Les mages et le chaos

Jean-Pierre Depetris,
le 2 mai 2012

1. Le chaos

– Bon, c'est bien joli tout ça, mais on ne s'y retrouve pas. Cette multiplication, ce déluge de texte, rien ne permet de s'y retrouver dans un tel chaos.

– Il n'en faut pas beaucoup, tu sais, pour se perdre dans du texte. Il n'est même pas nécessaire qu'il y ait des quantités de pages. Alors, le chaos, il était déjà là bien avant Alexandrie, avant même Babylone.

– Oui, mais comme disent les bibliothécaires : un livre mal placé est un livre perdu. Du texte en chaos, ce n'est plus rien du tout.

2. La magie

– Crois-tu que ce soit ainsi que la question se pose ? Tu oublies simplement la magie.

– La magie ?

– La magie, l'ensorcellement : depuis que l'écriture existe, elle est parasitée par de la magie.

– Parasitée par de la magie ? Que veux-tu dire ?

– Oui, le texte est toujours entachée de magie ; il est toujours auréolé de pouvoirs imaginaires, il possède une aura magique qui obscurcit toujours ce qu'il énonce, et vois-tu, finalement, c'est cette aura qui donne à ce chaos une apparence ordonnée.

– Je n'ai jamais rien entendu d'aussi étrange. Comment une aura magique pourrait obscurcir le sens des énoncés, et donner une apparence ordonnée au chaos ?

3. Du vrai ou du faux pouvoir des mots

– L'écrit a une forte puissance : c'est de la parole qui s'émancipe de l'écoulement temporel. Non seulement il s'émancipe de la situation qui a vu naître la pensée, mais il permet aussi d'en remonter le cours linéaire, de la corriger, la recomposer.

– C'est une puissance, certes, mais elle est limitée car elle laisse les choses en l'état.

– C'est bien la question et c'est justement ce qui fait son aura magique. Ne t'y trompe pas, les calculs et les conclusions, aussi bien que les intuitions auxquels le signe écrit permet d'aboutir, ne sont pas destinés à laisser le monde en l'état. C'est en définitive la croyance à ces pouvoirs magiques, la croyance en ce que le signe écrit fonctionnerait pour ainsi dire seul, qui nous fait laisser les choses en l'état ; les lui abandonner, en somme.

– Ton point de vue est intéressant, et tu sembles savoir de quoi tu parles. J'aimerais bien que tu précises.

4. L'homme est ce qui se tient au-delà des signes

Reconnais qu'il n'est pas grand-chose que nous sachions faire sans le recours à des signes écrits. Pour autant, le signe écrit ne fait pas grand-chose à notre place. Il en donne simplement l'impression, comme une calculette semble effectuer un calcul seule, mais, en aval ou en amont, il doit bien y avoir une intelligence humaine qui agisse, comprenne et sache ce quelle fait. Pourtant le signe écrit, même quand il n'est pas le code d'un programme, donne l'illusion de posséder une telle puissance. Les légendes regorgent de formules magiques, de livres aux pouvoirs mystérieux. Il ne faudrait surtout pas croire que ces légendes appartiennent aux temps anciens et aux civilisations disparues. Nous devons apprendre à les reconnaître sous leurs formes modernes.

– Je suis impatient que tu me les-montres.

– C'est facile, la magie réside principalement dans le prestige des maisons d'édition.

– Quoi, c'est tout ? Tu as fait tous ces détours pour une aussi triviale banalité ?

– Tu es déçu parce qu'en réalité tu ne vois rien du tout. Tu crois que je parle par métaphore. Tu devrais ouvrir les yeux et être plus attentif à ton environnement immédiat.

5. L'apparence

– Je veux bien reconnaître que nous lisons très différemment un livre selon son apparence extérieure. Dès que nous le voyons, au premier regard, nous l'estimons, nous nous faisons déjà une idée précise, et elle va orienter notre façon de lire.

– Bien sûr, mais cela n'a rien de magique. Un texte, c'est aussi une mise-en-page, un format, une présentation générale, voire une qualité de papier ou un fond d'écran ; et sur tout cela repose sa lecture. Plus encore, dans une publication collective, comme une revue, dans une collection ou sur un site, les textes environnants changent notre appréciation de chacun. Il n'y a là aucune magie.

Si nous ne lisons pas les textes, nous les jugeons sur cette seule apparence ; si nous les lisons, nous jugerons au contraire si elle leur convient bien. Un bon éditeur devrait savoir comment présenter un texte ; et un bon directeur de revue ou de collection, quels textes conviennent à s'y rencontrer. Il y a là peut-être de la sémantique, de la sémiotique ou de la pragmatique, mais aucune magie.

La magie, peut-être apparaîtrait-elle plutôt là où l'on distinguerait des fautes. Par exemple, pas assez de signes par lignes pour un écrit qui cisèle de longues périodes subtilement ponctuées, et que brouille la coupure des lignes ; ou trop de signes pour un texte aux idées compactes et bien imagées, dont les lignes trop longues rendent trop fréquents les retours à la ligne. N'as-tu pas remarqué que souvent des livres semblent édités dans des lits de Procuste ?

6. De la typo

– Et quel rapport vois-tu entre ces erreurs de mise en page et la magie ?

– Tous les auteurs, qu'ils écrivent au clavier ou d'abord à la plume, ont une façon personnelle d'occuper le papier. Ce qu'on appelle « le style » n'est pas si étranger à la façon dont on met un texte en page, ni au choix de la typographie. Au minimum les deux choses s'influencent. C'est ce qui rend parfois si difficile la maîtrise d'un traitement de texte à quelqu'un qui a appris tard.

Il est donc étonnant, surtout aujourd'hui que les fichiers numériques ont remplacé les manuscrits, qu'on coule le texte dans des mises-en-page qui ne leur correspondent pas et qui leur préexistent. À quoi peut-il bien servir, dis-moi, qu'une mise en page préexiste à son texte ?

– Je pense que tu accordes à ces détails une importance excessive. La plupart des lettrés, et même de très bons auteurs, savent à peine se servir d'un traitement de texte. Tu en fais quotidiennement l'expérience. Personne ne se préoccupe de ce dont tu parles.

– Que personne ne s'en préoccupe ne signifie pas que ce soit négligeable. Tu le reconnais toi-même, nous ne sommes jamais indifférents à l'apparence d'un texte, et bien souvent nous n'en connaissons rien d'autre, car nous nous contentons d'un rapide coup-d'œil sur des publications plutôt que de les lire. Parfois même, cette seule apparence immédiate nous décide à aller plus loin.

Sais-tu que j'ai découvert ainsi les Contes d'Ise. Le livre était posé sur une table, et avait attiré ma main. Je l'ai rapidement parcouru et je l'ai acheté. C'est un des rares cas où l'aspect visuel d'un livre déterminait mon acte d'achat. Connaissant mon parcours, tu sais bien que tôt ou tard, ce livre, je l'aurais recherché. Ce dont je parle, qu'on s'en soucie ou non, n'est donc pas négligeable.

– Tu veux dire que ce n'est pas négligeable pour susciter un acte d'achat ? Mais est-ce bien ce dont nous parlions ?

– Tu ne m'as pas bien entendu. L'important n'est pas que j'aie acheté ce livre ; j'aurais pu l'emprunter ou le lire en ligne. L'important est que je l'ai lu, que, tôt ou tard, j'aurais su que je devais le lire. Son apparence, en quelque sorte, faisait donc bien apparaître ce qu'il était.

– Son apparence aurait aussi bien pu être un déguisement pour te donner le désir de le lire. Si l'apparence y suffit, pourquoi ne serait-elle pas feinte ?

– Je te l'accorde. Mais feindre quoi ? Car enfin il n'est pas évident de feindre que ce livre que je ne connais pas encore serait celui que je rechercherai plus tard. Comment quelqu'un pourrait-il deviner quel livre je chercherai quand je ne le sais pas encore moi-même ? Et à plus forte raisons, comment saurait-il quelle apparence lui donner ? Et s'il en était capable, pourquoi ne le publierait-il pas plutôt que de chercher à me tromper en m'en proposant un autre ?

Comprends-tu bien la question que je pose ? À supposer qu'il y ait feinte, sur quoi chercherait-elle en définitive à me tromper, que prétendrait-elle précisément me faire croire ?

7. Feintes

– Je suis à peu près certain que si tu me poses cette question, tu dois mieux connaître la réponse que moi.

– Rien n'est moins sûr, car ce sont bien tes propres objections qui la posent, cette question. Si tu parles toi-même de feintes, tu devrais bien avoir une idée de comment cette feinte fonctionne et ce qu'elle cherche à feindre, non ?

– Je suppose que cette feinte cherche à me faire croire que je dois à tout prix lire ce livre.

– C'est bien possible, mais comment peut-elle m'en convaincre avec des moyens si peu explicites ?

– Je n'en ai pas la moindre idée… ou plutôt, je n'en vois qu'une : tenter d'imiter les livres que tu cherches et qu'il t'importe de lire.

– Tu penses à des éditions qui cherchent visiblement à en imiter d'autres plus prestigieuses, comme la nrf ou les Presses Universitaires de France ?

– Oui, mais dès que tu le précises, cette idée me semble idiote. Est-ce à cela que tu pensais ?

– Non, pas vraiment. D'ailleurs, de tels choix seraient trop grossiers pour constituer des leurres.

8. De la magie encore

– Bien que tu ne m'aies encore rien dit de très convainquant, depuis que nous bavardons, je commence à percevoir fugacement ce que tu appelles « magie ». Je le perçois un peu comme un point-aveugle autour duquel tourne notre conversation. Cette « magie » dont il me semble pressentir la présence, je me demande si elle concerne si précisément l'écrit, si elle ne frayerait pas plutôt du côté de la pensée autorisée ?

– C'est bien possible, dans la mesure où je comprends ce que tu entends par là, mais je ne vois pas comment la pensée autorisée ne serait pas d'abord de l'écrit : de l'écrit autorisé.

– Dans ce cas, pourquoi ne dis-tu pas « écrit autorisé », et parles-tu plutôt de magie ?

– Parce que c'est de la magie. C'est de la magie au sens le plus littéral, au sens étymologique de magister, la science des mages, celles des antiques prêtres de Mazda : le latin magister abrégé depuis en master dans le globish.

– Je croyais que « magie » venait d'« image » par apocope.

– Tu plaisantes là ?

– Bien sûr.

9. La diffusion

– Songe à l'imprimerie. C'est une vieille invention qui a mis presque mille ans pour se perfectionner depuis la Chine, et s'introduire en Europe. Elle fut longtemps la manière la plus simple de reproduire et de diffuser des écrits. Elle ne l'est plus.

– Tu penses que l'imprimerie est dépassée ?

– Certainement pas. Elle n'est plus le moyen le plus simple et le plus économique, c'est tout, mais elle conserve des avantages irremplaçables. Il est simplement arrivé un moment où la photocopie est devenu un moyen plus commode. Certaines revues, certaines éditions ont même choisi cette méthode.

Très peu de gens pourtant ont paru se réjouir de ces nouvelles opportunités, et beaucoup ont manifesté des inquiétudes. Très peu ont choisi d'en tirer tous les avantages, par exemple en tirant des revues au format A3 plié en deux, sans agrafes ni colle, pour permettre des retirages à la demande en utilisant une trieuse de pages automatique.

– C'est bien compréhensible. Ces procédés pouvaient être fatals aux métiers du livre.

– Et alors, la raison d'être de tous ces métiers n'était-elle pas justement de reproduire et diffuser l'écrit par les moyens les plus commodes ? La vapeur n'avait-elle pas été fatale à la marine à voile ; le moteur à piston, aux éleveurs de chevaux ? C'est la raison d'être de l'ingéniosité humaine que de supprimer le travail en le rendant inutile.

– Dans ce cas, le numérique va plus loin encore.

– Bien sûr, et il démultiplie encore les résistances.

– C'est certain. Alors que tout livre est aujourd'hui un fichier numérique susceptible d'être imprimé ou non, on tient ce fichier caché pour n'en vendre que des copies sur papier. On le convertit éventuellement dans un format numérique fermé, mal-commode et bardé de programmes espions qui limitent son usage et le rendent problématique sur tout matériel et avec des logiciels appropriés.

La justification avancée de la rémunération des auteurs est bien peu convaincante. Le dernier contrat que l'on m'a proposé était pour un tirage de cinq cents, avec un Euro environ de royalties sur chaque vente. En tenant compte du service de presse, il y a au mieux de quoi changer la cartouche d'encre utilisée. C'est à ce prix que l'auteur devrait céder les droits sur son travail, pour tout support et pour toute œuvre dérivée jusqu'à soixante-et-dix ans au moins après sa mort !

– Tu as raison, il y a longtemps déjà que les ravages se sont abattus. Et ils sont particulièrement visibles sur les divers métiers de l'imprimerie et sur la librairie. À côté d'une production industrielle de publications sans intérêt, demeurent presque exclusivement quelques officines artisanales, bien souvent pas très loin du bénévolat, et quelques boutiques pour collectionneurs éclairés. Les véritables livres contemporains, ou encore les classiques, sont en ligne, accessibles sans réserves, et pourtant presque indécelables.

10. Le petit bout de la lorgnette

– Mais alors pourquoi tout cela ? À quoi bon ?

– C'est bien la question. Et l'erreur consisterait à chercher à tout prix des raisons rationnelles, alors que nous sommes aux portes de la magie.

– Encore ?

– Reconnais qu'on produit toujours beaucoup de livres, même si la plupart sont de peu d'intérêt.

– Ce n'est pas très étonnant vu leur très faible coût de production, même à peu d'unités.

– Même à l'unité il n'est pas très cher de tirer un livre, comme tu le sais très bien. Reconnais aussi qu'on en achète toujours, et de préférence ceux qui sont de moindre intérêt.

– Ce n'est pas étonnant non plus, puisqu'ils sont souvent les moins chers.

– Reconnais aussi qu'on leur accorde une bien grande importance, qui est souvent loin de toute proportion avec leur contenu.

– Avant de me demander de reconnaître plus encore, j'aimerais que tu précises un peu plus cette dernière idée.

– Précisons donc : trouves-tu que la plupart des gens ont des attitudes bien raisonnables quand tu leur dis, par exemple, que tu viens de publier un livre ?

– Je préfère ne plus en parler à ceux qui ne sont pas directement concerné par ce que je publie. La dernière fois que je m'y suis risqué, on m'a demandé si mes livres se vendaient bien. « Quand même moins que des pizzas » ai-je plaisanté. Dans le meilleur des cas, on m'a invité à expliquer ce que j'écrivais. Parfois on fait même mine de vouloir acheter un de mes livres, mais il était visible que ce n'était pas pour mieux me connaître ; c'était plutôt (comment dire ?) comme si l'on pensait que les bonnes affaires font les bons amis.

– Tu exagères. Ou alors, tu dois bien induire toi-même de tels comportements. Ce ne serait d'ailleurs pas moins révélateur. Mais enfin, j'entends bien dans ce que tu dis que les réactions ne sont pas en relation avec leur objet. De mon côté, je vois mes interlocuteurs s'intéresser beaucoup trop à mon édition et pas assez à ce que j'ai édité. Ils s'intéressent à comment je m'y suis pris pour faire publier mon livre, à mon éditeur, aux coûts, et cela parce qu'ils ont presque tous en tête de faire publier un ouvrage un jour, même quand ils ne l'ont pas encore écrit.

– Vraiment ? Peut-être est-ce parce que tu fréquentes plus de gens de lettres que moi.

11. De quoi parlent les auteurs

– S'ils étaient bien des gens de lettres, ils auraient déjà écrit, et nous parlerions plutôt de ce que nous écrivons, comme heureusement cela arrive malgré tout. Mais tu n'as pas tort cependant, même eux finissent par ne plus parler de lettres pour ne s'intéresser qu'à l'emballage. D'ailleurs je crois que beaucoup ont une propension à se considérer comme des « professionnels » et à « parler métier ». Parmi ceux qui écrivent plus candidement disons, on trouve plus d'authenticité.

– J'hésite à te suivre quand tu parles de lettres comme tu le fais. Crois-tu vraiment que des gens de lettres n'aient à parler de rien d'autre que de lettres ?

– Qu'ils se parlent au moins de ce qu'ils écrivent.

– Mais qu'écrivent-ils ? Comme tout un chacun, ils doivent bien s'intéresser au monde, à la vie, à des aspects particulier du monde et de la vie… On peut tout au plus imaginer qu'ils sont mieux armés, qu'ils disposent de concepts et de moyens rhétoriques, logiques, poétiques. Alors, si je comprends bien qu'ils prennent appui sur leurs propres écrits, je ne vois pas pourquoi ce serait pour parler fondamentalement d'autres chose que le commun des mortels.

– Tu as évidemment raison, et c'est bien ce que j'entendais. Il est probable qu'un auteur écrive sur des sujets qui l'intéressent, et qu'il s'intéresse à ce dont ses livres traitent, c'est-à-dire, bien sûr, à ce qui existe dans le monde et dans la vie, qui en constitue des aspects particuliers. Il ne devrait donc pas parler différemment d'un autre, si ce n'est qu'il aura peut-être plus réfléchi et qu'il aura plus à dire. C'est pourquoi je me réjouis que toujours plus de gens écrivent et qu'il existe toujours plus de moyens pour cela.

– Mais alors, il semblerait que ce soit les conditions actuelles de l'édition qui parasitent ces possibilités nouvelles comme un véritable ensorcellement : je crois que tu n'as pas tort.

12. Savoir écrire

– Il me semble que cet ensorcellement n'est pas sans rapport avec une admiration hors de proportion envers l'auteur.

– Il est normal, me semble-t-il, qu'on admire celui qui est capable d'accomplir un travail aussi improbable que d'écrire des centaines de pages.

– Je veux bien, mais je crains que ce ne soit pas précisément ce qu'on admire. Personne ne paraît même bien remarquer les difficultés de la chose, sinon on pourrait supposer qu'il demande au moins des conseils. Personne ne semble même se rendre-compte qu'il en serait incapable, ni qu'il ne se donne aucun moyen d'y parvenir. On en regretterait le temps où la logeuse de Balzac s'exclamait : « Je n'aurais jamais la patience ». Oui, on préférerait être admiré pour sa patience.

– Tu as raison, car il n'y a probablement jamais eu autant de connaissances à acquérir pour être capable d'écrire, à commencer par le maniement d'un traitement de texte.

– Je ne dirai pas le contraire. Pour ma part, je n'en connais aucun de parfait. Le meilleur serait Abiword, mais son correcteur grammatical ne connaît que l'anglais. Nisus serait parfait, mais il est réservé à Mac OS, et il n'exporte pas bien les styles en HTML. On doit donc se contenter de suites bureautiques bardées de modules inutiles et à l'ergonomie calamiteuse.

– Reconnais donc que c'est une situation singulière avec tant de gens qui s'essayent à écrire.

– Ils se rabattent sur Microsoft Office.

– Ce n'est pas le programme que j'utiliserais pour exporter dans des formats ouverts. Mais quand bien même, connais-tu beaucoup de monde qui sache en utiliser les ressources ?

– C'est donc bien une situation singulière.

13. Les outils

– Sommes-nous en train de prétendre que nous devrions parler de traitements de texte plutôt que de lettres, si ce n'est de maisons d'édition ?

– Ce serait du moins plus fertile en enseignements. Tout le monde se sert d'un traitement de texte, mais tout le monde n'a pas besoin des services d'une maison d'édition. D'ailleurs le bon usage de l'un peut rendre moins utile celui de l'autre.

– Chacun est bien capable aujourd'hui d'éditer lui-même ce qu'il écrit, et quand nous disons « éditeur » nous pensons le plus souvent à un programme plutôt qu'à une profession. Tout au plus aurions-nous besoin de ce que les Nord-Américains appellent un « publisher » : quelqu'un qui assure la diffusion et la promotion.

– Le problème est que toutes ces étapes se distinguent difficilement les unes des autres. Écrire et éditer ne sont plus des processus distincts. On ne peut pas non plus tenir l'écriture et la diffusion aussi séparées qu'il y paraît.

– On peut même diffuser pendant le procès de l'écriture et de l'édition. Il est fréquent qu'on publie des travaux en cours.

– Il n'y aurait donc rien d'étonnant à ce que les conversations entre gens de lettres portent sur les traitements et les éditeurs de texte. Il serait logique qu'ils s'échangent des conseils pour incorporer des polices, exporter des feuilles de style, créer une table des matières et un index, Non ?

– Tu me fais remarquer que depuis que j'utilise les services de l'impression à la demande, je provoque davantage ce genre de conversations.

– En effet, tu avais négligé d'en parler.

– C'est que tout cela se mêle avec les aspects financiers et légaux ; ils m'ont fait oublier ce côté technique dont il est malgré tout souvent question.

– J'ai négligé aussi de mon côté de signaler de tels échanges avec mes correspondants. Mais ils ont surtout lieu en ligne, lorsqu'il s'agit de s'échanger des documents. Il est par exemple impossible de travailler sur un document qui contient plusieurs dizaines de pages s'il ne possède pas une table des matières avec des onglets navigables. Nous sommes ainsi inévitablement conduits à échanger des tuyaux.

– En ces occasions je ne cesse d'ailleurs de m'étonner que depuis tant d'années, nous en soyons toujours là. Aussi experts que nous puissions être les uns et les autres sur certains points, nous restons largement des néophytes sur d'autres. Comme tu le notais, aucun logiciel n'est très satisfaisant, et personne ne sait seulement bien se servir de ceux qu'il utilise, ni palier à leurs limites. Je parle naturellement pour moi aussi.

14. L'inextricable

– On a cherché beaucoup de solutions pour simplifier ces inextricables problèmes. Je crains qu'elles les aient en réalité encore compliquées.

– À quoi penses-tu ?

– Aux systèmes de gestion de contenu, bien entendu, ces fameux CMS, ces sites qui permettent à plusieurs individus de travailler sur un même document en ligne. Ils sont utiles, il est vrai, dans certains cas, comme pour Wikipédia par exemple, mais ils ont aussi des aspects négatifs non négligeables.

– J'aimerais à ton tour que tu précises.

– Je veux simplement dire que les CMS ne remplacent certainement pas d'authentiques correspondances ou une liste de diffusion avec un protocole SMTP, et moins encore une édition en ligne avec un protocole FTP ; autrement dit, le courriel et des sites dignes de ce nom.

– Ce n'est pas leur fonction. Ces systèmes de gestion de contenu permettent seulement à plusieurs personnes de collaborer. Ils peuvent aussi faire fonction de sites commerciaux, ou administratifs, ou encore associatifs. Ils ne servent ni à correspondre ni à éditer des écrits dans les règles de l'art.

– Soit, mais dis-moi en quoi un site personnel à chaque collaborateur et une liste de diffusion ne permettraient pas de travailler ensemble, et avec bien plus de commodité. Admettons que pour une activité bien circonscrite, un CMS ou un blog des plus simples soient des moyens adaptés, ils n'en remplaceront pas les premiers.

– Qui le leur demande ?

– Je ne sais pas qui le demande, mais c'est ainsi que se présente l'offre. Le premier venu se voit plus volontiers offrir un blog clé en main, que les moyens de faire un véritable site. Sans compter qu'on est toujours plus fréquemment invité à s'inscrire sur divers CMS dès qu'on fait quelque-chose en commun, comme pour nous lier les uns aux autres jusqu'à nous engluer, plutôt que de prendre en main et d'utiliser des moyens qui assureraient notre autonomie. Et je ne parle même pas des sites sociaux tels que Facebook.

Il y a douze ans, n'importe qui se montrait capable de construire son propre site, que ce soit à l'aide de son seul traitement de texte, ou du module du navigateur Netscape qui régnait encore sur le web. Il ne se passait pas un mois sans qu'une revue qu'on trouvait dans tous les kiosques n'expliquât comment s'y prendre en quatre ou six pages illustrées. Apparemment, on voulait des solutions plus simples encore, permettant au néophyte, je suppose, d'économiser la lecture de ces quatre ou six pages ; c'est ainsi que tout est devenu plus compliqué.

– Ce n'est pas d'éditer un site qui est difficile, c'est de l'entretenir et de le faire évoluer. Avec les inévitables changements de logiciels et l'évolution des standards, ce travail peut devenir inextricable au fil des ans. Je pense que c'est la raison pour laquelle certains choisissent des CMS.

– Tu nous renvoies là à notre point de départ : l'inextricable. Mais je ne crois pas que ce soit une affaire de programmes et de formats. L'inextricable est dans la nature de l'écrit. Articuler des milliers et des millions de signes devient inévitablement inextricable.

– Je crois que tu fais là un brusque raccourci. Il est vrai cependant que c'est la question qui traverse toute notre réflexion : Comment ne pas s'enfoncer dans un chaos inextricable ?

15. Les états du texte

– Je crois qu'on devrait considérer que l'écrit existe sous deux états. Le numérique le rend enfin manifestes. Deux états, comme la matière en a trois : solide, liquide et gazeux, et qui sont : éditable et édité.

– Intéressant point de vue, mais dont je ne vois pas bien où il nous mène.

– Il y a un état de l'écrit dans lequel il est au travail, et où il doit demeurer le plus commodément modifiable. C'est ainsi que tu le vois dans ton traitement de texte ou bien dans un éditeur. Il est un autre état où il doit demeurer le moins corruptible possible, celui dans lequel tu le lis, et où tout ce qui était commodité pour le premier devient gêne. Les caractères invisibles, par exemple, sont une commodité pour écrire et pour éditer, et une gêne pour lire.

– Je vois de quoi tu parles, mais alors je dirais qu'il y a, comme pour la matière, trois états pour l'écrit : éditable, édité et imprimable. Car cet état incorruptible dont tu parles est surtout précieux pour l'impression, notamment industrielle. C'est très différent pour une édition en ligne, où la diversité des écrans et des fenêtres n'est pas contrôlable. Dans ce cas, on préférera des mesures relatives plutôt que fixes et une précision plus topologique que géométrique. Nous souhaitons, par exemple, pouvoir grossir ou diminuer les caractères sans changer leurs proportions, ou sans modifier leur nombre par ligne. Il y a bien là trois états, et dont nous ne souhaitons pas que le passage de l'un à l'autre devienne irréversible, et moins encore involontaire. Mais je ne vois toujours pas le rapport avec notre sujet.

– Personnellement, je le vois davantage qu'avec la magie. Mais puisque tu parais y tenir, comme la technique me semble aux antipodes de la pensée magique, ce n'est peut-être pas le plus mauvais moyen d'en déblayer le terrain, ne crois-tu pas ?

– Tu n'as sans doute pas tort. Mais tu ne devrais pas trop butter sur le mot de magie. Ce dont je parle est vraiment simple et évident, et c'est le mot le plus juste.

– Montre-moi donc ce dont il s'agit.

16. Des choix

– Tu sais bien qu'il existe un certain nombre d'institutions et de mécanismes qui ont pour fonction de donner de l'autorité et du crédit – je parle évidemment de crédit moral d'abord, tu l'auras compris.

– Tout le monde le sait. Ils distribuent des prix, des honneurs et des titres.

– Exactement, et cela peut se faire parfaitement au grand jour. Même les dessous des prix littéraires sont des secrets de Polichinelle. Dans la plupart des cas, il est aisé de savoir, si l'on y tient, qui choisit qui, comment et pourquoi.

– C'est exact.

– L'ensemble de ces accréditations constitue cependant un système très complexe ; un système dans lequel il est bien plus difficile d'y voir clair que dans chacun de ses mécanismes pris séparément.

– Oui, je le comprends bien, il s'agit d'un tissu complexe de prix, d'honneurs, de diplômes, de statuts, d'appartenances, de succès, d'entre-gens, sur lequel il est impossible d'avoir une vue complète. Voilà une réalité bien triviale pour mériter le nom de magie !

– Toute magie est construite sur des réalités triviales, ce sont ses effets, réels ou imaginaires mais échappant en apparence aux lois de la logique comme à celles de la causalité qui la caractérisent. C'est en quoi le terme n'a rien d'impropre en la circonstance.

Le choix qu'un comité de lecture, d'un jury universitaire, d'une commission de bourse ou d'une quelconque académie n'a en lui-même rien de magique, si ce n'est l'action qu'ils exercent ensemble les uns sur les autres. Celle-ci est déterminante en définitive, d'autant plus qu'elle échappe à toute décision bien lucide, à toute connaissance exhaustive : elle travaille chacun à son insu. Toi comme moi n'y échappons pas plus que les autres. Nous sommes les jouets d'une sorte d'aura magique que chacun traîne derrière lui comme son ombre.

– Je vois de quoi tu parles et je comprends ce que tu appelles magie. Reconnais qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat, et que c'est la rançon de toute vie en société. D'ailleurs cette magie fond comme neige au soleil dès qu'on s'attache aux aspects pratiques et techniques de tout travail.

– Je suis bien d'accord avec toi. Et s'attacher aux aspects techniques et pratiques fait même plus que cela, car ces aspects ne dissipent pas seulement l'aura magique d'une seule personne ou d'un groupe, mais celle du système tout entier. Seulement voilà, il nous est impossible d'être attentifs à trop de choses à la fois, et surtout à tout ce qui est pris dans ce système entier. Aussi, l'effet est à double tranchant. Il suffit que l'ouvrage considéré ait la moindre valeur pour qu'il accrédite au contraire celle du système entier.

– Je t'entends fort bien, mais je crois que tu négliges ici un aspect essentiel. Le plus important n'est pas que notre attention soit incapable de se disperser à l'infini, l'essentiel est que nous ne soyons pas outillés pour juger de tout et pour tout comprendre.

Chaque travail se nourrit de ceux qui l'ont précédé, mais quand nous voyons le bout de cette chaîne sans être particulièrement averti, nous sommes portés à tout attribuer à son dernier maillon. Einstein, par exemple, paraît plus génial qu'il ne l'est pour celui qui ne connaît pas la physique de son temps, et qui lui prête alors bien plus qu'il n'y a apporté.

– C'est vrai, et il paraît en même temps moins génial qu'il ne l'est, car il devient impossible de percevoir l'idée simple qui est réellement la sienne. Elle était plutôt évidente une fois expliquée, mais il était improbable d'en avoir la première intuition.

– Il semble alors justement investi d'une forte puissance magique, comme lorsqu'on dit « c'est une tête ».

17. De la modernité

– Je comprends enfin la relation que tu fais avec la magie. Tu l'opposes à la science moderne. C'est en somme la bonne vieille opposition entre la tête bien faite et la tête bien pleine.

– Oui, je suppose que tu peux le voir ainsi : la tête bien pleine d'une science de mages face à ce plus si nouvel esprit scientifique qui ne connaît que l'expérience et l'inférence. Je ne prétends pas que la science des mages de Perse fût bien ainsi, mais c'est du moins comme les Romains ont dû la percevoir : une inextricable accumulation de connaissances, mais toutefois ordonnée par l'autorité hiérarchique des mages.

– C'est en effet vers quoi nous semblons revenir, nous le voyons bien à des signes incontestables, comme le statut de science donné à des disciplines telles que le commerce et la finance.

– Elles deviennent même les reines des sciences, et elles sont incontestablement de celles qui demandent de grosses têtes bien pleines.

– Tu pourrais aussi observer l'introduction toujours plus fréquentes de bizarres unités de mesure dans des écrits techniques : des euros ou des dollars parmi des watts ou des octets.

– Tu exagères peut-être un peu sur ce point, car le travail de l'ingénieur vise des réalisations pratiques pour lesquelles les prix ne sont pas indifférents.

– Je te demande pardon, ça n'a rien à voir. Une unité de mesure reste une unité de mesure : masse, travail, puissance, force, vitesse, distance ne sont pas des entités dont les mesures sont soumises à des variations perpétuelles. La chose et sa mesure, le qualitatif et le quantitatif y sont étroitement corrélés. Qui pourrait me dire de quoi la monnaie serait la mesure : d'elle-même, du temps perdu ou de la subordination ?

Les véritables unités de mesure ne sont jamais obsolètes. Au pire, si l'on en change, on peut toujours les convertir. Mais combien de temps faudra-t-il au marché pour faire varier des tarifs de façon considérable ? Comment peut-on mêler dans de mêmes calculs des entités aussi précises avec d'autres si nébuleuses ? Et d'autres part, ces valeurs monétaires si élastiques sont en définitive déterminées par l'usage technique des produits auxquels elles sont appliquées.

– Je vois ce que tu veux dire, bien que je ne connaisse pas les travaux auxquels tu fais allusion.

18. Des livres

– Nous ne cessons de passer d'un sujet à l'autre sans rien conclure. Ne trouves-tu pas notre conversation bien chaotique ?

– Elle poursuit un sujet chaotique, mais je ne la trouve pas incohérente.

– Vraiment ? Quelle cohérence lui trouves-tu ?

– Elle cerne toujours mieux son objet, me semble-t-il, en sautant d'un sujet à l'autre. Je trouve pourtant que nous avons abandonné un peu vite celui du livre imprimé. Je crois qu'il est l'objet où se concentre aujourd'hui la magie.

– Tiens donc ?

– Tu ne pourras du moins contester qu'il est l'objet privilégié de toute légitimation.

– Vraiment ? Ce que je suis prêt à reconnaître, c'est ce dont nous avons déjà convenu, que le livre imprimé est le moyen le plus commode de diffuser des idées. Aussi, qu'il s'agisse de découvertes physiques comme la relativité, de récits de voyages comme ceux de La Pérouse, d'art pour l'art si cher à Proust, de conquête des Gaules, de Manifeste du parti Communiste ou du Surréalisme, de l'art du go ou de la programmation Unix, qu'il s'agisse de tout ou de n'importe quoi, le livre imprimé en sera le meilleur véhicule. Il l'était encore du moins il y a peu de temps.

– Ta réserve est d'importance.

– En effet, j'imaginerais davantage aujourd'hui César tenir un blog qu'écrire solitaire son journal sous sa tente ; et La Pérouse souhaiterait certainement partager ses découvertes au jour-le-jour. Einstein utiliserait certainement un Wiki pour échanger avec Schrödinger et quelques autres, et le Manifeste du Surréalisme serait en ligne avec un menu déroulant pour choisir la langue.

– L'impression d'un livre ne se serait-elle pas depuis réduite alors à un rite magique ?

– Pas forcément. Comme tu le reconnaissais toi-même, l'impression a son utilité. Il y a des livres qu'on aime garder sous la main, rangés dans sa bibliothèque avec les titres bien lisibles sur le dos.

– D'accord, mais comme je le disais, ceci est un plus, comme on pourrait aussi les souhaiter reliés, avec du cuir pleine peau et des dorures. Il me semble au contraire qu'on se met à imprimer des livres comme pour leur donner plus de réalité, comme s'ils avaient à gagner dans la matérialité du papier une existence qui leur manquerait sous forme de données numériques.

– Ce serait absurde alors, car c'est leur réalité même que d'être indépendants de tout support matériel.

– Nous sommes justement dans une pensée magique, et elle fait du livre imprimé un puissant grigri. C'est d'ailleurs en vertu de cette pensée magique que le marché du livre s'est suicidé.

– Explique-nous ça.

19. De l'édition

– Je remarquais, il y a déjà quelques années, que l'éditeur auquel j'avais acheté le plus de livres imprimés était les Éditions de l'Éclat.

– Ce n'est pas étonnant car il en a publié d'essentiels sur la philosophie du langage et sur le copyleft.

– Plus récemment, j'ai remarqué aussi que beaucoup des livres que j'avais lus chez les Éditions de l'Éclat étaient accessibles en ligne au format HTML. C'est d'ailleurs sous cette forme que j'en ai lu quelques-uns sans les acheter. Ces livres qu'on peut donc lire gratuitement en ligne sous le nom de lybers, constituent pourtant une proportion représentative de ceux que j'ai acheté imprimés.

– Tu es en train de dire en somme que depuis quelques années tu as principalement acheté des livres imprimés que tu aurais pu lire à l'écran ?

– Presque tous, je crois bien. J'ai d'ailleurs, pour des raisons bien compréhensibles, une réticence à acheter un livre imprimé que je ne pourrais pas lire en ligne.

– Quelles sont ces raisons ?

– Elles sont assez évidentes : Vendre un livre auquel on ne peut accéder en ligne, c'est comme une façon d'avouer qu'il est un produit de luxe, un vulgaire objet de loisir ; en aucun cas, un ouvrage important. Crois-tu que, convaincu de l'importance de ce qu'il a écrit, quelqu'un en limiterait délibérément l'accès dans la seule intention de la monnayer ?

– J'imagine mal, en effet, César, La Pérouse, Einstein ou le groupe surréaliste procéder ainsi. L'idée en est même cocasse.

– Payer un livre imprimé est tout à fait normal ; c'est participer aux frais incontournables de sa production et de sa diffusion. C'est couvrir l'avance qui a dû être faite ; sinon il aurait pu y avoir une souscription. Tout cela est d'autant plus compréhensible si l'impression est bien le meilleur moyen de diffusion et le plus économique. Tout devient différent s'il en existe un autre, plus simple encore et meilleur marché, et qu'il est rejeté pour de simples considérations lucratives.

– Il n'y a certes pas de meilleur moyen de ramener les lettres dans la catégorie du café-concert et de la boîte de nuit.

– Ce n'est certainement pas ce qui va nous convaincre de mettre la main au porte-feuille. En admettant que nous le fassions, encouragé par les conseils d'un ami, les avis de la critique ou le seul aspect attractif de l'objet, ce n'est pas ce qui nous donnera l'envie de lire, car la lecture est une activité exigeante, très différente de la contemplation d'un spectacle.

– Mais on peut imaginer une littérature de loisir, des lectures faciles, des livres écrits précisément pour être lus sans peine, sans réfléchir, sans se fatiguer.

– C'est possible, en effet, mais jamais le livre ne pourra de cette façon entrer en concurrence avec la vidéo qu'on regarde calé dans un divan, et ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on lui demande. De tels livres ne satisferont de toute façon jamais les gros lecteurs qui sont ceux qui ont toujours fait vivre les métiers du livre. Ce sont des livres écrits pour ceux qui en achètent quatre dans l'année, et non plusieurs par semaine.

– Ce n'est évidemment pas ce qu'on demande à l'écrit, mais plutôt le contraire : la plus grande économie de moyens, la réduction à l'essentiel, l'extrême minimalisme du jeu des caractères et des phonèmes.

– Tu as raison, tout est dans cette magie des infinies recompositions d'un même jeu de caractères qui, chacun pris séparément, ne signifie rien.

– Voilà que tu opposes une toute autre magie à celle dont nous parlions : une magie simple, sans mystère ni voile.

20. Les maisons d'édition

– Tu as raison. Je ne comprenais pas bien ce que tu disais des maisons d'édition au début. Elles sont bien devenues les principales instances de légitimation dès le siècle dernier. Ce n'est pas sans importance qu'un livre soit publié sur avance de l'éditeur. On peut légitimement considérer que c'est un gage de son importance et de sa qualité. Pendant longtemps il était plutôt coutume que ce soit l'auteur qui fît cette avance.

– Les coutumes n'avaient jamais été très bien fixée. Proust au vingtième siècle encore avait payé les premières éditions de sa Recherche. C'était un arrangement entre l'auteur et l'éditeur qui ne regardait personne, et qui dépendait d'ailleurs de la fortune du premier.

– Oui, mais dès la fin du dix-neuvième siècle, beaucoup de revues s'étaient mises à publier aussi des livres. C'est d'ailleurs ainsi qu'est née la Nouvelle Revue Française. En somme c'était pour les auteurs une façon de contrôler l'édition. Ils y engageaient donc aussi leur réputation collectivement. Aussi, les auteurs étaient-ils finalement accrédités par leurs pairs.

– Ce que tu dis est exact, mais ne l'a été qu'un certain temps, somme tout assez bref comparé à l'histoire de la littérature, ou même seulement des lettres françaises. De plus, comme la conscience qu'on a des choses a toujours un certain retard sur elles, quand chacun fut convaincu d'un tel état des choses, il n'était déjà plus.

– En tous cas, la situation s'est complètement retournée, si je te crois. Ce qui allait te convaincre il y a quarante ans qu'un livre était pour le moins important, a pour toi aujourd'hui l'effet exactement inverse.

– Personne, je crois, ne peut nier que le prestige des éditions l'ait fasciné un temps. Elles exerçaient sur nous-tous son attraction magique. Nous rêvions d'une façon ou d'une autre de faire partie de ces familles d'auteurs. De nouvelles ont surgi ente-temps : Champ Libre, puis l'Éclat, puis Agone… mais elles n'ont jamais pu remplacer les anciennes ni s'insérer à égalité parmi les places déjà prises. Je pense que c'est en partie ce qui a commencé à dissiper l'enchantement. J'aurais été personnellement plus sensible au prestige des nouvelles venues. Mais elles ne parvenaient pas à disputer l'aura de celles qui étaient là, bien qu'elles publiassent de meilleurs nouveaux ouvrages. Elles n'arrivèrent pas non plus à en égaler les ventes, l'époque elle-même s'en montrait incapable.

– Ah, les ventes…

– Oui, c'est bien aussi ce qui a cassé l'enchantement ; pas qu'elles aient globalement baissé, mais qu'elles aient pris paradoxalement plus d'importance, car en réalité le prestige n'a jamais rien dû au chiffre des ventes. Il ne se mesure même pas au nombre de critiques dans la presse.

– Oui, comme tu le disais, il tient à des intrications bien plus complexes. Mettre à nu ce prestige en le ramenant aux ventes et à la célébrité peut lui être fatal.

– Je crois surtout que le prestige ne peut s'émanciper bien longtemps de l'importance réelle, et que celle-ci tient d'abord à l'influence qu'un travail a sur celui des autres, quand bien même il ne serait connu et reconnu que par ceux qui s'en servent. Si ce n'était pas vrai les noms les plus connus seraient restés oubliés.

Ce que je crois pourtant le plus fatal au prestige des éditions est encore l'accès facile à ces vidéos en ligne quand les ouvrages sont inaccessibles. Il en résulte une impression de pacotille à laquelle on souhaiterait davantage échapper que participer.

21. La légitimation

– Tu parles de prestige, mais ce n'est pas ce qui importe. Les maisons d'édition et les revues, avant tout, filtraient et ordonnaient la vie de l'esprit. Elles la régissaient. Le prestige n'en était qu'une résultante.

– Oui, je te l'accordes, et l'on peut se demander quelles conséquences finira par avoir la disparition de cette fonction quand elle aura enfin traversé tous les esprits. Il n'y aura peut-être enfin plus rien pour filtrer et hiérarchiser. Doit-on s'en plaindre ?

– Ou bien il n'y en aura que trop, ce qui, je te l'accorde, revient au même. Un tel résultat peut cependant aussi être inquiétant. Tout ne se vaut pas.

– Qui dirait le contraire ? Si les revues et les éditeurs ont fini par devenir des instruments de légitimation cependant, c'est parce qu'elles ont commencé à publier, et qu'on a pu juger sur pièce ; ce n'est pas l'inverse. Ce sont les ouvrages qu'elles publiaient qui ont fait leur prestige. Rien ne se passera jamais autrement, non ?

– Je t'entends bien, mais le risque est réel d'aboutir à un désordre, une confusion dans laquelle plus rien ne soit discernable. Je suis bien d'accord avec toi, nous n'avons pas besoin d'instances qui choisissent à notre place, mais comment s'y retrouver ?

– Je t'entends bien moi aussi. Nous avons hérité d'un modèle : des auteurs se regroupaient, ils poursuivaient à la fois leur travail personnel tout en collaborant à des revues. Puis on l'a vu s'effondrer, et on l'a vu aussi se mettre à travailler contre lui-même. Ce n'était d'ailleurs plus un modèle, mais un système.

– Il semble d'ailleurs que ce système se soit laissé entièrement intégrer dans de grands groupes de communication et des appareils publics.

– C'est exact, et il en demeure pourtant la façade, et là encore, il continue à faire fonction de légitimation.

– Mais est-ce que ce ne serait pas plutôt ces appareils publics qui auraient pris la place des maisons d'édition pour les auteurs ? Ne se seraient-ils pas investis dans des associations jouant un peu le même rôle que les revues avant ? Ne continuent-ils pas par ce moyen le principe de la reconnaissance par ses pairs ?

– Il est visible que non, même si l'on aurait pu le croire au début, ou au moins le souhaiter. Il s'est créé tout un monde de la médiation culturelle qu'il serait difficile de confondre avec les auteurs eux-mêmes.

– Il serait d'ailleurs problématique que des auteurs soient financés, et implicitement légitimés par des institutions publiques. Ce serait au fond les mettre à leur service.

– Pire encore, cet état de chose reviendrait à remettre en question le fait que quiconque écrive soit auteur de plein droit, quel qu'il soit. Ce serait comme fonder une sorte de statut professionnel de l'auteur. C'est la raison pour laquelle cette fonction magique des maisons d'édition reste centrale. Elle maintient la fiction en quelque sorte : la fiction d'un « monde des lettres » autonome et vivant.

– Je comprends mieux pourquoi cette fiction du monde des lettres doit se protéger de l'internet. Ce dernier menace en réalité cette fiction, et certainement pas le livre imprimé.

– Les éditeurs indépendants et la librairie sont évidemment plus menacés par les livres numériques payants et protégés, ou même la grande distribution en ligne.

– Crois-tu que les CMS et les moteurs de recherche puissent remplacer ce système ?

– Je ne suis pas sûr qu'il y ait quoi que ce soit à remplacer, mais ils font partie du problème ; je pense bien sûr au problème de s'y retrouver.

22. La vie des revues

– Il y a quarante ans, il n'y avait aucun doute pour nous, tu t'en souviens ? Publier une revue était la première chose qui nous venait en tête dès que se dessinait un petit groupe qui semblait en avoir la capacité.

– Je ne suis pas sûr que ces temps soient si révolus, si tu vois ce que je veux dire.

– Quand on imprimait une revue, le désir d'en vendre le plus possible s'imposait alors aussi comme une évidence.

– Comme une évidence, en effet, mais jamais comme un but.

– Tu as raison, c'est très différent. Et justement, des questions sur de telles évidences ont fini par surgir, tu t'en souviens ?

– L'importance considérable qu'avait en ce temps-là la critique situationniste ne pouvait manquer de nous les suggérer.

– À moins que ce ne soit de telles questions qui nous aient rendus sensibles à cette critique. Ne nous serions-nous pas interrogés de toute façon ?

– Sans doute. Je ne suis pourtant pas sûr de ce qui nous animait. Ne cherchions-nous pas seulement à réduire nos dépenses, et d'abord celle de notre énergie ?

– Qu'importe, il est de toute façon dans la nature humaine de chercher à optimiser ses actes : c'est-à-dire chercher le maximum d'effets pour la moindre dépense. Banana Split fut sur ce point un cas d'école. Distribution minimale, pages composées par les auteurs eux-mêmes puis tirées et agrafées : on ne vit jamais de moyens plus pauvres, et elle parvint pourtant à être l'une des plus importantes des années quatre-vingt.

– Nous ne pouvons jamais manquer de nous interroger sur les aspects recherchés. Cependant, cette question, il me semble qu'elle s'imposait moins au début. Il me semble qu'il suffisait d'imiter des prédécesseurs. Était-ce seulement parce que nous étions jeunes ? Crois-tu que ces questions nous soient venues avec la maturité, ou qu'elles soient nées principalement de situations nouvelles.

– C'est dur à dire, car ces questions nous ont aussi été inspirées par les moyens techniques. Mais ces moyens eux-mêmes apparaissaient pour répondre à des besoins.

– Ils ont d'ailleurs fini par tout remplacer, et c'est ce qui devient troublant, car les dépenses aujourd'hui ne semblent poursuivre d'autres buts qu'imiter l'ancien et le faire durer.

23. Machines métaphysiques

– Ce qui me trouble, vois-tu, c'est combien de mes interlocuteurs avouent spontanément ne rien comprendre à l'informatique aussitôt qu'on en parle.

– Je trouve plus inquiétant encore l'inverse. On doit reconnaître que personne n'y comprend rien, car l'informatique est proprement incompréhensible. Elle est d'ailleurs conçue pour ça. En réalité, l'informatique, ça n'existe pas. Une telle notion recouvre au moins trois instances, même si elles sont étroitement imbriquées : le numérique, l'ordinateur personnel et l'internet. Les trois sont apparus successivement comme des implications les unes des autres.

– Il est pour le moins évident que rien ni personne n'a, ni ne se donne, les moyens de comprendre. Rien n'est intelligible si l'on ne s'élève pas à un certain niveau d'abstraction. Apprendre à utiliser et comprendre ces nouveaux outils que la langue anglaise oppose avec humour à la quincaillerie, ne peuvent d'abord qu'aller ensemble. Un certain effort est évidemment nécessaire.

– Je suis bien d'accord. L'usage seul demande à peine un peu plus d'effort que d'apprendre à conduire, mais bien moins qu'apprendre une langue ; c'est-à-dire que l'usage est à la portée de n'importe qui. Et pourtant, personne n'y comprend rien ; personne, car tout est conçu pour que n'importe qui puisse y faire n'importe quoi.

– Ce que tu dis là est confus et trompeur. On pourrait en conclure qu'un désordre naîtrait d'un défaut de régulation, et aussi que chacun pourrait réellement faire ce qu'il veut sans comprendre. Justement, il ne le peut pas. Pour reprendre ton allusion au code de la route, il est vrai que si n'importe qui pouvait prendre le volant sans savoir conduire, il en résulterait vite des catastrophes. C'est très différent avec le numérique ; c'est même le contraire. Ce sont plutôt ceux qui se voudraient des régulateurs qui mettent la panique, et ils ne sont certainement pas les moins incompétents. Si j'osais une formule qui sonne si métaphysique, je dirais que l'internet a un pouvoir auto-organisateur qui le protège des initiatives individuelles inconsidérées.

– Et sans doute aussi de celles des instances qui se voudraient autorisées. Je te suis bien sur ce point. L'irréflexion et l'inconnaissance n'y conduisent qu'à l'impuissance.

– On ne peut sortir de cette inconnaissance tant qu'on ne s'élève pas un peu au-dessus du simple mode-d'emploi, et, à ce stade, notre époque a bien du mal à faire un pas de plus. Personne ne sait bien par quel bout prendre le problème.

– L'époque nous place peut-être au pied du mur de la métaphysique.

– Oui, des outils métaphysiques, face à la quincaillerie ; l'image me plaît.

– Hum, je dirais plutôt la métaphysique et la mécanique.

24. Les nombres et les lettres

– Je crois que nous avons une vision déséquilibrée, – je parle là pour mes contemporains, et j'ai même envie de dire pour mon époque – car nous avons un certain mal à embrasser numérique et littérature d'un même regard.

– Tu as toi-même une telle difficulté ?

– Oui. Je suis bien évidemment porté à considérer un ordinateur comme une machine-à-écrire très perfectionnée, car c'est ainsi que j'ai commencé à m'en servir, mais il a surgi inopinément sans qu'on sache d'où il venait ; certainement pas du monde des lettres, ni même de l'imprimerie.

– Je te rejoins partiellement sur ce point. J'ai moi-même d'abord découvert, surpris, que ces étranges machines envahissaient le monde de l'édition, puis que des auteurs commençaient à écrire avec, et que leur prix était devenu accessible. Mais je les avais vu d'abord pénétrer le monde de l'industrie.

– Et ce retour aux lettres après l'industrie, via celle de l'impression, ne t'a pas parue étrange, pour ne pas dire étrangère d'abord à ton activité ?

– Je l'ai justement immédiatement identifié comme un retour. C'est qu'un tel détour ait été nécessaire qui m'aurait donc plutôt paru étrange.

– Un retour ?

– Oui, les ordinateurs me sont immédiatement apparus comme des machines à penser, et donc à manipuler des langues naturelles.

– Des machines à penser ?

– Pas à penser à notre place, bien sûr, mais qui nous servent à penser plus loin, comme des lunettes nous servent à voir plus loin. Je t'ai déjà dit l'influence que Boole a eu pour moi depuis l'enfance grâce à un professeur de mathématiques inspiré. Si je ne m'attendais pas à ce que les ordinateurs soient d'un très grand secours pour l'intuition, ils pouvaient se montrer d'efficaces prothèses pour l'analytique.

Mais j'ai tort de dire ordinateur car ils ne sont que la mécanique qui met en jeu le numérique. Or celui-ci n'est pas que du nombre, il est d'abord du code : du texte et de l'écriture. Inévitablement donc, il devait rejoindre l'emploi de la langue naturelle, car c'est avec elle que nous pensons, non avec du code ou des algorithmes.

Il est normal que l'ordinateur ait réussi d'abord dans l'industrie. Dans un monde industriel, il devait d'abord réussir là. Puis il a réussi aussi dans la comptabilité et la finance, ce qui est davantage contre-nature, et c'est peut-être la raison pour laquelle nous n'avons pas de bons programmes pour écrire, et nous devons nous contenter de « suites bureautiques ». Quoi qu'il en soit, le numérique est une révolution de l'écriture ; une réinvention de l'écriture. Il ne peut être sérieusement pensé autrement.

– La distinction que tu fais entre numérique et ordinateur ne me semble pas très pertinente ici. C'est comme distinguer plume et papier de l'écriture.

– Évidemment qu'il est quelque peu fallacieux de distinguer l'écriture des instruments qui servent à écrire quand on sait l'étroite relation entre les deux, et leur histoire. Il se trouve pourtant que l'essentiel fut pensé entre les ouvrages de George Boole et la machine de Babbage, avant même la mécanique quantique.

– À l'échelle où tu te places, je dirais plutôt en même temps.

– Plus d'un demi-siècle quand même, mais si tu y tiens… D'autant que ta remarque illustre la relation entre l'ordinateur et l'industrie, et certainement pas avec la finance qui ne lui est pas naturelle.

25. Corps et durée

– En fait, tu penses que le texte est toujours là, juste sous le multimédia.

– Et le texte est toujours plus souple. Tu vas bien plus vite quand tu utilises des raccourcis clavier ou une ligne de commande, qu'avec une interface graphique. De même, il est plus rapide de lire le texte d'une conférence que d'en regarder la vidéo.

– Sans compter qu'il est plus commode alors d'en extraire des citations.

– Le plus important est cependant la conservation du texte. Comme tu le disais, il n'est pas très difficile de faire un site ; le plus dur est de l'entretenir.

– Je généraliserais encore : le plus dur n'est pas d'écrire, mais de continuer. Comme nous le notions au début, on se perd très vite dans du texte. On atteint vite ce point où l'on pourrait continuer indéfiniment à écrire sans avancer d'un pouce.

– N'est-ce pas là une définition du blog : le moyen de continuer chaque jour à écrire quelques lignes sans qu'il n'en reste rien à terme ? Ironiquement, ces outils archivent scrupuleusement de perpétuels incipits.

– Ce n'est pas seulement de l'écriture ici qu'il est question, c'est plus généralement de la parole, car elle non plus ne sert pas en principe à radoter.

– Cependant l'écrit offre cette possibilité d'être relu plutôt que rabâché.

– C'est bien la question qui me tient à cœur : cette possibilité en principe, comment la réaliser en pratique ? Les blogs me semblent plutôt des artifices pour éluder de telles questions.

– Il importe de maintenir le texte en procès et de le maintenir longtemps, longtemps même après édition. À ce compte, la presse et la librairie ont suivi la même route que les blogs : on y rabâche et l'on y glose jusqu'à ce que l'air du temps ait poussé vers d'autres propos, d'autres sujets, d'autres opinions. On peut même y changer d'idées sans s'en apercevoir ni comprendre pourquoi. Malgré sa jeunesse, le web résiste mieux à cette molle dérive. La pensée y trouve un terrain plus solide où elle peut se donner davantage corps et durée.

– Il est vrai qu'on retrouve facilement en ligne des ouvrages qui ne sont plus en librairie et certainement peu accessibles en bibliothèque. Finalement, en bavardant ainsi, il me semble que, de ces questions qui m'inquiètent, les réponses sont là, bien plus accessibles que je l'aurais crû, et qu'il suffit peut-être de traverser une couche illusoire pour les trouver.

– Sans-doute ; et il est fort possible que cette épaisse première couche un peu stupide qui emprisonne le cyberspace, lui serve provisoirement de protection, pendant que vient à maturation une réinvention de l'écriture.






© Mai 2012, Jean-Pierre Depétris
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