul président depuis très longtemps, peut être depuis la fondation des USA (je n’ai pas vérifié) à n’avoir déclaré aucune guerre. Malgré ses propos toujours agressifs, il semble déterminé à continuer.

Si Trump gagne les élections, ce sera de justesse, et sa victoire sera contestée pour des irrégularités, inévitables en ce pays ; à plus forte raison si les scores sont indécidables. La situation va alors devenir particulièrement tendue. L’agitation que les Démocrates auront dangereusement favorisée risque d’échapper à tout contrôle. L’effondrement progressif des États-Unis l’accentuera : population jetée à la rue ; psychose pandémique ; pénuries causées par l’effondrement de l’industrie du gaz de schiste ; grands incendies plus difficiles à combattre sans les esclaves noirs, pardon les prisonniers libérés pour raison de pandémie, que l’on y emploie d’habitude ; inondations hors du contrôle des services publics ; et l’on attend encore les sauterelles et les autres fléaux.

Ce n’est en rien une prédiction, même pas une tentative ; ou alors une prédiction du présent.

Autopsie d’une impostures, le 12 octobre

D’aucuns affirment que l’autorité scientifique est toujours plus dangereusement mise en cause (par des platistes précisent parfois certains, pas nécessairement ironiques). D’où vient cette autorité ?

Les grandes éditions scientifiques ont des budgets démesurés. Il est vrai qu’elles emploient des milliers de chercheurs qui écrivent et se relisent les uns les autres. C’est un travail considérable ; au tarif d’une femme de ménage, ce budget serait déjà élevé. Bien sûr, on ne paye pas les chercheurs à ce tarif-là. En fait, on ne les paye pas du tout.

Le travail des chercheurs est déjà payé par leurs universités ou leurs laboratoires, mais qui doivent en acheter le produit… quand ils en ont les moyens. A-t-on idée du prix d’un ouvrage ou d’un abonnement à ces éditions, quand chaque chercheur saurait sans frais publier son travail pour tous ceux qui s’y intéressent, et avec le même contrôle des pairs ?

Alors, que vendent réellement ces éditions ? Elles vendent à un prix prohibitif la notoriété, l’autorité scientifique. Elles les vendent à ceux qui travaillent bénévolement pour elles. Elsevier vend son prestige accumulé depuis la première publication du Discours de la Méthode. C’est une belle filiation en effet, mais quel autre rapport avec la science moderne ?






Brèches

Remarque sur l’édition, le13 octobre

Beaucoup de livres d’un haut niveau sont très chers, car ils ne sont accessibles qu’à un petit nombre de lecteurs. Cette excuse qui aurait été recevable au siècle dernier, ne tient pas. Les moyens les plus modernes d’impression permettent de tirer quasiment à l’unité pour un prix comparable à un tirage normal. Les coûts réels d’impression ne cessent de baisser. Un peu plus cher, soit, mais pas dix fois et davantage.

Il n’est d’ailleurs pas si évident qu’un ouvrage de haut niveau soit condamné à être peu lu. Il m’est arrivé d’ouvrir de ces livres qui se cantonnaient sur un sujet étroit, avec, à toutes les lignes, des notes et des renvois à des travaux voisins. J’imagine que même les auteurs de ces travaux les lisaient avec peine ; non pas qu’ils eussent rencontré des difficultés particulières, mais sûrement de l’ennui. D’autres ouvrages peuvent bien être dits difficiles, mais d’une autre façon : en faisant appel à des connaissances diverses et croisées. Ils ne sont peut-être pas accessibles à tous les lecteurs, mais certainement à davantage que les précédents.

Il est improbable qu’une recherche pointue ne fasse pas appel à des domaines divers, et, mieux encore, ne les questionne. Ce serait un peu comme, aux temps de Newton, s’il n’y avait eu que des spécialistes de la chute des pommes, et d’autres, des phases de la lune, et qui n’auraient rien eu à se dire. Il est naturel que des travaux de recherche croisent des champs de connaissance divers. Il est naturel aussi, et fréquent, que des chercheurs se soient frottés à des champs de recherches variés. Il est donc logique, dans ce cas, que ces ouvrages concernent un nombre plus important de lecteurs potentiels. Il est cependant probable que des bibliothèques de travail soient plus réticentes à les acheter quand ils ne concernent pas étroitement leurs recherches, limitant ainsi leur diffusion plus que ne le ferait intrinsèquement leur contenu.

Le covid et la culture, le 14 octobre

Le covid, certains préfèrent dire « la covid », on se demande pourquoi. Covid est une abréviation de corona virus ; c’est du latin, pour lequel virus est masculin, et corona (couronne), féminin. C’est en réalité plutôt du jargon anglo-scientifique, coronavirus disease 2019 dans lequel il est neutre. Pourquoi pas plutôt « le virus couronne », ou mieux encore « le virus couronné » ? Probablement pour donner l’impression qu’on sait mieux que quiconque de quoi l’on parle.

C’est raté en l’occurrence, car ce fameux virus couronné a plutôt posé des problèmes à ceux qui font métier d’en savoir plus que les autres. Il a au moins rendu une vérité évidente : à quel point le monde atlantique se retrouve à la ramasse envers le reste du monde, même envers la part du reste du monde où rien ne se passe jamais bien, du moins en ce qui concerne les mesures prises et les moyens mis en œuvre contre l’épidémie.

Je voyais bien moi-même que le monde atlantique était en train de perdre les pédales depuis un certain temps. Le virus l’a montré mieux que jamais, chiffres à l’appui. Le monde entier s’était aligné sur la finance et le droit atlantique au vingtième siècle. Le monde entier s’est aligné sur les mêmes règles du jeu, et ce sont ceux-là mêmes qui ont imposé ces règles qui partent en quenouille, et d’autres nations plus exotiques qui ont fini par dominer ce jeu.

Que peut-il se passer maintenant ? Ces pays exotiques auraient triché, et ils ne devraient plus tarder maintenant à s’effondrer ? Ou bien le monde entier lui-même risque-t-il s’effondrer dans une catastrophe finale si l’on n’y prend garde ? Ce sont à peu près les prédictions de ceux qui font métier d’en savoir plus que les autres.

Il me semble plus probable que le monde va s’émanciper de ces règles et de la domination impériale. Qu’est-ce qui les remplacera ? Je n’en ai pas la moindre idée. Il est fort probable pour le moins que des concepts inconnus dans le monde atlantique vont continuer à se mondialiser et à enrichir la culture universelle. Il est probable qu’ils fertilisent la science, la culture, la politique… Il est peu probable qu’ils soient oubliés et enterrés.

À propos de Donald Trump, le 15 octobre

La haine aveugle que suscite Donald Trump est troublante. Elle l’est d’autant plus quand on la retrouve en Europe, qui n’est pas directement concernée en principe. Un nazi, c’est à quoi on l’assimile, ce qui est pour le moins excessif. Le plus grave est qu’on prépare l’opinion à l’idée que Trump serait prêt à se maintenir au pouvoir quel que soit le résultat du scrutin, ce qui revient à peu près au même que préparer cette opinion à l’idée de se débarrasser de lui quoi qu’il arrive. C’est une perspective inquiétante, car il est prévisible que les résultats électoraux seront serrés, lents à dépouiller, contestés dans le deux camps, et certainement contestables ; aussi ce procès anticipé et infondé revient à accuser par avance le camp de Trump de refuser le verdict démocratique dès qu’il contestera ces résultats.

On doit se demander sur quoi est fondé ce rejet radical de Donald Trump. Sur sa résistance à la guerre ? C’est possible, mais sur le fond, je n’en sais rien. Obama aussi était réticent à la guerre, et il est l’un des présidents qui en a déclarées le plus.

Les principaux effets de la politique de Trump ont été de pousser la plupart des pays à se rapprocher et à s’entendre entre eux pour échapper aux diktats du dollar et des lois états-uniennes, ou encore à développer sur leurs sols les moyens de leur indépendance. Je ne sais jusqu’à quel point ils étaient des effets prévisibles ou bien indésirables.

Couvre-feu, le 16 octobre

Les dernières mesures de couvre-feu attestent que la situation est grave, très grave. (Couvre-feu, pensez.) Mais quelle situation ?

Tout le monde sait ou peut savoir que la situation sanitaire est moins grave qu’en 2009, ou aux temps de la grippe aviaire, dans lesquelles on n’avait nulle part pris de semblables mesures. Bien des gens sont distraits et trop absorbés par des sollicitations diverses pour avoir le temps de ruminer un peu les informations dont on nous gave. C’est probablement un peu vrai, mais pas au point d’expliquer pourquoi ces mesures si étranges passent si bien.

Encore une fois, c’est de l’Institut Marseille Méditerranée que viennent les meilleures explications : ces mesures sont plus politiques que sanitaires, et l’IHU ne s’occupe pas de politique. On s’y refuse du moins à donner des cautions scientifiques à des choix politiques, sans pour autant les critiquer.

Serait grave donc la situation politique (et non politicienne comme certains voudraient l’entendre). En quoi cette situation politique serait-elle si grave pour justifier un couvre-feu ? Redoute-t-on un coup-État, une révolution de couleur (jaune, par exemple) ? Aucune des conditions ne semblent réunies pour cela. Craint-on une vague de grèves ? De qui, de quoi ? Des cabaretiers ? Des retraités ? Craint-on un soulèvement islamiste des banlieues ? Ou un soulèvement brutal du niveau de la mer ? Propositions colorées mais improbables. Ces mesures coûtent pourtant très cher, plus qu’on ne le pense.

Lorsque je sors dans la petite rue piétonne derrière chez moi, il est coutume que les gens se saluent, même sans se connaître. Il n’y passe guère de monde, et lorsqu’on se retrouve dans ces lieux qui sentent déjà un peu le désert, il est dur de se regarder seulement en chiens de faïence. Eh bien, l’on s’y salue généralement moins sans se connaître ces derniers temps, surtout si l’un ou l’autre porte un masque. Ce n’est pas réfléchi, c’est spontané.

Dans ma propre vie, très peu de choses, en fait, ont changé. Les bars ont vite rouvert, où j’aime prendre un café au soleil, mais j’éprouve un manque d’appétit croissant pour la ville. Je surprends en moi une véritable répulsion pour les communications à distance, téléphone, courriel, forums…, qui m’apparaissent comme des substituts dérisoires à la vie commune. Elles n’en ont jamais été de réels substituts, seulement des facilités. Lorsqu’elles ne facilitent plus des relations plus physiques, même superficielles, elles deviennent, tout à fait irrationnellement parfois, exaspérantes, même avec des relations lointaines, des contacts à l’étranger, à l’autre bout du monde, avec lesquels il était de toute façon peu pensable de se retrouver un jour face-à-face.

Je ne crois pas que ce soit ce que souhaitent les instaurateurs de ces mesures plus politiques que sanitaires. Alors, que craignent-ils de plus grave ? Peut-être l’effondrement financier qui nous pend au nez ?

Et à quoi précisément devraient faire obstacle ces mesures, dont on pourrait spontanément croire, au contraire, qu’elles empirent le mal en multipliant faillites et chômage ? Comment devraient-elles y parvenir ? Ce n’est pas moi qui saurais l’expliquer. Peut-être, sous ces masques, cherche-t-on à se cacher le plus longtemps possible ce qui est en marche.






Rafales d’automne

De la pluie et du beau temps, le 20 octobre

Si je dois en croire mes diverses sources d’information, partout les intempéries font rage : tempêtes, inondations, vents violents. Ici, rien de tel. Un doux automne prolonge harmonieusement l’été. Quant à la pluie, on n’en a pas eue du tout pendant l’été, et depuis le début de l’automne, elle fut parcimonieuse. Les collines ne paraissent pourtant pas plus arides que d’habitude. Les feuilles jaunissent, brunissent, rougissent et tombent, mais l’herbe demeure bien verte. Le mistral ne fut brutal qu’un seul jour, où nous avons préféré ne pas étendre.

Le climat est devenu doux à Marseille pendant que je devenais vieux. Dans ma mémoire, il était plutôt terrible quand j’étais jeune : sécheresse torride en été, vents violents et glacés descendus des cimes en hiver, avec de gros orages dans les mi-saisons.

J’ai bien entendu quelques tonnerres en début d’automne, et vu des éclairs qui zébraient le ciel au nord au-dessus de la Chaîne de l’Étoile, mais rien ici, quelques gouttes que le vent séchait aussitôt.

Non, bien sûr, je ne mets pas en doute les bulletins météorologiques, bien que je ne sois pas allé partout vérifier en personne que le climat y fut bien exécrable. Non, je les crois, et je pense que Marseille est aimée des Dieux.

Marseille est aussi aimée par la chaîne chinoise de langue française. Comme partout, les informations sont suivies d’un bulletin météo. Il passe en revue les principales capitales, plus une seule ville qui n’en est pas une : Marseille. Étonnant, non ?

La peste brune, le 21 octobre

Fini, plus d’info ; on ne peut le dire autrement. Pour écouter des infos, on doit tenir pour préalable que deux redoutables dangers planent sur nos villes et nos campagnes : le covid et le terrorisme islamiste. On n’entendra pas parler d’autre chose. Moi, les plus redoutables dangers, je les vois ailleurs. Peut-être vaut-il mieux ne pas y regarder, ne pas y penser…, éviter la panique ?

Attraper l’Islam, le 24 octobre

Les Français ont une peur bleue de devenir musulmans. Ils semblent croire qu’ils pourraient attraper l’Islam comme un virus, comme le covid, sans seulement s’en rendre compte. On vit dans un monde angoissé. Certains ont peur qu’en mangeant de la viande hallal par inadvertance, ils pourraient être contaminés. Le Judaïsme n’a jamais causé de telles craintes, on pensait qu’il était génétique et qu’on en était protégé.

Ils ont peut-être raison d’avoir peur, un rien suffirait pour que les Français deviennent musulmans, mais il est impensable que ça leur arrive sans qu’ils s’en rendent compte. Si la plupart des Français devaient devenir musulmans, n’ayons crainte, ils le deviendraient délibérément. Aussi sont-ils angoissés de n’avoir aucune idée de ce qui pourrait les y entraîner.

Un rien, disais-je : Il suffirait de concevoir un Être suprême, ce à quoi la culture française nous a déjà tous préparés, et de le nettoyer un peu des Saintes-Familles et des anges joufflus, ce que les Catholiques zombies ont déjà fait. Il suffirait qu’ils s’imprègnent un peu de Descartes et de Pascal, de Voltaire, d’Hugo…, je dis au hasard. Il suffirait en somme qu’ils deviennent un peu plus français.

Pour être juste, ça ne suffirait pas. Il faudrait y ajouter un peu de profondeur et de sensibilité ; plus de chair aussi, et par la même occasion cesser de voir le mal dans le désir charnel, ou pour le moins quelque-chose de bas, au mieux d’hygiénique, mais plutôt la porte de la spiritualité.

Alors là, oui, ils pourraient avoir peur. Qu’ils se rassurent cependant : pour la sensibilité et la profondeur, on n’y est pas encore ; et il resterait malgré tout un formidable obstacle pour les retenir : la circoncision. Quoique je ne doute pas qu’on se tournerait alors vers le fort argument de Paul, que la circoncision du cœur suffit bien.

J’aimerais rassurer mes compatriotes ; ils ne sont même pas assez français pour attraper l’Islam. Moi, ce qui ne me rassure pas du tout, c’est que, si par manque de sensibilité et de profondeur, ils ne sont pas foutus de devenir de bons musulmans, que peuvent-ils devenir d’autre ? Non, je ne répondrai pas.

Note de lecture, le 25 octobre

Le livre de Michel Houellebecq, Soumission, m’avait amusé. j’y ai trouvé un regard intéressant et ironique sur la France et les Français d’aujourd’hui. Certains y ont lu une attaque contre l’Islam, moi pas, et je ne saurais même pas en déduire une opinion de l’auteur. Je le regrette même, car la silhouette qu’il laisse entrevoir de l’Islam ressemble trop à l’ombre portée de l’Église Catholique.

Nous savions déjà que l’homme n’aimait ni les églises ni les clergés. Une lecture intelligente pourrait y voir une critique des catholiques français pur jus, à la manière dont Voltaire en fit une de l’Église Romaine à travers les traits de Mouhammad dans sa pièce de théâtre le Prophète. Houellebecq a écrit son roman à l’époque de la Manif pour tous, et de l’entente entre François Fillon et les milieux catholiques lors des élections où il fut comme foudroyé, puis oublié, emportant toute critique dans cet oubli. Pour autant, l’époque de Voltaire laissait planer moins d’ambiguïté sur sa cible.

Si c’était un pamphlet, je l’ai donc vu plutôt tirant sans élégance sur une ambulance, et la loupant. Le pavlovisme ambiant l’a cru dirigé contre l’Islam, dont l’auteur n’avait manifestement rien à dire, sauf peut-être, et peut-être aussi à son insu, mais peut-être pas, de ce curieux tropisme se mutant en effroi, qui touche les Français, et souvent même les Français musulmans, pour une religion dont ils ne conçoivent rien d’autre qu’un vague double déformé et inquiétant de l’Église Catholique et Romaine pourvoyeuse d’ordre. (Si, même parfois des Français musulmans.) J’ai aimé cela dans son ouvrage.

Il est dangereux de nos jours de s’en prendre à l’Islam, ou de le laisser croire, même involontairement, surtout involontairement. On risque d’être irrémédiablement pris dans une lame de fond d’angoisse et de rejet viscéral qui incorpore tout propos. Il ne m’a pas semblé que l’esquif de l’auteur s’y fût laissé engloutir, ni lui eût beaucoup laissé prise.

Plus rien ne m’étonne, le 28 octobre

Finalement, je l’ai eue mon heure d’hiver, aujourd’hui-même. J’ai cru qu’on avait décidé de demeurer définitivement à l’heure d’été, avec deux heures d’avance sur le soleil. Je suis sûr de l’avoir lu ou entendu quelque-part, et je m’y étais résigné.

Je me sens beaucoup mieux ainsi, je me sens plus en phase avec le monde réel. On peut bien vivre selon son propre rythme circadien, mais si personne d’autres ne le fait, on en est immanquablement perturbé dans sa vie quotidienne.

Je ne sais plus où j’avais entendu ça, et je l’ai cru. On serait prêt à croire n’importe quoi ces temps-ci, on n’en serait même plus étonné.




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© Jean-Pierre Depétris, juin 2020

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