Jean-Pierre Depétris
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tanker

AURORE


 

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[DIX]

 

 

 

la mer là-bas,...

 

 

dans la chaleur les pins ne semblent plus réels, ou bien d'un autre monde — moiteur dans le vent de feu — les cigales, au bruit d'une calcination — on ne croit au vert des branchages — l'air brûlant, qui vacille dans la pinède crépitante, le coton des chenilles, les ruines d'un village

aux murs blancs, noyés dans la forte verdure, sèche pourtant, brûlante, et qu'on voit rouge dès qu'on ferme les yeux, sous la sueur, les couleurs incertaines,

 

 

— pourquoi le feu, ici, aurait besoin de cause ? — et la poussière du ruisseau, de ses pierres brûlantes, le canal bétonné,

et les mouches bourdonnent sous la voûte de pierre, la chaleur crissante dehors, l'ombre des arbres sur la pierre trop blanche, la couleur incertaine, qui fait vaciller la chaleur

dans un souffle de braise, la mer là-bas, les nuages qui se perdent — nul ne saura jamais — sous les branches tendues,

où l'œil épuisé de chaleur doute de toute teinte, encore plus sensible la forme devenue, dans le cri des cigales, évoquant le briquet dans la chaleur tendue, ne sachant plus déchiffrer la lumière

embrasée, dans le vide — manquer d'air —

la crainte d'un grand large — et si ne revenait l'ombre crépusculaire ? — l'orage, un jour, devenant irréel, improbable — mythe de l'eau tombée, qui heurte la raison, demandant construction à l'esprit —

sans eau ici le ciel, gouttes dont l'idée de l'éclair seule donne leur vraisemblance, quand le raclement des cigales étouffe jusqu'à la croyance en la pluie, malgré la mer là-bas, mais inaccessible à l'idée de la vague, quoique celle du sel ne nous quitte jamais,

le ciel absent au dessus de la tête où monte la chaleur, le fermant à jamais,

la petite chapelle, le toit troué, oratoire de l'ombre, de l'ombre et non du ciel si dur, incolore et absent, quoique bleu, bleu que voit l'œil malgré la lumière trop forte

qui ronge, bleues la couleur, la verdure et les pierres, et les ombres, aussi bleues qu'une carte où ronge le soleil,

le ciel, rongeant la terre, bleu comme l'os, ou la branche qui sèche dans l'eau,

le ciel absent, vide sur la chapelle, comme le sens des mots s'échappe dans le temps,

et l'air chaud qui suffoque, ne se croyant plus seul

dans son crâne, dans son pouls qui bat contre sa peau, la morsure des pierres, et les insectes noirs,

la cigale invisible, le bruit têtu qui occupe l'espace, semble le vider d'air autant que le soleil,

le silence qui craque,

donnant voix au soleil pour habiter l'espace où l'esprit est tiré, qu'écorche la chaleur,

comme poissons sur le pont d'une barque, et peut-être reconnaissant le bleu d'où tombe la pression

même sous l'eau, mais sous un jour nouveau

écrasant l'âme au fond du corps, ou bien comme un buvard sur une tache,

comme un buvard qui plutôt que l'encre des mots épongerait le sens, ainsi reste moite la peau au buvard de la braise, mais les sens étourdis, éblouis, comme l'œil du poisson sur le jour de la barque,

et le bois qui prend l'eau, comme un buvard de braise, le souffle chaud du jour, ne croyant plus au ciel, malgré le toit crevé de l'oratoire où monte la chaleur, le souffle chaud du jour et doutant de l'espace,

comme si la lumière niait le ciel, le buvard de la cendre, ne croyant plus au ciel quand le bleu se répand et le goût de la cendre, malgré le trou béant

comme si le vide du ciel vidait encore la terre, ou comme au cinéma pâlissent les couleurs si la salle s'éclaire,

dans le vide du ciel d'où la pression descend,

comme on pose un buvard,

ou le poisson ne sachant plus lever son corps des planches de la barque,

sur les murs des chemins, la terre poussiéreuse, et le fauve des tiges et les insectes noirs

parmi les aiguilles des pins, les glands troués des chênes gris, dans la poussière de la terre

où le vent semble sous le regard passer au roux,

 

dans la chaleur, les pins ne semblant plus réels, où l'image se tait, muette comme la soif, les chênes gris

sur la route qui descend au village, les pierres entassées entre les champs étroits, la présence de l'arbre, la flamme du cyprès,

ne semblant plus réels, ou trop, ou noyant de présence toutes les sensations, évoquant l'eau pourtant, le gobelet renversé sur la gouache, la soif brouillant les sens, le bleu pâle du jour mais qui pourtant n'estompe, non, donnerait plutôt sa consistance à l'air, fait présence de la lumière

dans l'océan de l'air, brûlant, la vague de la braise,

les pierres amassées entre les champs étroits, et le sens se dissout comme la vue s'efface, au loin dans l'épaisseur de l'air, la densité du jour

sur la planète terre, plongeur de la lumière sous le scaphandre de la peau, l'insecte noir dans la poussière, les glands troués parmi les aiguilles de pins,

tandis que la chaleur fond le réel comme une tache d'eau étendue sur la gouache que trament les cigales, tressant la lumière de sons, buvard de cendre bleu dans le cuivre de l'air,

 

rêvant plutôt là-bas la cime des glaciers quand descend dans la nuit le vent de la montagne, le bruit de la fontaine invisible dans l'ombre des noyers dont les branches se plient,

 

près des glaciers, la forêt de mélèzes et le tapis de mousse,

si chaud pourtant, malgré le bruit des frênes, les sauterelles jaunes et rouges dans les prés, comme le bruit des mats quand le vent fait sa houle

sur les foins, l'odeur forte du jour, la terre craquelée près des ruisseaux

secs dans leurs lits de pierres,

les blocs

immenses au fond de la vallée où la mousse rougit, et tombe en cendres sous les doigts quand plane l'aigle noir minuscule et tendu, près des glaciers,

le chemin qui longe les murs

de pierres entassées et la rivière en bas, vastes plages de rocs, les amandiers qui bruissent,

la route du villages, planches sombres des granges, l'ardoise où tremble l'air, le poulailler qui dort et le bassin de bois que prolonge un ruisseau, et la boue, les framboises

sous la terrasse du café, la porte de la cave, les barreaux du balcon,

le parasol orangina,

les tee-shirts déchirés, les maçons et leurs bières, dont la voix forte entrave la pensée,

attire l'attention quand trempé de sueur et craignant de coller le dos contre la chaise, ébloui du dehors, le bar te semble nuit, la petite fenêtre aux barreaux, le chien sous la table qui dort, la moustiquaire

 

où le regard s'arrête, voit dans la fine maille obstacle à la chaleur, la clarté du dehors, ou bien rêvant la nuit trouée

d'étoiles trop puissantes,

ou encore un écran au fond tramé de points,

avec les géraniums, le parasol orangina, tramés par le grillage, l'épicerie, les bonbonnes de gaz,

 

image de synthèse,

comme dans la chaleur les pins ne semblant plus réels, sous le scaphandre de la chair, comme si le réel pouvait n'être virtuel, chargé de possible immanent, tendu de règles, comme le reflet du bassin, la souplesse du frêne, les bourgeons sur les tiges, réguliers, les veines de la feuille, la symétrie du corps où l'esprit se reflète, le bras armé du miroir,

car toujours l'image est de synthèse, sinon l'objet — vrai, virtuel — où s'engage la lame — le miroir effilé —, dans la pénombre des jardins, où la chaleur s'élève plus étouffante que sous les pins à l'ombre rare, les salades gorgées et l'air clouté d'insectes,

car toujours l'image est réelle, sinon l'objet, rêvant ou révérant la vertu dans la cause, la lame du reflet à l'ombre des mélèzes, la flamme du cyprès, les peupliers du restau,

le chat glissant sous l'ombre des remorques, ou la truite dans l'eau,

alors que l'impression se fait plus dure que le rêve, brise la symétrie du verre et des cristaux

dans l'ombre, où la nuit fait jardin et viendra pour le sel de la vague, la clarté des écueils et la mousse rongée sous le sombre des cartes, fera route aux courants

quand les dernières lueurs des phares troueront l'aube, les jardins de la nuit qui gardent la fraîcheur sous le chant des criquets, où la lune est étrange dans le vent qui descend des montagnes, fait plier les noyers — se mêlent les ramures aux bruits de la fontaine —, l'ombre trouée d'éclats, les framboisiers tranquilles que la lune pâlit,

le moteur d'un camion s'effaçant dans la plaine, les deux points rouges entre les arbres dans la nuit,

comme le sens des mots s'efface dans le temps,

verum et factum convertuntur

trois mots pour une phrase, et songeant aux si nombreuses phrases qui pourraient la traduire en Français, mais trop précises et faisant gloses, et interprétations, ne pouvant traduire qu'ensemble,

verum factum

comme le sens des mots,

pereunt et imputatur

passent et sont comptés, comme il était écrit sur les cadrans solaires,

ainsi le sens s'efface tandis que la force des paroles demeure, tandis qu'à tant se refléter en lui le monde se crée et l'écho se fait cause, ou chose encore, avant de devenir objet,

solve et coagula

comme pierres comptées, la vague de la glace quand le lion prend soleil pour couronne, mais ne sachant jamais l'arcane de l'image avant la conjonction, la résolution du reflet, et le cyprès plus haut que l'oratoire dans la plaine, les montagnes là-bas d'où descend le vent de la nuit, pliant les branches du frêne souple et des noyers,

l'acacia de la place où le goudron fondait,

les pilonnes de bois près de la voie ferrée, la gare abandonnée,

le rouille sur les rails et le jardin sauvage, n'écoutant plus la horde, le capital de chair

— qui veut voiler la mort l'accuse de ses chaînes —, et faisant oublier que les heures périssent comme le sens des mots, le mystère du soufre, les pinces du métal, et croyant enfermer le travail dans le signe, fermant la boucle à l'or et voulant le cercle immobile,

tandis que l'ombre s'étend,

si la force des paroles demeure, si le monde se crée à tant se réfléchir et l'écho se fait chose,

si le monde est porté au bleu, les lointains monts là-bas au-delà de la plaine, les pierres du moulin,

si, sous la pinède à l'ombre bleue, sèche, la verdure brûlante et qu'on voit rouge si l'on ferme les yeux,

si l'on ferme les yeux tandis que l'ombre s'étend, comme se lève l'aube, les peupliers noirs contre l'or du matin,

l'or, l'horizon doré dans l'aurore de cendre, si l'on ferme les yeux,

 

 

si l'écho se fait rose, où se déploie le jour,

comme l'oiseau de mer sous le cercle immobile, dans l'air si lourd qui supporte le vol,

comme des pétales de rose, à tant se déplier que la cause s'étend, comme le feu gagne de branche en branche, dans la vaste moiteur des jardins arrosés, ne sachant plus le soir si l'aube se retourne, mais tandis qu'une brume estompe les collines, l'air lourd où l'oiseau se repose, et criant par instants,

la roche des falaises aussi nue que le chiffre, mais se noyant dans l'air tandis que la mouette crie,

la rose dépliée dans le jour qui la griffe, le coton sur la mer, la sueur qui colle au tricot, la lueur que boit le coton des collines, le chiffre de la pierre, ou la rigueur de l'os

et la terre poudreuse où sèchent des aiguilles, les glands troués des chênes gris,

si la pierre des mots devient lourde à la langue, tandis que l'ombre s'étend,

 

si les paroles se forcent, si le monde se grée à tant se réfléchir et l'écho se fait rose,

si le monde est porté au bleu, les monts lointains, si l'on ferme les yeux tandis que l'ombre s'étend, se lève comme une aube, les peupliers noirs, l'or, l'horizon doré dans l'aurore de braise,

si l'on ferme les yeux, si l'écho se fait rose où se déploie le jour, comme l'oiseau de mer sous le cercle

immobile dans l'air si lourd qui supporte le vol, comme des pétales de rose

rouges, tandis que l'ombre s'étend

 

 

 

dans la chaleur des jardins, l'odeur forte de la terre arrosée, le coude du ruisseau sous la voûte des branches, sur les rochers de l'autre bord la feuille rousse, les herbes fauves,

dans la profondeur du miroir, dans la profondeur de la lame,

si la lune est au ciel comme un signe, ou le fer d'une hache, ignorant l'épaisseur pour la profondeur d'un sillage, comme le sens s'effile,

si le fil de la lune entaille l'horizon, comme ton poids te porte, ou la quille des barques, la surface des voiles où s'épaissit le vent,

 

 

 

 

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