Tu serrais sous le bras un cartable d’automne,
Tu sentais sous tes pas résonner des temps immémoriaux,
Bien avant l’invention du fil à sécher le linge,
Avant les cages thoraciques,
Au temps des carapaces,
Tu caressais déjà l’extatique fourrure des plumiers,
Buvant des boissons chaudes et poivrées,
Tu fumais des tabacs plus purs que l’air des montagnes,
Tu sentais parfois la lame d’un remord
Écorcher ta peau comme les roches trempées d’un rivage,
Tu percevais le visage des bois,
Le sillage des couleuvres sous les dais de lumière,
Les cornes de buffles terribles,
La soif des poissons dans les nuages.
Tu étais passé maître dans le maniement de la hache,
Tu tenais à deux mains la lourde scie des décisions.
Même de la lame circulaire et à double tranchant de la logique,
Tes doigts ne craignaient rien.
L’indécidable était pour toi un torrent qu’on enjambe.
Tes bonds étaient déjà comme des poignées de portes
Avant qu’on n’invente les murs.
Tu savais combien il est difficile de trancher des fils au couteau,
Et tu préférais la fourrure à l’armure,
La folle sagesse des bois valait plus pour toi
Que la lourde fragilité de la fonte,
Et les yeux hallucinés des bêtes
Te semblaient la plus sûre des sources.
© Jean-Pierre Depétris, hiver 2012 - 2013, hiver 2014
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