Jean-Pierre Depétris
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tanker

AURORE


 

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[TROIS]

 

 

 

[I]

 

 

l'homme rouge dans la niche des feux, quand le rose du soir trace sa ligne à l'horizon, mais pâle encore, sur les voiles qui passent,

que le phare est au loin comme une tour sans feu, qu'on ne sait dire si le tonnerre vient des oiseaux ou de l'avion

qui passent, sans bouger, dans le ciel encore bleu, taché de bleu sale, sur le rose du soir,

plus bas le jaune, le violet et l'orange, tout juste un peu plus bas, sur le jaune du soir, quand le cycliste est une ombre découpée sur la mer, rapide, la mer striée de bleu sombre et de gris, et d'or, déjà, derrière l'homme rouge dans la niche des feux tricolores, à l'heure où la langue voudrait se parler seule,

 

quand l'avion n'est plus un point noir mais déjà une étoile, que le rose tranche le ciel, entre les monts, sur la mer d'un bleu sale,

fait ligne coupée par les nuages, si loin, semblant presque aussi lointains qu'ils le sont,

quand le bleu vire au gris, car toujours lorsque s'y reflète l'orange les bleus tournent au gris, à l'heure où la lumière abandonne les couleurs, à l'heure où les couleurs se joignent,

tandis que devient plus brillant l'homme rouge, à l'heure où, gris, les nuages se hachent de rouge, mais que le phare au loin reste une tour sans feu,

alors, en l'espace de quelques secondes, le pourpre vient jusque sur les crêtes du levant, le pourpre tombe, en l'espace de quelques secondes, envahit le couchant,

et l'on ne sait de quel vert viennent se teinter les fenêtres, et les nuages semblent aussi lointains qu'ils le sont,

tandis que l'orange tranche le ciel entre les monts, sous le pourpre des nuages, alors, le phare brille sous la première étoile, quand la langue semble vouloir se parler seule, quand à force de tomber dans la couleur la lumière se perd,

tandis que passent dans le ciel des avions de combat, allant on ne sait où, mais que couvre le bruit d'une vespa qui passe, qu'un vélo est posé contre la rampe, sur le rouge du ciel

au dessus de la mer, tandis que ronflent les moteurs, quand la langue voudrait se parler seule, contre le ciel,

si haut sur les grands pétroliers qui dégazent, vers le couchant, sur les îles de pierre immobiles, quand les enseignes profitent de la nuit,

lorsqu'on entend l'avion mais ne voit que l'oiseau, au-dessus d'un vélo appuyé sur la rampe, quand le rouge trace sa ligne au ras de l'eau, et que les grands pétroliers dégazent, contre un ciel bleu de Chine,

le lent roulis des pétroliers fragiles, dont on va de la poupe à la proue en vélo, les pétroliers si grands qu'ils rendent la tôle fragile, comme le fut la poutre et le roseau,

 

 

 

[II]

 

 

et, dans la plaine que la brume découpe, où pourrissaient les corps abandonnés de Goths,

dans l'attente du premier car, le bosquet pâle qui émerge du gris, très clair, quand le jour commence à peine son ébauche,

où l'on n'entend pas le bruit d'un ruisseau malgré l'humidité de l'aube, quand on attend le car près d'une borne jaune, dans le chant du premier oiseau,

sous les chênes gris clair, quand le jour accomplit son ébauche trop pâle,

où pourrissaient les corps abandonnés des Goths, sans une tombe, sous les chênes gris clair le chant rapide du premier oiseau, et l'aboiement d'un chien, si près mais invisible,

dans le blanc où se plonge la route brillante, près d'une borne en attendant le car, et qu'ailleurs rentrent et sortent les pêcheurs,

le lent roulis des pétroliers si hauts, qui dégazent au large des radoubs,

 

et, où coule le torrent entre les mélèzes, là où les routes sont en lacets, et où les grands camions de bois prennent des virages si amples, où brillent de si loin les toits de tôles inclinés,

entre les pics, le flanc des montagnes, où des canalisations descendent droit dans les vallées, l'usine morte, entre rivière et vois ferrée, la décharge fumante, et les toits de tôles qui brillent, comme dans les virages les vitres des camions de bois,

et qu'ailleurs, entre les pierres où guette la pieuvre, les poissons en nuées, comme des gestes sous les draps, bougeant ensemble, comme fumée, le matin sur les champs, et,

dans la plaine

où pourrissaient les corps abandonnés des Goths,

les ifs droits au bord de la départementale, quand le blanc du matin découpe les falaises en ébauche trop pâle, que les herbes sont comme un pelage trempé, le grand car aux bruits d'air comprimé, quand crissent ses roues sur les graviers de la départementale, la borne jaune près du talus,

 

et, quand cercle et soleil ne font qu'un sur la barque immobile, noire, la silhouette du pêcheur,

et que les hommes marchent dans les rues de la ville, sous les cris des corneilles, agitées comme des nuages d'oiseaux migrateurs, les corneilles qui crient dans les platanes

quand les hommes marchent dans la ville, s'attroupant sous les arrêts de bus et regardant ensemble vers le coin de la rue, d'un seul regard, comme les nuées de poissons près des pierres où guette la pieuvre, mouvant comme un seul corps, fumées, comme les gestes du rêveur avant l'aube,

les regards comme bancs de poissons, sous les arrêts de bus, près des platanes où piaillent les corneilles, quand passent les voitures de police en hurlant,

qu'on ne sait quel regard guette encore entre les pierres,

là, dans la ville de pierre que découpe le blanc, quand l'aube fait son ébauche trop pâle, dans les bruit des corneilles piaillant, les murs que menaçaient les Goths,

quand on ne sait quel regard guette encore, la rue droites où l'on attend le bus, entre les toits de tuiles, les fumées qui s'élèvent, se mêlent à la brume du matin, blanche, dans le cri des corneilles,

et qu'ailleurs rentrent et sortent les marins,

 

et, là où l'on s'éveille au bruit de la fontaine, étonné de sa force,

du bruit qui jamais ne s'arrête, ne fait pose, quoiqu'il baisse en été,

dont on sait, à l'entendre au matin, qu'il a beaucoup plu dans la nuit,

là, où un rétroviseur sert de glace au bord d'un lavabo,

là, où les montagnes sont si hautes, qu'on ne voit qu'un mur vert en ouvrant les volets, quand le bruit de la fontaine dit qu'il a beaucoup plu dans la nuit,

un grand mur de sapins, de mélèzes, derrière les cerisiers, quand le coq se réveille et que l'humidité du matin porte mieux son chant, et qu'on lève les yeux jusqu'aux roches, où volent des corneilles, piaillant, quand montent les nuages du matin,

là où la buée vient tout de suite sur les vitres dès que les volets sont ouverts,

 

 

 

[III]

 

 

alors,

quelque chose de lourd et léger à la fois, de flottant, comme la pieuvre, ou l'ours blanc,

blanc, la neige, comme la dent, et le bec de la pieuvre, et qui porte regard, voracité sous le regard, comme sourire du requin,

sous les yeux, comme riant sous barbe,

la mer, calme au matin, qui se fait banquise au regard, glisse, comme sur un miroir,

la glace, et les îles de pierre, comme de grands icebergs, les pétroliers tranquilles qui dégazent,

l'absence partout de l'ours blanc, comme la pieuvre entre les roches, la dent, l'île de pierre, quand le soleil est comme l'extrémité d'un chalumeau

bien réglé, et donne au métal brûlant la couleur de la glace, quand le bruit du moteur ne suffit plus et qu'on doit allumer la radio,

la langue qu'on ne comprend pas, mais qui rassure mieux, comme avant récitant des Ave, mais ne fait oublier la pieuvre sous la roche, ni l'ours si lourd

quoique flottant dans la glace et la brume, comme la pieuvre entre les pierres, quand le soleil est la pointe d'un chalumeau, sur les pétroliers qui dégazent,

sous les premiers rayons, si bas, quand la terre s'incline tant sur son axe,

sa vitesse immobile, qu'on ne sait si elle remontera, mais ne pouvant douter, emporté, disant que le pôle est en haut, pour calmer le vertige,

quand imagine l'ours blanc, sa marche souple, la tête près du sol, de la glace,

dans la brume, le même blanc de la mer et du ciel, qui fait banquise, et les îles de pierres plus sombre, comme des dents de glace, quand monte l'idée de l'ours blanc, que le bruit du moteur ne suffit plus à peupler le silence,

ni la langue,

et qu'on pense au torrent entre les pierres, aux cascades qui tombent des falaises, leur brume pâle contre la paroi, où volent des corneilles,

aux bergeries tapies contre les hautes herbes, à moitié enfouies sous la pente, quand les toits d'ardoise brillent au matin,

la brume qui s'accumule sous les hautes îles de pierre, quand au loin nagent les requins, les longs requins blancs solitaires, au sourire glissant,

sous les yeux,

qui s'approchent souvent près des côtes, quoique peu dangereux, mais tournant comme l'ours,

quand la terre s'incline, tournant, entre le jour et la nuit, mais jamais ne sortant d'une aurore, comme sous l'eau quand on ouvre les yeux sur les poissons serrés,

et se mouvant ensemble, à l'heure où le rêve s'arrête, en nuées, comme les bandes d'oiseaux migrateurs,

criant, ensemble et en tous sens, comme fumée devenue folle à l'aube de la glace,

comme un chalumeau bien réglé, le soleil pourtant pâle, la chair de la pieuvre, mais pourtant la peau brune sous l'eau, comme celle de l'éléphant, le corps ballant, comme porté par la tête, la peau translucide des pieuvres,

le sel séchant,

à l'heure où rentrent et sortent les dormeurs, croyant que le soleil se lève et se couche à heures régulières, mais ne pouvant douter, quoique se voulant hommes, quand la terre s'incline sur son axe, et ne sachant pourquoi le rouge vient à l'horizon,

quand les branches noircissent, et disant que le nord est en haut,

quand planent les corneilles sous les crêtes, les cascades fumantes, les chromes des camions de bois, quand l'idée de l'ours blanc tourne, entre jour et nuit,

comme tournent les voitures, le geste du rêveur,

le bruit du moteur qui ne suffit plus, quand sur les toits passent des nuages d'oiseaux fous, comme on crie en dormant,

à l'heure où le toit devient noir sur l'orange du ciel, et qu'un oiseau peut-être aimerait s'y poser, mais ne le peut

car traîné par la bande, en tous sens, comme nuées, sur la ville, les moteurs qui ronronnent, quand passent les voitures de police en hurlant, sur le rose du soir,

comme les hommes dans la ville, ne sachant plus de quel côté est le rêve ou l'éveil,

à l'heure où tourne l'ours blanc,

dans le demi-sommeil, le virage du bus, sur les graviers qui crissent, le ciel ouvert, quand la terre se penche sur son axe, immobile, quoique les oiseaux tournent,

et crient, quand l'homme se veut hommes, et ne sachant jusqu'où,

ni ne pouvant douter, et disant des Ave, quoique se voulant homme,

 

 

 

quand les grands pétroliers dégazent, si hauts, sur le pâle du ciel,

la lune basse,

et luit la tôle, comme l'ardoise à la rosée,

où la coque plonge fragile, quand la poutre se fait roseau, comme pente où le toit s'enfonce,

 

 

[IV]

 

 

et la main resserrée, contre le manche

noir, qui fait appel au dit

qui s'enroule et dénombre, contre l'obscur,

 

 

 

la main, si loin, sous peu, qui se ferme, ne sait le bruit sur la langue, quand passe la chanson, le fil à la main qui se tend, ne sait pourquoi, fait front à la place du vide, sait cheville plus dure pour que le sens s'enroule, à la langue et au pas, quand la main, tendue, se ferme sur le pas, et rattrape le bruit, le bois fendu, le bruit qui s'enroule, cherchant cause, le sens, ou le bruit dans la langue qui va, ne sait mais trace, à l'avant, dans l'ombre qui s'entrouvre — pour quelle peur? — sans doute, sous peu, que la faim ne retient si fait terme, pressant le pas, comme si la peur faisait source, à l'œil qui ne ferme pas, mais marque, comme ciel sur la peau, ou hérisse, exactement, et ce n'est que la voix, la peau ne disant pas la crainte, dans l'ignorance qui va, roulant la langue dans la voix, passant la main au long du fil, pas la peur, mais hérisse, terrasse, sur le fil, des minutes qui passent, labourerait un sol, le doigt ne tremble pas, pas tremblé, si le trait ne se pose dans le geste, au hasard, si bas dans l'angle de la voix, qui fait base, le sol, si bas, le souffle qui se trace, dans le trait, tenant le sens, le bruit sous la voix, dans l'angle, cassant, mais le fil ne se tait, ouvrant l'ombre, à l'aube des dix doigts, ouvrant la source du visage, où l'aube dit le temps quand le pas se balance, sans crainte du retour, ni n'attendant, sans voir, quand l'œil passe la marche, et sourd pourtant, tape, et répète la voix, à l'aube du regard, les cinq doigts qui se lèvent sur la face du bruit, va et vient, sourd, qui ne cherche à voir, dans l'ombre, qui s'ouvre sous le pas, comme le fil qui porte, le mot qui roule, s'enroule dans la voix, mais ne veut voir la cause, et ne la parle pas, la chose qui fait signe et tranche dans le bruit, le bois fendu, qui ne dira jamais, l'enchaînement, la hache et le couteau, pour compter dans le pas qui la traîne, le fil, la corde ou le rasoir des minutes qui passent, fait source, dans le signe fendu, pas la peur, que le doigt ne désigne, au tournant, pour se faire voilage, mâture, sur le trait, quand la main se referme, le doigt qui ne montre pas, mais signe dans la chose, sans cause, sur le fil de la hache, taisant, plus sourd que le bruit, le sol si bas, fendu, où la langue tisonne, sans trembler, — pour quelle peur? — si ce n'est l'angle ouvert, à l'avant, tombé, qui trace, le soc du sens, sous le ciel de la peau, comme chat qui s'étire, sans voile, dessiné à l'envers, le sillage du vu, visage, quand le trait se dessille, le torrent étendu, qui dresse, au cil de la pensée, mouillé, comme barque au repos, dans la pose du pli, cassant, à l'angle de la voix, le pistil de l'essence, quand le silence s'ouvre à la couleur sur le lit du tranchant, à fleur de ciel, sur le pas qui résonne, et roule dans la main, qui ne dira, se tait, si peu connu, fait cheville plus sûre, dans le trait déplié à l'aube du cadran, quand marchent sur la peau les taches d'une pluie, serrées, les gouttes sur le fil, tranchant, comme soc dans la terre, près du réveil, le secret du hachage au battement du cil, qui ouvre le silence, sourd, qui ne veut pas voir, ni remonter aux causes, sur la dent de la faim, et qui roule son fil, se tend jusqu'à la source, où le regard arrête, remonte, fera os à la voix,

 

 

 

 

 

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