Il tira la troisième carte,
C’était le valet de chariot.
Il tira la deuxième suivante : le gitan.
Il en passa cinq : la reine de sable.
Puis revint à trois et en tira deux d’un coup :
Le sept de palme et l’aiguiseur d’épées.
« Je prédis la fin du monde », dit la voyante,
« D’ici la nuit des temps. »
« La fin dure souvent plus longtemps
Que tout ce qui la précède », ajouta-t-elle.
« Consultons les astres qui ne sont pas pressés. »
Elle possédait un ciel entier à sa fenêtre.
Elle tira le rideau sur la constellation du Revolver
Au sud en milieu de ciel.
« Je n’ai jamais vu de tels astres »
Dit-il fâché à la voyante.
« Je ne crois pas à ces foutaises :
On voit ou l’on ne voit pas »
« Et vous, que voyez-vous ? » Lui cria-t-elle.
« Les visions que font lever une suite de signes,
Comme des chiens parmi les joncs
Font lever les canards, dit-il. »
La voyante avait dénoué le foulard indien qui retenait ses cheveux,
Et sa peau était devenue noire.
Elle frappait maintenant sur la peau d’un tambour.
Elle psalmodiait, les yeux aveugles :
« L’immobilité de la vision ne suffit pas.
Les images, d’abord, doivent s’entendre.
Tu dois d’abord apprendre à danser
Sur les coups comptés de la lumière. »
Ses mains s’agitaient comme ses pieds sur la terre battue,
Dévoilant ses chevilles nerveuses,
Et les mouvements de sa tête
Faisaient danser ses cheveux défaits.
Il comprit alors que leur fixité tenait
À un défilement trop rapide des images
Et qu’il pourrait les découper à l’infini.
D’une main tremblante,
Il trancha d’abord la tête hirsute du sommeil,
Mordit le vent à pleines dents,
Sortit dans la nuit
Dont le ciel demeurait découpé par des orbes nouvelles.
Il jeta dans le feu des herbes odorantes
Dont il crut un instant que le crépitement
Était celui des astres.
© Jean-Pierre Depétris, hiver 2012 - 2013, hiver 2014
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