Jean-Pierre Depétris
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tanker

AURORE


 

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[QUATRE]

 

 

 

[I]

 

 

et sur le bord de la route, et plus loin, façade pâle, et ocre et mate où tombe le rai de soleil, à peine teintée de lumière, et l'île grise au loin,

grisonnante et pelée,

loin, et les façades d'ocre, aux volets verts et bleus,

le rouge des charpentes sous les tuiles,

peut-être,

l'escalier accroché, pour des pas mesurés, et le soleil qui tombe, loin, et se lève toujours, quand les lampes s'éteignent, et que le jour s'accroche aux rampes sous les pins,

 

les pêcheurs attentifs sous la lune,

les boules qui claquent devant le poulailler,

quand l'image se brouille,

 

et ne saura jamais

ni ici ni ailleurs,

où iront les pas qui traînent ou qui claquent, dans l'ombre de la vie, où parlent des bouches absentes, dans l'ombre du secret, lorsque les mains cherchent leur ombre dans les choses, ne trouvant le fouet de la horde, les dents qui s'ouvrent sur la nuit, que la langue se perd quand le soleil est toujours là, et creusant plus profond le sillage des vagues, comme se ride un front, quand cherche à dire, pourtant, quand le froid ne s'en mêle, si présent dans son aube, et cherchant l'œil pour dieu-sait quel aveu, les barricades mortes, ne sachant plus très bien ce qui viendra du ciel, les pluies radioactives, quand tout va bien, car dit-on le soleil est à l'heure, et priant l'horizon pour qu'il reste cadran, pour qu'il cadre le cercle, quand le ciel n'est plus sûr malgré l'étoile au bas, le ciel clair où tu veux demeurer, invisible à l'enfant qui regarde la terre, y cherche le réel

sans voir

le ciel si haut,

et le regard appelle et ne trouve ses mots, si haut le ciel

sur la terre où le réel s'efface quand l'image se trouble à l'heure du roseau,

et l'enfant qui regarde la terre pour trouver le réel,

ou l'homme au moins, qui regarde le ciel et pense à l'horizon aussi rond que la lune,

aussi pur que la tache

quand la main effleure son ombre, sur la tache du jour, et l'œil cherche la voix

au secret du sourire, se taisant, tu, aussi fort que la terre profonde

et qu'on pense mouillée

comme à l'heure où les lampes s'éteignent,

le silence de l'eau,

pour les moteurs qui ronflent,

perdu à jamais dans le cadran du ciel, dans le bleu qui se hache, sombre et fort, et d'où monte l'odeur de la mer,

le rouge n'est pas là, si ce n'est aux lumières des voitures qui passent,

la feuille qui tournoie et tremble sur sa tige, le chapeau de la cheminée, noirci, sous le rai du soleil, et la feuille qui tremble, le vol sec des moineaux de branche en branche, quand court le rat sur la verrière,

les branches agitées, happées par la fraîcheur de l'aube, mues par le vent, pourtant, comme en frissons,

mais dont le mouvement sourd par derrière, comme enveloppé de frissons, mais vivant et tendu, pourtant, vers la lumière

claire et fraîche,

taillant l'aube du jour,

comme autant de couteaux, quand le crabe monte sur les pierres,

comme priant, les pinces relevées, mais pris, enfermé, replié sur lui-même,

priant la main de le déchiqueter, comme vent sur les feuilles, quand rêvant de traverser la vie,

guettant les mots que l'œil ne saurait dire,

croyant à la parole,

bien avant,

au moment même des feuilles tendues, quand l'enfant ne sait que regarder la terre, quand les oiseaux se lèvent tout à coup

si pressés

mais sans bruit

qui recouvrent l'espace

les feuilles que déchiffre le rai de soleil,

croissant

dans le nombre inutile,

l'herbe brûlée, la mousse sur les planches, le cabinet glacé dans un coin de la cour, les clients du bar ainsi que ceux de passage sont priés de laisser le lieu propre dans l'intérêt de tous,

les grands immeubles dans le soir, la Caisse d'Allocations Familiales, les lumières du cargo, le bruit du train que l'on croirait si proche, quand la voix cherche le regard,

et l'enfant qui fait semblant de rire, et ne voit pas la terre, à l'ombre de la main, et ne voit pas l'empreinte, quand la voix tombe sur les lumières du cargo comme roule le dé,

l'homme au visage invisible, comptant les heures et le temps mort, compte le prix du temps comme les oiseaux chantent, peuplent le monde de cris, tissés, plus serrés que les racines dans la terre, guettant le ver du haut de murailles de cris,

quand le canon du fusil si vite devient brûlant, crient plus fort pour renforcer la trame, ne pas sortir de l'œuf,

les fils du téléphone qui rampent sur le mur, si la voix se taisait, laissait tonner son vide, plus froid que le serpent,

mais sifflant, dansant,

à l'écoute de l'air,

que l'on voudrait brûlant, mais pourtant tailladé de fraîcheur,

doré,

comme un serpent dans l'eau, quand la brume estompe les toits, caresse les labours, à l'heure où rentrent les colleurs d'affiches,

la décharge fumante,

la moiteur de la main, malgré, ou plutôt à cause du froid,

l'enfant qui fait semblant de rire, lassé de pleurer à l'aube fraîche où il part à l'école,

cherche l'homme sur la terre,

comme l'oiseau au ciel, sans savoir qu'il habite le cri,

comptant les heures mortes, les maillant, comme mailles dans la coque des bateaux, comme dressant des murs, des tours de guet plus hautes que le cri,

cherchant son ombre dans la chose, quand la main se referme, quand la voix pétrit ses outils, quand la voix se fait mine, et puits plus profond que le ciel,

quand le canon devient brûlant, que l'oiseau tombe d'aussi haut que son cri,

comme si la vie ne pouvait que feindre, même au prix de son sang,

à moins que comme lui le prix circule, et tresse sa valeur, comme des cris de bêtes, en comptant le temps mort, et clouant sur les murs des fils téléphoniques,

et ne sachant que feindre comme l'enfant qui rit en regardant la terre,

n'ayant rien à attendre,

pour ouvrir le silence, quand le soleil cadre le ciel, ne sachant de quel côté le jour tombe

 

 

 

[II]

 

 

le ciel,

couleur,

fonte, défait,

roule la vague

tel un soc dans le vent ensemence le ciel,

fonte, la glace et le fer, monte le jour,

avant que la lumière n'aveugle quand rentre dans l'ombre fraîche où bourdonnent les mouches,

le tissus des gazons, l'esprit couché comme des herbes, roulent des cars puissants —

l'aube des hautes grues,

le silence des rues, le travail de la rouille —

roulent les nuages gris, quand le bois se fait sombre, l'herbe couchée, l'odeur flottante du café, creusent le ciel, de gris, presque vert, les gerbes sur la route, d'eau, couchées comme des tiges, lentes, dans le bruit des moteurs, creusant le ciel comme l'horizon de collines, boisées, au bois qui devient sombre, trempé, les traces dans la boue, le mouvement des grues,

durera l'aube tout le jour, jusqu'au levé des brumes, luisant, sous la buée des vitres,

les pots sur la fenêtre,

l'odeur de la terre où s'enfonce le pas, courent nuages épais, lueurs entre les gris, presque verts par endroits, le cuivre corrodé du soleil, les nuages bas, épais, durera l'aube jusqu'au soir

dans l'absence de l'ombre,

le soc de la vague

dents de feuilles

qui se nourrit de ciel, la terre qui verdit,

frange d'eau sur la route, vorace, semble verte, l'eau terreuse, courbée comme les tiges, si vives,

si lentes, avant de retomber, l'herbe pliée, humide, l'odeur du café fort, les cris de la cour de l'école, (les mêmes cris dans toutes les langues du monde) lèvent comme des vagues, les franges d'eau sur le bord de la route, sur les tiges couchées, la terre verdissant en s'élevant au ciel, dans les cris des enfants, le chien couché sous la fenêtre, le chat pensif, semblent noyés dans l'horizon que creusent les collines, comme les nuages le ciel, bas, pressés, le bruit de la pluie sur la verrière, comme emportés,

passant,

la rivière incessante,

et la route trempée, le nom des patelins lus au bord des talus, les gouttes longuement

de feuille en feuille, les pots sur la fenêtre, l'herbe le long des murs, le bruit sur la verrière, la boue sur les mœllons,

le travail de la rouille

 

 

 

[III]

 

 

quand un vent souffle sur la mer, chaud, soufflant de la terre, venu du sud si chaud, le ciel couvert

rend la mer verte

animée de courants, comme un fleuve qui coule,

pas les grandes vagues du nord, mais un puissant ressac,

la caravane blanche,

verte la mer et le ciel blanc, soufflé, de nuage étendue, moutons blancs, ressac serré, les îles grises,

le palmier qui s'agite, araignée clouée au ciel par son tronc, la terre humide des jardins,

 

 

 

[IV]

 

 

alors se dit la pluie qui passe, les bottes de la voix et la main qui saisit, ruisselant dans le font, fait tiroir de la chaîne, ensemble, quand ordonne l'écran mais ne sait commander, qui creuse l'horizon en nourrissant la terre, creusée de vers dans la rosée, les cités incertaines, murs roses du matin, le chien se rappelant le loup, quand trace le sillon qui donne l'heure au jour, le trait qui signe la bâtisse, quand le doigt guide l'œil, que les bâches trempées tremblent sur l'autoroute, botté de caoutchouc, le parapluie gonflé comme une voile, les pneumatiques lourds rangés contre le mur, le grillage qui rouille, quand les nuages cuivrés se corrodent de vert, les bornes de la route et les herbes penchées, la terre qui s'ordonne en s'élevant au ciel,

mais ne sait commander,

tressant le vent de bruits, dessinant des visages dans la terre dressée, la planète étalée, polarisant l'espace, le nom des patelins pour nommer le silence, la terre déployée, les pins serrés sur la colline,

les vestiges romains dès qu'on creuse la ville, comme en creusant les mots, passants plus que passés, faisant douter du temps dans l'espace immobile, mais creusé, habité de moments, arbres dévorés de verdure,

dès que tournent les grues, donnant son ordre au temps,

creusé d'instants, les dents qui s'ouvrent sur la voix, le soc des vagues dans le ciel, la source et la fontaine, la rivière incessante,

creusée de bruits,

et de murmures glacés

entre les murs au rose du matin, qui donne l'ordre au monde mais ne sait commander,

se fait second,

peuplant de temps l'horizon immobile, faisant chemin de la voix qui récite, met ordre comme tend des cordages, comme serre les voiles, les grands tracteurs dans les campagnes, la pluie battant, le pouls de la tôle,

le caoutchouc boueux, la graisse des capots, l'éclair des gouttes,

la rouille et le minium,

les lourds pneus trempés sur le bord du chemin,

les pins serrés sur les collines, découpés sur le ciel parfois taillé d'un if,

 

 

 

[V]

 

 

que trouant l'air du large étourdissant les nuages, nageur que la pression empêche de sommer, tirant l'éperon noir, toujours, à l'aube du savoir, quand la chaleur demeure au fond du froid, les roches lacérées, les tuiles rouges, la carte MICHELIN, l'homme-esprit dérisoire du pneumatique lourd, quand le mystère est simple, tombe comme une pluie et roule, l'air serré, auteur, moteur premier,

couleur qui fait colère, dans le mai du grand sud, les lavandes trempées, les taureaux du matin, les roches lacérées, cornes, voiles pointues et l'ombre des falaises, le grand large du soir, la clé à griffe où se serre la main quand l'absent se fait autre,

auteur — moteur tournant les ciels comme tourne la roue, le tour de l'aiguiseur, la bouche du canon, le plomb qui se fait or,

ou autre, quand choses se font signes — montre du doigt le ciel, ou la lune ou l'étoile, le banc trempé, le tabouret désert — venez armés ! — chargés de sens, le programme chargé comme l'air sous la foudre où tombe la pâleur, automatiquement,

comme ronce recouvre le mur et monte jusqu'à l'arbre, dénaturant la terre, la ronce avide d'air et qui trie la lumière avant de créer l'œil

 

 

 

[VI]

 

 

dunlop, Good Year, épaisseur noire et molle, la vitre et la buée, la terre et le pneu, la matière et l'esprit, roulant comme nuage de mai, RDT 13 les gerbes d'eau du car, les gerbes des talus,

Régie Départementale des Transports, les pneumatiques noirs, au fond du temps, comprimé, Premier Mai, aujourd'hui comme hier, armé, pour forer le travail, creusé de temps, passant plus que passé, le camion, l'usine poussiéreuse, Kléber, Lafarge, le cocon des chenilles sur le mûrier trempé, quand le travail venait d'Orient, le doux métal que caresse le feu, quand glissent les gouttes mollement sur la graisse, les vestiges romains que caresse un pinceau, quand les grues tournent sur le ciel, la pluie de mai,

venez armés

disaient les lettres noires, pour donner au temps sa valeur, roulant sur l'air, serré au fond des pneus noirs, l'affiche en toute lettre, les mûriers du midi, les ruines du moulin, l'un pour qui la mer s'ouvre, l'autre marchant sur l'eau, toujours venir armé, de métal et d'outils, sachant que tout travail mérite son salaire, comme toute parole son sens, modulant l'air qui sonne, la voile du moulin, la graisse du moteur,

le feu et l'air, gonflé, et l'odeur de la terre mouillée où passent les tracteurs,

plutôt mourir pendu sur la trappe qui s'ouvre que de renier l'ouvrier qui fait s'ouvrir la mer à l'étrave des barques, le peintre qui connait le maçon en recouvrant son mur, la parole des choses qui n'échappe à la main, serrée,

qui serre une autre main sur le manche de la clé à molette qu'isole un adhésif, fait signe de la chose, roule sur l'air serré, les pneumatiques lourds, et habité toujours d'une voix solitaire, étrave ouvrant la route, et se fait barque, et solitaire et solidaire, dans les ruines, les vestiges qu'on ouvre quand or se fait oral, quoique semé de plomb, armés, pour la rencontre, quand sonne la couleur, que les fleurs s'ouvrent entre les ifs,

 

 

 

[VII]

 

 

le printemps, où le rêve fait dents de lait au réel, puis de la société un cauchemar dont on s'éveille,

seul, solide, le soleil sur le sol, la barque et son reflet, quand l'apparaître se fait là, ici et à jamais, dans l'instant et l'histoire, les ronces de la rose et les bêtes trempées,

malgré l'homme qui veut retourner au sommeil de l'enfance, peuplant la vie de monstre, quand voit ramper la tige suppose le serpent, l'oiseau pur levant des cendres du rosier, les gouttes sur le lierre avant de créer l'œil,

mais supposé rampant, autour des cités pâles, et seul, s'éveillant du social, les murs trempés de mai, fait soc tremblant, trempé comme l'acier,

le fou attaché à la rame disant le ciel relu, faisant l'ombrage mort, la source délaissée où le fruit fait épine, quand le soleil caresse les rochers si droits, et la voile fait soc, ou dent de pluie, jamais ne dira le rivage, les lames échouées, creusant la terre sous le ciel,

creusant ses rides sous le temps, construisant ses rivières, fait vie, larges lacets de la route, si loin, les vitres des camions dont on voit les reflets, les si hautes montagnes, les senteurs de la terre, les nuages dans les monts,

les rêves de l'enfance qui se font cauchemars sous le survêtement où se ride la peau, coureur dans la matin, ne sachant s'il est poursuivi par sa mort, par sa vie, plus vite,

les sillons de la glaise, la vague qui retombe, la peur de s'éveiller à l'aube, solitaire, mais solide, le sol que ride un soleil bas, les brumes sur la plaine,

pour rattraper le temps, mais s'éveiller à l'aube armé pour le décret, ramures éclatées, armures, les rides du pneu, les gerbes de la rame, le chasseur attentif dans l'herbe du printemps, la griffe et la souris, toujours armé pour la proie qui dessine, les roues de la vespa sur l'asphalte éclairée,

rien ne sert de courir la jeunesse tardive toujours hantée de rêves enfantins, cauchemar collectif que désenchante l'aube quand le travail devient emploi — venir armé, pour charger la parole, les lettres noires, la poudre du fusil, et revenant dans l'aube du désert,

rien ne sert de courir quand l'histoire s'arrête, corps fuyant pourchassé par le corps,

si lent pourtant au doigt qui presse la gâchette, ou joue sur le clavier, l'encre de l'imprimante, la poudre du missile, quand mai annonce la couleur, sur la terre fumée, les brumes de la plaine, l'argile ou s'enfonce le pas,

le vieil enfant qui court aux songes d'une école pour rattraper le temps qui le fait employé, les ronces du rosier qui décodent l'espace, mais seul, dans l'aube fraîche où monte le soleil, et la terre fait sol aux couleurs qui résonnent, le temps qui bat et la tôle qui vibre,

seul, comme le pêcheur sur la ligne immobile, attendant le frisson, les yeux plissés et le sourire aux lèvres, cuivré de soleil bas, où se trie la lumière avant de gréer l'œil

 

 

 

 

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