Site de Jean-Pierre Depétris


24 propositions
sur les ateliers d'écriture



par

Jean-Pierre Depétris






Paru dans Le Cahier du Refuge N° 38, septembre 1994.
24 propositions sur les ateliers d'écriture
est constitué d'un jeu de cadres de 3 fichiers html et d'un fichier pdf
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© 1994, Jean-Pierre Depétris
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1 Apprend-on à écrire ?

   Plus exactement, le vocabulaire et la grammaire supposés connus, a-t-on encore quelque chose à apprendre ? Quelque chose de distinct d'une culture générale, et même d'une culture littéraire ?
   On hésite à l'affirmer, mais le nier serait en appeler au génie. Alors, si l'on ne veut pas en appeler au génie, qu'est ce qui peut faire apprentissage ?






2 L'entraînement

   La pratique régulière produit une dextérité. C'est évident.
   Il n'est qu'à reprendre une activité longtemps abandonnée pour s'en faire une idée. Reprendre le volant après plusieurs années, par exemple.
   Le pur entraînement, donc, comme on ferait un footing matinal pour se tenir en forme, n'est pas à négliger.




3 L'automatisme

   L'écriture n'est pas comme la peinture ou la musique : c'est la langue qu'on écrit.
   Or la langue est d'un usage permanent. Toujours on parle, et toujours - à supposer les rudiments connus - on lit, et l'on écrit (au moins du courrier).
   Ce qui suppose déjà acquise une certaine dextérité, et avec elle certains automatismes.




4 Les plis

   Chacun est habité par des automatismes, qui lui sont personnels, qui sont sa façon de parler ; comme il a sa façon de marcher, par laquelle seule on peut le reconnaître.
   Autant de plis qui peuvent se révéler de mauvais plis ; des moules stéréotypés dont sa langue se fait prisonnière.




5 Le bourgeonnement

   Comment mettre ces plis sous le regard ; creuser l'expression trop fréquente ?
   Les tics qui, à distance régulière viennent enfler le discours, sont bien souvent comme ces nœuds sur les branches en hiver, qui rompent régulièrement son mouvement, mais dont au printemps poussent les nouveaux rameaux.
   Comment non seulement cultiver dextérité et automatisme, mais défaire automatiquement les plis ?




6 La lecture

   Nous ne cessons d'utiliser le langage, et peu d'utiliser l'écrit.    Généralement, lorsqu'on écrit, soit on écrit pour quelqu'un d'autre - dans le courrier par exemple - et l'on a peu l'occasion alors de revenir sur son texte, ou d'en suivre la lecture ; soit on écrit pour soi - en prenant des notes par exemple - et du moment que l'on sait se relire, s'y retrouver, on se soucie peu de la lecture qu'un autre pourrait en faire.




7 La relecture

   On se prive généralement de se relire avec un regard neuf. On ne relit pas ce qu'on a réellement écrit ; mais ce qu'on a voulu écrire.
   C'est d'ailleurs peut-être dans cette distinction que se définit proprement ce qu'on appelle « écrire » : quand il est posé que l'écriture en appelle à la lecture de ce qui est réellement écrit ; et pas seulement au décryptage de ce qui aura voulu être dit.




8 Le lecteur

   Il est très dur de lire ce qu'on a réellement écrit. (Même pour un autre lecteur qui peut ne lire que ce qu'il veut lire).
   Et c'est bien là que se trouve la limite de ce qui peut s'apprendre seul.
   Il s'agit de se faire soi-même son propre lecteur. Ce qui revient à se détacher de ce qu'on a voulu écrire ; l'oublier. L'aide ici de celui qui ne l'aura jamais su est bien utile, si ce n'est indispensable.




9 Le jugement

   Cette expérimentation pourrait-elle s'effectuer à l'occasion de simples rencontre littéraires ; par la constitution par exemple d'un groupe de lecture ? Oui, mais très partiellement.
   Les risques sont majeurs pour que ce groupe (comme tend à le faire toute société aussi petite soit-elle) se mette à générer ses critères de jugement et son échelle de valeur, qui vaudront que ce que valent de telles chose, c'est à dire : rien.
   (Il faut savoir qu'un jugement est d'autant plus pesant que son autorité est faible.)




10 Écrire

   Un auteur n'a que faire du jugement d'un lecteur - du moins, son écriture n'a rien de bon à en tirer.
   Compte plutôt ce que ce lecteur va en faire. Et pour que cela soit lisible, il est bon que le lecteur en fasse quelque chose d'écrit.
   Il importe que celui qui conduit l'atelier se garde de tenir une place de juge. Son rôle doit se fixer sur cette mise en lisibilité. Ceci le protégera de cela.




11 L'oubli

   Compter, c'est être en mesure d'oublier « 2 + 2 » quand on a obtenu « 4 ». Inutile de démontrer la supériorité de l'écrit sur le calcul mental. On écrit pour oublier, pour libérer de la mémoire, se consacrer aux inférences nouvelles. Et l'on peut revenir sur le signe oublié.




12 La technique

   Frege disait que l'écriture a été à la pensée ce que la voile qui remonte le vent fut à la navigation.
   Les liens entre langage et pensée, pensée et personnalité, sont serrés et complexes. Voir dans l'écriture le simple moyen d'exprimer cette personnalité serait simplificateur.
   L'écriture est un instrument, presque une machine, si ce n'est que l'artificiel et le naturel (on parle de « langues naturelles ») s'y mêlent intimement.




13 Tenir le cap

   Si écrire est comme faire de la voile, on doit, pour être capable de contempler la mer en même temps, avoir profondément assimilé les techniques opératoires afin qu'elles ne captent pas toute notre attention.
   Mais naviguer consiste moins à contempler la mer qu'à tenir un cap ; comme écrire ne consiste pas à s'exprimer, à moins de vouloir appeler ainsi tenir sa plume.




14 L'apprentissage

   On a pu observer que dans tout apprentissage, par exemple du jeu d'échecs, on tend au départ à progresser très vite, puis à reculer, à désapprendre, et enfin, seulement si l'on s'accroche, à se perfectionner vraiment. C'est que le premier temps capte l'attention sur la technique. Ensuite cette attention se relâche, sans que la technique n'ait encore pu prendre la place d'une « seconde nature ». Seule une longue pratique critique permettra à l'attention de ne plus en être perturbée.




15 Le naturel

   C'est ce qui explique que l'ignorant, ou l'enfant puisse parfois égaler le maître.
   Cela ne confirme en rien les conceptions d'un génie inné ; de l'apprentissage contrariant la nature.
   Cela signifie seulement que le naturel est la technique assimilée, et que la technique qui ne l'est pas fait obstacle naturel.




16 L'écrivant

   On a pris l'habitude d'opposer « écrivain » à « écrivant » à propos des ateliers d'écriture. Ce qui revient à nier la signification de cette distinction dont la paternité revient à Roland Barthes : « L'écrivain travaille sa parole... l'écrivant n'exerce aucune activité technique sur la parole ».
   De ce point de vue, celui qui participe à un atelier tombe bien plus sous la définition de l'écrivain que de l'écrivant. A l'inverse de bien des invités des émissions littéraires.




17 L'écriture

   Cette distinction, qui ne fait jamais qu'opposer (en les instituant) un professionnalisme à un non professionnalisme, n'a rien d'opératoire. D'autant qu'elle occulte la nature du professionnalisme en question.
   (Elle supposerait même que l'écrivain pourrait transmettre son savoir professionnel, ce qui serait de l'escroquerie.)
   La distinction de Barthes est bien plus opératoire. Elle est même la seule qui rende évidente la fonction et l'efficacité d'un atelier d'écriture.




18 L'écrivain

   Que celui qui conduit un atelier d'écriture doive être un écrivain n'admet aucune contestation. Sinon il faudrait parler d'un atelier d'expression écrite ou de communication.
   Quatre aptitudes sont requise pour conduire un atelier : savoir lire, savoir transmettre, savoir théoriser, savoir écrire.
   Il est plutôt rare de trouver ces quatre aptitudes développées chez la même personne. Le plus important est qu'aucune ne tende à étouffer les autres, mais plutôt à les conforter.




19 Savoir lire

   Conduire un atelier d'écriture suppose de lire simultanément plusieurs textes en train de s'écrire. Cela demande une grande disponibilité et une forte concentration.
   Cela peut même placer le meneur de jeu en situation d'infériorité envers ceux qui écrivent, et qui pourront se concentrer sur leur seul texte, ou celui d'un ou deux autres à peine. Il est bon alors de mettre à contribution la capacité du groupe tout entier.




20 Transmettre

   Il ne s'agit pas seulement de savoir faire ; mais de savoir ce qu'on fait ; comment on fait.
   Il n'est que trop évident qu'on ne transmet pas en expliquant. La connaissance des principes de la dynamique ne fera jamais tenir quelqu'un sur un vélo. Elle n'est pourtant pas inutiles complètement à celui qui se voudrait entraîneur.




21 Théoriser

   Écrire avec d'autres, faire écrire d'autres, génère automatiquement un recul théorique et le met immédiatement à l'épreuve de la pratique.
   Automatique et immédiat ne signifient pas passif. Le pilote de l'atelier n'est pas le dernier à en tirer un profit. Encore doit-il accepter ce profit ; en tirer le produit.




22 Savoir écrire

   Le travail d'écriture que produit par ailleurs l'écrivain tient lieu de « contrôle » pour l'atelier qu'il même.
   Ces deux activités supposent une recherche théorique qui prend la place d'un « troisième champ ». Cette recherche alors a l'avantage de ne pas reposer seulement sur l'œuvre qu'il écrit, ni sur les œuvres qu'il ne fait que lire. Elle s'ouvre un champ réel d'expérimentation collective.




23 La singularité

   L'écrivain n'a pas de réelle raison de redouter sa singularité, ses partis pris. Il vaut mieux qu'il entraîne le groupe sur ses propres recherches, ses options, son point de vue nécessairement partiel et partial. La singularité des autres n'en sera que renforcée. C'est encore le meilleur moyen de ne pas se donner en modèle.




24 « Ne faites rien » (Lao Tseu)

   Le rôle du meneur de jeu doit être minimal : se contenter le plus possible de proposer les modalités d'un travail.

   Il doit surtout éviter :
   1) Que ne s'imposent des principes et des règles fondées sur la coutume ou sur une autorité quelconque.
   2) De s'investir, ou de se laisser investir, d'une telle autorité.
   3) Que l'intérêt se porte sur le contenu (idéologique, psychologique,...) d'un texte plutôt que sur le texte même.

   Il doit centrer le travail sur ce qui est écrit, sur ce qui est lu de ce qui est écrit, sur ce qui est écrit de ce qui est lu. Ceci rendu effectif, moins il intervient, mieux c'est.




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