Jean-Pierre Depetris, juin 2020.
Le monde moderne - À propos du réel - Jours tranquilles - États mentaux - Suite…
Parmi les dernières pages que j’ai écrites, bien des choses m’agacent. Trop d’ironie facile, comme si je cherchais à faire le malin. Non, ce n’est pas ce que je cherche, mais plutôt à adopter une posture qui laisse entendre comme en filigrane que je ne tiens pas tout ceci pour complètement sérieux.
L’époque ne rend pas le sérieux facile, alors, comme on ne peut l’atteindre, autant se donner des airs badins, mais ce n’est pas satisfaisant. L’époque est trop badine, elle inspire trop l’ironie, elle est cocasse, profondément et tragiquement cocasse.
Comme pour compenser, elle inspire alors à ceux qui se sentent obligés de la commenter, un ton sérieux, trop sérieux pour ne pas être ridicule, et qui donne justement l’envie d’en adopter un plus badin. On tente comme l’on peut d’échapper au bouffe comme au tragique, en trébuchant de l’un à l’autre.
La solution serait peut-être de s’arrêter quand on titube ainsi, se taire, jusqu’à retrouver le bon pas, et ce serait sans doute une attitude qui guiderait opportunément l’esprit à penser juste. Mais on doit bien s’informer un peu, et il est impossible de sélectionner un site, une chaîne ou un journal, même parmi les plus décents, qui n’entre tout de suite et ne nous fasse entrer dans la danse de Saint Guy de la tragédie-bouffe. C’est comme une pandémie.
La question qui me taraude est celle-ci : les divers dirigeants, politiques, financiers, et la presse, savent-ils bien ce qu’ils font et ce qu’ils disent ? Mentent-ils délibérément ou y croient-ils ? Probablement les deux, mais jusqu’à quel point ?
Le fait notable est qu’ils se trompent ; je veux dire que, s’ils mentent délibérément, ce qu’ils disent évidemment n’est pas vrai, mais ont-ils une idée bien claire des objectifs qu’ils visent à travers leurs carabistouilles ? Jusqu’à maintenant, on ne voit pas bien le profit qu’ils en tirent. Ont-ils seulement une quelconque idée de ce que seraient les vérités qu’ils tentent de masquer dans leurs incohérents récits ? Même s’ils mentent délibérément, ils se plantent. Que comprennent-ils ? Probablement, pas grand-chose.
On pourrait prendre toutes les sornettes et les démonter l’une après l’autre. Ce serait un travail de titan dont on ne verrait jamais la fin. Il me semble plus économique d’établir d’abord des prises solides, puis d’avancer en y prenant appui. Il se pourrait bien alors que tout prenne sa place sans devoir forcer aucun fait.
Prenons l’exemple de l’hiver dernier. Une épidémie virulente ravage un gouvernorat Chinois. La situation s’affole et la Chine prend des initiatives excessives tout à fait à sa mesure. Le centre provisoire du monde (les pays de l’OTAN) crie à la manipulation, au mensonge et à l’atteinte aux libertés, comme on fait dans ces cas-là.
Des virus traversent les mailles du filet, notamment parce qu’on a forcé le rapatriement de touristes. Le reste de l’Asie prend des mesures comme elle en a le secret, non sans succès. Puis le virus arrive en Europe, et aux USA.
Les réactions sont là encore démesurées, surtout comparées au nombre des victimes, mais sans résultats probants. Le taux de mortalité est nettement plus élevé qu’il ne l’a été en Asie, où il est pour ainsi dire jugulé, en Afrique et en Océanie. Le monde atlantique se révèle incapable seulement de produire des masques, même pour le seul corps médical.
Des avions sont affrétés de Chine, de Russie et même de Cuba pour apporter de l’aide médicale, évènement qui produit un coup de massue et qu’on s’empresse d’oublier. Le nombre de victimes est cependant bien plus élevé que dans les autres parties du monde, au point qu’on peut imaginer que le virus pourrait bien être parti de là, de l’Europe ou des États-unis.
Au printemps, l’épidémie faiblit enfin dans les pays en voie de sous-développement. On l’attribue immédiatement à ces mesures sanitaires, qui ne les ont pourtant pas empêché d’être plus touchés qu’ailleurs. Puis, devant l’apparition de nouveaux foyers, évitant de recourir encore au confinement, on impose le port du masque, inutile quelques mois auparavant (il faut bien vendre ceux qui auront été achetés), mais sans plus de succès. L’épidémie qui repart s’en accommode très bien, mais elle ne cause pas pour autant des pertes exceptionnelles comparées aux statistiques annuelles, moindres en fait que n’en a causées la canicule dans la même période.
Les pontes de la vérité scientifique font le buzz contre le remède le plus efficace employé dans les pays qui comptent le moins de victimes. Après le premier article grotesque rapidement éventé dans une revue scientifique de premier ordre, d’autres encore sont bidonnés plus finement, ouvrant au plein jour la profonde crise de la science moderne.
Où trouverait-on là réelle matière à controverses ou à énigmes ? On en trouvera certes à badinerie et à gravité.
L’économie est une discipline bien compliquée, que peu de gens comprennent, même les économistes apparemment. Il existe pourtant une évidence bien simple sur laquelle elle doit reposer. Une société ne peut survivre qu’en reproduisant ses moyens de subsistance. Dès qu’on reproduit une quantité égale ou supérieur de ce que l’on consomme, il ne reste plus qu’une question de partage, et donc de rapport de force. À partir de là, les économistes peuvent se lâcher. Encore doit-on en être là.
Les économistes les plus malins vous diront que l’économie est l’art de gérer les multiples pulsions collectives et individuelles qui permettent d’en arriver là. Personnellement, je ne crois pas que quiconque ait jamais su comment on y parvient. Il paraît seulement évident qu’on y réussit mieux selon que les travailleurs (ouvriers, ingénieurs, chercheurs) ont plus de pouvoir en proportion des administrateurs.
Quand on n’y arrive pas, on disparaît, c’est tout. Je ne crois pas que ce soit affaire d’économie ou de politique d’en arriver là ; mais seulement d’en partir. Pauvre Donald Trump. À l’évidence, les pays en voie de sous-développement n’en sont plus là.
Indépendamment de tout gaspillage et de toute consommation somptuaire, ce qui est humain, on doit produire plus que l’on n’a besoin. D’abord parce que l’on ne peut pas tomber pile, et surtout parce que toute société tend à croître. Même les Chinois, avec leur politique de l’enfant unique, sont plus nombreux qu’au siècle dernier.
À supposer qu’une société ne croisse pas, sa population vieillit, et des besoins supplémentaires doivent être satisfaits pour prendre en charge des gens que l’âge rend improductifs et fragiles. Je me souviens dans ma jeunesse quand j’observais fasciné le réveil de la Chine, de ces armées de travailleurs qui s’attaquaient aux forces de la nature, armés seulement de pioches et de brouettes. Ils n’auraient certainement pas pu alors construire un gigantesque hôpital en une dizaine de jours, ravitailler chez soi une population comparable à celle d’un grand État européen, et payer ses salaires.
Si l’on ne produit pas assez, y compris les biens supplémentaires destinés à être échangés contre ce qu’on ne produit pas, tout commence à se dégrader très vite. Je me souviens du fameux poème anglais : « Par manque de clous, les fers se perdent ; par manque de fers, les chevaux se perdent ; par manque de chevaux, les batailles se perdent… » On devrait donc toujours veiller à garder quelques clous d’avance.
Que la modernité ne soit plus occidentale, cela change quand même pas mal de choses. D’abord, quand la modernité n’était qu’occidentale, il suffisait d’être occidental pour être moderne, par exemple, porter une cravate. Tout se complique donc.
Associé à « occidental », « moderne » ne posait guère de questions. Sinon, qu’est-ce que la modernité ?
Post-modernité ? La parade est trop facile. Qu’est-ce que la post-modernité, si l’on ne sait ce qu’est la modernité ? La modernité, cela pourrait être l’apothéose du « miracle grec » ; une légende, donc.
On ne me dira pas que les soulèvements anti-racistes partis des États-unis depuis plus de deux mois, ne viennent quand même pas avec à-propos titiller la question ?
En disant cela, pourtant, on ne dit rien. C’est plus complexe.
Ce qui me gêne dans les travaux de Samuel Huntington, c’est le pluriel à « civilisations ». Pour la première fois dans l’histoire des civilisations, il n’en reste qu’une.
Il n’en reste qu’une, mais elle n’est plus exactement la même. Elle n’est plus celle que son impérialisme avait conduit à dominer la planète. Ou bien, si l’on veut, elle est la même, mais qui a complètement muté ; comme on pourrait dire que la civilisation sassanide serait la même que la civilisation hellénistique.
L’humanisme de Pic de la Mirandole, la Réforme, jusqu’à l’âge des révolutions, anglaise, américaine, française, il n’est pas difficile de croquer à grands traits les caractères de la civilisation occidentale moderne, notamment ses fondements de la science moderne, tellement mis à mal ces derniers temps.
Cette civilisation qui a pris forme définitive entre la Guerre de Trente Ans et la chute définitive du Saint Empire au tout début du dix-neuvième siècle, n’a pas tardé à se fissurer, d’abord de l’intérieur, plus de l’extérieur. De l’intérieur, par la révolution industrielle qui structurait la lutte des classes qui à son tour la stimulait ; de l’extérieur par les luttes anti-coloniales ; deux mouvements qui ont fini par converger, voire fusionner au début du vingtième siècle.
Si le mouvement ouvrier est bien né en occident, le monde occidental, oserais-je dire, s’est dégonflé. Des révolutions ne sont parvenu à aboutir que sur ses périphéries : Russie, Mexique, changeant complètement la perspective. La situation déboucha sur la double Guerre Civile mondiale de 1914-45), puis sur deux blocs.
Pour le bloc atlantique, après la guerre, l’histoire était revenue avant quatorze, et même bien avant, avant le mouvement ouvrier ; pour l’autre, elle avait repris après quarante-cinq. Aussi, quand s’effondra l’URSS, ce fut évidemment pour le bloc atlantique « la fin du communisme ». Pour moi, ce fut évidemment la fin définitive de l’Occident. Pourquoi ? Parce que c’était la fin définitive de ce qu’il restait de profondément ancré à l’Occident dans l’autre bloc ; et surtout d’un « autre » bloc pour l’occident, qui perdait, pour ainsi dire, la contradiction en son sein, le laissant devenir un bloc isolé dans le monde moderne. La suite n’a cessé de me donner raison.
Le socialisme s’était déjà effondré bien avant, au tournant du vingtième siècle. Il n’est qu’à lire Domela Nieuwenhuis (Le Socialisme en danger, 1897), Georges Sorel (La décomposition du Marxisme, 1908), ou Lénine (La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, 1918). Apparaissait alors clairement que le mouvement ouvrier à l’Ouest n’était plus disposé à prendre le pouvoir, comme il l’a montré. La Commune de Berlin a été écrasée par le Parti Socialiste lui-même.
Bonjour,
Je viens d'arriver dans un aéroport international.
Pour obtenir le droit d'y transiter, j'ai dû me payer un test Covid (à quasiment 150 €) dans le pays d'où je viens, effectué moins de 4 jours avant mon arrivée ici, et il a fallu que ce test fût négatif. Bon, ce n'est peut-être pas une exception ? je ne sais pas. Rien d'absolument étonnant, en tout cas, dans le contexte actuel.
Mais si j'entre un peu dans les détails, ça se corse. Nous étions (à vue de nez) environ 400 personnes dans ce Boeing 777. Toutes venaient du même pays que moi.
Et toutes se rendaient dans le même aéroport, celui dont je parle, et d'où j'écris. Donc, déduction, toutes étaient CovidoNégatives il y a tout au plus 4 jours.
Les risques qu'elles fussent devenues positives entre temps sont très faibles, car dans le pays de départ, il n'y a en ce moment que, environ, 150 cas connus dits « actifs ». Plusieurs dizaines de ceux-ci se situent dans des lieux de rétention (toute personne entrant dans le pays passe par ce genre de lieu, et deux tests y sont obligatoires, à 10 jours d'intervalle). Les autres sont connus parce que le traçage se met en route dès qu'un nouveau positif est décelé : en cas de positivité de tel ou tel ainsi tracé, hop ! Auto-isolement ou rétention.
Les risques sont ainsi très faibles qu'il y ait eu, dans la nature, des positifs ayant pu transmettre le virus à ne serait-ce qu'un d'entre nous, les 400 passagers, entre le coup d'écouvillon au fond de nos sinus, et notre embarquement.
Eh bien, néanmoins, durant tout le trajet, le masque a été obligatoire !
Et tout le monde, sans exception, le portait ! (1)
Dans cette situation extrême où rien – selon moi – ne le justifiait (2), l'on peut constater deux choses :
– que l'obéissance est une vertu bien partagée,
– qu'une nouvelle « normalité » s'instaure sans problème : cette fois le masque sans raison ; quoi demain ? (3)
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1 - Moi y compris : qu'un agent de sécurité cravaté m'intime l'ordre d'attacher ma ceinture ou de porter un masque, j'obtempère ; en la circonstance, je ne me voyais d'ailleurs pas être un foyer de rébellion, car trop peu à l'aise dans l'une des deux langues en vigueur (l'anglais) et parfaitement ignorant de l'autre (l'arabe).
2 - On pourrait sans doute arguer que, si les personnels – de vol et d'entretien – ne sont pas soumis à la même obligation de test négatif datant de moins de 4 jours, ils sont de potentiels pourvoyeurs du virus.
3 - A ce sujet, dans l'avion, j'ai lu une info de la BBC concernant le nouveau régime antiCovid qui s'applique aux Anglais dès aujourd'hui. Tout simplement ahurissant ! Et bourré de contradictions !
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Le plus important à mes yeux dans ce courriel est bien cette question : « Cette fois le masque sans raison ; quoi demain ? ». En Asie, on connaît bien les masques inutiles (mais pas obligatoires), et l’on ne s’y porte pas plus mal. Les gens enrhumés ne nous éternuent pas dessus au moins. L’important n’est pas le masque, mais « quoi demain ? ».
Peut-on prévoir l’avenir ? Oui et non. A priori, je dirais non, mais j’aurais tout de suite envie de préciser qu’on peut bien appeler « prévoir l’avenir » la simple observation de ce qui est déjà advenu et n’a pas encore été remarqué, énoncé, reconnu.
À l’opposé, il n’est pas toujours facile de prévoir le passé. Le passé change perpétuellement. Tout change perpétuellement, et tout ce qui change, change aussi son passé.
Le temps ne sait jamais être un point stable dans le présent. Il bave toujours dans le passé et le futur. Quand j’étais enfant, mes parents me parlaient toujours de « l’avant-guerre » ; mais auraient-ils pu le concevoir avant-guerre ?
Je me suis encore levé à onze heures. En fait, ça ne me dérange pas, au contraire ; j’avais du sommeil à rattraper. D’ailleurs je me suis réveillé bien plus tôt, et j’ai décidé, sans trop y croire, de me rendormir.
En réalité, il n’était que neuf heures. Si l’on veut bien cesser de s’agiter, et regarder le ciel, la hauteur du soleil, la place des étoiles, que voit-on ? On voit que nous vivons à l’heure de la Pologne, de l’Ukraine ou de la Biélorussie. Que nous ayons vécu à l’heure de l’Allemagne pendant quatre-vingts ans depuis l’occupation, nous pouvions encore nous y faire si nous habitions près des frontières de l’est, comme Marseille. Maintenant, deux heures de décalage, ça fait vraiment beaucoup. Tout le monde le sent bien.
Tout le monde le sent, et agit en conséquences : les restaurant servent des repas toujours plus tard, les boulangeries, les cafés, ouvrent plus tard, les marchands de journaux, eux, ont définitivement fermé, les émissions de télévision commencent plus tard… Pourtant, les chantiers et les usines commencent toujours à sept heures et demie, quand ce n’est pas six heures. En temps réel, cela fait cinq heures et demie, ou quatre heures. À quelle heure doit-on se lever alors ?
Le soleil cependant continue sa vie de soleil, et règne sur notre temporalité et nos cycles circadiens. Par bonheur, rien ne me contraint à vivre selon le temps imaginaire d’un pays qui devient lui aussi toujours plus imaginaire. Mais si je n’étais pas retraité ?
Le virus a muté. C’est l’Institut Hospitalier Universitaire de Marseille qui l’affirme avec force documents librement accessibles en ligne. On travaille dur à l’IHU, et l’on ne lésine pas sur les moyens dont on ne trouve pas l’équivalent partout.
Il a muté et perdu sa virulence. Pour peu qu’on parvienne à s’y retrouver dans les chiffres qui fusent en tous sens et hors de tout contexte, l’affaire semble close, du point de vue sanitaire du moins, mais pas politique, où elle va probablement là aussi continuer à muter longtemps.
Je ne sais pas bien ce que ça signifie qu’un virus mute : qu’il se dégrade et s’affaiblit comme une photocopie qui perd sa lisibilité au fur et à mesure qu’elle est reproduite ; ou qu’il donne naissance à de nouveaux virus mutants : covid 20, covid 21, etc ? C’est du moins, paraît-il, un signe qu’il se dégrade. Peu m’importe puisque mutant ou non, le virus ne se diffuse presque plus, qu’il n’est devenu pas plus létal que les autres auxquels l’on était habitué. Pas de nouvelle peste noire, pas de nouvelle grippe espagnole, pas même une grippe exceptionnelle si ce n’est par endroits. Reste la politique, donc, et ses imaginaires tourmentés.
« Il est un point où je peine à te suivre » ai-je répondu à un ami. « Il y aurait comme des maîtres du jeu qui nous prépareraient des lendemains qui déchantent ? Oui, c’est une façon de dire. Ces maîtres du jeu, donc, ne seraient-ils pas ceux-là-mêmes qui depuis vingt ans et davantage prévoient dans les plus brefs délais l’effondrement du Parti Communiste Chinois, le renversement de la République Islamique d’Iran, et plus récemment encore, l’effondrement économique de la Fédération de Russie, et tant d’autres improbables événements ? »
« Ils se croient sûrement être maîtres du jeu, mais je ne les vois pas capable de préparer grand-chose. Les combattre ? Soit, si c’est pour tenter de contenir leurs extravagances. Mais pour ce qui est de les vaincre, il me semble qu’ils sont déjà vaincus. Le problème d’ailleurs est bien là, pour lequel les réponses ne s’accordent pas. »
Le vent du sud est revenu, chaud et humide. Il fait très chaud pour la saison, une chaleur tropicale qui rend la sueur abondante. Enfin ici, sous la bâche du bar, sous le vent du sud, sans accomplir aucun effort, on est bien.
Bon, sérieusement, est-ce que j’y crois au réchauffement climatique ou non ? D’abord je dois confesser que je ne crois rien, et surtout pas ce qui se donne des airs d’unanimisme. Je ne crois pas mais je constate qu’on extrait beaucoup de carbone des profondeurs de la terre. On en extrait une part importante qui avait été enfouie à la fin du carbonifère. L’air alors n’était pas très respirable pour un organisme humain, et d’abord il n’y en avait pas.
Je n’ai pas la moindre idée de la quantité de carbone qui est ainsi déversée dans l’air que l’on respire, et je suis d’ailleurs surpris que personne n’en fasse plus de cas, car il y aurait là une mesure plus exacte qu’une variation putative du climat ou une montée des eaux. Il serait plus commode de vérifier les variations du taux de carbone, et surtout ces variations laisseraient moins de doutes sur leurs causes.
Plus de carbone, donc moins d’oxygène. Jusqu’à quand en restera-t-il assez pour irriguer correctement mon cerveau ? Voilà ce qui serait mon principal sujet d’inquiétude.
Oui, j’imagine qu’il en restera assez pour que l’humanité vive pendant encore longtemps. Heureusement, car elle mute lentement comparée à la plupart des espèces, notamment les insectes qui ont le plus souvent une génération par an. Et puis l’humanité a déjà eu le temps de muter depuis qu’elle a inventé le feu, et habité dans l’atmosphère enfumée de huttes chauffées.
Je crains surtout que nos capacités cognitives n’en pâtissent. Les Hollandais ont réussi à cultiver un beau pays dont la majorité des terres est au-dessous du niveau de la mer, oui mais avec un air suffisamment riche en oxygène pour trouver les moyens d’y parvenir.
Le ciel se bouche, la pluie est en chemin. Dommage, il y a du linge à laver.
L’air est lourd encore, mais il a déjà un peu fraîchi. Pourquoi ne me suis-je pas changé hier ? Tout serait sec ce soir.
J’éprouve un réel plaisir parfois à noter des choses aussi simples ; à les penser surtout.
J’ai écouté cette nuit un entretien avec Didier Raoult sur une chaîne célèbre en différé. Cela ressemblait plutôt à deux monologues. Raoult tentait d’expliquer la situation sanitaire, ce qui ne tournait pas rond chez ceux qui en ont la charge, et d’en tirer des enseignements plus généraux. Celui qui l’interrogeait s’évertuait méthodiquement de dresser le portrait du chercheur en Marseillais forte-tête toujours un peu frondeur contre la capitale. Chacun suivait méthodiquement sa voie en toute courtoisie envers l’autre, non sans un fort effet comique.
Un épisode témoigne bien de ce que je veux dire. Raoult comparaît les informations données par les médiats officiels avec celles sur d’autres sites. Si on les figure sous forme de courbes en cloche, avec d’un côté de la ligne des abscisses, les plus délirantes, et de l’autre les plus sérieuses, on observe, expliquait-il, que la courbe des médiats officiels tombe des deux côtés brutalement. Elle supprime les deux extrêmes ; observation que chacun peut faire aisément. Le journaliste a alors saisi l’occasion d’un commentaire du genre : « on reconnaît bien là votre goût des extrêmes », montrant qu’il n’avait rien compris.
Ce n’est pas une faute grave de ne pas comprendre quand on s’entretient avec un chercheur. Il suffit de questionner. Se figurer une courbe en cloche, ce n’est pas bien difficile, mais ce n’est pas télévisuel, et l’on n’est pas sûr qu’absolument tout le monde sache ce qu’est une courbe en cloche. Le journaliste aurait pu penser que son rôle était de faire préciser l’image. « Et quelles sont donc ces deux extrêmes », aurait-il pu demander ?
Il est plus difficile de penser pendant qu’on écoute que pendant qu’on lit, car la parole continue à défiler quoiqu’il advienne, et il n’est jamais inutile de préciser. Il aurait immédiatement paru plus clair alors, qu’en termes d’extrêmes, il s’agissait de l’extrême sottise et de l’extrême intelligence, dont nous privent pour notre confort mental les médiats officiels. On imagine mal qu’elles soient prisées à part égale par le réputé professeur.
La question la plus pertinente aurait été de l’interroger sur quelques tuyaux possibles pour sélectionner la bonne extrême, qui n’est pas des plus accessibles. J’aurais aimé l’entendre sur une telle question, vitale, on l’admettra.
Dans la même émission, Didier Raoult a parlé de l’article incroyable contre la chloroquine, publié par le Lancet, et de la décision invraisemblable qu’il a inspiré au gouvernement. Il a parlé à ce propos de « bouffée délirante ». Le journaliste a automatiquement interprété son constat clinique comme une exagération marseillaise, mais le professeur ne l’entendait pas comme une image. Son constat s’étayait sur la gravité et l’exceptionnalité de l’événement, qui ne m’avaient pas non plus échappées à l’époque.
Il avait dit alors qu’un étudiant en première année de médecine pouvait voir que cet article était « foireux ». J’aurais dit plutôt que tout le monde pouvait le voir, à condition de lire l’anglais, d’avoir un QI pas trop inférieur à la moyenne, d’avoir du temps à perdre, et d’être dans un état normal. Donc ceux qui l’ont publié et ceux qui l’ont brandi immédiatement après l’avoir lu (je dis bien après l’avoir lu), n’étaient pas dans un état normal.
La polémique sur la chloroquine n’a pas d’intérêt en soi. C’est certainement le meilleur remède contre le covid, et, ce qui n’est pas négligeable, le moins cher. Oui, il y a plus cher, mais pas mieux, et rien de parfait non plus. D’ailleurs, même pour soigner une grippe ou un rhume, il n’y a pas de remède miracle. Avec des antibiotiques, on en a au moins pour trois jours… On n’a pas de remède efficace ni sans effets secondaires parfois pires que le mal.
Voilà, tout est dit, il n’y a rien à ajouter, du moins au point de vue sanitaire. Plus intéressante est cette crise de démence, littéralement, que la polémique a provoquée, et qui va très au-delà de son insignifiant point de fixation.
Plus précisément, qu’est-ce qui caractérise la démence de ces chaînes de réactions ? Ce qui caractérise toute démence : l’insignifiance du sujet invoqué comparé à la démesure des réponses qui font soupçonner un sujet qui serait tu, qui ne serait pas pensé, qui ne serait même pas pensable, et dont le contraste inspire des discours incohérents.
J’insiste sur ce point que ce n’est pas l’incohérence seule qui caractérise la démence – et qui pourrait être aussi bien l’effet de la simple bêtise – mais ce contraste, justement, entre le discours et ce qu’il échoue à recouvrir. Pour comprendre la subite bouffée délirante sur la chloroquine, je soupçonne que l’on doit d’abord comprendre ce qui ne tournait déjà pas rond avant, bien avant l’épidémie.
Croit-on réellement que la meilleure voie vers la connaissance consiste à s’asseoir dans un amphi et écouter pérorer un professeur ? Ce n’est peut-être pas la seule chose que fait un étudiant, mais c’est la principale, et cela depuis l’antiquité.
J’en ai suivi des cours et des stages pour connaître les limites de tels exercices, leur extraordinaire lenteur et leur caractère assommant ; j’en ai assez donné des cours, animé des stages, conduit des ateliers, pour connaître l’état de torpeur et la paresse dans lesquels ils font sombrer, et contre lesquels je m’épuisais à chercher tous les artifices, en sachant bien que, par ma position même, je les provoquais.
Comment devrait-on plutôt s’y prendre pour permettre l’acquisition dans un temps raisonnable des connaissances nécessaires à une discipline ? Je ne sais pas. Ou plutôt si : lire, expérimenter, formuler. La bonne vieille méthode qui a fait ses preuves.
Le but n’est peut-être pas là cependant. Il serait plutôt de trier ceux à qui l’on voudra bien reconnaître une plus ou moins grande autorité, et la sanctionner par un diplôme. « On imagine bien qu’on ne peut pas accorder une autorité égale aux propos de tout le monde » justifie-t-on. « On ne saurait plus qui croire. »
N’ouvrirait-on pas avec de tels syllogismes, la porte à un monde dément, ou toutes les fraudes, toutes les impostures deviendraient autant de pratiques courantes ? Il suffirait d’avoir des diplômes, de convaincre qu’on les aurait, au besoin de les acheter (mais si), pour dire n’importe quoi, pour vendre son autorité à n’importe quel groupe d’intérêt.
Instituez une sanction pour certifier le vrai, le raisonnable, avec peut-être la compréhensible intention de prévenir les sots d’écouter le premier imposteur venu, et ce sont aux imposteurs que vous accorderez finalement cette certification.
On ne pourra jamais empêcher les sots de penser des sottises. C’est dans l’ordre des choses, on doit s’y résigner. Je sais que d’aucuns y verront un obstacle à la démocratie. Si c’était vrai, nous pourrions tout de suite en abandonner le principe, mais ce n’est pas vrai.
En fait, les sots sont souvent des gens très bien. J’en connais beaucoup. La plupart savent qu’ils sont sots, et ils ne demandent pas mieux que se rallier à l’opinion de ceux qui le sont moins.
La plupart des sots savent assez bien reconnaître ceux qui sont plus avisés qu’eux, et se rallient volontiers à leurs avis. Comment le savent-ils puisqu’ils sont sots ? Ils le savent par expérience, si du moins ils ont eu le temps de se côtoyer suffisamment pour observer que certains apportent plus souvent que d’autres de bonnes réponses aux diverses questions que pose la vie. Ils le savent sans devoir leur demander leurs diplômes. C’est comme ça que ça marche. Sinon, le sot va sottement se rallier à l’autorité, ou bien s’y opposer tout aussi sottement, selon son caractère.
Qu’on n’en devienne pas sot pour autant. J’ai de fortes présomptions que personne ne le soit assez pour ne pas, par instants, montrer une authentique sagesse ; ni personne assez sage pour ne jamais se comporter en sot.
Personne ne croit vraiment à un réchauffement climatique. Si l’on y croit, c’est comme en la résurrection. Qu’est-ce que ça voudrait dire, y croire vraiment ? Pour le moins, se comporter dès à présent en conséquence. Personne ne le fait. Et comment le pourrait-on ?
Personne n’a individuellement la moindre prise sur le cours réel des événements. On peut bien éteindre ses appareils électriques plutôt que les mettre en veille, poser un couvercle sur les casseroles au feu… On n’y changera rien par des comportements dits cocassement « responsables » ou « civiques » ; les mesures doivent être prises à une autre échelle. Le sont-elles ?
Malgré les grand-messes internationales et les accords passés depuis 1992, on ne découvre pas la moindre inflexion d’une extraction de carbone, ni, évidemment, de l’élévation de son taux dans l’atmosphère. Alors comment peut-on imposer comme un dogme, ce à quoi, visiblement, l’on ne croit pas sois-même ?
En envisagerait-on au moins sérieusement l’hypothèse, qu’on en viendrait à se poser la question : « Que faire ? » Que faire, oui ; quelqu’un s’est-il avéré capable d’ébaucher des réponses sérieuses ? Depuis bientôt trente ans, si des réponses sérieuses avaient été avancées, on devrait déjà en voir au moins le plus infime effet. Non, rien.
Ce ne sont pourtant pas les ingénieurs qui ont chômé depuis trente ans. Ils ont fait fortement baisser la consommation d’essence des automobiles. Ils ont fait baisser la consommation électrique de tous les appareils, plus encore peut-être. Pour ce qui est des appareils électronique du moins, ils ne l’ont pas fait pour diminuer l’empreinte carbone, bien que ce pût toujours faire un argument de vente, mais surtout pour les miniaturiser, éviter que leurs composants ne chauffassent trop, tandis qu’ils accroissaient leur puissance. Si ça n’avait tenu qu’à eux, on aurait pu voir s’incurver les courbes auxquelles je faisais allusion, mais ce n’était pas le but, et ce ne fut pas l’effet.
Les ingénieurs font ce qu’ils peuvent. Ils ne décident pas de l’usage des produits qu’ils conçoivent. Ils s’en soucient, on le voit si l’on regarde bien, mais ils ne sont pas libres. Nul autre ne s’en soucie, actionnaires, administrateurs, vendeurs, et utilisateurs pour la plupart. Il m’est arrivé de découvrir par hasard des propriétés de mes instruments qu’aucune publicité, ni même un manuel, n’avait mis en valeur, préférant les présenter comme des gadgets inutiles et des objets de prestige. Et je vois aussi avec amertume se dégrader la puissance qu’un clavier avait mise entre mes mains. Bref, on a démultiplié des gadgets et des usages aussi stériles que consommateurs d’énergie, au détriment même de leur valeur d’usage.
Alors que faire ? Laisser tomber les gadgets idiots et coûteux en énergie pour se concentrer sur les valeurs d’usage ? Ce ne serait pas sot, mais qui y songe ? La décroissance, c’est bien joli, mais on doit cultiver et élever intensivement, ravitailler d’immense populations urbaines avec de gigantesques moyens de transport, fournir partout de l’eau potable, se chauffer, s’éclairer se vêtir, avec du synthétique évidemment, communiquer, s’instruire, se former, et tant d’autres choses, toutes vitales, et dont pourtant tant de gens n’ont jamais cessé de manquer.
Alors, comment organiser une décroissance sélective qui ferait le tri entre gadgets stupides et produits vitaux dont la quantité ne peut décroître sans conséquences catastrophiques ? Qui saurait le faire ? Des gouvernements ? Et pourquoi pas des dictateurs ? Ou des propriétaires ? Ou des organisations internationales ? Ou la main invisible du marché ? Ou pourquoi pas des fondations, ou des Organisations Non Gouvernementales ? Autant croire à la résurrection des morts, c’est bien le cas de le dire.
© Jean-Pierre Depétris, juin 2020
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