Le Roucas-Blanc,
septembre
Les pins produisent des pignes.
On les remarque par terre, mais on n'y prête pas beaucoup attention dans les branches.
Il m'est souvent arrivé de dessiner des pins.
Je préfère cela à une photographie, et ce n'est guère plus long si l'on tient compte du développement. Le regard y saisit vraiment la chose. La photo reste à voir.
Ce que vous dessinez, vous pouvez être sûrs que vous l'avez bien vu. Et ce que vous montrerez dans un dessin sera bien ce que vous voulez montrer.
Seul un très grand photographe pourrait y prétendre.
Eh bien voilà, quand je dessinais des pins, toujours j'oubliais les pignes. Je ne les aurais jamais remarquées en photographiant.
C'est pourquoi je ne trouvais pas mes pins assez craquants. Ces amas de boules noires qui tachettent la ramure sont en effet pour beaucoup dans le côté craquant des pins, et le pesant de leurs branches nerveuses.
De cette nervosité je ne percevais que la frénésie. Pas la gravité.
C'était à cause des pignes.
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LES GRENOUILLES
Fressinière,
début juillet
On moffrit de regarder les étoiles en écoutant les grenouilles. Les grenouilles sont de petits batraciens qui peuplent les étangs. Les nuits tièdes, leurs coassements emplissent lair.
Elles restent parfois immobiles à la surface, ne laissant affleurer de leau que leurs gros yeux.
En été, les grenouilles pondent, et naissent des milliers et des milliers de petits têtards.
Ils sont comme de minuscules poissons de la taille dun ongle : une tête noire avec une longue queue qui sagite. Puis leur poussent deux pattes, les pattes postérieures ; si puissantes chez les adultes, quelles font des sauts de plusieurs mètres.
Les pattes antérieures poussent avant que la queue nait disparue. Ensuite seulement la peau devient verte et tachetée, et la grenouille grossit jusquà tenir dans une main.
En été, les étangs, les mares et les ruisseaux tranquilles pullulent de têtards. Très peu deviendront adultes. Ils sont là pour nourrir poissons et oiseaux.
Cest encore un cas de la profusion de la nature. Car toujours la nature ici produit à profusion. Pour une grenouille, des milliers et des milliers de têtards. Dont tout le surnombre ne servira même pas à nourrir dautres êtres.
On peut en voir parfois, encore agités de soubresauts, dans une flaque qui finit de sécher.
Cela laisse toujours songeur sur le sens de la vie, dobserver des têtards.
Je ne pense pas ici au sens de la vie et de la mort ; à pourquoi on est là. Non : plutôt à la profusion de nos sensations, de nos émotions et de nos pensées.
En chaque instant notre esprit travaille, tisse son monde, suit plusieurs fils, les abandonne, les oublie. Les oublie tout en les tissant, les tisse pour loubli.
Blés sous le ciel plombé le long de la Durance, toits dans la plaine comme de pâles coquelicots, les rangées de peupliers, le pont sur la voie ferrée, filant au loin, tout filant au loin
Et pourtant, à partir de ces images, pas seulement visuelles mais sonores, olfactives, toutes mêlées à la fois, à la fois si précieuses, si chères comment quitter cela un jour ? et pourtant sans valeur, trop nombreuses, et quon laisse filantes, quon ne cherche pas à retenir belles par cela même , à partir delles donc, pourtant, on retrouve tout le travail de lesprit, comme si avec elles seules, justement, il tissait.
Ici on attrape les grenouilles, ou mieux encore on les élève, pour en manger les cuisses.
Cest en laissant ainsi sécher des cuisses de grenouilles embrochées à un fil de fer contre une rampe de métal, quon découvrit lélectricité.
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LES FOURMIS
Noires, rarement rouges, les fourmis sont des animaux vraiment minuscules. Il y en a partout. Laissez tomber quelques miettes, et vous ne tarderez pas à voir paraître les fourmis.
Elles les emporteront avec une force herculéenne qui vous surprendra.
Les fourmis marchent les unes derrière les autres comme des lettres sur les lignes dun cahier.
Et quand il nous arrive, à lire trop longtemps dans la même position, de ressentir des picotements dans les muscles, nous disons : « jai la fourmi ».
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OISEAUX MIGRATEURS
Certaines variétés doiseaux ne sont ici que de passage : ce sont « les oiseaux migrateurs ».
Lhiver, ils vont vers le Sud, au-delà de la mer, chercher la chaleur. Lété, ils rejoignent la fraîcheur du Nord ou des cimes alpines.
On sémerveille de leur sens de lorientation, car toujours ils repassent par là où ils sont déjà passés ce qui est pratique pour la chasse.
Mais cest oublier quils vivent dans le ciel plutôt quà terre.
Pour eux, la terre, ne sinclinerait-elle pas, et ne monterait-elle pas selon laxe du soleil, de la lune et des étoiles ? Ils ne feraient alors que sélever pour rester à la même place, laissant la terre passer sous eux.
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LE TRAVAIL DE LIMAGINATION
Toujours des récits, des histoires nous traînent en tête. Un rien alors éveille notre imagination, qui se met à broder à leur propos.
Vous longez la côte, et la mer bleue qui frappe les roches blanches vous fait penser aux voyages dUlysse. Puis les vestiges dune casemate allemande vous font imaginer les combats de la libération de Marseille.
Un peu plus loin, les cabanons de pêcheurs avec leurs filets qui sèchent changent complètement votre impression. Ou encore la luxueuse vedette qui vient de dépasser une île.
Une caverne dans la falaise vient vous évoquer la préhistoire, et vous savez quun peu plus loin dans les calanques, on a découvert une grotte engloutie décorée de peintures rupestres.
Et chaque fois, chaque fois, tout, tout ce qui est autour de vous, est intégralement changé, sans quabsolu-ment rien, pourtant, ne soit changé.
Et quand vous voudriez voir les choses pures, purement telles quelles sont, vous observez que cela vous est impossible.
Cest au contraire ces imaginaires qui vous les dévoilent le mieux ; dirigent votre attention sur des infinités de détails qui, sans eux, vous demeureraient sans doute invisibles.
Cest le travail de limagination.
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CHOSES QUI SEMBLENT SANS RAPPORT
Au soleil, les couleurs se délavent.
Les couleurs seraient-elles comme un fluide, une substance qui se diluerait dans la lumière ?
Comme un parfum sévente.
Les couleurs seraient-elles les parfums de la lumière ?
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Invisibles les sauterelles pullulent dans les champs.
Javais oublié ma veste dans le pré, derrière la maison. Je la retrouvai à moitié dévorée : les sauterelles.
Jen ressentis comme une angoisse diffuse.
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« En arrêt de travail ».
« Autorisation de sortie », est-il inscrit sur les feuilles de maladie que le médecin remplit.
Et on envoie la feuille à son employeur.
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Tout le jour, on entend les cigales.
Elles émettent un crissement continu en frottant leurs pattes postérieures contre leur abdomen.
Elles ne font rien dautre, toute leur vie, consciencieusement.
Mais lété, le bruit empli tellement lespace, que malgré toute lindustrie humaine, notre monde ne semble plus quêtre le leur.
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« Abus dangereux », est-il écrit sur les paquets de tabac.
Ou encore : « Nuit gravement à la santé ». Cest la loi. Aussi une marque avait-elle ajouté, sans ponctuation : «
daprès la loi 94-43 ».
Les paquets durent être détruits.
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« Les toits de tuiles comme de pâles coquelicots ».
A la réflexion, limage semble fausse. Dans le souvenir, les toits sont bien trop pâles pour ressembler à des coquelicots. Dans le car, on y repense et lon observe mieux.
Si. Ils sont bien comme de pâles coquelicots. Dailleurs le paysage est pâle, décoloré, comme une photographie restée trop longtemps au soleil.
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Il manque un mot ici pour désigner cela. « Nuées », on pourrait dire « nuées ».
Quand vous promenez dans les vergers, là où tournent de longs jets deau, et où monte une lourde moiteur de la terre toute chargée de senteurs, vous pouvez voir lair clouté de minuscules insectes, qui brillent comme des étoiles lorsquils traversent un rayon de soleil.
Ils sont des nuées dêtres, et la nuée semble pourtant nen faire quun.
Aux alentours des équinoxes, vous pouvez voir voler ainsi des nuées doiseaux migrateurs. Comme un nuage devenu fou, ils vont dun bout à lautre de la ville, dun bout à lautre dune vallée, sans raison apparente.
Ou encore, et cest peut-être le plus saisissant, vous pouvez voir, en nageant sous leau, des nuées de poissons près des roches, changeant mollement de direction, tous ensemble, dans le lent mouvement des algues. Cest le plus saisissant car, si vous nêtes pas armés pour la chasse, vous pouvez vous approcher deux ; vous êtes dans leur élément.
Cest comme une fumée vivante. Les nuées
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Lété, on se baigne presque nu au bord des plages.
On ne pourrait pas se promener comme ça partout. Mais sur les plages on peut, et cest bien agréable ; agréable de contempler une belle poitrine, des jambes fines, des fesses que les maillots ne cachent plus depuis déjà longtemps.
On les contemple sans ostentation ni aucun soucis dêtre discret. On le fait sans y penser, comme on contemplerait ailleurs un beau corps tout habillé, ou les beaux habits dont il serait vêtu. Chacun dans le même appareil, nul nen ressent aucun trouble ni aucune gène pour les défauts ou les malformations des corps. Il ny a que là que ce soit possible.
Mais on garde quand même les maillots.
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Les bars. Cest là quils pratiquent la philosophie.
On peut sasseoir dans la salle pour parler en petit groupe, ou bien sinstaller seul pour lire ou pour écrire.
On peut aussi parler au comptoir. Le patron, tout en servant à boire, est là pour permettre léchange le plus libre. Mieux il y parvient, plus il aura de clients dans son bar pour lui payer les verres.
« Si Dieu existe, alors dis-moi comment tu peux être libre, dis-le-moi », ai-je entendu hier soir dans le groupe qui prenait lapéro.
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Un système mondial de léchange des richesses.
Rien ne lui échappe. Tout est ramené à la circulation mondiale de la valeur. Toutes les lois y concourent : du plus petit arrêté municipal au droit international.
Tout ce qui ne participe pas à la circulation et à la reproduction de la valeur est en principe interdit. Cest le sens de toute loi.
Et cest aussi ce quaucune loi ne peut affirmer explicitement. Cest ce qui ne peut prendre valeur de loi.
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Inclinée sur son axe. Ici la terre tourne inclinée sur son axe. Cela tient à ce que le plan solaire autour duquel se fait la rotation annuelle est très écarté du plan galactique.
Lété, le soleil monte vers le milieu du ciel. Lhiver il baisse sur lhorizon. Cest vertigineux. Lhiver, on se demande : « la terre va-t-elle se redresser ? » Elle le fait très lentement, et lon craint toujours quelle ne se couche en nous entraînant dans la nuit.
Lété, cest le contraire : elle simmobilise dabord, avant de sincliner, et la chaleur monte, et continue encore longtemps de monter.
Aux équinoxes, vous direz-vous, on doit ressentir une impression de bien plus grand équilibre. Pas du tout ; les jours alors raccourcissent ou rallongent de plus en plus vite. On regarde sa montre, et lon dit « déjà! ».
Cest le moment où passent les oiseaux migrateurs, qui volent en tous sens, comme fous, par nuées
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On tire des cartes, et on lit son destin. Chacun peut apprendre à le faire. On vend des méthodes pour cela : la voyance.
Je ne pris pas la chose au sérieux, mais les cartes mavaient paru belles. Et alors, un jour où je tirais quelques cartes du jeu et les posais devant moi, je vis je ne peux dire mieux je vis exactement ce que je devais faire, là, dans les cartes posées.
Comme lorsque vous lisez : vous ne voyez pas les lettres, mais ce que ça veut dire.
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Chasse sous-marine.
Il est très dur dattraper des poissons avec un fusil. Dur seulement de les voir : ils se cachent. Je crus bien un moment que cétait impossible.
Je compris seul, et par hasard. Vous retrouvez dabord dans votre bouche le goût de la dorade, du bar
Vous laissez faire vos muscles qui saniment alors dune vigueur particulière.
Puis vous avez devant les yeux, traversée de votre harpon, une dorade étincelante qui descend mollement vers le fond.
Je suis fait ainsi, on ne se refait pas, dès que jeus compris, je neus de cesse que de tenter dobserver comment je faisais.
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« Lart, cest donc lapplication dune science ? » me demande quelquun à la lecture de quelques pages de mon carnet.
Qua-t-il bien pu comprendre ?
Une seule science ne saurait alimenter un art. « Lapis, simplis, verbis », disait Paracelse. Sans art, il ny aurait que des savoirs spécialisés.
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Dimmenses colonnes, dans la périphérie des villes, ou dans la proche campagne. Les plus anciennes sont de briques rouges.
La fumée qui sen dégage fait croire à un feu sacrificiel. Il nen est rien : ce sont des cheminées, évacuant le plus haut et le plus loin possible les fumées des usines.
Près des Caillols, on la voit de la nationale, il en est une très vieille, seule au sommet dune pinède. Son extrémité est comme un chapiteau où repose le ciel.
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Ils ne distinguent pas lâme de lesprit. « Âme » et « esprit » sont pour eux synonymes, et possèdent par ailleurs des significations très floues, souvent colorées de superstition.
Ils disent aussi « psychisme », quils emploient comme un terme technique mais qui ne dit rien de plus. Ils lopposent alors volontiers au corps.
Aussi, quand leur âme prend le mors au dents et échappe à lemprise de leur esprit, ou quand lesprit se noie dans lâme, submergé par ses émotions, ils sont très désemparés.
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Le pin que je viens de dessiner. On voit bien les pignes.
Ce ne sont pourtant que dinformes et minuscules coups de crayon. On les voit comme il arrive parfois de voir des images dans les taches dun mur.
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PONT-DU-LOUP
Le 30 juillet
Le plus stupéfiant, quand on voyage, ce sont ces quantités de maisons que lon voit de toute part le long des routes ; tantôt disséminées dans la campagne, tantôt agglomérées autour des chaussées et bouchant toute vue.
Toutes ces maisons! Et pourtant, le nombre incalculable dexistences quelles font imaginer nentame en rien le sentiment de notre singulière importance.
Chaque maison est si singulière.
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Les oiseaux entre les toits.
Rien de tel quun vol de pigeons entre les toits pour apprécier mieux la profondeur de lespace.
Parfois un vol compact sélance, plonge et sélève, traversant lespace ensoleillé, puis, lespace ombragé.
Et lon voit bien en effet, en plein ciel, quil y a un espace ensoleillé et un espace ombragé.
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Le 31 juillet
Les insectes. Ils peuvent être parfaitement repoussants, ou très beaux ; cest selon comme on les regarde.
Des bijoux vivants : on imagine bien une sauterelle ou une araignée montée en broche, un collier dabeilles, des papillons boucles doreilles, ou un scarabée-bague.
Cela leur confère la beauté du minéral ; mais ils sont vivants, organiques, et terriblement fragiles, et cest cela je crois qui les rend repoussants.
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Contrairement aux autres animaux, le corps des insectes est en trois parties : la tête, où sont les organes sensibles, le thorax, doù partent les organes moteurs, et labdomen où sont ceux de la respiration et de la digestion.
Mais ils nont ni cur ni cerveau.
Leur tête nest quune face, et leur corps tout entier avec sa carapace où sarticulent leurs squelettiques membres, est comme un crâne qui abrite leur système nerveux.
Ils cachent tout leur corps dans leur crâne. Et cest sûrement ce qui leur donne cet air craintif.
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Le premier août
Si vous demandez à quelquun quelle est la couleur des troncs darbres, il vous dira « marron ». Cest faux.
Le tronc des platanes est fait de taches vert kaki et jaune sable, avec parfois des touches dorangé de mars. Le tronc des pins parasols est comme couvert décailles blanches ; fine écorce qui se craquelle, doù perlent des diamants de résine.
Sur celui des cyprès courent des traces rouge sang, et il devient gris pâle en vieillissant.
Ici on dit que le bois est marron et, pour couper court à toute discussion, on peint en marron la plupart des objets en bois.
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Après-midi
Il est dur dutiliser des mots. Ils donnent des enchaînements sans consistance, des suites qui évoquent moins la chaîne que létirement du chewing-gum, ou du gruyère fondu.
On voit vite quil vaut mieux sattacher aux choses, et que les relations quelles établissent entre elles font un meilleur maillage pour nos pensées.
On les voit alors susciter les mots qui leur conviennent, les lier entre eux en les serrant dun sens précis.
Et cest lorsquon ne songe plus aux mots mais aux choses, quon peut observer que la plupart des choses nous seraient imperceptibles sans mots.
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Dès que jarrive dans un nouvel endroit, jobserve que je nai de cesse quà me trouver quelque nouveau moyen de plaisir.
Je découvre quà lombre dun figuier il est bon de fumer un cigare du Brésil. Et le lendemain, je ne manque pas de prévoir une petite table pour y déposer le café.
Ce sont de toutes petites choses que chaque jour je perfectionne. Et je crois bien que nous sommes tous faits ainsi.
Quels délices devrions-nous rencontrer alors au bout dune existence entière de tels perfectionnements. Eh bien non, justement. Nous ne poussons jamais bien loin. A peine le temps daméliorer un peu que nous sommes lassés, cherchons ailleurs.
Seuls, peut-être les plaisirs intellectuels prennent corps et durée.
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PONT-DU-LOUP (suite)
Le 3 août
Un jardin public en pleine campagne. Avec bancs et pelouse, et portail dentrée, juste après le village, au bord dune petite route où personne ne passe.
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On pourrait croire que la vision nest quune affaire dorganes de la vue. Pas si sûr.
Quand on est en montagne, au début, on a peu le sens des distances. On voit un village haut perché et lon est surpris, en y allant, davoir moins marché quon naurait cru. On est plus surpris encore, en regardant dans la vallée, dune impression vertigineuse quon nimaginait pas.
Au bout de quelques temps, on shabitue à évaluer mieux les distances.
Aussi la vue perçante de laigle, ou celle du chat dans lobscurité, nest certainement pas quune affaire dorganes, mais dexpérience. Un chat qui volerait verrait-il bientôt comme un aigle ; et un aigle qui chasserait la nuit finirait par voir comme un chat.
Et pourtant, lorgane est bien différent ; lil est adapté à lexpérience.
(Quest-ce qui sadapte à quoi ? On a ici une « théorie de lévolution », jen aurais plutôt une de la « cohérence », et même de la « co-errance ».)
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Les arbres en été ont besoin de beaucoup deau ; le vent chaud les dessèche.
Et quand ils agitent leurs feuilles, celles-ci produisent un léger bruit de ruisseau.
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