Jean-Pierre Depétris
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tanker

AURORE


 

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[NEUF]

 

 

 

la barque est là, comme toujours avec le touret bleu, et devant elle, sur le trottoir, devant la mer, une mouette marche, une autre la rejoint, comme surgissant de la mer, en contrebas, les ailes déployées, immobile un instant avant de se poser, le bec aiguë,

 

et la mer, légèrement striée de bleu très pur et parcourue de flaques,

 

blanches,

 

le ciel aussi, parcouru de blanc, et là-bas, les îles brillant d'un rose chaud, à l'ouest, et au sud d'un gris tendre,

 

 

 

[1]

 

 

la mer sombre, et plate, et tailladée de lames, à peine perceptibles, là-bas

au large,

sombre et bleue, des tons verts,

frangée d'écume par instants,

lourds de chaleur, les nuages,

 

 

se sentant écrasé,

par la chaleur,

peut-être,

sentant l'air,

sur la peau,

comme le plomb des nuages,

s'interrogeant peut-être sur la chaleur, et la pression de l'air,

et puis sur la lumière, la vision, les couleurs, qui frappent le regard,

 

 

sur la peau et les yeux qui diffractent le monde, le font voir un, pourtant, tout en le dédoublant,

sur la peau étendue et aveugle, quoique sentant,

et percée,

à la place des sens, pourtant,

et les yeux insensibles pourtant,

mais déployant l'espace,

le faisant un, mais dédoublé,

et redoublé encore,

détachant l'apparence,

et la font apparaître,

dans l'un, et son infinie diffraction,

 

 

se demandant si la chaleur et la lumière sont une, ou distinctes,

interrogeant le mystère de l'œil

et de la peau,

 

songeant que la transformation de l'énergie n'est qu'une histoire de peau,

mais ne dit rien de la lumière, quand s'ouvre l'œil,

 

et qu'il déploie l'espace,

le vide, le fait vide infini,

où règne l'apparence, la lumière pure et profonde de l'un,

 

 

quoique se ferme l'œil,

et s'étonnant que puisse se fermer, et fermer la lumière avec lui, et le monde apparent, éteindre la lumière au simple clignement,

comme dissipant l'apparence,

 

 

et surpris de rencontrer si près la vision, la voyance, s'étonnant que l'une ne tienne sans l'autre,

quoique pourtant la pression dure, sur la peau, où l'on sent la chaleur quoique les yeux fermés,

et songeant qu'il y aurait là une réalité peut-être plus ultime,

car seule la mort fait cesser la pression, la chaleur,

qui dure après que l'œil se soit fermé,

 

 

 

...

 

 

 

[2]

 

 

quand glissent les montagnes, sur la mer, d'un bleu pur et pointillé de vagues, sous les nuages striés,

songeant à la durée de la vague, et des nuages,

et de la digue dure,

et qui semble durer plus longtemps que la vague,

alors qu'elle bat toujours, battait avant la digue et durera après,

 

 

et songeant qu'il y a là une réalité peut-être plus ultime, même si l'œil se ferme, mais s'ouvre de nouveau,

soupçonnant que la profondeur est surface, image de l'image,

vague croquant la digue,

ou lumière,

croquant la masse et l'énergie,

la vitesse immobile où se déploie l'espace,

où les rayons se croisent au clignement de l'œil,

 

 

songeant à se tourner, et ne plus voir l'image au fond de la rétine, mais voir avec la peau,

la peau de bête, qui revêt comme un gant,

 

se retourner, aveugle, et voir avec la peau,

lisant des yeux, déchiffrant la musique, plus pur que le métal,

car l'espace ne s'use pas, ni chauffe au frottement,

comme on ouvre les yeux à la source des lois,

car le chiffre est musique,

 

et songeant aux montagnes sous la nuit, et à l'eau qui circule, à la terre trempée, et aux troncs et aux tiges,

au goût des fruits sauvages,

aux épineux près du chemin,

le goût du sang sur la peau écorchée, qu'on porte machinalement aux lèvres,

 

la terre poudreuse des talus quand le soleil descend,

et songeant que la loi aussi se boit comme une source,

qui fait les arbres droits, et fait tendre les tiges,

régulières, croisées,

revêtues de texture,

quand les montagnes se glissent dans la nuit,

 

 

 

...

 

 

 

[3]

 

 

comme en rêve,

quand les montagnes passent

sous le soir,

quand la langue se rêve,

et que la lune est jaune, ou blanche, sur la nuit,

quand parlent les montagnes, et que le rêve est mer dont on ne peut croire le fond,

ni ne pouvant douter,

quand glissent les montagnes,

et songeant à la lenteur des cascades, à la roche qui tourne sous le nuage immobile,

quand le rêve vient faire syntaxe au regard,

et s'éveillant à l'aube humide où les tiges se dressent, et où tourne l'oiseau,

où le frisson et la brise s'épousent, où l'image se fait image à l'infini, quand la langue se dit, et se lit,

et se voit, quand le rêve s'habite, comme vêtu de peaux,

 

 

quand le monde s'habite de bêtes

l'araignée attentive sur le bouquet de thym,

se demandant peut-être comment un arbre entier se cache dans la graine, s'interrogeant sur la lenteur de l'eau, pourtant si vive, et les poissons aussi,

alors que la cascade tombe si lentement,

que l'écume se meut comme en rêve, comme poissons entre les pierres, la toile d'araignée sur le bouquet de thym,

quand reconstruit le monde la syntaxe du rêve, le liant en le lisant,

que la loi est surface où les rayons se croisent, comme la source entre les tiges, qui poussent régulières,

se croisent et se tressent,

en liant la texture comme lisant des mots, mais plus vite, quoique si lentement, au rythme des cascades, du murmure des sources,

où guette l'araignée attentive, la toile dans la brise, qu'épouse le frisson,

 

lorsque le rêve s'ouvre sur les monts,

qui glissent sur la mer,

quand la mouette passe, sans bouger, sur le ciel

immobile, au bord de la falaise, contre les nuages, immobiles aussi, quoique se déplaçant, glissant,

mais ne pouvant y croire,

ni douter,

non plus qu'à la loi du miroir,

la syntaxe de l'eau dont le jour fait surface, et croise les rayons,

fait texture du jour, la loi de l'arbre dans la graine, quand les feuilles se croisent, faisant du jour la texture du rêve, les cordes du regard, dans la nuit de la langue dont on ne croit le fond,

quoique lisant toujours dans les syllabes muettes, tressant le monde, faisant corps de l'arôme et couleurs du frisson, dans la fraîcheur de l'aube,

 

 

 

quand le rêve vient faire syntaxe au regard, que l'image devient réelle,

et que l'objet se fait virtuel,

quand le regard se fait gréage et qu'il ouvre la mer sous l'étrave...

 

 

 

 

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