Jean-Pierre Depétris
   
   

Le Scorpion de la Rouille


   

   
   


I

    Figure-toi d’abord l’horizontale.
    Ce trait horizontal, regarde le comme un éloignement, comme un vide.
    Il est l’horizon.
    C’est pourquoi le trait horizontal est le signe du négatif.

II

   Remarque que la croix est le signe du positif et non le seul trait vertical.
    Cela parce que le négatif reste présent dans le positif. L’absence se conserve dans la présence.
    Pénètre-toi de ce principe car il te sera utile pour comprendre le mystère de l’oxydation.

III

   Certains pour avoir oublié cela, ont cru bon de prétendre que Jésus fut cloué sur un poteau.
    Leur horizon était obscurci, et ils n’ont lu que les caractères saillants du message.
    Ils ont ignoré la racine commune de CROIX et de CREUX.
    Toutefois point de mépris, car s’ils ont ignoré l’horizon, leurs regards virent le poteau dressé.

IV

   D’autres ont enseigné que l’horizon serait la terre et la verticale le ciel.
    Ou bien qu’ils seraient comme la substance et l’essence.
    Ou encore comme le matériel et le spirituel.
    Sache que la substance n’est pas le lieu de la substantiation, et le lieu de la substantiation n’est pas la substance.
    Dis si tu le désires que l’horizontale est corporelle en ce sens que le corps est le donateur des formes dans lesquelles la chair est reproduite.

V

   Sache aussi que la verticale est toujours plantée sur un horizon.
    Ainsi seule la croix est l’essence.
    La verticale est saillante.
    Elle est l’apparence.
    Surtout ne pense pas que cette apparence soit illusion.
    Que serait une essence qui n’apparaîtrait pas ?

VI

   La croix, tu l’as compris, est une figure tridimensionnelle.
    C’est pourquoi son nombre est le ternaire.
    Les trois points de l’espace sont le haut, le bas et le lointain.

VII

   Apprends que les lignes qui rejoignent ces points constituent le Triangle du Feu, dont les côtés sont le combustible, le comburant et la chaleur, ou la lumière — car la chaleur et la lumière sont une même chose.

VIII

   Le comburant est l’oxygène.
    La chaleur dégage les essences du corps, et celles-ci se combinent à l’oxygène ; c’est ce que l’on appelle combustion, ou oxydation.
    La lumière est l’Origine.
    Textuellement : qui génère l’OR.
    La fin est l’Oxygène.
    Textuellement qui génère l’OC.
    L’orthographe latine d’occident et grecque d’oxydant ne doit pas t’égarer ; il s’agit du même mot, dont la racine donne occire.
    La lumière et l’oxygène sont l’orient et l’occident de la combustion.
    Médite le sens étrange du mot oxygène.

IX

   Le nom de « Triangle du Feu » est donné par analogie avec la loi géométrique qui énonce que quels que soient les angles d’un triangle, leur somme est égale à deux angles droits.
    Connaissant la nature d’un corps et la richesse en oxygène du milieu où il est placé, tu sauras à quelle température il s’enflammera spontanément.
    Le point où ces trois paramètres concordent avec l’entrée en combustion est appelé « Point Éclair ».
    Mais peut-être le savais-tu déjà.

X

   La croix est un symbole de combustion. Tu remarqueras que CREUSET a la même racine que CROIX et CREUX.
    Cruci figo peut aussi bien signifier mettre en croix, fixer le creux, cuire au creuset.
    Ces trois opérations correspondent aux principales causes d’effroi : la douleur, le vertige et la consomption.
    Et tu remarqueras encore que la même racine donne CRUEL.

XI

   Tu apprendras par les couleurs que ce qui était une médiation finit aussi bien par être les limites, l’épure.
    Ainsi les couleurs de l’arc en ciel finissent et commencent par le rouge.
    Si une des limites te semble violette, c’est à cause de la proximité du bleu qui s’y reflète.
    L’autre limite n’est pas pure non plus. Des reflets jaunes s’y mêlent.
    Dis-toi que le rouge pur n’est pas visible. Au plus se laisse-t-il deviner dans un gris profond et incandescent.

XII

   Il peut te sembler que le combustible, le comburant et la chaleur soient tout. Or ils ne sont rien. La flamme est tout.
    Aucun ne serait sans la combustion.
    Peut-être te doutais-tu déjà qu’elle créait la chaleur — en réalité elle ne la crée pas mais la reproduit — dis-toi qu’elle reproduit aussi le combustible et le comburant.
    Ceci est l’arcane majeur de la loi d’entropie ; apprends que le secret de l’entropie réside dans la flamme, et là seulement.

XIII

   La flamme est rouge car la lumière est blanche et l’obscurité noire.
    Elle est la médiation entre la clarté et l’ombre. Tu peux observer cela à l’aube et au crépuscule.
    Mais demande-toi ce que serait l’ombre sans la lumière et la lumière sans ombre.
    Alors tu comprendras que la flamme n’est pas une médiation à la manière d’un pont entre deux rives. Mais qu’elle est la rivière et ses ondes, sans laquelle il n’y aurait ni berges ni lit, ni encore moins de pont.

XIV

   Le vert est le repos du rouge.
    Il est au centre du spectre, entre le bleu et le jaune, et tu l’obtiens par leur superposition.
    Le vert des plantes est comme la couleur du sang.
    Elle est son repos et son calme.
    Compare le vert de gris à la rouille.

XV

   Peut-être te demandes-tu quelle séparation trace la ligne horizontale. Quelle est la valeur des deux espaces qu’elle découpe.
    En un sens aucune. La nature de cette ligne n’est pas de séparer quoi que ce soit.
    Elle est la ligne de ton regard.
    Cette ligne tu la verras où qu’il se dirige.

XVI

   Apprends encore que le blanc est le repos du jaune, et le noir le repos du bleu.
    En réalité il n’y a que trois couleurs pures : le bleu, le jaune et le rouge.

XVII

   Ne cherche pas la profondeur au-delà de l’horizon, ni vers le haut, ni sous la surface.
    Il n’y a aucun seuil dans ces directions.
    Le seuil se trouve entre l’intérieur et l’extérieur.
    Ainsi le regard est lui-même le seuil, en étant aussi l’image.

XVIII

   Pense à la croix dans la lunette d’un fusil.
    S’il y a un viseur il doit y avoir une vision.
    Il doit aussi y avoir un visage.
    Le signe de la croix marque une perspective.
    Comprends ce terme dans son sens géométrique.
    Comprends le aussi dans son sens d’intention.
   
   
   
   



    © 1983, 2002 Jean-Pierre Depétris

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    Paru dans Orion N° 4, 1983



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